Chapitre 4

Les moines n'avaient pas vu le départ de Morgal d'un mauvais œil. Après une rapide visite au temple, il avait enfourché sa fidèle monture pour s'éloigner du sanctuaire.

Alaxos galopait désormais vers la frontière, sa longue crinière noire dansant dans le vent. Son maître ne pouvait s'empêcher d'appréhender l'accueil que lui feraient les siens. La dernière fois qu'il foulait les terres de Calca, c'était pour fuir un procès.

Mais plus de cinq années étaient passées ; l'affaire avait sûrement dû couler depuis le temps.

En tout cas, les Berserks ne s'étaient pas manifestés ; son voyage de retour s'annonçait donc sous les meilleurs hospices.

Encore fallait-il convaincre son père de ne pas lui trancher la tête.





Saucarya profitait d'une pause dans son travail pour gouter le fruit de ses meilleurs cépages. C'était une excellente année. Enfin... pour ce qui était du vin. C'était à cette période que Malgal avait été assassiné. Fuyant la responsabilité de ses actes, Morgal s'était dérobé à la sentence et avait disparu. Cinq ans maintenant qu'on ne l'avait pas revu...

Saucarya soupira ; ses yeux se posèrent instinctivement sur le grand portrait familial qui ornait son bureau. Quelle triste malédiction s'était donc abattue sur ses deux petits frères ? C'était lui qui était le plus proche d'eux en âge. Le décès macabre lui retournait encore l'esprit. Il se souvenait du drap blanc sur le cadavre. Vue l'état du corps, son père avait refusé d'exposer le défunt aux yeux de sa famille et des proches.

Et son jumeau avait fui, non sans avoir oublié d'égorger l'héritier Flamarinden, manquant de provoquer une guerre entre les royaumes elfiques. Sans doute fallait-il laisser toute cette sombre aventure au passé... Le cinquième fils Fëalocen était du genre à ressasser les souvenirs et sombrer dans la mélancolie. Enfin, ça c'était quand il n'était pas prix de velléités d'excités. En général, son entourage se lassait vite de sa présence, tellement il avait l'habitude de pomper l'énergie de chacun.

Aussi, lorsqu'il était seul, il retrouvait un calme réparateur pour se pencher sur son travail de prince. À vrai dire, il déléguait la plupart du temps, préférant vivre avec les côtés positifs de son rang. Saucarya ne manquait jamais une occasion de fêter, de dépenser et de séduire toutes les jolies courtisanes auprès desquelles il avait un succès certain. La pile de lettres provenant d'admiratrices inconnues prouvait bien sa célébrité dans le milieu de la nuit.

Le roi n'appréciait guère le comportement de son fils, c'est pourquoi il lui avait assigné une région du royaume pas trop problématique où les intendants faisaient déjà un excellent travail. Le prince se contentait la plupart du temps de poser son sceau sur les contrats royaux et les déclarations importantes, son immaturité certaine le laissait à l'abri de plus de responsabilités.

La porte du bureau s'ouvrit soudain.

— On se fait annoncer avant d'entrer ! grogna Saucarya sans lever le nez de son verre.

— Je savais que tu ne travaillais pas.

Il n'accorda aucun regard à son grand frère Macar. Il savait déjà que ce dernier le jugeait de ses yeux noisette et qu'il portait son uniforme militaire. C'était une habitude chez ce dernier.

— Bien ! Que me vaut ta visite ?

— Ça t'arrive de lire tes courriers ?!

— Parfois... Pourquoi ?

— Tu as de la chance que ton palais soit proche d'Elmaril ! Je t'aurais laissé dans l'ignorance, sinon.

Saucarya leva un sourcil en se regardant les ongles :

— Tu ne pouvais pas envoyer un gnome pour me prévenir ?

— Non, l'information doit rester encore secrète.

— Alors ?

— Morgal est à Elmaril.

— QUOI ?!

L'étonnement le cloua sur son fauteuil. Il manqua de laisser son verre s'éclater sur le parquet.

— Tu m'as bien entendu. Il est revenu.

— Comment a réagi notre père ?

— Il a voulu l'enfermer immédiatement dans les cachots afin d'empêcher une seconde fuite. Maman l'en a dissuadé et Morgal est désormais confiné dans ses appartements.

— Allons-nous enfin avoir le fin mot de cette histoire ?

— Aucune idée. Morgal s'est pointé durant les doléances ; fallait voir la tête du roi...

