Chapitre 17
Morgal s'accroupit au-dessus des dalles froides de la chapelle. Cette pièce circulaire qui jouxtait ses appartements était destinée à ses expériences occultes. Une lourde senteur de bougies imprégnait les lieux et les flammes vacillantes apportaient le peu de clarté nécessaire à l'elfe.
D'une main, il traça le cercle et le pentacle qui lui permettraient de convoquer sa faux ainsi que Djinévix.
Une fois fait, il se positionna au centre et s'ouvrit la paume de la main pour déverser son sang dans les rainures du dessin.
— En espérant que cela fonctionne...
Son bras ne tarda pas à s'engourdir, aussi décida-t-il à refermer la plaie par un sortilège rapide. Pendant quelques minutes, il ne se passa rien. Puis, un nuage noir finit enfin par se matérialiser.
L'Entité tourna sur elle-même, comme étonnée de se retrouver soudainement dans cette chapelle obscure. Sa silhouette malingre ne changeait jamais, à croire qu'elle avait été enfermée dans cette enveloppe corporelle pour l'éternité.
— Mon Chérubin ! s'exclama-t-elle dans un cliquetis de breloques, que me vaut cette invocation ?
— J'ai besoin de toi, Djinévix.
Sans l'écouter, elle agrippa les épaules de l'elfe :
— Comment m'as-tu appelée ? Tu maîtrises l'invocation ?
Il soupira avant d'accepter de lui répondre d'un air agacé :
— J'ai utilisé mon sang pour te faire venir.
— Ce n'est pas la bonne méthode, Morgal, le gronda-t-elle en lui tapotant le nez du doigt.
— En attendant, cela a fonctionné, grinça-t-il en lui écartant la main.
Elle pouffa avec suffisance :
— Parce que tu as utilisé ton sang. Et je doute que tu resteras encore vierge pour les siècles à venir...
— Je ne t'ai pas appelée pour que tu me racontes tes prophéties grivoises, Djinévix ! J'ai besoin d'informations ! Et de ma faux, accessoirement...
La sorcière hocha la tête à plusieurs reprises sans se départir de son sourire diabolique :
— Bien, bien... Pour ce qui est de ta faux, je t'apprendrai les incantations nécessaires pour que tu puisses la matérialiser. Tu te l'es déjà appropriée en affrontant ma sœur.
Une chose au moins positive pour le prince. Il se mordit la joue et s'approcha de la femme squelettique. Un éclair fugace traversa ses iris cuivrées comme si elle se considérait soudain bien supérieure à l'elfe :
— Dis-moi ce que tu as sur le cœur, Morgal.
— Tu connaitrais l'emplacement des derniers sanctuaires de l'Ancien Monde ?
— Oui. Les catacombes d'Atalantë où Nahôm t'a donné la faux en est un.
— Je suis à la recherche d'un incube.
Djinévix secoua la tête et sortit de la pièce pour se rendre dans la chambre du prince.
— Et que veux-tu faire d'une telle créature ?
— Nahôm désire sa mort, avoua-t-il en s'appuyant contre le poteau du lit, et je suis apparemment le mieux placé pour la détruire.
— Il n'a pas tort.
— As-tu une idée de sa localisation ?
— Tu devrais explorer les forges du Var-Nar-Bal. Les incubes y séjournaient avant l'intervention des dieux.
Morgal fronça un sourcil ; ce nom lui disait vaguement quelque chose.
— Ce ne serait pas au nord de Calca ?
— Exactement, ricana la bigote, j'aime ta rapidité d'esprit, mon chou. Ces forges n'ont pas été exploitées durant ton ère mais tu y trouveras des gisements intéressants.
— Merci pour le filon... Et comment puis-je l'emporter sur un incube ?
Elle grimaça ; l'affaire ne semblait pas gagnée :
— Le souci est que tu es un elfe, Chérubin.
— Rien de nouveau pour l'instant...
