Chapitre 29
Morgal avait cette fois-ci pris soin de bien fixer l'attrape-rêves à une mèche dorée de son épaisse chevelure. Avec ça, aucun risque d'être dérangé par un mauvais songe.
Aussi, ce fut les rayons du soleil qui vinrent le réveiller. C'était chose rare aux Falaises Venteuses. En général, d'épais nuages obscurcissaient le ciel. Mais en cette matinée d'été, une douce chaleur se propageait dans le palais.
Le prince n'avait aucune envie de se lever, il faisait bien trop bon sous ses draps. Son regard glissa sur l'œuf qui reposait à ses côtés. Il était forcé de ne pas le quitter pour qu'il éclose au plus vite.
— « C'est quand tu veux, sinon. »
Mais la coquille restait insolemment intacte. Il la saisit entre ses paumes encore arrachées par les récents événements et retourna l'œuf comme pour mieux l'analyser. Une odeur de souffre s'en dégageait mais rien de plus.
Les oreilles de l'elfe se dressèrent lorsqu'on toqua à la porte.
— « Si c'est un gnome, je l'égorge sur le champ », grogna-t-il.
Son petit-déjeuner était toujours servi dans son bureau et non dans sa chambre où personne n'avait l'autorisation d'entrer.
Pourtant, la porte s'ouvrit sur une silhouette élancée. La princesse sautilla jusqu'au centre de la chambre tout en observant la décoration des lieux. Sa robe blanche transparente virevoltait autour d'elle comme un nuage gracieux sur lequel la longue chevelure rousse cascadait librement.
— Qu'est-ce que c'est sombre par ici ! On dirait que vos appartements sont hantés, ça me fait très peur...
Morgal tira une tête désabusée : est-ce que cette femme connaissait la notion d'intimité ? Elle n'avait rien à faire ici ! Encore moins vêtue d'une simple chemise de nuit.
— Je ne vous ai pas invitée à entrer dans ma chambre, princesse.
— Appelez-moi Selnar ! décida-t-elle joyeusement, et puis, tutoyons-nous.
Le prince écarquilla les yeux ; il se demandait si de la fumée ne sortait pas par ses oreilles tellement cette fille l'insupportait.
Le propre des femmes jolies ?
— Il est inconvenant de vous trouver dans ma chambre. Nos fiançailles sont à peine annoncées.
Selnar s'esclaffa dans un rire cristallin :
— Crois-moi, Morgal, toute la Fëalocy et l'Elendor sont au courant, à présent !
Il leva les yeux au ciel. En voilà une qui n'allait pas l'ennuyer ! La belle rousse jeta un œil sur l'œuf et s'assit contre son fiancé pour mieux l'observer. Cette initiative tendit Morgal qui apprécia fort peu ce rapprochement.
— C'est incroyable, il parait que tu as tué un dragon il y a de cela quelques jours.
— Il le fallait....
— Oh ! s'exclama-t-elle, tes mains sont toute abîmées !
Elle les prit pour les caresser et poser des baisers dessus. Morgal les retira brusquement, agacé par ce manque flagrant de délicatesse :
— Selnar ! gronda-t-il, si vous ne sortez pas tout de suite de ma chambre, je serais contraint de vous y conduire moi-même de force.
— Tu n'oseras pas, n'est-ce pas ? Je suis trop fragile pour...
— Cesse de jaqueter ! J'ai bien compris que tu jouais la princesse effarouchée mais ton air surfait ne fonctionne pas avec moi ! Maintenant, sors de cette chambre.
— Oh, regardez cet adorable chaton qui sort les griffes... Dommage que je sois la fille d'un roi, tu ne peux rien faire contre moi, mon mignon.
Cette fois-ci, le prince vit rouge et ses canines commencèrent à prendre une longueur inquiétante.
Mais cet aspect ne repoussa pas pour autant Selnar qui s'amusa de l'énervement qu'elle créait chez son fiancé. Au contraire, elle enlaça ses bras autour du cou du jeune homme et déclara dans un regard langoureux :
— Je sais que tu es une bête sans cœur, mon chéri, mais je vais te dompter...
Quatre crocs l'arrêtèrent dans sa phrase et se plantèrent dans son épaule ; Selnar poussa un cri de surprise mais ne repoussa pas son agresseur qui lui suçait le sang. Quant à Morgal, il la plaqua contre la tête du lit pour continuer à boire le liquide vital plus facilement. Cela faisait bien longtemps qu'il n'avait pas égorgé une proie et cette sensation lui procura un incroyable bien-être.
Mais sa raison le ramena immédiatement à la réalité : il ne devait absolument pas tuer la princesse ou se serait encore une autre guerre en perspective.
Il desserra sa mâchoire mais des mains fines se glissèrent dans sa chevelure, le retenant dans son recul.
— Tu peux me mordre, Morgal, ça ne me dérange pas...
