Chapitre 25
Le chant criard des mouettes sortit Arquen de son sommeil. La première chose qu'il distingua fut le dais du lit sous lequel il reposait. Des broderies dorées couraient sur le tissu épais et se mêlaient élégamment aux arabesques rouges.
L'oreiller qui soutenait sa tête ne lui donna guère l'envie de se lever. Et puis même s'il le souhait, les chaines à ses poignets l'empêchaient de partir.
— Merde !
Il força sur les liens, tenta de les brûler ou de les briser mais rien n'y fit. Son Vala dormait bien trop profondément.
— « Dans d'autres circonstances, l'expérience eut été plaisante... »
Ce constat le ramena à la dure réalité : il n'était pas à Arminassë, ni même dans une retraite astrale. Il demeurait tout bonnement prisonnier de l'ennemi.
Il reprit son souffle ; rien ne servait de paniquer. Pour l'instant, impossible de se soustraire à ses entraves magiques. Il devait attendre que quelqu'un se manifeste et retourner la situation à son avantage.
D'un regard inquiet, l'hybride observa son environnement. La chambre où il avait été séquestré ne manquait pas de confort. Un épais tapis sombre recouvrait le parquet ciré alors que de belles boiseries habillaient les murs. Quelques chandeliers éclairaient l'espace, posés sur une table et une commode d'acajou. La porte, juste en face du lit à baldaquin, restait insolemment fermée.
Arquen jeta un regard sur son torse. Un désagréable picotement indiquait qu'il n'était pas encore remis de sa blessure. En tout cas, on lui avait retiré son équipement et des vêtements de nuits dissimulaient les bandages.
Des pas légers lui firent lever la tête : quelqu'un s'approchait dans le couloir.
Le battant s'ouvrit sur un jeune elfe à la chevelure dorée, vêtu d'une longue veste de cuir noir. Un verre de vin en main, il ne semblait guère intéressé par le captif. Il s'avança dans la pièce, le front barré par une ride de réflexion. Son regard dubitatif croisa enfin celui du demi-dieu et un de ses sourcils arqué se leva :
— Te voilà réveillé.
Arquen se pinça les lèvres, il avait désormais la confirmation de se trouver dans le repaire d'Elaglar.
— Où suis-je exactement ?
L'elfe s'assit sur la table et but sa coupe sans se soucier de la demande.
— Qui es-tu, le gnome ?
Pour toute réponse, son interlocuteur releva sa chemise, dévoilant une horrible plaie encore palpitante. L'hybride se retint un haut le cœur. Mais au moins avait-il sa réponse.
— Mon fléau ne t'a pas épargné, à ce que je vois, sourit-il en maigre compensation de sa situation, tu es le prince Morgal.
Il hocha silencieusement la tête sans lâcher Arquen de ses yeux bleus.
— Où est Jenny ?
— J'ai libéré le flux que j'exerçais sur elle, dit-il enfin, elle est en vie.
Arquen ne cacha pas son soulagement.
— Les brûlures n'ont pas eu l'air de t'impacter beaucoup, remarqua-t-il.
— J'ai un mage très dévoué.
Le champion défait souffla par le nez. Le dialogue semblait compliqué avec cet énergumène. Il ne ressemblait pas vraiment au portrait qu'il avait observé à Arminassë. Ici, la lueur de démence était bien présente dans le regard du prince.
— Mmh... ça te dirait de me libérer ? À moins que ça te plaise autant de me voir attaché dans un lit.
Morgal plissa les yeux :
— Tu es aux Falaises Venteuses, dans mon palais. Les elfes ont remporté la dernière bataille, je pense que c'est mal venu de ta part de faire des allusions graveleuses.
Il posa son verre et s'avança vers la couche d'une démarche féline :
— J'ai un marché à te proposer.
— Vrai ? Comme c'est sympathique ! J'ai tout le loisir de prendre la décision que je veux avec ces chaines !
