Chapitre 33

Les années s'écoulaient aux Falaises Sanglantes et comme promis, l'hégémonie du prince croissait sans s'arrêter. Les dragonniers ne tardèrent pas à entrer en jeu durant la guerre interdimensionnelle et un tournant favorable s'opéra pour les armées de Calca.

Devant l'ampleur que prenait le peuple elfique, les autres races commencèrent à attaquer de concert cette menace toujours plus présente.

Les rapports de force s'opéraient toujours ainsi mais cette fois-ci, les armées ciblées résistaient aux offensives.

Les reines de Fanyarë perdaient patience surtout que les conflits sur la presqu'Île d'Olmor continuaient : les gemmes blanches tant convoitées demeuraient encore à la portée de tous.

Morgal se délectait de tout ce chaos. Son influence n'avait jamais été aussi élevée. Même au cercle des Réceptacles, il secondait Nahôm, tirant les ficelles dans l'ombre.

Il avait été forcé de recontacter Djinévix puisque cette dernière semblait la seule apte à lui enseigner le contrôle de ses pouvoirs de médium. Le Vala d'un Réceptacle se montrait fort complexe mais Morgal ne regrettait pas d'en maîtriser l'usage. Déjà, avec le Bouclier Saint, il disposait d'une défense indéfectible. Son don de téléportation s'améliorait et de nouveaux pouvoirs forts intéressants se découvraient à lui.

Oui, le prince appréciait grandement toute cette puissance lui couler entre les doigts. Enfin ses frères avaient fini par l'accepter et le craignaient plus qu'ils ne voulaient l'avouer. Seul Elaglar gardait une emprise sur son fils terrible. Il savait que s'il lâchait la bride, l'animal grossirait sans fin pour tout dévorer.

En pensant à son père, Morgal grimaça ; cela lui rappelait son mariage avec la princesse Selnar. Bien qu'elle soit séduisante, il ne parvenait à l'apprécier. Tout chez elle l'agaçait à un point non descriptible. Il aurait voulu la noyer dans un quelconque lac mais c'était tout bonnement impossible à cause de son rang. De son côté, la fille du roi Vilnius continuait les trajets entre Elendor et la Fëalocy. Elaglar avait été prévenu par Currunas des soucis de son fils et il espérait bien que la présence prolongée de la jolie rousse change la donne. Malheureusement, l'idée ne fonctionnait pas.

Le prince y mettait pourtant du sien dans l'unique but de contredire les prédictions de Djinévix mais chaque tentative se soldait par un échec. Selnar s'énervait de l'insuccès de ses charmes. Malgré cela, elle ne pouvait s'empêcher de fantasmer sur la personnalité malsaine de son fiancé ; probablement y retrouvait-elle le vice de sa propre âme. Elle le voyait bien séduire d'autres princesses ou courtisanes dans le seul but de s'enrichir encore ou de gagner de nouvelles concessions. Ce comportement discutable révoltait autant qu'excitait la rouquine ; elle allait alors calmer ses ardeurs dans les bras d'autres hommes, comme elle l'avait toujours fait. La présence d'Arquen lui fut d'un grand recours, dans ces cas-là.

L'hybride devait bien admettre que le physique renversant des elfes ne lui facilitait pas toujours la tâche. Il aurait même voulu tenter l'expérience avec Morgal pour s'amuser mais ce dernier châtiait ce genre de pratiques. Et puis... Le cœur du demi-dieu restait enraciné dans celui de la Reine Vierge, la plus belle femme du Cosmos. Pas un jour ne passait sans qu'il ne se pose à la fenêtre de sa tourelle pour regarder la mer, comme si un navire allait le ramener à Arminassë... C'était bien pour cette raison qu'il en venait à haïr son maître. Mais d'un autre côté, il ne pouvait s'empêcher de lier une amitié avec lui. Leur relation était certes très étrange mais aussi paradoxal que cela puisse paraitre, leurs caractères se comprenaient. Et même Morgal devait admettre qu'il appréciait énormément Arquen.

Le prince n'avait pas pour autant abandonné ses premières amitiés qu'il s'était faites à Ur-Nar-Bal. Néo, Ruinax, Lalith...

Il devait justement recevoir le couple en cette fin de journée. Pour apprécier au mieux la soirée, il avait renvoyé Selnar dans une maison de campagne, sous la houlette d'Arquen. Peut lui importait ce que ces deux-là feraient dans son dos...

— Morgal ! s'exclama Ruinax en passant les lourdes portes d'entrée, cela fait des années !

— Vous ne venez pas assez souvent ! répondit le prince avec emphase, allez donc vous rafraichir avant le diner.

Il se pencha ensuite vers son amie pour lui baiser le dos de la main :

— Tu aurais pu t'habiller avec un peu plus de couleurs, sourit-elle avec un léger ton de réprimande dans la voix.

— Ne m'accable pas Lalith, rit-il, contente-toi d'un simple compliment de ma part pour la plus jolie femme de ces lieux !