Djinévix joua quelques instants avec ses dreadlocks sales et ajouta :
— Ta race est un met de choix pour un incube. Il sera totalement déchainé en t'apercevant. Ses facultés se décupleront et tu finiras comme tes semblables à Atalantë.
— Tu veux dire qu'il voudra aspirer mon énergie plus qu'un autre ?
— C'est exact ; les elfes laissent échapper des phéromones très puissants.
Un rire amer s'échappa des lèvres crispées de Morgal :
— J'avais fini par le comprendre aux vues des avances que j'ai reçues lors de mes voyages !
— Si j'avais encore mon corps d'origine, j'aurais tenté ma chance aussi...
— Djinévix... Tu me dégoutes...
— Cesse de jouer les vierges effarouchées, mon mignon.
— Bon. Pour en revenir à l'incube. Comment le tuer dans de telles conditions ?
— Aucune idée. Tu n'as qu'à utiliser un bouclier valique pour éviter d'avoir d'abominables cicatrices pour le reste de ta vie.
— Un incube le briserait...
Il ne put réprimer une grimace en imaginant la scène qui suivrait. Pas question d'être déshonoré de la sorte, il avait déjà subi suffisamment d'humiliations dans sa jeunesse pour être abusé par une Entité infernale.
La sorcière le sortit de ses pensées :
— Je préviendrai notre roi de te rejoindre avec le Cercle au Var-Nar-Bal, dans une semaine. Si tu veux un conseil, tu devrais t'habituer à coupler ton Vala d'elfe et celui de Réceptacles, cela ferait des étincelles !
Sur ces mots, elle disparut, laissant le prince à ses doutes.
— Majesté, vous n'y pensez pas !
— J'y pense tout à fait, Currunas.
— Mais qu'est-ce qu'il m'arrivera si vous ne revenez pas ?
Morgal souffla d'énervement ; non seulement le garçon d'écurie tardait, mais en plus, son mage s'opposait à son voyage vers les forges du Var-Nar-Bal.
— J'imagine que ce ne sera plus mon problème.
— Mais pourquoi refusez-vous ma présence ?
— Écoutez-moi ! Je vous répète que je ne sors pas de Calca ! Ma santé est au mieux, alors laissez-moi.
Le médecin baissa piteusement la tête. Mieux valait éviter la provocation où il finirait dans un malencontreux « accident ».
Enfin, le garçon d'écurie apparut, tirant Alaxos par les rênes. Ses longs cheveux blonds collaient à ses joues, signe qu'il s'était démené avant d'arriver.
— C'est pas trop tôt ! râla Morgal en enfourchant le frison.
— Cela ne se reproduira pas, Majesté, s'excusa pitoyablement le jeune elfe en s'inclinant.
Le vampire claqua sa langue contre le palais ; à force d'inspirer la crainte à ses sujets, il n'arrivait plus à avoir des échanges normaux avec eux. Ils perdaient systématiquement leurs moyens et se confondaient sans cesse en excuses lamentables.
Seuls les anciens esclaves gardaient trop jalousement le peu d'honneur qu'il leur restait pour tenir tête. Et dans un certain sens, Morgal les en remerciait.
Rapidement, Alaxos franchit le pont-levis et s'élança dans les vastes avenues de la cité. Les hôtels particuliers et les corporations avaient vite constitué les quartiers luxueux de la ville. Des commerces ainsi que des bâtiments religieux s'ajoutaient aux autres bâtisses dans un faste très elfique. Mais le maître des lieux n'avait pas le temps de s'attarder sur les progrès architecturaux des derniers chantiers ; le roi Nahôm l'attendait aux forges et il ne devait pas tarder.
Dorgon lui avait assuré que la peau des incubes demeurait infrangible et qu'en plus de ça, sa queue serait capable de détruire les meilleures armures. À moins que Morgal ne décide de se carapaçonner avec des écailles de dragon... Mais cette solution lui empêcherait de se mouvoir assez rapidement pour échapper à la queue incandescente.
