Chapitre 36
La cathédrale souterraine tremblait sous les pas du monstre. Jamais Nahôm n'eut pensé que cette maudite secte utilisait une telle Entité.
Othakar s'affaissa sur sa droite, le souffle rapide :
— Un Golemor, lâcha-t-il, ils ont mis la main sur un Golemor.
— Où sont les autres Réceptacles ? demanda le roi sans lâcher son sceptre allongé.
Walda s'effondra sous leurs yeux, le visage noirci par l'affrontement. Ses cheveux roux déjà mal coiffés formaient désormais un mélimélo de mèches fumantes.
— Cette créature est beaucoup trop grosse... se lamenta-t-elle.
— Au moins l'avons-nous coincée, rassura l'astre.
La nurvarse gémit de plus belle :
— Pourquoi nous menez-nous dans de tels traquenards, Majesté ?
— J'emmène tous les Réceptacles avec une formation militaire et c'est ton cas, Walda.
— Mon peuple n'est pas fait pour la guerre...
Othakar referma les mains sur son bâton catalyseur et jeta un regard par-dessus l'arrête du rocher derrière lequel ils s'étaient abrités. L'énorme Entité lâchait ses flammes bleues depuis le gouffre où elle avait été précipitée. Fulminante, elle tortillait ses longues pattes hérissées de piques. Sa carapace blanche se boursoufflait par endroit et sa gueule démesurée s'ouvrait dans toute la longueur de sa tête sans cou pour dévoiler quatre rangées de dents.
Devant pareille atrocité, Walda regrettait de ne pas être restée avec Alanesse, le cathors déjanté.
— Où est ce stupide gnome ? maugréa-t-elle en rabattant ses genoux écorchés contre sa poitrine.
— Le Faucheur arrive, certifia le roi, en attendant, nous devons éliminer les membres de cette maudite secte.
— Les Serviteurs de Kélops se sont déjà enfuis, rétorqua l'astre, et cette abominable chose nous bloque la sortie !
— Que le Créateur maudisse ces sectes !
Othakar soupira longuement ; déjà quatre Réceptacles qui avaient été éliminés par ces fanatiques. Ils ne pouvaient permettre qu'un nouveau meurtre n'advienne, sinon une race allait être dépossédée de son Vala pendant un bon moment.
De toutes façons, ce n'était pas la première fois que le Cercle se confrontait ainsi à la puissance des sectes. Certaines d'entre elles exerçaient un véritable contrôle sur plusieurs royaumes et leur niveau d'érudition était bien supérieur la plupart du temps aux sages des cours. Elles connaissaient l'existence exacte des Réceptacles et voulaient les anéantir après avoir récolté leurs larmes et conserver ainsi à elles seules la magie de plusieurs races.
De tels agissements ne pouvaient être laissés impunis par Nahôm et ses hommes.
Toujours dans son piège, le Golemor hurlait comme un porc égorgé et gesticulait de plus belle. Sa grosse panse ronde de crapaud se gonflait pour déverser ses flammes dévastatrices dans la nef abandonnée.
— Et dire que le tyran Dordalv en apprivoisait, souffla Nahôm.
— Qui ?
— Oublie, Walda, un homme de l'Ancien Monde.
— Puisque vous en êtes une, Majesté, vous ne voudriez pas anéantir cette Entité ? Vous devriez connaitre ses points faibles.
— Oui, ce sont ces bubons derrière son crâne, juste au-dessus du cou.
— Charmant, mis à part que ce monstre puant n'a pas de cou.
La bête énorme était en effet l'incarnation du dégout. Son corps lipeux et transpirant émanait une horrible odeur de déjection. Dans des rots répugnants, il vomissait ses flammes mortelles.
La vingtaine de Réceptacles mandatée pour occire la secte et leur affreux animal de compagnie ne pouvait sortir de sa retraite sans encourir une mort certaine.
Soudain, la silhouette caractéristique de Morgal apparut dans le narthex, sa longue faux en main ; sans prendre la peine de se mettre à couvert, il s'élança dans la nef, traversant la cathédrale dans toute sa longueur. Les colonnes rythmaient sa course alors qu'il se rapprochait du transept où mugissait l'Entité.
