Chapitre 6
En sortant du caveau, Morgal s'attarda quelques instants avec son petit frère. Arlin n'était plus l'enfant qu'il avait connu. Il devait avoir dix-sept ans passés maintenant. Sa croissance achevée et son visage affiné, il n'avait plus rien à voir avec le gosse empoté qu'il était. Par contre, il semblait avoir gardé sa grande sensibilité.
— Je ne pensais pas que tu reviendrais, avoua-t-il à son ainé d'une voix timide.
Ce dernier sourit en dévoilant ses canines menaçantes :
— J'ai toujours été attaché à ma famille, assura-t-il, à ma famille et à mon pays.
Arlin détourna les yeux, intimidé. Son frère fronça les sourcils ; depuis son retour, aucun des siens n'acceptaient de le reconnaitre et cela le blessait plus qu'il ne l'aurait voulu.
— Tu résides toujours au palais ? demanda-t-il pour entretenir la conversation.
— Non, père m'a envoyé à Ur-Nabal...
— Magnifique place, n'est-ce pas ? ricana-t-il sarcastique.
Ils étaient tous les deux mis à marcher vers les grilles du cimetière. Arlin rentra les mains dans son manteau de brocard, toujours hésitant :
— La formation me plait, murmura-t-il, j'ai rencontré beaucoup de gens intéressants avec qui j'ai noué des liens d'amitié. Mais...
— Mais ?
— On raconte des choses abominables sur toi, là-bas.
Le prince souffla et leva les yeux au ciel : évidemment.
— Dis-moi, Morgal, tu as vraiment dévoré le prince Tolos ?
— Je n'en ai pas eu le temps, Arlin, admit-il dans un sourire inquiétant.
L'adolescent grimaça et jeta un regard de dégout vers le vampire :
— C'est donc vrai ? Tu bois du sang et tu égorges des gens ?
— Je m'en serais passé, tu sais ? Je me serais passé de tout ce merdier, d'ailleurs...
Arlin hocha mécaniquement la tête et finit par ajouter :
— Ton départ m'a beaucoup affecté, surtout après la mort subite de Malgal. Je ne comprenais pas. J'étais le seul à pleurer... J'en avais honte.
— Tant que les émotions ne prennent pas le dessus, tu sais...
— Toi aussi, tu parais froid, à présent.
— On se constitue tous une carapace.
Le cadet sourit :
— Eh bien, moi je préfère rester moi-même avec les gens que je côtoie. Ceci-dit, je suis vraiment heureux que tu sois revenu.
Les deux elfes passèrent la sortie et attendirent un instant devant leurs carrosses.
— Moi aussi, ça me réchauffe le cœur.
— Je suis naïf mais pas aussi idiot pour voir lorsque tu me mens, Morgal.
Il allait rétorquer quand un nouvel attelage stoppa juste devant eux. La porte rectangulaire s'ouvrit dans un grincement désagréable pour laisser fuser la voix de l'occupant :
— Morgal ! Bouge tes fesses et monte !
Le vampire se mordit la lèvre : Saucarya était en forme ce soir !
— T'es au courant que je suis sensé rester incognito ? Tu viens de crier mon nom comme le dernier des imbéciles.
— Sois mignon et grimpe ; j'ai plein de choses à te raconter !
Morgal jeta un œil derrière son épaule : la reine rejoignait les voitures de sa démarche légère, le visage toujours marqué par la peine. Dans ses longs voiles blancs, elle ressemblait à un fantôme, revenant dans le cimetière où il avait été déposé. Les elfes sylvestres qui l'entouraient portaient le noir en accord avec le deuil de leur reine.
Le prince secoua la tête, préférant se soustraire à ce spectacle. Il salua Arlin et monta dans le carrosse de son grand frère.
Il se demandait si c'était une bonne idée...
— Et voilà ! On n'est pas bien, là ?
— Tes propriétés de campagnes sont chaleureuses, en effet.
Saucarya se laissa choir dans un canapé et fit signe à son cadet d'en faire autant. D'un air rigide, Morgal se posa près de la cheminée.
— Tu avais des choses à me dire ?
— Et comment ?! Tu as raté cinq ans ! Il s'y est passé des choses !
— Tu vas te marier ?
