Chapitre 24

Les mois avaient passé et les conflits s'étaient multipliés sur les mers et les continents. Le Sud de Calca et le Nord de Fanyarë baignaient dans le sang. Les terres Désertiques ainsi que la presqu'Île d'Olmor subissaient des batailles incessantes pour les gisements qui s'y trouvaient. Sur les territoires humains, la violence n'était pas en reste ; Lercemen et Olorë sombraient lentement dans la misère. Les famines et les maladies s'étendaient sur les provinces mais les races n'en démordaient pas.

Elles s'entretueraient jusqu'au dernier homme...

Véritable terrain d'affrontement, la presqu'Île d'Olmor n'était plus qu'un champ aride, retourné, à vif. De n'importe où sur l'avancée de terre, on n'entendait l'écho du fer et les hurlements de rage mêlés au désespoir.

Sur un des plateaux, Jenny scrutait les armées s'entredéchirer. C'était devenu son quotidien...

— Pas de nouvelles de notre prince ? soupira Arquen en la rejoignant.

Son armure était couverte de sang et sa lourde épée avait été sommairement nettoyée. La sueur sur son front ne mentait pas sur son implication dans la bataille.

— Non... peut-être sait-il que nous l'attendons...

— Cela fait des mois que nous nous battons sans le croiser.

— En effet ; mais nous avons déjà suffisamment de travail avec les dragons.

Comme pour accréditer son propos, les énormes balistes décochèrent leurs traits mortels pour transpercer les reptiles volants.

— Nous avons l'avantage, non ? s'interrogea la vampire en reprenant son bouclier.

— Grâce aux ruines. Elles nous protègent du feu des dragons.

— Le dragon d'Elaglar fait fondre la pierre...

— Il ne s'est pas encore manifesté... Tant que nous sommes maîtres à terre, nous l'emportons.

— Les elfes ne veulent pas en démordre.

— Et pourtant, ils devraient : les lumbars les attaquent sur les mers et les nains en terres Désertiques. Ils ne tiendront pas sur autant de fronts.

Jenny avala une grande goulée d'air. Un vent glacial souleva sa longue tresse noire qui s'échappait de son heaume. Où était son Chérubin ? Était-il mort avec le temps ? Peu probable.

— J'ai l'impression que les échanges se sont calmés, murmura-t-elle.

— Les elfes se sont repliés.

De leur promontoire, ils avaient une vue imprenable sur la vallée qui s'étendaient à perte de vue. Le plateau le plus proche était occupé par les forces de Calca. Malgré un ciel sans nuage, le froid s'intensifiait en cette fin de soirée. Les couleurs mordorées du crépuscule venaient se refléter sur les lames émoussées qui jonchaient le sol. Dans de sombres nuages dépareillés, les vols de corbeaux cherchaient des cadavres pour se sustenter.

Les ombres du soir commençaient à s'étendre sur la plaine lorsque soudain une onde de choc parcourut le champ de bataille. Sur place, les soldats chutèrent face à un tel souffle. Les étendards s'envolèrent dans des tourbillons de vents pendant qu'une ombre inquiétante recouvrait le ciel, accompagnée d'une fumée opaque.

Arquen plissa les yeux pour tenter de discerner la nature de ces sortilèges mais sans succès. D'un bref regard derrière l'épaule, il observa sa reine, campée sur son destrier à la tête d'un monticule. Elle ne paraissait pas impactée par le déroulement des événements et se contentait de scruter le nuage hostile. Sous son armure complète, il était impossible de percevoir ses émotions.

— Arquen, Jenny, déclara-t-elle de sa voix polaire, rendez-vous immédiatement sur le terrain. Nos hommes ont besoin de vous.

Les deux coéquipiers hochèrent la tête et montèrent sur leurs selles pour rejoindre les conflits.

Déjà, les astres s'apprêtaient à recevoir l'ennemi ; la fumée se propageait toujours comme une vague immatérielle. Jamais un tel phénomène ne s'était produit et les soldats montraient de vifs signes d'inquiétude. Tous les regards se rivaient vers la barrière sombre qui avançait.

Et puis dans le silence le plus complet, une volée de flèches perça les ténèbres pour fondre sur eux.

— Boucliers ! hurla Arquen.

D'un commun accord, tous les astres dressèrent leurs boucliers valiques à l'aide de leurs bâtons mais les flèches percèrent sans mal la protection et vinrent abattre une partie de l'armée.

— « Des flèches ensorcelées, grogna intérieurement l'hybride, ils doivent avoir des mages très compétents ou des sorciers. »

Comme une seconde volée allait s'abattre sur eux, le demi-dieu sortit de sa retraite et fit barrage par un sort puissant qui désintégra tous les traits. Les offensives suivantes furent ainsi déroutées grâce au champion ; l'assurance regagna les troupes.

Mais à peine l'accalmie s'était-elle installée que le tonnerre tonna, secouant le sol par des vibrations continues.

