Chapitre 13

Elaglar ne s'était pas trompé. Si la carapace du dôme disparaissait dans une transparence diffuse, le sortilège restait bien présent, empêchant aux astres de se décomposer.

Le palais était sinistré, seul le donjon central demeurait imprenable. Mais entre les murs royaux, les cris d'agonie emplissaient les couloirs et les salles. L'eau des bassins se noircissaient et le feu mangeait les tentures et les voiles pour enfin lécher la pierre de ses langues voraces.

Dans la cité, les armées ne savaient que faire. Les portes du palais leur étaient inaccessibles. Se rendre ? Les elfes de Calca ne les épargneraient pas, au contraire, ils subiraient des tortures abominables. D'un côté comme d'un autre, ils étaient condamnés, pris en étau, impuissants face à la tourmente qu'enduraient leurs frères dans la demeure royale.

Aussi décidèrent-ils de tenter le tout pour le tout. Ils levèrent les grilles et abaissèrent le pont levis pour faire passer la cavalerie en dehors des murs. Il n'était pas question que les elfes s'en sortent à si bon compte. Surpris par cette charge soudaine, les armées de Calca accusèrent violemment le coup et reçurent en plus les tires de l'artillerie lourde astrale. Dans tout ce chaos, les dragons furent lâchés, leurs dresseurs leur ordonnant de détruire les puissantes machines de guerre.

Ce fut un réel cataclysme, un désordre innommable où chaque race exprimait sa haine pour l'autre.

À la chaleur accablante de la journée s'ajoutèrent les sorts incandescents et la sueur du combat. Tout n'était plus que cris et égorgements. L'écho de cette boucherie parvenait aussi loin dans les contrées plus reculées d'Atalantë.





Le palais n'était plus qu'une plaie béante. L'architecture resplendissante orientale sombrait dans les ruines. Des nuages de cendres et de poussières attaquaient les poumons des résidents qui cherchaient désespérément une cachette. Mais la sentence finissait toujours par s'abattre comme le couperet d'une guillotine.

Et le tour de Ninkë n'allait pas tarder. Ficelé derrière les restes d'une statue équestre, il n'osait lever les yeux vers la scène qui se déroulait autour de lui. L'écho de toute cette boucherie lui suffisait.

Bien entendu, étant le favori du roi, les elfes lui réservaient un sort bien différent. Face au renversement brutal de la situation, l'intendant ne pouvait s'empêcher d'imaginer les tortures qui l'attendaient ; s'il détournait le regard, il tomberait irrémédiablement sur ses congénères que les esclaves clouaient sur des murs ou des chevalets de fortune pour ensuite les éviscérer. Déjà, une horrible odeur ferreuse et de chair brûlée emplissait ses narines à vif alors que des larmes salées traçaient un chemin sur ses joues encrassées. Il força sur ses liens mais rien n'y fit ; garrotée comme il était, il était impossible pour lui de se mouvoir et échapper à son triste destin.

Les cris lui devenaient insupportables, ils emplissaient ses oreilles dans un cauchemar inarrêtable.

On s'approcha de lui ; il reconnut immédiatement le pantalon jaunâtre du Tigre.

— Ninkë, susurra-t-il, tu n'accordes donc aucun regard à tes compagnons ?

— Allez au diable...

L'elfe lui saisit la mâchoire pour le percer de ses yeux dorés. L'incendie entier du palais semblait s'y refléter.

— Je dois admettre que tu avais raison sur toute la ligne, gloussa-t-il, tu savais ce qu'il se produirait.

— Comment avez-vous échappé à la marque ?

Cette question s'échappa de ses lèvres sèches. Lui comme les autres astres ne comprenaient pas comment une telle chose avait pu se produire.

— Comment ? Mais voyons, Ninkë. Les deux généraux ont tout simplement été liquidés.

— C'est impossible... Personne ne savait...

L'elfe le coupa :

— Moi j'étais au courant ! Et j'en ai fait part au prince Morgal. Tu te rappelles de lui, n'est-ce pas ? J'imagine qu'il a fait en sorte de se débarrasser de ces deux encombrants obstacles.

— Vous êtes fous... Notre armée ne va pas tarder à vous détruire.

— Les armées ne peuvent entrer dans le palais ; toi et tes congénères allez mourir là.

