Chapitre 30

Morgal chevauchait à vive allure sur le dos d'Alaxos. Quelques mètres plus haut, la silhouette allongée d'Alacamor volait au même rythme. Le dragon était encore trop jeune pour pouvoir être monté. Quelques semaines déjà qu'il était sorti de sa coquille et la domestication se montrait plus ardue que le prince ne l'eut pensé.

Il n'y avait rien d'étonnant puisque les dragons d'Onyx n'avaient jamais été apprivoisés.

Malgré ce détail, Morgal se félicitait de posséder une pareille monture. Avec elle, il pourrait aisément commander le reste de son armée de dragonniers ; son pouvoir s'était drastiquement accru avec ces acquisitions et sans doute les royaumes voisins commençaient-il à s'en inquiéter.

Enfin, Alaxos parvint au sommet d'un petit monticule où se dressaient de grosses pierres lisses, à l'instar de dents noires. Elles formaient un étrange cercle et des runes ancestrales oniriques s'y gravaient.

Au centre, Djinévix creusait la terre humide. Un vent glacé soulevait ses dreadlocks sales, faisant chanter ses bijoux et ossements décoratifs. Au loin, le paysage sauvage s'étendait dans de vastes étendues émeraudes qui finissaient par se mélanger au gris du ciel.

— Pourquoi un tel endroit ? lui cria Morgal pour se faire entendre.

Il descendit d'un bond et s'approcha d'elle.

— C'est une ancienne escale de mon peuple... De là nous embarquions les marchandises vers les cités divines.

Se passa un court moment où il la regarda continuer sa tâche ; puis il vint droit au but :

— Pourquoi m'as-tu épargné ? Pourquoi Locea ne m'a pas simplement égorgé en apprenant que j'étais le Réceptacle des dieux ?

La sorcière sourit :

— C'est une chose que de supprimer le Vala d'une race. S'en est une autre d'anéantir tout un peuple.

L'elfe tourna la tête vers une stèle sur laquelle il pouvait deviner des flammes gravées au silex.

— Il reste trop peu d'Entités, continua Djinévix sans cesser de creuser, et nous ne sommes pas assez soudées. Même dépourvus de leur magie, les dieux survivraient jusqu'à ce qu'un prochain Réceptacle leur soit donné.

— Alors tu t'accroches à cette ridicule prophétie ?

— Pour mon peuple, c'est tout ce qu'il reste : l'espérance d'être vengé.

— Je me moque de tout ça.

— Tu as tort... Les dieux viendront aussi pour vous détruire, dès que vous prendrez trop d'importance à leurs yeux...

— Tes paroles sonnent creuses à mes oreilles, Djinévix. Ce ne sont que des menaces lointaines et rien ne me prouve qu'elles soient fondées.

La bigote sourit, dévoilant ses dents noircies ; elle déterra un coffret du trou et déclara sur un ton plus léger :

— J'ai appris que tu étais fiancé.

— Toute la Dimension est au courant, ricana amèrement le prince.

— C'est une jolie femme que tu devras épouser. Pourtant tu ne l'apprécies pas vraiment...

Morgal piqua un fard :

— Je n'ai pas besoin de l'apprécier. Elle deviendra ma femme, et c'est tout.

La sorcière se redressa pour faire face à son interlocuteur ; sa maigreur était toujours aussi visible avec le peu de vêtements qu'elle portait. Son pagne déchiré et trempé se collait à ses cuisses étroites, recouvertes de tatouages.

— Tu n'éprouves aucun désir pour elle, remarqua-t-elle.

— Tu n'en sais rien.

— Bien sûr que je le sais. Tu n'aimeras jamais qu'une seule femme.

— Cesse de me parler de cette chimère ! Il ne se passera jamais rien entre elle et moi, je suis averti et sur mes gardes. Et puis... Ma fiancée conviendra très bien comme compagne.

Djinévix s'esclaffa ce qui hérissa encore plus les poils de l'elfe :

— Tu seras incapable de ressentir du plaisir avec elle.

Morgal secoua la tête :

— C'est ce qu'on verra... Et puis ça ne te regarde pas !

— Bien sûr que ça me regarde ; je veille au grain avec toi.

— Je ne suis pas un cheval sélectionné pour une saillie, à défaut de te décevoir. Je n'ai rien à gagner en rencontrant la Réceptacle que tu me destines, au contraire. Je risque de m'attirer les foudres des dieux.

— Bien ! Dans ce cas, rentre aux Falaises Venteuses !

— Tout à fait, j'ai justement un diner avec Selnar, adieu Djinévix.

Sur ces mots, il se détourna de la sorcière et de son mystérieux coffret pour rejoindre Alaxos. Il l'enfourcha et le talonna jusqu'à disparaitre à l'horizon ; la bise automnale du nord soulevait ses mèches dorées mais ne dissipait pas pour autant ses sombres pensées.