Le prince croisa les bras :
— Je vais être direct avec toi le bâtard. Tu m'intéresses.
— T'as une bonne gueule mais je ne me vois guère m'envoyer en l'air avec un homme que je déteste autant.
La mâchoire de son interlocuteur se décala d'impatience :
— Je vais te proposer deux options. Soit tu acceptes de travailler pour moi, soit je te renvoie à Arminassë.
Arquen fronça les sourcils :
— Comment ça ?
— Je me suis rendu compte que du sang divin coulait dans tes veines. Je compte exploiter tes capacités pour mes projets.
— Et si je refuse ?
L'elfe sourit en dévoilant quatre canines acérées :
— Eh bien, je te renvoie à Arminassë. Je m'engage à tenir parole.
L'hybride hésita en observant le visage faussement calme de son interlocuteur. Pourquoi les elfes devaient-ils être si étranges ? Arquen força encore sur ses liens, ce qui sembla amuser son détenteur.
— Très bien, s'avoua-t-il vaincu, j'accepte de me ranger à tes côtés.
Un ricanement triomphal s'échappa des lèvres du prince :
— J'aime ton sang-froid. Tu parais le garder dans n'importe quelle situation.
Il se pencha au-dessus du prisonnier ce qui eut le mérite de le rendre très mal à l'aise. Et puis sans sourcilier davantage, il referma ses doigts sur le poignet de l'hybride. Une brûlure intense dévora la peau du demi-dieu mais ne tarda pas à s'apaiser pour laisser une marque noire.
— J'impose un sceau de domination sur les personnes envers qui je ne peux avoir confiance, décréta presque joyeusement Morgal, désormais, tu pourras me servir sans que je n'aie à craindre un mauvais coup de ta part.
Sur ces mots, il fit tomber les chaines.
Arquen sortit du lit et grommela. Il allait vraiment devoir obéir à ce gnome qui faisait presque une tête de moins que lui ? Pourvu qu'il ne soit pas animé de fantasmes malsains...
— J'ai une faim d'enfer. Il voudrait mieux que je ne meurs pas de faim, non ?
Les oreilles de l'elfe se redressèrent avant qu'il n'ajoute :
— En effet, tu as dormi une semaine. Tu es affaibli. Assieds-toi à cette chaise, un gnome va apporter le repas.
Le demi-dieu s'avachit sur son siège et son maître prit place en face pour lui expliquer la suite des événements :
— Je veux que tu travailles avec l'escadron d'espionnage.
— Bien... Et dis-moi, tu m'aurais vraiment renvoyé à Arminassë si j'avais refusé ?
Morgal dodelina de la tête avec simplicité :
— Oui !
— Vivant ?
— Oh, ce n'est qu'un détail !
Arquen leva les yeux au ciel ; ce timbré l'aurait bel et bien assassiné comme il s'en doutait. Un gnome profita du silence pour déposer un couvert et des plats fumants.
— Par contre, commença l'hybride, je ne me contenterai pas de votre gastronomie répugnante, j'ai besoin de viande, moi.
— Regarde dans ton assiette avant de râler.
En effet, des côtes de bœuf marinaient dans une sauce alléchante. Des herbes et quelques légumes accompagnaient pour relever le gout.
— Je croyais que c'était illégal...
— Je suis un vampire, idiot. Je mange de la viande aussi. Et puis, sur mes terres, je fixe les lois que je veux.
— Bien... Je savais que tu étais assez atypique, mais pas à ce point-là. C'est vrai que tu as tranché la tête de Nilcalar ?
— Oui.
— Tu voulais t'en prendre à la Reine Vierge ?
— Luinil ? Non, en tout cas, pas pour l'instant. J'ai un père despotique qui m'empêche de liquider toutes les personnalités gênantes de cette dimension.
Les poings de l'hybride se refermèrent :
— Je ne veux pas que tu t'en prennes à elle.
— Tu es son amant ?
