Chapitre 23
La fête battait son plein aux Falaises Venteuses. Les travaux titanesques étaient finis pour de bon et toutes les cours de Calca s'émerveillaient face à la prouesse architecturale de la nouvelle cité. Les aristocrates semblaient charmés par l'aspect hostile mais luxueux des lieux. Aucun doute que certains viendraient installer là leur résidence principale ou secondaire.
Chacun y mettait du sien pour complimenter les boiseries et sculptures, trouvant toujours des adjectifs plus alambiqués afin de trouver l'approbation de son voisin.
La fête du Solstice coutait à Morgal. Mais elle lui était nécessaire pour installer sa notoriété dans les royaumes alentours.
Les gnomes ne cessaient de traverser la foule pour apporter les plats, de nouveaux fauteuils ou rapporter la vaisselle.
Les orchestres accompagnaient les conversations, annonçant l'Opéra qui allait suivre.
Tout reflétait richesse et puissance. La dimension disproportionnée des pièces publiques inspirait le respect alors que les petits salons apportaient une note chaleureuse fort appréciable. On couplait ainsi magnificence et confort.
Elaglar était très fier de la sensation qu'avait fait son fils. Malheureusement, le prince terrible ne s'était guère montré depuis le début de la soirée. Il s'était contenté de saluer les rois et reines avant de s'éclipser vers ses appartements.
Les choses ne pouvaient se dérouler parfaitement, de toutes façons.
Saucarya avait déjà plusieurs verres dans le nez lorsqu'il décida de partir à la recherche de son cadet. La compagnie des courtisanes lui avait pesé dès la sixième flute de champagne si bien qu'il préférait trouver une autre activité, comme si cela pouvait le sortir de son état d'ébriété.
Il traversa les couloirs à l'aveuglette et finit par tomber dans un vaste atelier, éloigné des échos de la fête.
Perdu au milieu de centaines de toiles et tableaux, Morgal travaillait son huile au couteau.
— Dis donc, t'es au courant que tu es sensé gérer une soirée ?
— Saucarya ? Tu n'es pas en train de séduire une énième princesse ?
— Cesse un peu tes médisances...
— Tu empestes l'alcool.
— Je me suis assagi ces dernières années.
— Il le fallait bien. Je te rappelle que tu as failli mourir sous l'épée d'un fiancé jaloux.
— C'est anecdotique.
Morgal leva les yeux ; il avait autre chose à faire qu'écouter son ainé soule.
— Au fait, continua ce dernier, je vais me marier.
— Mmh... ça me fait une belle jambe... J'imagine qu'il s'agit de la même fille qui t'a valu toutes ces pérégrinations ?
— Oui. Je vais épouser Sybelle...
Le prince soupira ; Saucarya était vraiment le grand enfant de la famille. Son impulsivité et son manque de jugement lui avaient valu de lourdes mésaventures. Comme à son habitude, il s'était soulé dans une maison de jeu et s'était réveillé le matin avec une jolie elfe dans ses bras. Si le scandale n'avait pas éclaté, cela n'avait pas empêché le fiancé cocu de mettre la main sur le drôle et lui donner une sévère correction.
Heureusement, Morgal était arrivé à temps pour sauver la mise de son grand-frère. Et puis dans son grand discernement redoutable, Saucarya s'était entiché de Sybelle et l'avait revendiquée.
— Bien ! conclut le vampire en vidant sa gourde, je vous souhaite tous mes meilleurs vœux. En espérant que ton couple soit heureux. Ce n'est pas monnaie courante dans la famille...
— Père a accepté car elle vient d'une riche famille marchande.
— Tu aurais pu trouver une noble, quand même, maugréa son cadet, au moins, il n'y aura pas de mauvaises surprises à la nuit de noces étant donné que vous...
— C'est de ta faute, ça !
— Ma faute ?
— C'est sur ton île que j'ai bu cette maudite boisson. Tu es sensé gérer ce qui se vend sur tes terres.