Il se dégagea pour observer Selnar. Elle souriait lascivement alors que le col de sa chemise glissait sur son épaule pour exposer une peau d'albâtre marquée par des taches de rousseur. Un sillon carmin coulait de sa blessure pour se glisser entre ses seins plantureux. Encore enivré par sa rasade macabre, Morgal se pencha pour lécher les écoulements de sang sur la poitrine qui s'offrait à lui.
Il fut arrêté dans sa tâche lorsque deux mains se saisirent autoritairement de sa mâchoire pour lui relever la tête ; Selnar écrasa ses lèvres contre les siennes et bascula sur lui sans décoller leurs corps.
Cette fois-ci, le prince ne la repoussa pas, laissant sa langue danser contre la sienne.
— « Ça me répugne... »
La fille du roi commença à onduler contre son torse avec une sensualité totalement déplacée. Mais après tout, rien n'était convenable depuis le début de cette entrevue.
Morgal commença à s'impatienter ; il était bien trop agacé par la princesse pour profiter de cette proximité féminine. En fait, il n'aimait tout simplement pas ce rapprochement qu'il n'avait absolument pas souhaité.
— Selnar...
Il recula pour prendre sa respiration.
— Tu vois, murmura Selnar en lui caressant la pommette, je commence déjà à t'apprivoiser.
— Je t'interdis d'agir de la sorte avec moi.
Le comportement de la princesse lui rappelait trop ses désagréables échanges avec Locea. Sa future femme était tout bonnement une allumeuse manipulatrice. Mais lui aussi savait retourner les esprits...
— Voyons, voyons, Morgal. Je sais que tu n'as pas fréquenté de femmes avant moi. Du moins tant que tu étais en Calca... Si tu as besoin, sache que je suis là pour t'accorder quelques gâteries, je ne m'y refuserais pas.
Sur ces mots, elle descendit du lit et s'échappa légèrement vers la sortie, laissant son fiancé dans un profond malaise.
Morgal reposa sa tête contre l'oreiller, une ride de contrariété creusant son front. Il ne pouvait pas se débarrasser d'une telle femme. Mais il n'était pas question qu'elle se jette ainsi dans ses bras pour la moindre raison à tout bout de champ.
— T'as vu l'heure qu'il est ?
— Ma chambre n'est pas un moulin ! rugit le prince au nouveau venu.
Arquen fit un tour sur lui-même comme pour juger les vastes appartements de son maître.
— C'est plus confortable ici que dans nos caves... Dis-donc, je viens de croiser la princesse Selnar avec une blessure à la gorge.
— Mmh... Je me suis un peu emporté mais elle n'a pas semblé trouver ça désagréable...
— Non, ça n'avait pas l'air, haha. Très jolie femme, soit dit en passant.
Morgal plissa les yeux :
— Attention à ce que tu dis...
— Oh, ça va, on est entre hommes.
— « Entre hommes » chez les astres signifient autre chose que chez les elfes.
— Oui bon... Pas la peine de jouer la vierge effarouchée avec une si jolie fleur qui sort de ta chambre. Ça parlait « gâteries », je suis venu, moi...
L'elfe grogna dans sa barbe avant de se lever à son tour et ouvrir sa penderie.
— Je n'ai pas couché avec la princesse.
— Pas besoin de te justifier, tu sais ? Ce n'est pas moi qui vais te blâmer d'avoir des rapports sexuels avant ton mariage.
— J'avais compris, souffla-t-il en attrapant sa tenue.
— De toute façon, ça se lit sur ton visage. T'as la gueule atterrée d'un mec qui ne se les vide pas assez souvent.
— Arquen, je ne veux pas me montrer pressant, mais est-ce que tu peux me laisser m'habiller en paix !
— Ça va, ça va ! Monsieur est trop prude pour acoustiquer de tels propos ? Oui, Monsieur fait partie de l'aristocratie, il ne tolère...
— Mais dégage !
Arquen recula lorsque la marque sur son poignet commença à provoquer d'horribles douleurs dans son crâne.
— Bien... bien... Tu peux arrêter, je m'en vais. Mais ne sois pas surpris si ça jase lorsque les gens verront un splendide demi-dieu sortir de tes appartements...
— « Je vais l'éclater... »
L'hybride ne réagit pas suffisamment vite lorsque l'elfe lui attrapa la nuque pour le fracasser contre le chambranle de porte. Les vibrations se répercutèrent dans les murs comme dans tout le corps du demi-dieu qui contrattaqua aussitôt.
Les deux hommes ne tardèrent pas à finirent sur le tapis et à se donner des coups. Morgal refusa d'user une nouvelle fois de la marque et préféra calmer ses nerfs en écharpant son insolent sujet. Arquen le comprit rapidement et profita d'un combat d'homme à homme pour calmer l'ego surdimensionné de son maître.