— Le roi vous en empêchera...

L'intendant tentait de tenir tête à son interlocuteur mais sa volonté faiblissait de secondes en secondes. Il n'était plus face à un individu mais à un animal affamé de vengeance.

— Nilcalar ? Tu veux que je te dise dans quel état je l'ai laissé ?

L'astre baissa la tête.

— Ou peut-être préfères-tu que je te dise comment nous nous sommes occupés du Grand-Prêtre ?

— Taisez-vous...

L'elfe semblait se délecter du désespoir de son ennemi. Son sourire se tordait toujours dans un rictus moqueur :

— Draël lui a passé une barre de fer en travers du corps et l'a renversé au-dessus du feu pour le faire cuir comme le gros porc qu'il est. Sa graisse répugnante doit être en train de fondre, à l'heure qu'il est...

— Vous donnez envie de vomir...

— Polcamitraï peut-être. Mais nous nous sommes simplement contentés de le renvoyer à ce qu'il est réellement, haha. Comme tes petits amis qui se trouvent autour de toi, regarde !

Il referma sa poigne et lui força de scruter le sort des soldats qui agonisaient dans le hall.

— Nous les démembrons comme des insectes et empalons le reste de leur corps.

— Pitié...

Dorgon ricana une nouvelle fois, sans lâcher l'intendant :

— Et où était-elle la pitié lorsque je suis arrivé ici, en n'étant qu'un gosse, hein ? Vous et votre société décadente m'avez rendu comme je suis à présent.

Ses griffes d'argent s'enfoncèrent davantage dans les joues de son interlocuteurs, provoquant des rigoles rouges. Comme si tous ses souvenirs ressurgissaient d'un coup, le visage de l'elfe se crispa de rage :

— Vous m'avez utilisé comme un bout de viande. Et maintenant, c'est tout le palais qui ressemble à un abattoir. Tu sais Ninkë, j'ai eu des siècles pour réfléchir à comment je voulais te tuer. La mort de mes maîtres est la seule chose qui m'a fait tenir ; je ressassais dans ma tête cet instant et enfin il se présente à moi.

L'astre était terrifié ; il savait que son heure était venue. Jamais il n'aurait imaginé que tout se finirait ainsi, dans un tel carnage. Les esclaves étaient tout bonnement devenus des monstres qui se délectaient de la souffrance de leurs anciens oppresseurs. Cela ressemblait tout bonnement à un festin macabre où hurlements et rires malsains se mêlaient dans des effusions de sang.




Morgal avait évité sans mal les affrontements, toujours à se déplacement sur les toits avec aisance. La cité sombrait dans le chaos le plus total ; toutes les armées se déversaient à l'extérieur pour charger les forces elfiques. Les imposantes catapultes et arbalétrières envoyaient leurs tirs sur les dragons afin de les repousser.

Le prince se détourna de ce spectacle ; il était déjà au pied du palais. Sans hésitation, il escalada les murs, cherchant une meurtrière assez large pour s'y faufiler. C'était ainsi qu'il était parvenu à pénétrer dans le château, une année plus tôt. Si ses calculs étaient bons, il déboucherait dans les harems.

Une fois parvenu, il ne s'étonna guère de trouver les lieux déserts. Cependant, les échos des massacres lui parvenait au loin.

De temps à autres, des esclaves humains se cachaient derrière des meubles, apeurés. Les elfes n'y avaient pas prêté attention, trop occupés à combattre les astres. Mais déjà, les dalles claires se maculaient de sang. Des morceaux de chairs informes parsemaient les couloirs alors que des flammes tenaces rendaient la respiration compliquée. Au moins se chargeaient-elle de brûler les restes infects des cadavres mais les effluves en étaient insupportables.

Morgal sourit ; il reconnaissait à peine le palais qu'il avait visité il y a quelques mois. Il ne manquait plus que les murs s'effondrent et le tour serait joué... Qu'il ne reste plus une pierre sur une autre...

À mesure qu'il avançait, il croisait de plus en plus d'elfes, penchés au-dessus de leurs pauvres victimes. Les hurlements stridents et rauques continuaient à remplir ses oreilles effilées. Les esclaves ne lui montraient guère d'attention, ils préféraient torturer, s'amuser avec la souffrance des résidents.