Il voulait contredire Djinévix même s'il devait admettre qu'il ne ressentait rien pour la belle elfe rousse. Probablement parce que cette dernière avait tendance à toujours s'immiscer dans sa vie. Elle sortait le prince de ses habitudes sordides pour le forcer à se mêler aux cours voisines durant des soirées festives.

Ce n'était absolument pas du goût du jeune homme mais il tentait l'expérience à chaque fois ; il voulait s'attacher à sa fiancer, tomber amoureux d'elle pour oublier la menace de la chimère. Bien qu'elle soit d'une beauté certaine, la fille du roi Vilnius ne parvenait à éveiller en lui la flamme de la passion. Peut-être devrait-il passer à l'étape supérieure ?

Son regard se leva vers les nuages, là où Alacamor dansait avec le vent. D'ici quelques mois, il pourrait le monter et partir à la guerre. Les légions d'Arminassë redoublaient d'ardeur dans le combat et les lumbars se pressaient toujours plus à ses frontières.

— « Je ne chôme pas... » soupira-t-il en regagnant la cité.

Désormais, la cité titanesque était achevée et le résultat avait de quoi en imposer à la vue. Ses hôtels particuliers et ses temples s'élevaient dans une perfection architecturale à couper le souffle. La splendeur du palais ainsi que de ses quartiers avait fait le tour de Calca et de nombreux nobles séjournaient aux Falaises Venteuses malgré le climat peu clément.

Toute cette agitation forçait Morgal à organiser des fêtes pour accueillir une véritable cour. Il s'y habituait, réservant qu'une partie de son château pour les réceptions. Trop de zones d'ombre dans ses étages devaient rester méconnues...

Mais il avait surtout délégué à des intendants la gestion de ces soirées. Pas question pour lui de trop s'attarder dans de telles futilités.

Une fois à l'écurie, il descendit d'Alaxos. Son dragonneau réduisit sa taille pour se loger contre son cou.

— « Où est encore passé le garçon d'écurie ? »

Peu importait, après tout, des gnomes s'occuperaient de sa monture. En attendant, il lui restait quelques heures avant son diner.

Il traversa l'allée de box et dirigea vers la sortie. Les stalles se succédaient rapidement à mesure que ses pas rapides le menaient jusqu'à la porte. Son regard balayait les dalles recouvertes de paille ; une forte odeur de foin et de musc se dégageait des lieux.

Mais il s'arrêta brusquement, comme fauché par ce qu'il venait de voir. Sa mâchoire tomba alors qu'il se refusait de reculer. Cependant, son ouïe, déjà fort développée, n'avait aucun mal à retranscrire la scène qu'il venait de dépasser.

Il avait retrouvé le garçon d'écurie. En compagnie de sa fiancée. Sous sa fiancée, plus exactement, à gémir faiblement.

Morgal écarquilla les yeux et continua son chemin, choqué par cette vision.

Selnar avait intérêt à lui donner une bonne explication ! Même s'il avait du mal à concevoir comment elle pourrait justifier un tel comportement.

Agacé de se sentir trompé, il regagna ses appartements. Déjà que Djinévix avait entamé son humeur...

— « Que le Créateur nous débarrasse des femmes ! »

Il s'affala sur son siège, devant une table d'ébène. Le dragon descendit de son épaule et vint se rouler sur le tapis avant de partir chasser les mouches.

Son regard se porta vers le tableau qu'il avait lui-même réalisé. Comme à l'accoutumée, le dessin et les couleurs avaient pris vie sous son pinceau, reproduisant son propre portrait ainsi que celui de son jumeau.

Morgal s'attarda sur le visage de son frère. Il ne lui parlait jamais, après tout, ce n'était qu'une toile peinte...

Mais cela lui rappelait le chemin parcouru.

— « Tout ça pour finir cocu... »

Ses pensées ne tardèrent pas à sombrer si bien qu'il en oublia le temps. Des gnomes du service l'éveillèrent à la réalité en déposant le couvert ainsi que les plats fumants. Il allait oublier son dîner...

Les pas légers de Selnar se firent entendre dans le couloir ; elle apparut dans une magnifique robe blanche. Morgal nota que ce n'était pas la même que dans l'écurie.

Elle s'assit légèrement en face de son fiancé, la mine fraiche. Ses belles boucles rousses encadraient toujours son visage fin, légèrement anguleux. Son nez droit surmontait une bouche au lèvres fines, parfaitement ourlées.

— Dis-moi, Morgal, où étais-tu aujourd'hui ?

— Des affaires à régler, répondit-il simplement.

Elle joua quelques instants avec ses mèches et déclara :

— Je suis pressée d'être demain soir, à la prochaine soirée.

— Ce n'est pas mon cas...

— Tu es un véritable ours, Morgal, gloussa-t-elle sans l'accuser, tu as de la chance que je t'aime.