— J'imagine que les autres ont été prévenus et ont rappliqué...

— Oui, tu étais le dernier.

— Et quel sort attend notre cher petit frère ?

— Tout dépend du royaume Flamarinden. Espérons qu'ils n'exigent pas sa tête.

— Bien ! La semaine s'annonce haute en couleur !





Le palais royal demeurait calme malgré le bouillonnement qui animait l'âme du souverain. Assis à l'extrémité d'une longue table rectangulaire, il faisait face à l'enfant prodigue. Sur les deux longs côtés, les six autres fils gardaient le silence mais leurs regards en disaient longs. Personne n'osait briser le silence imposé par le roi. Leur mère n'avait daigné assister à cette réunion de famille ou peut-être n'avait-elle pas été conviée ; Elaglar avait la fâcheuse habitude de vouloir tout gérer lui-même.

Étonnamment, la personne la moins angoissée à la table était Morgal. Il haussait ses sourcils arqués dans un air impertinent. L'ainé, Haïront, ne daignait desserrer la mâchoire alors que son cadet Falarön perçait le suspect avec mépris. Si Lorian se perdait consciencieusement dans les pages qui constituaient le rapport, Saucarya envoyait des regards perdus à Macar ; il ne comprenait rien de ce qu'il se passait. Quant à Arlin, il baissait les yeux dans une mine triste.

Le tableau était pour le moins particulier.

— Bien ! déclara enfin Elaglar en mettant fin au suspense, je crois qu'il est temps de mettre les choses à plat.

Morgal hocha simplement la tête et offrit même un sourire rassuré à ses frères, ce qui eut le don d'exaspérer Falarön.

— Je pense, Morgal, continua le roi, que tu peux nous raconter ce qui t'est arrivé pendant ces cinq années.

Ce dernier accepta d'un signe de tête sans se formaliser des regards interrogateurs de ses frères :

— Je sais que vous avez plusieurs questions à me poser. Mais je ne suis plus aussi bavard qu'avant. Je voudrais avant tout dire une chose : je n'ai pas tué Malgal. Père le sait et le meurtre restera classé secret. Donc, à ceux qui voudraient continuer à me diaboliser, gardez-vous-en et utilisez votre temps pour des choses plus utiles.

— Nous n'avons pas le droit de connaitre le sort de notre frère ?! s'indigna Macar.

— Non, répondit Morgal avec aplomb, si tu n'es pas satisfait, contente-toi de ton amertume. Je ne dirai rien.

Saucarya aurait bien encouragé la rixe mais le sujet était trop brûlant lorsque cela concernait Malgal. Arlin sembla particulièrement affecté en repensant à son grand frère ; il n'était qu'un enfant lors des événements.

— Je continue. Contrairement à ce qui a été dit, je n'ai pas non assassiné Tolos Flamarinden. Je n'ai fait que me défendre.

— Tu étais obligé de lui ouvrir la gorge ? fit remarquer Haïront sans se départir de son air strict.

— Vous n'êtes pas sans savoir que j'ai développé un syndrome vampirique suite à la mort de Malgal. Disons qu'il ne s'est pas en plus retrouvé au bon moment. J'ai des besoins de sang, je n'y peux rien.

— Tu es au courant que tu vas peut-être provoquer une guerre avec Flamarindo ? sourit Macar.

— Désolé. Je vous aurais bien épargner ce retour impromptu à la capitale mais comprenez-moi ! J'ai vécu cinq ans en Fanyarë avec des astres, je n'en pouvais plus !

Le roi leva les yeux au ciel comme si sa couronne devenait soudain trop lourde :

— Viens-en aux faits, Morgal.

— J'ai fui pour éviter une sentence injuste. Et après la disparition de notre frère j'avais besoin de voir ailleurs. J'ai intégré une confrérie en Fanyarë. Je m'y suis formé et puis lorsque cette dernière a pris fin, je suis revenu. Voilà mon histoire.

Le silence reprit jusqu'à ce que Saucarya lâche un léger « concis » appréciateur. En effet, le discours manquait un peu d'éléments pour savoir ce qu'il s'était réellement passé.

— Tu étais en effet plus bavard dans le temps...

— J'ai encore quelque chose à ajouter.

Il sortit de sa veste les documents de Tarcenya et les fit glisser sur la table.

— Je ne sais pas si une guerre avec Flamarindo est nécessaire. Par contre, je n'ai aucun doute en ce qui concerne Narraca.

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