L'elfe souffla de lassitude. Il aurait voulu finir sa peinture au calme. Mais à côté de ça, Saucarya l'accusait de ne pas bien s'occuper de l'Île des Sirènes. Il la louait depuis un bon moment déjà à la Ligue Marchande et cette dernière en avait fait une monstrueuse plateforme de vice où l'on trouvait tout le nécessaire pour passer un bon moment et oublier les responsabilités d'un vie morne.
Morgal se moquait bien de la moralité douteuse des lieux tant qu'il recevait ses piécettes trébuchantes. Il s'était seulement assuré qu'il n'y avait pas d'esclaves elfes. En attendant, ses affaires prospéraient même si son imbécile de frère avait gouté amèrement à ce succès professionnel.
— Tu n'es pas sensé boire avec de parfaites inconnues, Saucarya.
— On verra comment tu te comporteras, toi, lorsque tu croiseras ton âme-sœur.
— Tout sauf une brune...
— Tu es désormais le prochain sur la liste. Père va vouloir te caser pour une alliance juteuse.
— Il va devoir comprendre que je ne suis pas son pantin.
— Haha, nous le sommes tous. Enfin... Sauf moi... Je suis trop stupide pour qu'il m'utilise.
Morgal piqua un fard :
— Tu fais semblant d'être stupide.
— Ne grille pas ma couverture, s'il-te-plait. Je veux couler des jours heureux avec ma future femme.
— Toi et les responsabilités...
— Dis-tu alors que tu abandonnes tes invités !
— Je ne veux pas perdre du temps avec ces idiots. Et puis, le roi de Flamarindo risquerait de mourir d'apoplexie en me voyant. Je suis toujours en exil social, je te rappelle. Et puis... Je tiens à entretenir le mystère autour de moi.
— Quel mystère ? Tu es juste un associable qui esclavagise tes soldats.
Morgal apporta une touche de pinceau sur sa toile sans prendre la mouche :
— Tu me rappelles que je vais bientôt devoir partir pour la presqu'Île d'Olmor... Il parait que la Reine Vierge détient un formidable champion.
— Si tu peux lui décoller la tête comme à Nilcalar...
— C'est ce que je compte bien faire.
— Enfin bon... Que peins-tu ?
Saucarya se pencha et observa la préparation. Ses oreilles prirent une orientation différente en reconnaissant le sujet, à la lumière des chandelles :
— Ça ressemble à un démon...
Le vampire ne répondit pas. Le dessin s'était formé de lui-même sous sa main. Après tout, il risquait bien de recroiser de pareilles créatures puisqu'elles étaient liées à son destin.
— T'es vraiment étrange, Morgal. Tu n'as rien à voir avec le gamin empoté que tu étais.
— J'en ai trop vu, c'est tout.
— Et quelle est ta prochaine étape ? Réunir l'armée la plus puissante pour anéantir les astres ?
— Cela me parait un bon début. Ensuite je m'étends sur les mers, j'achètes tous les ports d'escales et devient propriétaire des banques dimensionnelles...
— Je ne comprends pas pourquoi tu te donnes tout ce mal, soupira Saucarya à qui l'alcool commençait à méchamment monter.
— J'ai trop sacrifié pour m'arrêter en chemin...
Oui, il n'était plus possible de faire marche arrière et de se contenter d'une simple vie princière. Emporté dans son élan, Morgal savait que la roue de son ambition allait écraser encore de nombreux innocents. Jusqu'à quand ?
D'après Djinévix, ce serait ses propres enfants qui causeraient sa chute. Morgal grinça des dents ; il valait mieux qu'il ne se marie jamais. De toute façon, il ne serait pas un cadeau pour son épouse. Son comportement trop indiscernable détruirait son couple. Non, il n'était pas question d'être gêné par une femme et une progéniture qui le menacerait de le détruire.
On n'a pas de meilleur allié que soi-même.
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