— Et le garçon d'écurie, tu as l'air de bien l'aimer aussi.

Selnar sourit d'un air innocent :

— Il est moins empoté que je le pensais.

— J'ai vu ça, gronda l'autre.

— Quoi ? tu m'en veux de m'être amusée un peu alors que tu passes tes journées à chevaucher loin de moi ?

— Je ne t'ai pas demandé de chevaucher le garçon d'écurie en retour.

La princesse gloussa :

— C'est de ta faute, tout ça.

— Ma faute ? s'étrangla Morgal scandalisé.

— Oui, tu ne me portes jamais d'attention, tu es froid avec moi.

— Je te respecte, c'est différent !

— Tu es distant et ennuyeux, je n'y peux rien.

Morgal hallucinait ; mais comment avait été éduquée cette femme ! Elle ne manquait pas de culot ! Il s'était toujours montré prévenant avec elle et il en récoltait maintenant le prix.

— « Je l'ai bien trop estimée, on dirait » se dit-il intérieurement.

Un profond dégout commença à poindre en lui. Il se sentait trahi et bafoué. Sa fiancée ne montrait pas l'once d'un remord.

Et pourtant, il devait bien composer avec, sinon, ce serait une maudite femme brune qui prendrait la place.

Sans se départir de son sourire badin, Selnar se leva sensuellement et vint s'asseoir sur ses genoux :

— Je peux essayer de me faire pardonner cette petite infidélité, murmura-t-elle à son oreille, si tu acceptes de répondre à mes avances.

Morgal plissa les yeux mais ne la repoussa pas ; peut-être finirait-il enfin par ressentir quelque chose pour elle ? N'était-elle pas magnifique avec sa taille élancée et ses beaux yeux gris, aussi profond qu'un ciel hivernal ?

D'un geste lent, elle déboucla la ceinture de l'homme et tira sur le lacet de son pantalon pour l'ouvrir. Il la regarda faire sans broncher, pas vraiment à l'aise face à cette initiative déplacée. Les doigts froids de la femme glissèrent dans son caleçon pour caresser lentement son sexe.

Le prince se pinça les lèvres : l'expérience ne lui était pas du tout plaisante. Et pourtant, probablement devait-elle l'être ? Pourquoi ne ressentait-il rien ? Djinévix ne pouvait avoir raison, tout de même.

Il se cala plus confortablement contre son dossier, laissant la princesse continuer ses va-et-vient lascifs contre sa peau sensible.

— C'est pas très réactif là-dedans, gloussa-t-elle avec dédain.

Morgal serra les dents mais ne releva pas la pique, préférant se concentrer sur son plaisir qui tardait un peu trop à son goût.

— J'espère que t'es pas impuissant, continua-t-elle, parce que t'as vraiment l'air bien monté.

— Selnar, concentre-toi, grogna-t-il.

— Attends un instant...

Elle écarta les genoux de son fiancé et s'agenouilla devant lui. Cette fois-ci, elle baissa entièrement le caleçon :

— Ce serait dommage que tu ne saches pas l'utiliser vu sa taille...

— Arrête de parler, Selnar.

Elle sourit en coin avant de commencer à le sucer. Morgal devina bien qu'elle n'était clairement pas à son coup d'essai. Il n'arrivait pas à lâcher prise, il était trop crispé et n'appréciait en rien ces préliminaires qu'il trouvait plus dégradantes qu'autre chose. La princesse ne semblait pas s'en soucier de son côté.

Il n'était clairement pas tombé sur une femme vertueuse. Et l'expérience de cette dernière ne parvenait même pas à lui retirer un frémissement de plaisir. Ça ne venait tout simplement pas. Au contraire, il trouvait l'échange extrêmement désagréable.

— Selnar, arrête immédiatement.

Elle le lâcha et se releva pour lui laisser la possibilité de se rhabiller convenablement.

— Tu es trop coincé, Morgal, conclut-elle dédaigneusement, je veux bien y mettre du mien car tu as l'air d'avoir un corps de dieu mais clairement, tu as intérêt à te soigner. Je ne veux pas d'un mari qui bande mou.

Sur cette déclaration, elle s'éclipsa, sans même accorder un seul regard pour son fiancé ni même au repas servi.

— « Quelle salope... »

Cette soirée était un véritable désastre. Il n'était pas question pour lui d'épouser cette femme. Ce n'était qu'une trainée qui avait profité de son rang de princesse pour s'adonner au vice.

Mais une question commença à le tarauder ; il espérait sincèrement ne pas être impuissant. Ce serait un coup porté à sa virilité et il se sentirait indéniablement handicapé.

— « J'irai consulter Currunas. »

Dans toute cette affaire, il avait l'impression de discerner le sourire victorieux de Djinévix. Les choses ne prenaient pas un tournant à la faveur du prince...

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