Ceci dit, il comptait bien garder la peau de l'incube en cas de victoire. Avec un cuir aussi souple et résistant, il pourrait se confectionner une armure inaltérable.
En attendant, il devait rejoindre son souverain. Son souverain... Ce terme sonnait faux pour lui. Il ne devait rien à Nahôm. Même si ce dernier s'était autoproclamé par on ne sait quelle instance roi des Réceptacles, il n'avait aucun ordre à donner au prince.
Morgal secoua la tête dans un soupir nasal : son propre père avait fait de même avec les elfes de Fëalocy.
— Quelle chose étrange que la politique, marmonna-t-il alors qu'Alaxos engloutissait les kilomètres.
Un tel voyage sans escorte allait encore provoquer le courroux de sa famille. Mais peu lui importait, personne ne devait être au courant de ses machinations. Les mystères allaient encore l'éloigner des siens et le renfermer à l'écart. Cependant, ce constat ne l'effrayait pas ; on finit toujours par reconvoquer ceux qui flirtent avec le pouvoir...
Pour l'instant, il avait un duel à livrer.
Les épais nuages qui se regroupaient à l'horizon ne présageaient rien de bon pour cette soirée d'été. Une lourdeur moite imprégnait l'air et n'améliorait en rien l'angoisse du cavalier. L'angoisse et l'excitation.
Morgal détestait affronter un ennemi dont il ignorait tout. Mais l'enthousiasme avait pris le pas sur le doute. Il traversa donc les longues plaines désertes de son nouveau territoire, un sourire narquois sur les lèvres. La rencontre avec l'Entité promettait d'être très intéressante. Et le jeune prince comptait bien profiter de son prochain exploit pour intégrer une haute place au Cercle des Réceptacles. Pourquoi ne pas devenir le bras droit de Nahôm ? Il était persuadé d'en avoir l'étoffe et même s'il ne l'avait pas, il se dit qu'une fourberie de plus suffirait à séduire le roi pour être hautement placé dans son estime.
Enfin, les montagnes du Nord se rapprochèrent. Elles signaient la frontière avec Eressë N'Dor, les terres des lumbars. Les conflits n'avaient d'ailleurs jamais cessé. De toute façon, la guerre interraciale remontait au commencement même de leur Age, des siècles plus tôt.
Les forges du Var-Nar-Bal n'avaient pas été utilisées sous la domination elfique. Falarön ne s'était pas donné la peine d'investir dans cette partie du royaume. C'est pour cela qu'il n'avait eu aucun mal à la céder à son petit frère dégénéré. La cour le repoussait encore à cause de la tare vampirique, et particulièrement Elaglar. Sans doute parce qu'il craignait la nouvelle facette de son fils, bien trop vorace en ambition.
— Falarön est décidément un très mauvais seigneur, soupira Morgal en arpentant les chemins sinueux qui le conduisaient vers les forges.
De sa hauteur, il pouvait contempler le pays qui lui avait été assigné si récemment. Les cultures commençaient à peine et les villes naissaient à leur rythme. Il faudrait encore plusieurs décennies pour que ce soit une destination prisée pour la noblesse. Morgal comptait bien faire de cet endroit le joyau de Calca, la plus belle province de la couronne fëalocen.
Il freina ses pensées ; les forges se présentaient enfin à lui.
Le prince s'attendait à une simple ouverture dans la montagne. Mais c'était une véritable forteresse qui s'élevait devant lui. À cause d'une avancée montagneuse, il n'avait pu la distinguer plus tôt et l'avait découverte qu'au dernier virage.
— « C'est ainsi que ressemble la demeure des incubes...»
La façade alambiquée reflétait bien la tortuosité de ses anciens propriétaires. Qu'était-il donc arrivé à ce peuple ? Détruit par les dieux, probablement, comme la grande majorité des Entités.
