Chapitre 11
Subrepticement, Morgal enfila la tenue adéquate pour passer le mieux inaperçu. Vêtu entièrement de noir, le bas du visage caché et la capuche rabattue jusqu'à ses yeux, il sortit lestement de sa tente, son manteau princier sur le dos. Personne ne fit vraiment attention à sa présence : le prince n'avait pas d'hommes sous ses ordres, donc pas susceptible d'aller rejoindre une quelconque troupe.
Une fois à l'extrémité du campement, il se défit de son manteau et s'élança dans les champs désertés. Ses pas soulevaient à peine la poussière et aucun son ne s'échappait de sa course. Il gagna sans mal les alentours de la cité, pourvus de ruelles insalubres. Il leva la tête vers les remparts. Impossible de les abattre ou les franchir. Mais par les égouts, cela renversait largement la donne.
Il rejoignit une évacuation en faisant attention de ne pas se faire remarquer par les résidents ou les elfes qui installaient les machines de siège. Au matin, des milliers de lances seraient prêtes à accueillir les sorties astrales.
Sans plus s'en préoccuper, Morgal força la grille et s'enfonça dans le boyau malodorant. Il s'avança silencieusement, conscient que des gardes l'attendraient à l'extrémité. Nilcalar n'était pas fou : il savait que le vampire avait utilisé cette voie avec la confrérie d'Hervan. Mais qu'un seul elfe emprunte le conduit, cela relevait de l'improbabilité la plus complète.
Pendant de longues minutes, le prince longea le mur, prenant garde de ne pas glisser dans le canal répugnant qui charriait toutes sortes d'immondices ; pas question de mouiller ses bottes, cela le trahirait une fois à l'intérieur des murs.
L'air ne tarda pas à se rarifier mais il ne ralentit pas pour autant. Sa vue acérée le guidait toujours plus loin vers l'intérieur de la cité.
Une fois à la surface, il devrait indéniablement se diriger vers les appartements des généraux. Ils résidaient sans aucun doute à la caserne, dans les meilleures chambres. Au palais, la proximité avec les elfes eut été trop risquée.
À sa grande surprise, Morgal ne trouva aucun garde à la sortie des égouts. Plus exactement, une patrouille montait la faction à quelques mètres mais le vampire n'eut aucun mal à s'extraire et à gagner la cachette adéquate. Il n'était plus qu'une ombre qui se faufilait sur les murs de la cité. Derrière lui, la muraille le séparait désormais des armées elfiques.
Instinctivement, son visage se leva vers la masse sombre monstrueuse qui s'élevait sur sa droite : l'arène d'Atalantë.
Un sourire s'esquissa sous son bâillon.
— Une petite pensée à toi, Duncan, tu ne me manques pas du tout !
Le chef des Égorgeurs y avait trouvé une bien triste fin.
Morgal inspira longuement et allongea ses enjambées vers les casernes, prenant garde de ne pas croiser le moindre astre. Avec la situation, les quartiers étaient sans dessus dessous et les garnisons traversaient les avenues en permanence.
D'un bond, l'elfe sauta sur les toits et continua sa course. Il avait l'impression de se trouver un an en arrière, lorsqu'il coursait le Tigre. Dorgon était-il encore vivant ? Il n'aurait su le dire. Dans tous les cas, l'esclave semblait totalement détruit, écrasé par les abominations qu'il avait vécues.
Jenny l'avait bien certifié : le désespoir des Tigres est à la hauteur que leur dextérité. Le jeune prince se retrouvait dans cette phrase. Où était son amie à présent ? Il imagina sa réaction lorsqu'elle apprendrait la chute d'Atalantë, sa seule maison qu'elle avait rejetée.
D'une certaine manière, la vampire était l'héritière de ce royaume. Mais qu'en resterait-il ? De toutes façons, elle avait renié ses origines, elle, la fille de la reine Loumi, défunte épouse de Nilcalar.
Morgal s'était perdu dans ses pensées si bien qu'il arriva plus tôt que prévu aux casernes.
Bien sûr, de vives lumières apparaissaient par les fenêtres ogivées. Ce ne serait pas facile de s'introduire et d'éliminer les deux généraux. Mais l'elfe se rappelait bien de leurs visages. Il les trouverait et leur trancherait la gorge pour libérer les esclaves dans la cité.
