Chapitre 26

Morgal se frottait les mains ; il allait enfin pouvoir partir pour la Gorge des Dragons et récupérer des œufs. Avec ça, ses légions, baptisées l'Armée Écarlate suite à la dernière bataille, allaient gagner en puissance et lui continuerait à s'élever parmi les Puissants.

Elaglar avait compris que son fils ne s'arrêterait pas en si bon chemin et que son ambition serait probablement profitable pour le rayonnement du royaume de Fëalocy.

Et l'enfant prodigue appréciait grandement le renversement de situation qui s'opérait : ses frères le détestaient pour sa tare mais n'allaient pas tarder à l'admirer.

— Majesté...

— Ne commencez pas Currunas !

— Le voyage risque d'aggraver votre blessure...

Il se pinça les lèvres, se retenant de carboniser la tête de son mage. Il commençait fortement à lui écorcher les nerfs...

En bas de l'escalier, Dorgon et Draël attendaient l'annonce du départ sans broncher. Leurs visages fermés étaient sans doute dû à Arquen qui patientait en chantonnant quelques grivoiseries. Il allait sans dire que la présence d'un demi-astre ne plaisait pas forcément aux anciens esclaves...

— Majesté...

— Quoi encore !?

— Voici une missive royale.

Morgal arracha la lettre des mains de son médecin et décacheta rapidement l'enveloppe. Son père faisait encore des siennes en s'invitant aux Falaises Venteuses dans trois jours. Le souverain venait accompagné du roi Vilnius, en plus ! Il ne restait que peu de temps au prince de faire sa récolte d'œufs.

— Quelque chose ne va pas ? demanda Arquen.

Draël perça l'hybride de son regard noir :

— On t'a pas demandé de parler, le bâtard.

— Ton animosité m'afflige, Draël.

— Je ne suis pas payé pour sympathiser avec toi.

Dorgon regardait l'échange avec son habituel sourire détaché, une pomme entamée dans les mains. Il ne cessait jamais de manger...

— On part sur le champ, trancha Morgal pour clore la dispute.

— L'hybride est obligé de nous suivre ?

Ce dernier intervint :

— Il est indispensable pour moi de voyager un minimum, se justifia-t-il, comment pourrais-je servir efficacement mon maître sans ça ?

— Ce n'est pas le moment de faire du tourisme, grinça Draël.

L'autre Tigre gloussa de son côté :

— Regardez qui veut jouer l'agent double pour informer ensuite la Reine Vierge.

Arquen fronça les sourcils, piqué au vif :

— Tu ne parles pas de ma reine, le gnome. Elle ne mérite pas d'être mentionnée par un crétin de ton genre.

— Luinil et moi sommes de vieux amis, voyons, ricana Dorgon, nous nous sommes déjà croisés par le passé.

Morgal croisa les bras sur son torse :

— Comment ça « croisés » ?

— Je suis désolé de te décevoir, Morgal, mais il ne s'est rien passé de croustillant.

Le prince fut soulagé d'apprendre que son ami n'avait pas eu des mésaventures avec la Reine Vierge en plus de Nilcalar pendant son séjour à Atalantë. Mais Arquen n'avait pas à savoir l'esclavage qu'avaient subi ses nouveaux compagnons.

Enfin, l'heure du départ sonna et les cinq hommes rejoignirent le corps d'armée qui était chargé de rapporter les œufs.

La visite des monarques allait sans doute chambouler les plans du jeune elfe ; il abandonnerait ses hommes pour regagner son palais et recevoir ses invités non désirés.

Morgal souffla, fatigué de dépendre ainsi de son père. Mais c'était ainsi, il devait se plier avant de croitre davantage.

Il enfourcha Alaxos et le talonna pour prendre la tête du défilé. Les Tigres et Arquen le suivirent, le visage camouflé. L'identité des espions devait rester secrète. Même si pour le demi-dieu, c'était bien inutile pour lui de se dissimuler ; son aura particulière le différenciait immédiatement des elfes. Son uniforme servait uniquement à l'identifier en tant que membre de l'escadron secret. Morgal ne se formalisait pas sur les remarques qu'il allait probablement subir de son père ou de ses frères. Une telle créature dans ses rangs ferait jaser. Mais il ne regrettait pas de l'avoir ramené avec lui après son mémorable duel. Un hybride pareil ne courait pas les rues et ses compétences lui serviraient pour ses sombres projets. Mieux le valait dans son camp qu'en tant qu'ennemi.

Le prince sourit en imaginant la rage de la Reine Vierge ; cette dernière devait s'arracher les cheveux face à une telle perte. Arquen semblait d'ailleurs regretter amèrement la proximité de sa souveraine. Cependant, il gardait sa bonne humeur permanente, prêt à agacer les soldats de l'Armée Écarlate.

Les elfes rongeaient leur frein en silence. Ils ne pouvaient que se contenter de leur impatience ; contester les ordres de leurs maîtres leur entrainerait un sort funeste. Ils le craignaient mais ne pouvaient s'empêcher de lui vouer une admiration et une ferveur presqu'obsessionnelle. Morgal avait grimacé au départ en s'apercevant qu'il récupérait les rebus des autres armées mais il en avait aussitôt profité pour en faire des machines à tuer, n'hésitant pas à les briser moralement et physiquement. Il ne devait rien rester pour pouvoir reconstruire sur des bases plus « saines ».

Oui, le prince des Falaises Venteuses avait tout bonnement appliqué sa propre expérience à son armée. Elle devait lui être similaire, comme l'extension de son bras, prête à frapper à son moindre désir.

Cette peur mêlée d'exaltation faisait sourire sarcastiquement Morgal ; lui-même craignait une chimère. Cette femme dont parlait Djinévix. Il ne pouvait s'empêcher de grincer des dents en y pensant. Pas question pour lui de la rencontrer, encore moins de succomber à ses charmes : il perdrait tout l'empire qu'il se targuait à bâtir.