Des statues défigurées montaient la garde sur les remparts. Les gargouilles grimaçaient pour témoigner leur aversion à l'égard du voyageur. D'étranges ferronneries s'échappaient de la grille d'entrée pour courir sur la pierre noire avant de se terminer en pics acérés. Tout dans ce bâtiment, incrusté dans la montagne, montrait une vive hostilité. Après tout, les légendes ne parlaient pas des incubes comme des hôtes accueillants.
Au niveau du pont levis, des cavaliers attendaient patiemment le dernier venu. Tous étaient vêtus de longs manteaux noirs à capuche. Leur identité demeurait ainsi cachée bien que les caractères raciaux transparaissent sous l'uniforme.
Morgal s'arrêta à cinq mètres, comme s'il voulait marquer une différence entre lui et le groupe. Il reconnut sans mal Nahôm avec sa lourde cape de fourrure. Ce dernier talonna légèrement sa monture pour s'avancer vers sa recrue.
— Morgal ! Quelle joie pour nous de te voir !
Le prince plissa les yeux, n'appréciant pas que le Réceptacle s'adresse à lui de la sorte.
— Vous n'êtes pas rentrés ? lâcha-t-il avec froideur.
— Si. Le Cercle a élu domicile dans les étages supérieurs de la forteresse. Les forges sont accessibles plus bas mais nous ne nous y sommes pas encore aventurés : l'incube doit les parcourir à l'heure actuelle.
— Je vois.
— Et si jamais ce n'est pas le cas, il y aurait encore les mines à explorer. L'air doit s'y faire rare.
— Vous comptez uniquement sur moi pour le vaincre, c'est ça ?
Nahôm ricana en se lissant son bouc noir :
— Tu ne passes pas par quatre chemins, Morgal. En effet, tu l'affronteras seul. Inutile d'attaquer l'incube à dix ou vingt, il se nourrirait de ses adversaires et deviendrait encore plus puissant. Prends cet affrontement comme l'épreuve d'intégration au Cercle des Réceptacles.
Morgal commença à fulminer ; ça commençait bien ! Le roi se servait de lui. Mais soit ! Il retournerait ensuite la situation à son avantage comme il l'avait fait avec la Confrérie d'Hervan.
— Bien, accepta-t-il, je veux reprendre des forces avant l'offensives.
— Biens sûr ! s'enthousiasma Nahôm avec un sourire qui sonnait faux, suis-nous.
Tous descendirent de leur monture et passèrent le pont levis. Les chevaux furent attachés non loin de l'entrée, à l'abri de l'orage. Morgal se saisit de sa gourde et de son équipement avant de rejoindre les tables qui avaient été dressées. Quelques Réceptacles parlaient vivement.
— « Ils ont l'air de bien se connaitre...»
Djinévix manquait à l'appel mais cela ne l'étonna guère.
Les groupes se turent lorsqu'ils s'aperçurent de la présence du prince. Aucun doute que certains connaissaient sa réelle identité. L'information circulerait très rapidement parmi le Cercle mais même avant cela, Morgal pouvait déchiffrer sans mal l'animosité sur les visages.
— Ne fais pas attention à leur mépris, souffla Nahôm à l'oreille de son nouveau sujet.
— Je me moque de leur estime. Je veux simplement manger et me reposer.
— Tu es pragmatique, j'aime ça.
— Je ne vois pas d'autres elfes.
— En effet, tu es le seul. Et pas de vampires non plus.
Le prince leva les yeux ; ce ne serait pas la première fois qu'il brave l'inconnu en solitaire.
D'un pas décidé, il s'avança vers les vivres qui avaient été placées sur les tables. De lourds chandeliers avaient été allumés pour éclairer l'immense salle. Les colonnes et les murs délabrés gardaient des traces de peintures aux teintes chaudes, à moitié effacées. Une forte odeur de renfermé et de poussière assaillit les narines sensibles de l'elfe mais il décida de ne pas y prêter attention : ce serait pire aux étages inférieurs.
