Chapitre 35

— Où vais-je avoir la chambre ?

— Dans l'aile Ouest, tu y seras très bien.

Narlera hocha la tête et jeta un œil curieux par la fenêtre du carrosse.

— Et vous, vous serez où ?

— Qu'elle importance ?

— Je voudrais... Ne pas être trop loin de vous...

Morgal grogna :

— Il vaut mieux que tu sois loin de mes appartements, crois-moi. Et puis tu ne seras pas seule, tes servantes t'accompagnent.

La fillette baissa le nez, déçue.

— Le nom de votre maison me fait peur.

— Tant que tu restes dans les pièces à vivre, tu ne risques rien, ne t'inquiètes pas.

Il voyait bien que sa pupille n'était pas rassurée mais que pouvait-il faire ? Les Falaises Sanglantes n'étaient pas un foyer pour un enfant, encore moins une gamine sortant du deuil de ses parents.

Enfin, le carrosse s'arrêta dans la cour principale. Narlera resta bouche bée, impressionnée par l'aspect titanesque des lieux. Ses petits bras se refermèrent sur les plis de sa robe rose sans qu'elle ne parvienne à détacher ses yeux des tours imposantes.

— Suis tes femmes de chambre, ordonna Morgal à sa pupille, elles s'occuperont de toi.

La fillette ouvrit la bouche pour demander une faveur à son tuteur mais se retint. Il l'effrayait. Pourtant c'était un ami de ses parents, pourquoi se montrait-il si froid avec elle ?

Elle eut espéré qu'il se montrât chaleureux à son égard mais le prince demeurait insensible à sa peine de petite fille délaissée.

Morgal attendit que sa pupille disparaisse pour souffler de lassitude ; il ne voulait pas s'encombrer d'une gamine, il avait d'autres priorités. Mais les dernières paroles de Ruinax lui revinrent en tête et lui rappelèrent son devoir. Après tout, il n'avait qu'à reléguer l'éducation de Narlera à quelque gouvernante...

Cependant, une désagréable sensation se propageait en lui quand il la regardait ; désormais, il était certain d'avoir croisé sa filleule dans ses songes.

Peut-être aurait-elle son rôle à jouer une fois adulte...

Il chassa ces pensées veines et regagna ses appartements pour s'effondrer sur son lit. Il n'avait pas eu le temps de se reposer depuis cette maudite campagne en Terres Désertiques. Ses paupières commencèrent à s'alourdir mais une voix bien familière lui en empêcha :

— Morgal ! Enfin de retour !

— Je n'ai pas demandé à te voir, Djinévix. Laisse-moi tranquille.

— Je t'ai connu plus amusant.

— J'ai perdu des amis...

— Oui, oui, ton compagnon taciturne s'est fait dévorer par un ours, je sais. Ceci-dit, je suis rassurée que sa jolie femme l'ait suivi dans la mort. Tu aurais dû t'en occuper et je n'avais aucune envie que tu t'amouraches d'elle une nouvelle fois.

— Djinévix...

— Les années filent, mon Chérubin. Elles te rapprochent toujours plus du moment fatidique où tu rencontreras la Réceptacle.

L'elfe se redressa d'un bon et rejoignit la sorcière d'une démarche féline :

— Écoute-moi bien, vieille bigote ; je vais trouver cette chimère. Je vais la chercher et lui trancher la tête une bonne fois pour toute.

Djinévix éclata de rire :

— Tu en seras bien plus incapable. Même en sachant les périls que ça implique, tu l'aimeras et ton cœur se mettra à battre avec une passion incontrôlable.

— Je n'ai plus l'âge pour ce genre de contes.

— C'est ce qu'on verra ! Je serai curieuse de te voir lutter contre tes désirs, mon chou.

— Je vais mettre la main sur cette femme, Djinévix, et la tuer ! Je ne souhaite pas que tous mes sacrifices se soldent si ridiculement par un tel échec.

La sorcière haussa ses épaules squelettiques et déclara :

— Comment comptes-tu la trouver ?

— Je vais commencer par t'arracher les yeux, je sais que les rituels d'inoculation fonctionnent pour communiquer avec d'autres Réceptacles.

— Voilà qui est fort malveillant de ta part, gloussa-t-elle.

— Inutile de te lamenter, tes yeux réapparaîtront sans fautes. Tu n'es pas une Entité pour rien !

Sur ces mots, il referma sa poigne sur le cou de sa cible et la traîna dans sa crypte pour accomplir son sombre forfait.





Morgal s'étira sous ses couvertures, la tête lourde de pensées négatives. Ses recherches se soldaient toujours par des échecs. Où se trouvait cette maudite Réceptacle ? Elle ne pouvait pas indéfiniment se cacher. Au cours des semaines qui suivirent son retour, il contacta Nahôm mais ce dernier ne put l'éclairer davantage. Le roi ne connaissait aucune femme brune qui n'obéissait pas à ses ordres.

Le mystère restait complet et le prince s'impatientait. Il voulait en découdre, enterrer cette menace pour de bon.

— Qu'as-tu mon chéri, je te sens tendu.

Selnar posa son menton sur la poitrine de son fiancé et lui adressa un sourire charmeur. Ainsi décoiffée, elle ressemblait à une vraie renarde, surtout que Morgal savait qu'elle n'en menait pas large de son côté. L'animal lui allait comme un gant.