— Mmh ? Non, père attend qu'un bon parti se présente. Je profite de mon célibat, en attendant, haha... Mais à propos d'épousailles, c'est la petite Lalith Dlynn qui va se marier avec Ruinax du Croissant-Noir. C'était tes amis, non ?
Il baissa la tête, se rappelant de cet instant de folie où il avait insulté son amie, dans la prison de l'école. À vrai dire, il souhaitait grandement la retrouver et lui expliquer son attitude.
— Oh, mais je devine, tu étais amoureux d'elle, non ?
Morgal fustigea Saucarya de ses yeux bleus :
— Mêle-toi de ce qui te regarde !
— Oh mais Morgal ! S'il-te-plait, s'il-te-plait, fais un scandale. Ça serait si amusant que tu viennes interrompre les noces. Tu arrives au temple, tu arrêtes les prêtres et tu clames d'une voix grandiloquente : « arrêtez ce mariage, cette jeune jouvencelle m'appartient ! ».
— Tu as craqué...
— Allez !
— Saucarya, tu es con. Et puis, cette méthode ne me ressemblerait pas !
— C'est vrai ! Empoissonne Ruinax ! Hop, plus de fiancé, tu repars avec la fille.
— Tu me donnes la migraine.
— Le poison, ce n'est peut-être pas ton truc, non-plus. Ils font quoi les vampires, d'habitude ? Ils arrachent les membres de leurs victimes pour les vider de leur sang ?
Le prince soupira, lassé par les élucubrations de son ainé. Il ne s'arrêtait jamais.
— Et d'ailleurs ? Le soleil devrait te brûler, non ? Est-ce que tu supportes le contact de l'argent ? Oh ! J'ai une idée ! Mets-toi devant un miroir, on ne devrait pas voir ton reflet, normalement, j'ai lu ça...
— Ferme ta gueule !
Saucarya s'arrêta dans son discours, le visage figé dans une expression peu crédible. Surtout que dans l'élaboration de sa pensée, il s'était allongé sur le dos en faisant basculer ses jambes sur l'accoudoir et le dossier.
— Ce sont des conneries ?
— Oui. Le seul trait de caractère c'est la soif de sang. Et si tu continues à me pomper l'air, tu seras la prochaine cible pour mon digestif.
Son frère grimaça, peu enthousiasmé par cette perspective.
— Tu me donnes soif... Schlips ! Va chercher deux verres !
Le gnome personnel du prince s'exécuta et partit vers le buffet en quête d'une bouteille.
— Je voulais te dire, Morgal, que tu vas hériter de la contrée des Falaises Venteuses. Enfin... Lorsque tu seras sorti de ton exil social.
— Tu parles de la région dont s'occupe Falarön ?
— Une partie, oui. Mais son territoire est bien trop large pour qu'il puisse s'en occuper. Surtout que la contrée des Falaises Venteuses subit des attaques lumbarses à la frontière et sur ses côtes.
— Charmant pays !
— Mais tu dois penser à t'établir. Ça te va bien de parcourir la Dimension en chevalier solitaire mais tu es un prince Fëalocen. Tu dois élever une cité, créé ton économie et rassembler une armée !
— J'en frémis déjà d'impatience.
— Tu vois !
— Tout ça, c'est encore loin, non ?
— Pas du tout ! Si tu crois que père va gentiment te laisser sur la touche, tu te fourres le doigt dans l'œil !
Morgal poussa un énième soufflement et s'adossa au dossier de son fauteuil. Il n'allait pas chômer...
— D'ailleurs, père compte bien te mettre à l'épreuve pour la campagne en Narraca.
Le prince se redressa aussitôt :
— Il a accepté ?!
— De botter le cul à ces astres ? Oui, il vient de recevoir le soutien du royaume d'Elendor. C'était ce qui lui manquait pour lancer l'offensive. De plus, on a reçu, il y a quelques temps une missive d'appel à l'aide. Elle provenait de Narraca mais nous manquions cruellement de preuves. Ton discours à remis de l'eau au moulin et nous voilà partis pour une nouvelle guerre !
Morgal attrapa son verre et le leva vers son frère :
— Alors, à la victoire.
— À la victoire ! Nous allons bien nous amuser, tu ne crois pas ?
Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top