— Alors c'est toi notre champion ?
Morgal jeta un rapide regard vers la rouquine qui lui avait adressé la parole. Comme ce n'était pas une elfe, il décida de ne pas lui répondre ; de toute façon, la conversation promettait d'être stérile. Les iris claires de la femme ne reflétaient guère l'intelligence et la nonchalance affichée sur son visage et dans sa position lui retirait tout crédibilité aux yeux du vampire.
— Eh ! je te cause !
— Va causer ailleurs alors.
Sans se presser, elle se leva du coffre sur lequel elle était assise et s'avança lentement vers le nouveau. Au grand étonnement de ce dernier, ses jambes n'étaient pas couvertes. Une tunique courte agrémentée d'une armure légère résumait sa tenue.
— T'as une sacrée bonne gueule, le gnome, ce serait dommage qu'elle soit déformée si vite.
— Ton langage et ton vêtement traduiraient-ils ta position de trainée ?
La face de la rousse grimaça un court instant avant de redevenir inexpressif ; sa chevelure en bataille et coupée court formait un cœur autour de son visage fin. Dans un autre contexte, avec un peu plus de soin, elle aurait pu être une très belle dame.
— Je suis une nurvarse, le gobelin.
— Une nurvarse ? Aucune différence...
Le poing ganté de l'inconnue partit pour se coller dans le nez de sa cible mais Morgal n'eut aucun mal à esquiver.
— « Je ne suis là que depuis cinq minutes et tout dérape», râla-t-il.
L'esclandre avait déjà attiré l'attention des autres Réceptacles qui s'attroupaient autour d'eux, intrigués.
Peu désireux de se montrer en spectacle plus longtemps, Morgal referma sa poigne sur le bras de sa congénère et la fit basculer par-dessus son épaule avant de la plaquer violemment au sol. Elle poussa un cri muet, le souffle coupé.
—« Rien à voir avec les Égorgeurs...»
Il était dans une secte, certes, mais pas d'assassins aguerris.
— Walda ! Cesse de te faire remarquer, grogna un astre à la table voisine.
Il n'avait pas accordé le moindre regard à la dispute, trop occupé par sa chope de bière.
— Excuse-là. Elle n'en a pas l'air, mais cette petite nurvarse est une vraie tête brûlée. Sûrement la raison de ses mèches orange.
— Othakar ! s'indigna Walda en se relevant dans une grimace, tu pourrais prendre mon parti...
Elle se massa les vertèbres avant de s'effondrer avec mollesse sur le banc, les coudes appuyés sur la table.
— Ce « gnome » est le prince Morgal, le seigneur des terres que nous foulons. Tu lui dois un minimum de respect.
— Mmh... qu'il aille se faire foutre...
Elle s'arrêta brusquement lorsque des doigts se refermèrent douloureusement sur ses cheveux :
— Ton ami a raison, sourit l'elfe, ne m'adresse plus la parole et tout se passera bien entre nous.
Othakar soupira. Heureusement, les autres Réceptacles s'éloignèrent en murmurant et le laissèrent finir son repas tranquillement.
— Je t'en prie, Morgal, assieds-toi avec nous, incita-t-il le regard rivé sur son assiette.
Le prince fronça les sourcils à cette invitation et détailla l'astre qui mangeait. Sans doute un soldat haut gradé... Sa carrure et son visage marqué par les voyages reflétaient une assurance et un charisme certain. Ses traits fins étaient interrompus par des cicatrices ici et là. Des cheveux de jais, coupés aux épaules, dégageaient un regard fier et une mâchoire bien dessinée. Quelques mèches retombaient sur son large front apaisé.
L'elfe hocha simplement la tête et s'assit malgré les regards dédaigneux de la nurvarse.
— Vous êtes dans l'armée, Othakar ?
— Oui, vous avez deviné. En dehors de mon rôle de Réceptacle, j'administre un haut poste dans l'armée d'Arminassë.