La question était directe, au moins :
— Non... Personne n'est l'amant de la Reine Vierge. Ça coule de source si tu réfléchis un tant soit peu à son surnom.
— Tu es allé vérifier, peut-être ?
— Ne manque pas de respect à ma reine !
Morgal gloussa devant l'énervement de son nouveau sujet :
— Vous êtes tous pathétiques à Arminassë. Cette femme vous fait miroiter monts et merveilles. Elle n'a qu'à vous sourire pour que vous lui léchiez les pieds.
Arquen fulminait : son interlocuteur ne s'en tirerait pas à si bon compte.
— Tu es jaloux que votre reine en Fëalocy ne soit simplement que la pute d'Elaglar ?
Les prunelles de l'elfe scintillèrent. Aussitôt, la souffrance monta en flèche chez l'hybride. Le souffle lui manqua alors que les battements de son cœur résonnaient entre ses tempes. Sa vision se brouilla ; il avait l'impression que des griffes lui lacéraient le corps.
Pour la première fois, il subissait le joug de la marque. En face de lui, le prince le perçait de son regard dément alors qu'un sourire tordu apparut finalement sur ses lèvres :
— Une injure à la couronne est répressible de mort en Calca.
— Peu importe la loi dans ce royaume, grinça Arquen, tu peux me tuer quand tu le souhaites, de toutes façons.
— Tu commences à bien comprendre la situation !
Enfin, la douleur s'apaisa dans les veines du demi-dieu :
— Bon, râla-t-il, et où vais-je loger ? Dans ce palais ?
Morgal haussa un sourcil :
— Exactement. Mes espions séjournent dans les caves du château.
— J'imagine que je n'aurai pas le droit de sortir...
— Si bien sûr, tu n'es pas mon prisonnier.
Arquen grimaça, pas certain de saisir le sens de cette phrase :
—Tu veux dire que... que je peux... vaquer où bon me semble ?
Le prince semblait plus intéressé par le repas que par la question. Cette indifférence constante qu'il affichait sur son visage agaçait Arquen au plus haut point.
— Je préfèrerais que tu te fasses discret, avoua Morgal sans lâcher son assiette du regard, mes semblables n'apprécient guère les autres races.
— Surtout un esclave comme moi, j'imagine.
— Tu n'es pas un esclave, stupide astre, tu recevras une solde mensuelle de mille écus.
— Mille ?!
— Un mercenaire en Fanyarë n'en gagne même pas un tiers. Estime-toi heureux.
— Où avez-vous trouvé cet argent ?
— Cela me regarde.
— Bien ! J'espère que les bordels de Calca sont tout aussi compétents que ceux d'Arminassë.
L'elfe plissa les yeux :
— Les maisons closes sont illégales sur les terres elfiques.
— Hein ?! Mais comment vous faites ?
— Nous ne sommes pas des astres. Notre société se construit sur des modèles familiaux que nous ne pouvons nous permettre de briser. Le libertinage ne nous intéresse pas.
— Bonjour la gueule de vos soirées.
Morgal termina son verre et croisa les bras avant de percer son interlocuteur de son regard froid. Arquen devait bien admettre que l'aura du prince dégageait une grande prestance en même temps qu'un étrange inconfort.
— Si tu as besoin de te changer les idées de la sorte, déclara-t-il, tu n'auras qu'à te rendre sur l'Île des Sirènes. Les passes sont qualitatives, là-bas.
Cette idée désarçonna l'hybride :
— « Il est vraiment déroutant, ce type. »
Mais le demi-dieu devait bien admettre les faits ; il était désormais au service d'un aristocrate timbré et il ne pouvait plus faire grand-chose pour y remédier. Cependant, Arquen n'était pas défaitiste et son fond optimiste le poussait à prendre ce destin inattendu à la légère. Après tout, il était chez les elfes, une terre totalement inconnue s'ouvrait à sa vue et il comptait bien s'amuser !
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