Elle rougit en se pinçant les lèvres. Elle n'osa pas mentionner le nom de la princesse d'Elendor qui se trouvait absente. Elle avait compris depuis longtemps que les deux fiancés ne s'appréciaient pas.

Comme convenu, les trois elfes se retrouvèrent quelques temps plus tard autour d'une table bien servie. Un luxe non-ostentatoire s'étalait sous leurs yeux dans une finesse propre aux vrais nobles. Pour ne pas gêner ses amis, Morgal avait convenu de retirer la viande des plats.

— Alors, Morgal, commença l'elfe brun, j'ai cru comprendre que tes affaires marchaient.

Il but une gorgée avant de répondre :

— Tout à fait ! Mais ne parlons pas de ma fortune, cela serait fort indélicat. Que devenez-vous, tous les deux ?

Lalith se tut dans un charmant sourire, laissant son époux prendre la parole :

— Ma femme et moi continuons d'entretenir le duché. C'est une véritable gestion, tu dois le savoir ! Et puis, nous continuons à travailler avec la Maison du Créateur.

— Toujours vos œuvres de charité pour ces créatures insignifiantes ?

Le couple se tendit devant le sarcasme non dissimulé de leur ami :

— Je te rappelle que tu en faisais partie, auparavant, souligna Lalith en fronçant les sourcils.

Morgal n'aimait pas la voir en colère mais il ne put s'empêcher de rétorquer :

— Durant mon séjour à Ur-Nar-Bal, oui. Avant que Malgal ne nous quitte !

— Nous compatissons à ce drame, ajouta l'elfe, tu le sais bien. Mais cet accident n'est en rien lié avec la misère de ces peuples.

Le prince ricana amèrement :

— Vous me faites rire, vous n'avez jamais mis les pieds en dehors de Calca à moins d'être encadrés par l'armée. Vous ignorez tout de ces races que vous aidez. Moi je les ai connues. J'ai vécu parmi leurs rangs. Ces créatures ne sont bonnes qu'à être esclavagisées !

Lalith allait répondre mais son mari l'en empêcha :

— Inutile de nous disputer, décréta-t-il sagement, j'espère simplement que tu comprendras un jour, Morgal.

— J'ai compris qu'il n'y avait rien à tirer de toute cette vermine immonde, c'est tout. Mais tu as raison, Ruinax, je me laisse emporter et je vous blesse par mon discours. Ne prêtez pas attention aux mots d'un vampire belliqueux.

— À propos de guerre, continua son ami, les nains nous causent beaucoup de soucis en Terres Désertiques. Nous allons devoir intervenir avec l'armée.

— Il va falloir arrêter de guerroyer ainsi, monsieur, ou vous aurez encore de nouveaux mendiants sur les bras.

— C'est notre façon à nous de réparer les conséquences de cette guerre. Notre loyauté va d'abord à notre royaume et nous devons le défendre.

Sa femme ajouta :

— Aider ces gens est une façon pour nous de réduire les tragédies de ce monde, Morgal.

Ce dernier leva la main d'un geste expéditif :

— Bien, bien ! vous avez sans doute raison ! Et sinon, j'espère que vos familles respectives se portent bien.

— À ce propos, commença Ruinax, Lalith et moi...

— Nous allons être parents dans quelques mois.

Morgal haussa les sourcils, surpris de la nouvelle.

— Oh... Félicitations !

— Merci.

Cette annonce lui fit un drôle d'effet. S'il l'avait réellement souhaité, cet enfant que portait son amie aurait pu être le sien. Ainsi dans sa belle robe violette, elle resplendissait de bonheur. En effet, le prince discerna une deuxième aura, au niveau du ventre.

— Nous voulions te demander d'être le parrain, dit Ruinax.

Morgal s'étouffa avec sa bouchée :

— Pardon ?

— Tu veux bien être le parrain de notre petite fille ? sourit timidement Lalith.

Le fils d'Elaglar roula des yeux, pas vraiment apte à répondre.

— Son parrain ? Mais enfin... Vous savez que je ne suis pas un modèle de vertus...

— Tu es notre ami, rétorqua le duc plus sérieusement, et nous savons que tu as bon cœur.

— C'est gentil de le penser...

— Tu acceptes ? lança Lalith avec un regard implorant.

Le prince se mordit la langue. Qu'est-ce qu'il y perdait après tout ? Cela n'impliquait pas grand-chose, si ?

— Eh bien, soit, pourquoi pas.

La future mère battit des mains, excitée par cette réponse :

— Oh merci Morgal ! Je savais que tu dirais oui.

— Mmh...

— Tu verras, ce sera formidable. Et puis elle sera sans doute amie avec tes enfants.

Morgal sourit nerveusement. Les enfants, ce n'était pas l'événement qui le guettait le plus avec sa frigidité permanente. Et puis, ça lui rappelait un peu trop la punition divine qui lui pendait au nez. Cette idée de paternité, il la refusait.

Oui, il préférait s'intéresser aux combats à venir plutôt que de penser à cette maudite chimère et à la progéniture qu'elle lui offrirait.

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