— Tu vas voir qu'au corps à corps, je l'emporte ! Lança l'hybride en coinçant le cou de son adversaire dans l'angle de son bras.
Ainsi immobilisé au sol, l'elfe ne pouvait jouir de sa vélocité naturelle et son poids n'était pas assez conséquent pour en imposer au demi-dieu. Cependant, il refusa de se laisser abattre si facilement.
D'un direct bien placé, il déboita la mâchoire de l'impertinent et envoya son genou dans le foie.
Arquen se plia en deux mais ne lâcha pas pour autant le prince malgré les coups qui pleuvaient violemment. Sa carrure était constituée pour résister aux chocs les plus percutants.
Contre son torse, l'elfe se révoltait face à l'étreinte qui l'empêchait de respirer convenablement. Il avait beau se démener et assaillir toujours plus son adversaire de revers bien placés, il finit aplati sur le ventre avec un hybride fort pesant sur le dos. Déjà ses vertèbres appréciaient fort peu l'expérience.
Non seulement Selnar lui avait gâché sa matinée mais en plus, le demi-dieu le provoquait avant de lui mettre une véritable raclée. Il avait vraiment besoin de ça... L'humiliation était totale.
De son côté, Arquen jubilait et s'amusait fort bien de la situation du prince ; le voir gigoter sous lui en proférant des injures changeait de l'image du chef militaire.
— C'est bon, tu t'avoues vaincu ?
— Va au diable, Arquen !
— Tu n'as qu'une trentaine d'années, il n'y a rien de honteux à se prendre une véritable branlée de ma part.
Morgal fulminait, tentant toujours de s'extraire mais sans succès. Il devait bien admettre que sans sa magie ni ses armes, il ne faisait pas le poids. Une honte mêlée de révolte tenaillait ses nerfs.
— C'est bon, tu peux me lâcher, grogna-t-il.
Arquen sourit triomphalement et desserra sa prise, légèrement déçu de laisser sa proie s'échapper. Il n'avait pas détesté sentir les fesses fermes de l'elfe contre son bassin mais valait mieux ne pas le faire remarquer, ce n'était pas vraiment les goûts de la maison.
— « Foutue séduction elfique... »
Le prince se dégagea lestement et repartit vers sa penderie pour enfin s'habiller.
— Avec toutes ces bêtises, mon père et Vilnius doivent m'attendre.
— Commence pas à râler, c'est toi qui t'es jeté sur moi.
— Retiens un peu ta langue, nous ne sommes pas à Arminassë.
— Tu me feras la morale lorsque tu cesseras d'assassiner des innocents.
— Personne n'est innocent, soupira Morgal en levant les yeux au ciel.
Il retira son haut, dévoilant les cicatrices
— Vilaines blessures, commenta l'hybride, des marques d'incube ?
— Ça te dirait de sortir ?
— Tu n'aurais pas fait un tour dans les harems d'Atalantë, toi ?
Morgal souffla d'exaspération : à croire que son entourage s'était ligué pour lui faire vivre un cauchemar, dès le matin.
— Jenny m'a raconté les trafics d'esclaves qui y avaient lieu et comment ça a fini, continua le demi-dieu en croisant les bras sur son large torse.
— Je n'ai jamais été soumis de la sorte à des astres ni à d'autres créatures comme des incubes.
— « Parle pas trop vite, j'ai une fâcheuse tendance à mettre dans mon lit les gens que je côtoie. »
— Fatan m'a infligé de sévères blessures, continua Morgal sans faire attention aux pensées salaces de son compagnon, tu le croiseras si tu t'aventures dans les chapelles souterraines.
— Mmh... Sans façon...
L'elfe disparut derrière un paravent laqué ce qui fit sourire l'hybride ; la pudeur de cette race l'amusait.
Pour sa part, Morgal commençait à trouver son insupportable sujet un peu trop confiant. Mais d'un certain côté, ça lui changeait des courtisans qui le craignaient à l'excès.
Bientôt, il fut vêtu de ses habituels atours de cuir noir, paré pour retrouver ses hôtes. Un rapide sortilège retira les effets de sa lutte avec Arquen.
Alors qu'il s'apprêtait à sortir, un crissement sourd attira son attention.
— Tiens ! déclara le demi-dieu, il semblerait que ton dragon se réveille enfin !
Morgal rejoignit son lit où la coquille commençait à se fissurer. Des morceaux écailleux ne tardèrent pas à tomber sur les draps, découvrant la tête d'un tout jeune reptile noir. Aussitôt à l'air libre, il déplia ses courtes ailes et s'envola maladroitement pour se poser sur l'épaule de son maître.
— En voilà un qui connait mieux la notion de loyauté, grommela-t-il à l'égard de l'hybride.
Ce nouvel animal dans son quotidien risquait fort de lui changer la vie... Mais avant tout, il était le symbole de son envol vers l'indépendance, la liberté et la domination.
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