— Morgal ! lui cria Nahôm, prends garde aux flammes !
— Ne vous en faîtes pas ! s'esclaffa-t-il, je vais vous anéantir cette abomination !
Aussitôt dit, il brandit sa faux et enclencha le Bouclier Saint ; un halo blanc le recouvrit et sembla imprégner chaque cellule de son être. Les chaines se déroulèrent dans un cliquetis métallique et les voilages immaculés se greffèrent à sa tenue éthérée.
Une lumière diffuse l'enveloppa alors qu'il rejoignait le Golemor à grandes enjambées. Les flammes glissèrent sur lui comme le vent sur la glace.
Sans se départir de son sourire éclatant, il se téléporta et une seconde plus tard, il surplombait le monstre dans les airs. Un énième sortilège découpla la force de son arme et dans un arc sanglant, il trancha la tête massive de la bête.
Cette dernière s'effondra dans un nuage nauséabond.
Comme pour éviter d'être sali par une telle horreur, Morgal recula pendant que sa défense surnaturelle s'estompait.
— Nous devrions rattraper les membres de Kélops, lança-t-il avec une bonne humeur qui lui était propre.
— Compte sur moi ! s'exclama Othakar, je m'en vais leur faire regretter leurs actes !
Les autres Réceptacles suivirent le mouvement.
Nahôm rejoignit son second et lui glissa à l'oreille :
— Fais attention à toi, Morgal, tes pouvoirs étonnants commencent à se savoir. Tu vas t'attirer la haine de certains.
— On juge un homme au nombre de ses ennemis, ricana-t-il.
Ceci étant dit, il rattrapa le groupe pour mettre fin à cette odieuse secte.
Sur le dos d'Alacamor, Morgal étira son dos et ses bras engourdis. Planer ainsi en plein ciel le ravissait. C'était dans ces genres de moments qu'il oubliait les tourments de son existance. Ses belles mèches dorées volaient dans le vent et se plaquaient contre sa nuque. Il devait accélérer s'il voulait profiter d'un bon dîner en compagnie d'Arquen. L'hybride ne le croirait probablement pas.
Mais bientôt, les Falaises Sanglantes apparurent derrière les vagues de la mer d'Encre. Suite aux massacres des lumbars, des fleurs rouges, comparables à des edelweiss, avaient poussé sur les rochers, accentuant encore le côté sanglant des lieux.
En quelques battements d'ailes, le dragon rejoignit les terrasses du palais pour se poser.
Morgal descendit prestement, laissant ses hommes se charger de sa monture volante, et il gagna ses appartements pour enfin se prélasser dans un bon bain.
Selnar était absente et la cour princière aussi, ce qui lui laissait tout le temps qu'il souhaitait. Avec un Vala autant diminué, il préférait ne pas se prendre la tête. Il se détendit un moment dans l'eau chaude avant de rejoindre le salon où attendait son ami.
Arquen ne l'avait pas attendu pour débuter le repas. Et chose curieuse, Narlera piochait aussi dans les plats tout en babillant joyeusement. Le demi-dieu l'écoutait avec beaucoup de sérieux et acquiesçait les dires de la petite fille comme si ses propos étaient paroles de sage.
— Que fais-tu là, Narlera ?
Elle sursauta face à lui et baissa piteusement la tête :
— Je parlais avec votre ami.
— Tu n'as pas le droit de venir ici.
— Oh mais pourquoi ? Arquen m'a promis que vous me raconteriez une histoire !
Morgal foudroya l'hybride du regard avant de s'installer à sa chaise.
— Tu as dîné ?
La gamine secoua la tête. Dans sa petite robe légère, elle ressemblait à une fée. Sa belle chevelure rappelait celle de sa défunte mère alors que ses yeux gris gardaient la même lueur que le duc.
— Viens sur mes genoux, capitula le prince.