Tout ne deviendrait ensuite plus que chaos et désolation.
Nilcalar était revenu des pourparlers avec la ferme conviction que les armées ennemies se casseraient le nez contre ses murailles. Avec des machines de guerre comme les siennes aucun dragon ne pourrait survoler la cité. Dès demain, il enverrait dix têtes aux rois de Calca, pour leur montrer qu'il était fidèle à ses promesses. Il espérait juste qu'il n'aurait pas à sacrifier ses meilleurs esclaves.
Pendant de longues heures, il s'entretint sur le déroulement de la stratégie afin de tenir au mieux le siège. Les ressources étaient suffisantes, en réalité. Le plus dur serait de tenir ses troupes.
Mais quoiqu'il en soit, il naissait en lui l'envie d'anéantir les armées elfiques ; quelle humiliation ce serait pour Calca ! Et Arminassë comme Lombal se précipiteraient vers lui pour signer les alliances qui l'avantageraient.
Oui, cela lui paraissait fort agréable et alléchant comme futur. Lorsqu'il parvint à ses appartements, enfin seul, les couleurs rosâtres de l'aube estompaient déjà la palette nocturne.
Comme à son habitude, Dorgon l'attendait en train de manger. L'elfe semblait totalement déconnecté de la guerre qui sévissait dehors ; il n'en avait que faire, plus occupé par ses tomates cerises et ses groseilles.
— Ninkë a raison, soupira le roi, tu es vraiment aux confins de la folie.
Les oreilles du Tigre se redressèrent et il se tourna vers son maître en souriant. Ses membres, à moitiés vêtus, portaient toujours les horribles traces des tortures. Ces cicatrices ne partiraient jamais même avec la plus haute magie. Elles avaient été infligées par une Entité du Passé qui résidait dans les souterrains du palais.
— Vous avez besoin de moi, Majesté ?
Nilcalar s'approcha de son esclave et défit son chignon brusquement. L'elfe ne bougea pas d'un pouce lorsque la main se referma sur sa chevelure. Il aperçut par les mèches qui tombaient devant ses yeux que sa chevelure blanchissait par un sort, jusqu'à devenir comme neige.
— Tu viens de Fëalocy, Dorgon, n'est-ce pas ? demanda l'astre sans le lâcher.
— C'est exact.
— Tous les elfes qui y vivent se ressemblent, je trouve. Maintenant que tes cheveux sont blancs, j'aurais presque l'impression de baiser ton roi.
Cette fois-ci, il le tira brutalement en arrière et le traina jusqu'à son lit. Dorgon n'opposa aucune résistance, comme à chaque fois. Nilcalar déchira les vêtements légers de son esclave avant de resserrer sa poigne sur sa nuque. Il aurait presque préféré qu'il se débatte, histoire que l'étreinte soit à l'image du conflit qui sévissait hors de ses murs.
Aussi décida-t-il de blesser l'elfe en entaillant sa peau de sa dague. Il continua toujours plus profond jusqu'à ce que sa victime gémisse de douleur. Voilà qui devenait déjà plus excitant. Dorgon serrait les dents pour n'en rien laisser paraitre mais il ne parvenait à calmer la souffrance qui montait en flèche à mesure que la lame déchirait sa chair. Il commença à vouloir se soustraire de la poigne de son maître mais sans succès ; des rigoles rouges tachaient déjà le drap alors que ses griffes d'argent perçaient les paumes de ses mains dans un serrement incontrôlé.
Lorsque l'astre jugea qu'il s'était suffisamment amusé de l'état de son partenaire, il décida de le soumettre à ses désirs. D'un geste brusque, il tira son bassin à lui et se prépara à accomplir son dessein.
La poitrine de l'elfe continuait à se lever et s'abaisser à un rythme inquiétant, le sang s'écoulait toujours des plaies ouvertes et son regard se voilait davantage.
— Tu vois, Elaglar c'est là qu'est ta place, à te faire enculer par des astres.