— Une cavalerie... souffla Jenny, les doigts crispées sur sa lance.

L'impact serait violent.

Soudain, s'échappant de la fumée, l'ennemi apparut.

Sur leurs montures folles, les guerriers franchirent les lignes astres sans hésitation. Leurs armures noires laissaient se détacher l'emblème de leur provenance, en rouge sang sur leur poitrail. Tels les cavaliers de l'apocalypse, ils s'acharnèrent sur leurs adversaires dans une violence effrayante. Toute raison semblait les avoir quittés. Ce n'étaient plus que des bêtes assoiffées de sang, prêtes à se sacrifier pour la victoire de leur maître.

— Arquen ! cria la vampire, ils portent le signe des Falaises Venteuses !

Le champion se mordit les lèvres. Sa mission commençait enfin ; le prince Morgal était probablement non loin de son armée.

Pour l'instant, l'impératif était de repousser les elfes. La charge avait été dévastatrice pour les forces d'Arminassë mais jamais les astres ne se seraient avoués vaincus. Des sorts illuminaient toute la plaine, aussi l'hybride décida-t-il d'y mettre du sien.

Il allait sans dire que le Vala d'un demi-dieu ne se comparait pas avec les autres. D'une simple pensée, Arquen décela une centaine d'auras elfiques et fit exploser leur cœur ; dans la seconde, les victimes s'effondrèrent en expectorant.

Comme pour varier les plaisirs, il usa d'un autre pouvoir pour creuser des crevasses dans le sol où les montures se rompirent les jambes, emportant leurs cavaliers dans des trous bouillonnants.

Les cris d'agonie montaient toujours plus haut dans ce carnage à grande échelle. À lui seul, le demi-dieu infligeait des dégâts monstrueux.

Voyant que la situation revenait à leur avantage, il gagna les ruines d'un ancien palais, désormais ouvert sur le ciel, et observa la bataille. Il croisa quelques elfes qu'il anéantit tout aussi facilement. Rien ni personne ne l'arrêtait. Il était le roi de la guerre.

D'un geste franc, il retira la lame d'un cadavre et jeta un regard surpris en contrebas vers l'extrémité de l'allée. Entre les colonnes à moitié détruites, la silhouette droite d'un homme lui faisait face.

Arquen sourit : avec le long manteau noir, l'armure sombre et le heaume fermé sur la capuche épaisse, il devina immédiatement l'identité de son adversaire. Un panache écarlate dansait dans le vent, rappelant le signe sur sa poitrine.

Enfin, le prince se manifestait.

Sa lourde épée gouttait à l'instar de son bouclier. Seuls ses yeux bleus étaient visibles, transperçant leur nouvelle cible.

— On m'a beaucoup parlé de toi ! lança Arquen en descendant les marches avec assurance, il parait que tu es unique en ton genre.

Comme on pouvait s'y attendre, l'elfe ne répondit pas mais préféra accélérer le pas. L'hybride sourit : il ne perdait pas son temps !

Les deux Ilfégirins s'affrontèrent dans un choc sans précédent. Le retentissement des lames se répercuta à des dizaines de mètres à la ronde. Aucun des deux ne flancha face à un tel assaut. Leurs auras crépitaient alors que la magie se déployait toujours plus violemment pour anéantir l'adversaire.

Comme une explosion, les sorts se déversèrent, les boucliers se levèrent, les épées se croisèrent dans une chorégraphie mortelle. L'air et le sol vibraient sourdement autour d'eux sans leur retirer l'équilibre dont ils faisaient preuve.

Arquen grimaça sous son casque : ce prince lui donnait du fil à retorde. Comment si jeune, il était parvenu à arriver à ce stade d'Ilfégirin ? Son Vala était impressionnant ; l'elfe ne reculait pas, sa rapidité infligeait toujours plus de dégâts au demi-dieu.

— « Si Jenny ne me rejoint pas maintenant, pensa ce dernier, je mettrai beaucoup plus de temps que prévu pour le tuer. »

Comme pour reprendre leur respiration, les deux opposants s'écartèrent d'un bon, se toisant sous leurs visières. Leurs respirations saccadées paraissaient couvrir le mugissement de la bataille.

Et puis, comme si elle avait entendu le souhait de son partenaire, Jenny bondit de derrière un bloc de pierre pour fondre sur le fils d'Elaglar, ses deux sabres prêts à trancher.

D'un simple regard, le prince déclencha un sort d'expulsion qui envoya la vampire s'éclater contre la colonne. Mais il en fallait plus à la guerrière pour capituler. Elle se redressa, furieuse et humiliée de n'avoir su contrer le sort.

L'elfe recula comme pour mieux analyser ses deux adversaires. Son regard glacial s'attarda énigmatiquement sur Jenny.

— Ce n'est pas possible, murmura-t-elle, il me fait halluciner

Elle s'écroula de nouveau, forcée par une apesanteur irréelle. Quoiqu'elle tentât, la magie de son ennemi traversait ses barrières valiques et la soumettait à une torture insupportable. La douleur s'emparait de tout son corps sans qu'elle ne puisse bouger, pétrifiée et accablée par des images sombres de son passé.