Narlera poussa un petit cri de joie s'assit sur son parrain pour écouter son récit. Comme aucune idée ne lui venait, il décida de raconter sa journée en prenant un personnage fictif à sa place. Arquen s'amusa de la tension qu'il lisait dans le regard de son ami. Morgal n'était pas vraiment à l'aise. Mais au fur et à mesure, il se prêta au jeu et s'emporta dans une folle aventure. La petite elfe regardait son tuteur avec des grands yeux et la bouche entrouverte. La peur et l'excitation la tenaillaient, impressionnée par ce conte épique. Elle ne s'imaginait pas un seul instant que c'était son parrain qui avait occis la monstrueuse bête.
Une fois l'histoire finie, elle passa ses petites mains dans le dos du prince pour lui faire un câlin :
— Merci Morgal !
— De rien, sourit-il, avale quelque chose avant d'aller dormir, il se fait tard.
La fillette engloutit une part de gâteau et sautilla vers la sortie après avoir déposer un doux baiser sur la joue des deux hommes.
Ses petits pas ne tardèrent pas à disparaitre.
— Quel talent de conteur ! ricana Arquen.
— Je n'avais pas prévu de jouer la gouvernante, soupira Morgal, mais je dois admettre que Narlera est une enfant facile. Je vais finir par m'attacher à elle...
— Pas étonnant avec sa petite bouille adorable. Il ne te reste plus qu'à en avoir à toi.
— Quoi ? Des chiards ?
— Je pourrais pas les faire à ta place, je suis stérile.
L'elfe leva les yeux et entama son rôti ; il devait admettre qu'avoir un enfant dans ses bras avait tiré une corde sensible de son âme qu'il ignorait ; éprouverait-il ce désir tripal de transmettre ses gènes ? Une très désagréable pensée s'immisça dans son esprit : il revoyait le dessin qu'il avait produit avant la mort de Lalith et Ruinax. Était-ce son propre enfant qu'il avait retracé sur ce papier ? Un nourrisson qui se ferait démembrer...
— Morgal, ça va ?
Il releva les yeux vers son ami :
— Oui excuse-moi, j'ai... Je me suis souvenu d'une chose horrible...
— Bien ! Selnar espère faire des mioches avec toi, tu es au courant ?
— Plutôt...
L'hybride avala sa bouchée et ajouta :
— Elle m'a dit que tu étais pas très dégourdi.
L'agacement se lit sur le visage de l'elfe :
— Je souhaiterais que vous ne parliez pas de moi quand vous copulez.
— Haha, trop tard.
— Mon syndrome vampirique influe sur mes envies, Arquen. Je n'y peux rien si la princesse me laisse froid.
— Crois-moi, une fois entre ses cuisses, tu auras chaud.
— Je n'arrive pas avec elle, c'est tout.
— Il n'y a rien d'honteux à avoir des petits moments de faiblesse.
— Je ne suis pas impuissant, imbécile.
— Ah bon ? Tu sembles peiner à honorer ta douce fiancée, pourtant. Tu as déjà plusieurs siècles et tu es encore puceau, je ne sais plus quoi dire.
— Je suis toujours vivant, pourtant.
Arquen se cala dans son dossier :
— Écoute mon vieux, ton père timbré te met la pression pour que tu l'épouses et obtiennes un fils. Je veux simplement t'aider.
Morgal se mordit la joue :
— J'imagine que ce sujet léger ne fait que dissimuler le réel souci de ce dîner.
— Nous y venons...
— Je ne t'enverrai pas te battre contre Arminassë, Arquen.
— Je t'en remercie.
— Mais sache que si je croise la Reine Vierge...
— Je sais, vous ne vous feriez pas la causette.
— Cette guerre prend une ampleur que je ne soupçonnais pas. Tout ça pour un tas de pierres...
— Tu sais comme moi que les gemmes blanches ne sont pas des cailloux anodins. Quiconque mettra la main dessus deviendra comme les dieux.
— Combien de litres de sang couleront pour ça ?
— Je l'ignore, tu es bien placé pour savoir, non.
— Oui, « le pouvoir ne s'obtient qu'au prix du plus grand sacrifice... »
— D'où tiens-tu ce proverbe ?
— De mon passé.
Le prince s'abima dans ses réflexions. Il sentait que des événements importants approchaient pour l'histoire du Cosmos. La seule question demeurait sa place dans tout ça. S'en sortirait-il vainqueur ou perdant ? Il ne se laissa pas le choix.
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