Mais après tout, Djinévix se trompait peut-être dans ses prédictions. Une lourde inspiration lui retira ses craintes. Qu'avait-il à s'effrayer ainsi ? Il ne connaissait aucune astre brune à part l'astre d'Atalantë. Il secoua la tête comme pour retirer ces pensées encombrantes et se réintéressa à la route. Lui et ses guerriers recevraient des dragons et il espérait que les meilleurs spécimens lui soient accordés.

La Gorge des Dragons jaillissait de la forêt, véritable montagne stérile. La végétation avait refusé d'y pousser malgré la source claire qui s'échappait de son roc.

La forteresse rupestre remontait à des âges immémoriaux, probablement à l'Ere précédente, au temps où les Entités exploitaient ces terres.

Comme pour commémorer le passé grandiose de cette civilisation révolue, les dragons en avaient fait un nid. Dans les sources chauffées par leur feu, les œufs attendaient d'éclore aux côtés de leur maître. En effet, elfes et dragons avaient passé un pacte, liant par un rituel, l'homme à la bête.

Il suffisait de pénétrer dans les profondeurs de la forteresse et rejoindre la crypte. Les lieux gardaient leur rusticité d'antan avec des murs taillés à même la pierre. Les pièces excavées préservaient la fraicheur de la montagne et le mobilier reflétait la rigueur d'un cadre militaire.

— J'aurai aussi un dragon ? demanda Arquen en descendant de cheval.

Morgal lui lança un bref regard, agacé que l'hybride rompe le silence.

— Oui. Lors de tes missions, tu devras te déplacer rapidement. Une telle monture te sera nécessaire.

Draël piaffa derrière :

— Est-ce vraiment une bonne idée ?

— J'ai décidé que ça l'était.

Le Tigre se pinça les lèvres et doubla le demi-dieu non sans le foudroyer des yeux. Il ne cachait pas sa haine contrairement à Dorgon qui semblait s'en moquer. Ce dernier avait réussi à dénicher une carotte qu'il croquait dans une mastication sonore.

— Tu pourrais pas arrêter une fois ? grogna Morgal.

— Non.

Arquen gloussa derrière eux :

— Vous êtes tous complètement instables...

— Dans ce cas tu es le seul équilibré ici ; ce qui fait de toi quelqu'un d'anormal.

— Commence pas à me brouiller l'esprit !

— Je fais ce que je veux.

Le demi-dieu soupira et emboita le pas dans la forteresse. Ces dégénérés aux oreilles pointues allaient le rendre dingue. Au moins, il finirait par leur ressembler...

L'état-major s'engouffra dans l'escalier qui menait à la crypte. Là, un autel se dressait dans une vaste galerie aux pilastres allongés. La voute se parait d'incroyable peintures mythologiques alors que les croisées d'ogives se striaient de filons d'argent.

Pour établir une connexion avec un œuf, un rituel particulier s'opérait : le futur maître devait s'ouvrir les veines au-dessus de l'autel. Des rigoles recueillaient le sang et le drainait jusqu'aux bassins fumants, quelques étages plus bas. L'œuf destiné par le rituel s'illuminait alors en présence de son compagnon ; le dragon ne le quittait plus par la suite. Sa fidélité était à toute épreuve.

C'est pourquoi Morgal espérait grandement hériter d'une monture compétente. Les dragons se divisaient en plusieurs espèces et certaines étaient plus adaptées aux combats que d'autres.





— Ce n'est pas la peine de tirer cette tête, assura Arquen avec une fausse simplicité.

— Ah oui ?

— Tu n'as probablement pas laisser couler assez de sang.

— Je ne tiens pas à finir exsangue !

Morgal était plus qu'agacé. La distribution des œufs se faisaient sans encombre ; les soldats versaient leur sang et récupéraient ensuite l'objet de leur présence dans les sources chaudes. Même Arquen était parvenu à remonter avec un œuf ; pour cela, le prince avait été contraint de mélanger son sang elfique avec celui de l'hybride pour déclencher le rituel.

Mais ensuite, aucun œuf ne s'était révélé au fils d'Elaglar.

— C'est bien la première fois que ça arrive, murmura le mage de la forteresse.

— Cela risque d'être problématique si je n'ai pas de dragon !

— Je suis sincèrement désolé, Majesté... Je cherche une solution...

Morgal écarquilla les yeux et se retint d'incendier la pièce. La patience lui manquait.

— « Est-ce à cause de mon statut de Réceptacle ? Non, puisqu'Arquen a pu recevoir son œuf par mon sang... »

Il ne parvenait à comprendre la situation.

— Existe-t-il un autre moyen d'obtenir un dragon ? s'enquit-il auprès du mage.

Ce dernier se mordit la lèvre et hocha la tête :

— Eh bien... Les dragons sauvages pondent aussi... Mais il vous faudrait tuer le géniteur pour pouvoir acquérir un œuf... C'est le seul autre moyen.

— Bien !

Il n'y avait plus de temps à perdre, alors. Avec Elaglar et Vilnius qui se pointaient dans deux jours, cela laissait peu de temps au prince de trouver sa monture.

— Arquen, Draël et Dorgon, accompagnez-moi. Je laisse mes soldats sous la responsabilité de mes généraux.

— Mais Majesté, gémit Currunas.

— Fermez-la, pour une fois ! Et restez avec votre confrère, ça me fera des vacances.

Le deuxième mage grimaça d'inquiétude :

— Les dragons sauvages ne tolèrent pas la présence des hommes...

— Peu m'importe, je ne suis pas venu les voir pour sympathiser !


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