Chapitre 31
Le mage haussa les épaules :
— Je ne vois aucun souci, Majesté. Il semble que vous soyez en bonne santé.
Toujours assis sur la table de consultation, Morgal cherchait dans sa cervelle l'origine de ses déboires sexuels avec Selnar.
— Vous ne voyez pas une raison quelconque ?
— Au fait que vous ne vous êtes jamais intéressé à aucune femme malgré votre statut ? Eh bien... Peut-être aurait-il mieux fallu pour vous de rester à Atalantë, si vous voyez ce que je veux dire.
Morgal l'assassina du regard :
— Je ne suis pas homosexuel, Currunas.
— Je n'en sais rien, je ne fais que des suppositions. En tout cas, vous ne semblez pas plus attiré par les femmes.
— C'est faux, j'étais... Enfin, j'étais amoureux d'une fille.
— Quand ça ?
— Avant la mort de Malgal...
Le mage releva d'un coup la tête :
— Ah mais c'est ça ! s'écria-t-il joyeusement.
— Je ne vois pas où est l'occasion de se réjouir.
— Mais bien sûr que si ! Votre problème est en lien avec votre syndrome vampirique.
— Et c'est sensé me réconforter ?
Currunas se calma un instant pour faire les cents pas dans son cabinet. Toutes sortes de lotions et de grimoires s'entassaient dans un désordre monstrueux.
— Non... bien sûr. Mais nous savons à présent le pendant de votre soif de violence. Vous n'avez absolument plus de libido.
— Charmante nouvelle...
Mais maintenant que c'était dit, Morgal commença à percevoir beaucoup d'événements sous un nouveau jour...
— Oui, certes, vous êtes complètement frigide mais je pense pouvoir soigner ça.
— Mmh... Je préfère guérir par moi-même.
— J'ai bien peur que ça ne vous soit pas possible, Majesté.
Face à l'atterrement de son patient, le médecin n'éprouvait aucun remord à afficher une mine plus que satisfaite ; il avait enfin cerné la maladie du prince. Le roi serait fier de lui.
En y pensant, il s'arrêta dans ses calculs :
— Oh... Le roi risque de s'inquiéter pour votre descendance.
— Vous pensez que je sois stérile ?
Currunas renfonça son chapeau sur la tête et déclara :
— Non, mais vous aurez du mal à concevoir dans ce genre de conditions.
Le prince se mordit la langue. Est-ce qu'ils ne pouvaient pas tous arrêter avec leurs histoires de progénitures ? Il n'en voulait absolument pas.
Finalement, son syndrome allait peut-être lui sauver la mise ; avec ça, peu de chance qu'il succombe aux charmes de la chimère.
Morgal dévalait les escaliers qui menaient sur la terrasse. Là, face aux vents, elle surplombait une mer déchainée dont les vagues se fracassaient toujours plus fort contre les rochers escarpés.
— Alors ? demanda-t-il à un de ses capitaines.
— Les lumbars nous attaquent sur la côte Nord, Majesté.
— La tempête ne semble pas les effrayer...
— Non, Majesté. Leurs navires sont mieux équipés qu'à l'accoutumée. Ils vont tenter d'escalader la falaise pour s'en prendre à la cité.
Le prince haussa un sourcil : les barbares géants du grand Nord s'en prenaient à lui avant que son armée de dragonniers ne soit prête. Jamais l'elfe n'eut pensé que des lumbars tenteraient une telle attaque. Mais paradoxalement, cette surprise le réjouissait. Cela faisait trop longtemps qu'il n'avait pas exprimé ses besoins de violence.
— Préparez les sortilèges, nous allons les recevoir. Inutile de les combattre en mer avec ce temps.
— Bien, Majesté !
En effet, d'énormes grappins ne tardèrent pas à s'accrocher à la roche afin de stabiliser les vaisseaux.
Fidèles à leur réputation, les lumbars ne reculèrent pas lorsque de la poix brûlante se déversa sur la falaise. Ils ignorèrent les brûlures et continuèrent l'ascension dans de formidables cris de rage.
Du haut de son promontoire, Morgal s'amusait du spectacle. Il ne doutait pas un seul instant de sa victoire : ses ennemis l'assaillaient avec la force du désespoir. Ils savaient qu'une fois le prince en possession de dragons dressés, ils ne pourraient se mesurer à lui sans encourir des flammes mortelles.
— Pauvres créatures insignifiantes, ricana-t-il avec mépris.
La cité avait été évacuée mais le maître des lieux ne voyait dans cette attaque qu'un simple jeu. Et il comptait bien s'amuser. Il allait pouvoir exercer sa cruauté face à une race ennemie sans craindre le courroux de son père. Oui, tout cela était fort plaisant pour lui.
— Capitaine, lança-t-il à son officier, la défense est-elle organisée ?