— J'ai des soucis à régler... Quelque chose m'échappe et je n'arrive pas à mettre la main dessus.

— Comme c'est ennuyeux. Je suis certaine que tu y parviendras... Je ne doute pas de toi.

Ces paroles mielleuses furent accompagnées de caresses lascives sur son bas ventre.

Le prince se pinça les lèvres, conscient qu'il ne ressentirait pas plus de plaisir ce matin-là. Selnar avait beau jouer de tous ses charmes, il ne parvenait jamais à concrétiser leur couple dans une union charnelle. Dans d'autres circonstances, de tels rapports avant le jour sacré du mariage aurait pu lui attirer les foudres de la Maison du Créateur et de son clergé intransigeant. Mais Elaglar s'était arrangé avec eux pour faire en sorte que son fils indocile parvienne un jour à concevoir un enfant.

Mais malgré la beauté de la princesse ainsi que ses gestes expérimentés, il restait vierge, et cela ne le dérangeait pas vraiment lorsqu'il pensait à la puissance du Bouclier Saint. Ce sortilège ne risquerait plus de se manifester après passage à l'acte.

Selnar avait fini par s'habituer à la froideur de son fiancé. Son indifférence la blessait mais elle aimait ça. Et puis, le prince emplissait ses rêves les plus érotiques. Tout chez lui paraissait parfait aux yeux de la jolie rousse. Ses abdominaux bien dessinés, ses pectoraux développés et ses épaules qui taillaient da silhouette en V. Il n'était pas aussi massif qu'Arquen puisque la finesse de sa race et de son rang se reflétait dans son physique dangereusement séduisant.

La princesse ne souhaitait pas être aimée, ce n'était que futilité à ses yeux. Elle convoitait le corps du prince ainsi que sa fortune colossale. Elle s'était prise au jeu, désormais et elle ne lâcherait plus l'affaire jusqu'à ce que Morgal brûle de désir pour elle, quitte à ce qu'il se serve enfin de son membre viril.

Sachant pertinemment à quoi pensait sa fiancée, Morgal se leva pour attraper ses vêtements sur le coffre de la chambre. La clarté des flammes projetait sur ses muscles noueux de belles teintes mordorées. Selnar se mordit lascivement la lèvre, elle savait que l'hybride convoitait le prince et qu'il se permettait souvent plusieurs œillades indiscrètes sur le fessier de l'elfe. Ce jeu dangereux amusait Selnar qui n'était pas en reste. Elle aurait souhaité passer une nuit à trois avec son amant et son futur mari mais ce dernier ne cherchait pas vraiment ce genre de plaisir. Et puis, elle convenait qu'il n'apprécierait probablement pas de se faire prendre par son ami.

— « Ma foi, cette image m'est plaisante, songea-t-elle dans un petit rire mesquin, cela calmerait un peu l'ego de mon cher fiancé... »

Mais justement, Morgal n'était pas enclin à ce genre d'expérience. Il préférait se concentrer sur la consolidation de son pouvoir. De son côté, Selnar se bâtissait une vie de délices où l'alcôve demeurait le premier lieu pour assouvir ses pulsions les plus inavouables.

— Au fait, Morgal, je voulais te parler d'un sujet qui me taraude.

Il se retourna vers elle en boutonnant sa chemise :

— Que veux-tu ?

— La gamine fait trop de bruit. À chaque fois que je sors sur les chemins ou les terrasses, elle est là à crier sans arrêt.

— C'est une enfant de sept ans, Selnar.

— Nous pourrions l'envoyer chez ses grands-parents, non ?

— Ruinax m'a chargé de l'héberger. Le reste de sa famille vit à l'autre bout de Calca.

— Mais cette petite peste m'ennuie ! Elle pleure le soir et piaille la journée !

Le prince haussa les épaules d'impuissance :

— Elle a perdu ses parents il y a moins d'un an, laisse-lui peut-être un peu de temps.

— Morgal ! Ce n'est pas notre fille ! Qu'arrivera-t-il lorsque nous aurons nos propres enfants ? Elle ne doit pas prendre leur place.

Il secoua la tête et enfila sa longue veste de cuir noir :

— Nous n'aurons pas d'enfants, Selnar. Je serais un trop mauvais père à cause de mon syndrome vampirique.

— Le projet est surtout compromis par ton manque flagrant d'intérêt pour la chose. J'ai beau me mettre nue et t'astiquer, tu restes réticent à me pénétrer.

Morgal grimaça devant les propos vulgaires de sa fiancée. Il aimait encore moins lorsqu'elle se dégradait de la sorte. Parfois, il se demandait d'où pouvait bien provenir sa nymphomanie.

— La seule chose qui t'intéresse est de me sucer le sang.

— Selnar, nous avons déjà parlé de tout ça, je ne peux éprouver du plaisir dans tes bras.

Elle pouffa d'indignation :

— Heureusement qu'Arquen est là pour m'honorer convenablement !

Il roula des yeux, agacé. Ce mariage forcé lui déplaisait de plus en plus. Pourquoi son père devait-il encore plonger son nez dans sa vie ? Plus le temps passait et moins il acceptait cette union. Il n'épouserait pas la rouquine, pas plus qu'il ne coucherait avec elle ou aurait une descendance. Il se le jura.

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