— Vous êtes un sujet de la Reine Vierge ? Mon peuple a quelques déboires avec elle, ces derniers temps.
— Oui... Je me suis probablement battu contre vous pendant cette guerre. Bien que nos renseignements ne vous aient jamais vu sur le terrain.
— En effet, je ne participe pas aux campagnes. Je suis encore jeune pour ça...
Othakar sourit :
— Je doute que vous chômiez avec l'incube dans les forges de la forteresse.
— Vous avez détecté sa présence ?
— Oui. Une Réceptacle qui travaillait au palais de Nilcalar connait son aura si particulière.
— « Une » ?
— Une astre ; il y avait des femmes à Atalantë. Mais réduites en esclavage.
Morgal jeta un œil par-dessus son épaule pour suivre le regard d'Othakar. La Réceptacle se tenait adossée à une colonne, une part de tourte dans la main. Contrairement à son homologue, elle ne transpirait pas l'assurance, loin de là. Elle semblait plutôt très introvertie, faible et apeurée.
— Elle s'appelle Hytsë. Comme tu peux le voir, la servitude ne lui a pas réussi...
Walda grogna :
— Elle est inintéressante...
L'elfe balaya la pièce pour observer les occupants. Certains d'entre eux semblaient aguerris mais d'autres moins. Après tout, n'importe qui pouvait naitre avec une seconde nature de Réceptacle.
Son champ de vision fut brusquement obstrué par une présence trépidante :
— Ah ! Le nouveau Réceptacle ! Et un elfe, en plus voilà qui n'est pas commun ! C'est toi qui vas affronter l'Entité ?
Les oreilles de Morgal se plaquèrent contre son crâne devant le bruit qui s'échappait de l'énergumène. Il s'agissait d'un cathors avec ses oreilles et sa queue de félin. Déjà lassé par les gesticulations intempestives, le prince lui envoya un sort qui l'endormit sur le champ.
— Je te présente Alanesse, soupira Othakar, c'est un imbécile mais il n'est pas méchant.
— Il me pompe déjà l'air, c'est la cour des miracles, ici !
L'astre s'essuya la bouche avec distinction et rectifia :
— Disons que nous n'avons pas choisi nos coéquipiers. Il faut faire avec.
— Ça promet...
Le prince se reconcentra sur sa part de tourte. Mieux valait manger et se reposer avant l'affrontement. Mais parallèlement, il était déjà impatient de quitter les lieux. Seul Nahôm et Othakar lui semblaient digne d'intérêt pour l'instant.
Une fois le ventre rempli, il se leva en quête d'un coin pour somnoler. On le devança :
— Seigneur Morgal, si vous voulez me suivre...
Hytsë s'inclinait devant lui, les mains accrochées aux pans de sa tunique. Elle n'osait lever les yeux vers le prince, probablement trop intimidée.
— Bien. Hum... Je te suis.
Elle haussa nerveusement la tête et le conduisit à l'écart. Des couchettes avaient été étalées avec des couvertures. Morgal avala quelques gorgées de sang, rangea précieusement sa gourde et s'allongea sans mot dire.
— Seigneur Morgal...
— Quoi ? grogna-t-il alors que ses paupières s'affaissaient déjà.
— Je voulais... Je voulais vous remercier.
Elle avait enchainé les mots le plus vite possible.
— Mmh ? Pourquoi ? Pour avoir ébloui ta journée de ma beauté ?
Hytsë secoua la tête, les joues cramoisies de gêne.
— Vous... Vous avez changé ma vie... En détruisant le gouvernement de Narraca.
Morgal papillonna des paupières, lassé par la timidité maladive de l'astre.
— Tu veux me rendre un service ? Laisse-moi dormir !
— Oui... oui !
Sur ce, elle s'éclipsa maladroitement, laissant le prince à un sommeil réparateur. L'heure du combat approchait.
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