Chapitre 37

Les préparatifs pour la bataille avançaient.

Assis à son bureau, le prince profitait de son petit déjeuner sans lâcher des yeux la créature stupide qui se curait le nez dans un coin, le regard perdu sur le plafond peint.

Morgal se demandait bien pourquoi il s'était choisi un gnome particulier, à l'instar de ses frères. Probablement parce qu'il l'avait aperçu dans ses songes. Et qu'une étrange intuition l'avait poussé à le prendre à son service.

Malheureusement, Binou n'était pas la lame la plus affutée du tiroir. Son air benêt et son manque flagrant de jugement faisait de lui une cible de choix.

Mais il était impensable au prince de se débarrasser de lui ; ce gnome était apparu dans le même rêve que la Réceptacle brune. Il aurait donc son rôle à jouer, dans le futur. Pour l'instant, il était forcé de suivre une formation d'espion en plus de valet.

Ses cheveux noirs se coupaient court et ses yeux noisette rappelaient la couleur mate de sa peau.

— « J'espère ne pas m'être trompé dans cette décision », soupira Morgal.

Malgré son aspect ridicule, Binou cachait d'intéressantes qualités. Il avait le don de se retrouver au bon endroit, au bon moment ; et Morgal appréciait le fait qu'il n'apprécie guère l'esclavage dans lequel étaient plongés les siens. Les autres gnomes s'accommodaient très bien de leur sort mais pas Binou. Il se rebellait silencieusement contre ce système injuste et cette révolte le faisait remonter dans l'estime du prince.

Le familier semblait aussi étranger aux codes sociaux si bien qu'il s'adressait à son maître avec une aise assez déroutante.

— Qui hériterait des Falaises Sanglantes si vous clamsez ? demanda-t-il soudain en s'accordant à la table.

— Tu n'es pas sur mon testament, stupide gnome.

Malgré sa taille d'enfant, l'esclave ne se démonta pas pour autant :

— Arquen m'a dit que vous ne remporteriez pas la bataille face aux armées de la Reine Vierge.

— Les paroles d'un homme qui passe son temps libre dans des bordels ne m'intéressent que très peu, Binou.

— Vous avez tort. Votre cher ami en sait bien plus qu'il ne veut l'avouer sur les forces astrales.

— Binou... Inutile de t'improviser stratège. Tu n'as même pas les connaissances basiques d'un assassin.

Le gnome se renfrogna :

— Vos entraînements sont invivables, Majesté. Ça me suffit déjà amplement d'être marqué.

— La fourberie se lit sur ton visage, je ne prendrais aucun risque connaissant tes intentions sous-jacentes.

Il bougonna avant de s'affaler dans un fauteuil, ses longues oreilles baissées par l'ennui.

Morgal secoua la tête ; Binou dans son rôle de gnome personnel le suivait partout et ne manquait pas de l'épuiser. Il ne se gênait jamais pour placer une remarque acerbe ou impertinente. Mais le prince s'accommodait de ce caractère rebelle qui ne manquait pas de lui rappeler souvent la réalité triviale de toute existence.

Mais l'elfe devait bien admettre que toutes ces histoires de bataille lui prenaient la tête. Il se doutait bien que la reine Luinil et Wendu rassemblaient des armées toujours plus déterminées. Il allait sans dire que les nains et les humains faisaient de même. Il y avait dans ce tournant de guerre une volonté d'y mettre fin, une bonne fois pour toute. Et la seule solution résidait dans la destruction totale de l'adversaire.

Chacun se battrait pour tuer, verser le maximum de sang dans un carnage ultime.

Inconsciemment, le regard du prince glissa sur son armure en carapace d'incube qui attendait sur son présentoir. Si Binou passait le temps par des bruits incongrus de bouche, lui s'abimait dans des pensées aussi marquées par l'angoisse que par l'excitation.

Cette fois-ci, les armées astrales ne s'en sortiraient pas. Il était temps pour les elfes de dominer le Cosmos sur toutes les autres races, quittés à les plonger dans l'esclavage.




Véritable point central de la Dimension, la presqu'île d'Olmor subirait une nouvelle fois les assauts interraciaux. L'armée qui remportait ce territoire jouirait d'un accès unique qui faciliterait l'invasion vers les autres royaumes. L'emplacement stratégique ne pouvait être ignoré et chaque peuple le comprenait bien.

Dans son harnachement militaire, Alacamor levait son long museau vers le ciel obscurci. Comme toujours, des vents marins balayaient les plateaux de la presqu'île pour charrier avec eux une désagréable odeur d'algues et de mort. On ne comptait plus le nombre de bateaux échoués contre les murailles naturelles de ce paysage apocalyptique.

Depuis des centaines d'années, les affrontements continuaient avec rage et la végétation comme les traces de civilisation avaient disparus. Quelques ruines éparses constituaient les seuls vestiges d'une cité autrefois prospère. Mais désormais, les bâtiments s'enfonçaient dans cette terre désertique, laissant place à des champs de batailles.

Les plateaux étaient déjà pris d'assaut par les armées et leurs étendards s'agitaient dans la bise glaciale. D'ici peu de temps, les souverains enverraient leurs armées remplir la plaine du chant de la mort. Les bateaux vomissaient déjà leurs soldats et leurs machines de guerre dans des ébranlements chaotiques.

— Impressionnant, non ? sourit Saucarya devant la vue que leur offrait le plateau.

— On ne s'en lasse pas, admit Morgal.

Les princes Fëalocen attendaient patiemment le signal pour commencer les hostilités. Juchés sur leurs dragons, ils regardaient de leurs yeux affutés les lignes ennemies.

Une partie de la presqu'île était déjà tombée entre leurs mains. Aussi, les autres races allaient-elles s'en prendre à eux avec une férocité accrue.

— Nous allons nous battre sur plusieurs fronts, en déduisit Macar en enfonçant son heaume sur le crâne.

— Puisse cette bataille être la dernière, murmura Arlin.

Le dernier de famille ne comprenait pas l'engouement de ses frères pour cette guerre insensée.

— Père a été clair, continua Saucarya, si nous détruisons Arminassë et Lombal, nous éliminerons notre plus grand opposant.

Morgal hocha silencieusement la tête ; avec la chute des deux royaumes astraux, l'hégémonie elfique ne rencontrerait plus aucune résistance. Les autres races ne pèseraient guère longtemps dans la balance.

Sur sa monture noire, le prince des Falaises Sanglantes souriait ; enfin avait-il reçu la permission d'Elaglar de s'en prendre à la Reine Vierge. Cette dernière leur compliquait bien trop souvent la tâche.

— « Tu me pardonneras, Arquen, pensa-t-il, mais cette fois-ci, je ne laisserais pas passer ma chance de supprimer cette maudite reine. »

Car oui, dès que la souveraine mettrait les pieds sur le champ de bataille, il déploierait les ailes d'Alacamor et fondrait sur elle pour la réduire en cendres, évitant les balistes d'Arminassë.

Ce duel comme les précédents l'excitait. Le sang bouillait dans ses veines et ses yeux s'écarquillaient déjà face à ses désirs de violence. Personne n'avait jamais réussi à atteindre la plus ancienne souveraine de la Dimension, l'une des plus vieilles créatures de leur Ere.

Luinil serait un ennemi de taille et Morgal comptait bien rapporter sa tête pour remplir son macabre palmarès.

C'est sur ces réflexions que les cors résonnèrent, emplissant la presqu'île d'un ébranlement sans pareil.

Ça y était, le sort de la Dimension allait être scellé dans le sang. La paix ne s'obtiendrait qu'au sacrifice de milliers de vies.

Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top