Le prince espéra intérieurement qu'il n'en arriverait pas à ce stade, un jour. La misère avait rendu tous ces hommes complètement aliénés.

Lorsqu'il parvint sous l'immense coupole de verre brisée, le combat était fini depuis un long moment déjà. Les corps décharnés pendaient des balcons et des éclairages. Une fumée rougeâtre se propageait sur les lieux, telle imprégnée du sang qui recouvraient le sol et les murs.

— Continuez à écharper ces astres, sourit Morgal, il reste un roi à tuer.

Il imaginait sans mal que le roi et le reste de sa cour avait fui dans le donjon central, probablement dans la salle du trône. C'était le seul lieu encore barricadé. Et c'est vrai que le vampire ne pouvait forcer les portes ou même grimper la façade trop lisse. Seules les rosaces du haut étaient accessibles. Mais comment s'y rendre ?

Il jeta un rapide regard vers le lustre imposant qui pendait toujours au-dessus de l'épicentre du hall. Deux imposantes chaines le raccrochaient à une imposante poulie, située juste au-dessous de la coupole. Les liens de fers étaient ensuite tendus strictement jusqu'à deux attaches opposées dans les murs.

Morgal gloussa de satisfaction ; il venait de trouver un moyen de parvenir sur les toits de la coupole. Les vitres avaient déjà été brisées, il ne restait plus que le cadre de laiton qui les avait supportées avant qu'elles ne soient brisées par le sort de Dorgon. Une fois à son nouveau poste, le prince n'aurait guère de mal de rejoindre le donjon. Il lui manquait seulement un grapin et une corde...

Ce ne fut guère compliqué de trouver cette dernière. Quant au grapin, il récupéra tout bonnement un gros croc de boucher qui se trouvait dans le ventre d'un malheureux et il l'accrocha à sa ceinture.

Puis, se tournant vers la première attache, il se concentra un instant pour faire fondre les lourds anneaux métalliques. Lorsqu'ils cédèrent, le poids entier du lustre se polarisa sur la seconde attache que Morgal rejoignit sans plus prêter attention aux massacres qui emplissaient l'espace.

Le sang titillait ses narines sensibles mais il ne devait pas y penser, pas pour l'instant. Il ravala sa salive et posa les mains sur le fer pour le faire céder. De sa hauteur, l'énorme lanterne commença à tanguer. Dans un sourire victorieux, le prince fondit le dernier anneau récalcitrant mais il ne lâcha pas pour autant le reste du lien.

Un grésillement strident annonça la chute du lustre ; avec une vitesse folle, il se rapprocha du sol. Dans un mouvement inverse, Morgal décolla subitement et gagna la poulie en l'espace d'un battement de cils.

Le lustre s'écrasa sur les dalles dans une nuée de cristal. Emporté par son élan, l'elfe eut juste le temps de se retenir au cadre du plafond avant que les chaines coulissent à leur tour par l'anneau de poulie et s'effondrent à leur tour.

Une traction plus tard, il se tenait sur le toit de la verrière, les bras engourdis par un tel exercice. Ses os avaient tenu le choc mais les élancements risquaient fort de le gêner pour la tâche suivante. Devant lui se dressait le donjon dans toute son imposante architecture.

Une vingtaine de mètres séparait le jeune prince des rosaces.

Ses yeux se plissaient pour mieux visualiser les créneaux qui les surplombaient. Il devait y accrocher son grapin et se lâcher dans le vide avant de rejoindre la façade du donjon. Ensuite, il n'aurait qu'à remonter vers la rosace pour la briser.

Son plan s'arrêtait ensuite.

Il n'avait aucune visibilité de la salle du trône. Le roi était sûrement entouré de ses meilleurs hommes et d'archers aguerris.

Peu lui importait, il n'arrivait plus à reculer. Déjà, la magie coulait dans ses veines comme un torrent de lave. Elle avait besoin de sortir, de tout dévaster.

Ses iris bleues se rougirent d'un coup. Sa nature de Réceptacle prenait le dessus. Morgal avait du mal à maîtriser les pouvoirs de sa seconde nature. Mais il ne se doutait pas un seul instant qu'ils seraient encore plus puissants.

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