Dorgon se mordit la lèvre lorsqu'il se sentit dominer. Il posa son front contre son bras alors que les secousses augmentaient la douleur, tâchant de retenir le moindre cri qui l'humilierait davantage. L'astre continua un moment ses va-et-vient et puis cessa de se retenir dans un râle fort désagréable aux oreilles de son partenaire.
Dès que Nilcalar se fut retiré, Dorgon s'écarta de lui et se traina jusqu'au cabinet de toilette pour se soigner.
Après tout, c'était presque devenu une habitude, mais on ne se faisait pas à toutes les douleurs.
Il jeta un rapide regard vers son maître : il avait espéré que celui-ci s'endormirait mais peut-être que ses projets de guerre avaient réaccaparé son esprit et l'empêchait de sombrer dans un profond sommeil.
Les plaies ne tardèrent pas à se refermer sous l'effet de la magie qu'on laissait aux esclaves. Dorgon put enfin respirer normalement même si des élancements continuaient dans ses flancs. Il se lava rapidement et se posa devant le miroir pour se remaquiller ; une sorte de rituel s'était imposé avec le temps, après tout. Un fois fait, il réajusta ses bijoux. Mais lorsqu'il voulut passer son bracelet, un détail l'arrêta brusquement : la marque, sur son poignet gauche, disparaissait au fur et à mesure. Bientôt, il n'en resta rien. L'elfe se retint de respirer. Une étrange chaleur se propagea en lui, signe que son Vala lui revenait entièrement. Il n'était plus sous la domination des astres. Son cœur accéléra lorsqu'il fit apparaitre une flamme rougeoyante entre ses doigts. C'était extraordinaire. Un sourire béat flotta sur son visage alors qu'il réajustait mécaniquement sa ceinture d'où pendaient deux poignards.
Il sortit du cabinet de toilette ; Nilcalar était toujours dans le lit à relire certains parchemins. Le roi ne faisait tout simplement pas attention à lui, maintenant qu'il avait pris son pied.
D'un geste naturel, Dorgon fit glisser une étrange arabesque sur le mur. Elle s'insinua dans la porte, continua sur le mur d'en face et encercla la fenêtre avant de rejoindre finalement son point de départ.
— Majesté ! Il est l'heure de se lever ! lança-t-il avec une voix chantante.
Bien sûr, le souverain ne leva pas les yeux de ses écrits.
Frustré, le Tigre le rejoignit et lui arracha ce qu'il tenait d'un geste sec. Avant que Nilcalar n'ait pu riposter, il brûlait déjà le papier entre ses mains, non sans accorder un sourire dément à son oppresseur.
— Dorgon, comment...
— Tiens, tu m'écoutes, maintenant, c'est amusant.
Le roi recula brusquement sur sa couche, légèrement paniqué par l'état si peu habituel de son esclave.
D'un mouvement lent, Dorgon dégaina ses deux armes et s'avança vers son ennemi, grimpant à son tour sur le matelas.
— Gardes ! cria le souverain.
— Non, non, gloussa l'elfe, pas la peine de les appeler, j'ai isolé tes appartements par un sort. Personne ne t'entendra crier et personne ne pourra ouvrir les portes.
Les yeux de l'astres s'écarquillèrent lorsqu'il comprit enfin de quoi il en retournait réellement ; la marque ne fonctionnait plus. Il était actuellement face à un Ilfégirin sans la moindre défense possible que sa magie.
— Ton Vala t'est inutile dans le cercle runique que j'ai créé, ajouta l'esclave, tu vas simplement crever comme tous tes sympathiques amis qui prenaient plaisir à nous salir.
— Dorgon, tu ne vas pas...
— Quoi ? Te torturer avant de te tuer ? Bien sûr que je vais le faire !
Nilcalar sortit de son lit pour se précipiter vers la porte. Mais comme il le redoutait, elle était bel et bien verrouillée par un sort puissant. Une brûlure lancinante lui traversa brusquement le dos et il s'écroula sur le tapis.
Toute la folie du monde semblait s'être incarnée sur le visage du Tigre ; enfin, la fomentation de tant de vengeances prenaient fin dans la plus sombre barbarie.
— Je vais te faire sentir chaque viol que tu m'as fait subir, sale fils de pute, cracha-t-il, tu pourras me supplier comme tu voudras, mais cette fois-ci c'est moi qui décide entre nous.
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