— Libère ma comparse ! s'emporta l'hybride en s'élançant sur le prince.

Jamais depuis les longs mois passés avec sa coéquipière il ne l'avait vu affaiblie à ce point. Morgal était redoutable mais il ne ferait pas le poids face à un demi-dieu.

L'elfe eut juste le temps de lever son bouclier pour amortir le choc du fer. Le duel reprit de plus belle dans un acharnement terrifiant. D'un revers adroit, le prince fit sauter le casque de son opposant avant de reprendre ses distances.

Arquen reprit son souffle : il comprenait la stratégie de son ennemi. Ce dernier menait son combat par des attaques fulgurantes puis reprenait le large pour observer la réaction du champion. De cette manière, il faisait monter l'impatience et la rage et n'avait plus qu'à attendre une erreur d'inattention pour frapper sa cible.

— Si tu crois que tu vas m'avoir, sale gnome...

Morgal remonta son bouclier jusqu'à son nez et referma sa poigne sur le manche de sa lourde épée. Ses jambes arquées par la tension s'étirèrent en une fraction de seconde et le rapprochèrent de l'hybride à une vitesse fulgurante.

Arquen eut juste le temps d'esquiver la lame mais le bouclier le percuta de plein fouet. Profitant du déséquilibre, le prince en profita pour rabattre sa rapière sur les flancs de son adversaire dans une giclure de sang chaud.

Un instant plus tard, il était déjà à plusieurs mètres, contemplant les conséquences de son attaque.

Le champion grogna. S'il restait sur la défensive, il y passerait. De son côté, Jenny restait dans une immobilité inquiétante.

— Très bien...

Le demi-dieu rassembla son Vala et après une longue inspiration, chargea sur sa cible en vue de l'écharper. Morgal évita sans mal le fer mais son bouclier ne résista pas. Il vola en éclat, un fragment traversa sa visière et se planta entre ses yeux. Se sentant aussitôt en infériorité, il dressa une barrière valique pour empêcher le pire. Mais Arquen ne se contenta pas de cette résistance, il déploya ses sortilèges et assaillit le prince jusqu'à ce que sa défense se consume.

Mais dans cette attaque foudroyante, sa propre épée se désintégra.

Loin de vouloir laisser passer l'occasion, Arquen saisit le manche de son fléau et dans un tournoiement mortel, percuta son ennemi.

L'elfe fut propulsé sur plusieurs mètres avant de percuter le sol pentu des ruines. Une longue trainée rougeâtre suivait le corps dans son sillage et se mêlait aux plumes du panache.

Le champion de Luinil ne put s'empêcher de fermer les paupières dans un soulagement évident. Enfin allait-il ramener la tête à sa reine et écarter ainsi la menace.

Il jeta un œil sur le blessé ; son Vala se polarisait déjà sur la plaie béante alors que son arme avait été jetée au loin.

— Ne t'en fais pas, je vais t'achever rapidement, déclara Arquen, contrairement aux membres de ta race, je n'aime pas faire souffrir.

Il s'avança du corps lorsque ce dernier commença à vouloir se relever.

— Je n'aurais pas combattu un pleutre, au moins, s'accorda à dire le demi-dieu.

Alors qu'il s'apprêtait à abattre sa masse, l'elfe s'esquiva sur le côté et se redressa dans une vélocité surnaturelle. Ses yeux auparavant bleus renvoyaient une teinte désormais écarlate. Un nuage noir l'entoura avant de se matérialiser en une énorme faux infernale.

Arquen s'arrêta : il sentait un deuxième Vala. Malgré la rareté du phénomène, il comprit immédiatement comment cet homme avait pu se téléporter. Sa deuxième source de magie était encore plus dangereuse que la première et surtout, il ne reconnaissait plus l'aura.

D'un bon, Morgal fondit sur son ennemi. Avec une adresse impensable pour son état, il évita l'arme de l'hybride ; il sauta sur une colonne oblique et y prit appui pour se jeter sur le champion, la faux levée.

Loin de se laisser intimider, Arquen leva un nouveau bouclier dans le but de repousser l'assaillant dans un éclair foudroyant.

Mais les choses se déroulèrent autrement. Le prince se trouva brusquement au-dessus de lui, ignorant parfaitement le bouclier mortel qui le consumait. La longue lame recourbée fracassa la défense et faucha sa cible dans une gerbe sanglante.

Les deux hommes s'effondrèrent sur les dalles effritées du palais détruit, l'un brûlé par le sortilège divin, l'autre transpercé.

Les sangs se mélangèrent dans un marre chaude.

Arquen commençait à voir flou. Les murs à lézardés qui l'entouraient tournoyaient dans une danse aveuglante. Ses sens le quittaient, juste une profonde douleur qui le plongeait dans une dangereuse léthargie.

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