— Tout à fait, majesté.
Dans les bourrasques, les panaches des heaumes se soulevaient pour claquer contre les armures noires.
Pour la première fois, Morgal arborait sa cuirasse inaltérable.
— Encore une chose, Capitaine, capturez-en le plus possible. Je veux envoyer un message clair à ces barbares.
L'officier hocha la tête et laissa son prince à ses machinations. Cette journée promettait d'être plaisante.
Il jeta un œil par-dessus le balcon pour discerner les envahisseurs. Leur longue chevelure brune se mêlaient à une barbe épaisse, encrassée par le voyage. Des armures rudimentaires laissaient entrevoir des muscles saillants et noueux, forgés pour le combat.
Boucliers et haches résumaient leurs armes. Ils n'hésiteraient pas à occire leurs ennemis, les réduire en morceaux informes pour récupérer les organes vitaux. Une rage folle se lisait déjà dans leurs yeux clairs ; probablement avaient-ils invoqués leurs dieux dans d'étranges rituels pour ne plus sentir la douleur.
De leur côté, les elfes gardaient un calme à toute épreuve. Avec précision, ils tendirent leurs bras vers la falaise, préparant les flux magiques.
Sans doute les lumbars avaient-ils prévu une défense valique car leurs sorciers commencèrent à les envelopper de boucliers surnaturels depuis les ponts des bateaux. Comme pour accentuer leur volonté d'invincibilité, d'autres navires apparurent derrière les vagues pour prêter main forte.
Déjà, les premiers barbares atteignaient les pieds du palais, profitant d'un aplat rocheux pour reprendre leurs forces. Ils poussèrent de nouveaux cris de guerre comme s'ils désiraient narguer leurs cibles.
Morgal ricana : les lumbars avaient perdu une partie de leurs effectifs dans l'escalade à cause des sortilèges.
Mais la bataille pouvait enfin commencer. Le sang coulerait sur la roche de la falaise et abreuverait les fondations de sa cité. Cette idée l'enchantait, marquer ainsi son territoire par la mort et la défaite de ses ennemis.
L'Armée Écarlate voulait en découdre, elle voulait tremper ses mains dans les entrailles de ses adversaires. Les elfes se jetèrent sur les lumbars dans une violence flagrante.
Si les géants du grand Nord possédaient une carrure bien plus développée, leurs opposants profitaient d'armes et d'équipements bien plus compétents.
Le carnage ne tarda pas à retentir dans toute la contrée. Les hurlements furieux des lumbars prenaient écho et se confrontaient au chaos des vagues. Tout n'était plus que boucherie et colère.
Mais les elfes ne tardèrent pas à repousser l'assaillant. Leur entraînement drastique mené par leur maître payait largement et faisait la différence. Ils ne reculaient pas devant les montagnes de muscles qui s'abattaient sur eux. Au contraire, ils n'en tiraient qu'une plus grande satisfaction. La venue des Tigres finit de faire basculer le combat en leur faveur.
Les lumbars furent contraints de battre en retraite, abandonnant leurs blessés, et regagnèrent les navires.
Morgal comprit qu'ils ne voulaient pas en rester là. C'est à ce moment qu'il mit en application son plan d'intimidation.
Il rejoignit les pieds du palais, désormais couverts de sang. Les cris de guerre s'étaient transformés en lamentations. Ses ennemis gisaient dans des flaques de sang ou se retournaient sur leurs blessures.
— Réunissez les survivants, ordonna-t-il.
Les lumbars furent présentés au fils d'Elaglar en ligne. Le visage de ce dernier arborait déjà un sourire mauvais qui traduisait ses intentions sadiques.
— Je ne prendrais pas le risque de perdre un homme de plus, décréta-t-il avec un air indiscernable, c'est pourquoi je veux que cette race ne refoule plus jamais mes terres.
D'un geste, il appela ses hommes :
— Retirez-leur leurs vêtements et empalez-les sur des pieux. Je veux que les navires ne ratent rien du spectacle.
Les soldats acquiescèrent sans broncher et laissèrent leur chef continuer :
— Laissez les corps jusqu'à ce les bateaux se retirent.
Les elfes s'exécutèrent pour accomplir cette sordide initiative. Ils enclenchèrent des sorts de soins pour refuser aux prisonniers une mort immédiate ; ils devaient souffrir le plus longtemps possible.
Les lumbars rescapés ne tardèrent pas à apercevoir depuis les ponts leurs malheureux compagnons. Les corps transpercés ne cessaient de transmettre d'abominables plaintes que les vents déchaînés se chargeaient de communiquer impitoyablement.
Comme désiré par le prince, le sang coula sur la pierre jusqu'à la mer dans des ruisseaux macabres.
Ce ne serait plus les Falaises Venteuses mais les Falaises Sanglantes.
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