Chapitre 10

Le débarquement et la rentrée dans les terres avaient été fulgurants. En moins de quelques heures, les villes et les villages ayant un quelconque statut stratégique avaient brûlé sous le feu des dragons. Ça avait été si rapide qu'aucune défense ne s'était organisée à temps à moins d'une vingtaine de lieues de la côte.

Désormais, les armées marchaient vers la capitale sans faire la moindre halte. C'était bien là une des forces de la race elfique ; leur endurance.

Les dragons aidaient aussi à inspirer la crainte mais dans les plus grandes cités, de puissantes machines militaires leur empêcheraient de trop approcher des murailles.

Le but d'Elaglar et du roi Vilnius étaient de faire une attaque éclair, mettre à bas la capitale, et revenir en Calca avec le reste de leur peuple esclavagisé. Occuper le territoire ne les intéressait nullement. Mais il fallait faire savoir aux astres leur erreur.

— Que se passera-t-il si Lombal et Arminassë se joignent à Atalantë ? demanda Macar en déroulant les plans de guerre.

Une tente venait d'être dressée pour l'état-major, le temps d'une courte pause. Les deux souverains étaient assis sur leur fauteuil et observaient les cartes.

— Ils n'interviendront pas, assura Morgal, lors de ma visite chez Nilcalar, ce dernier certifiait qu'il avait essuyé un refus auprès de la Reine Vierge. Les documents de mon ancien Haut-Maîtres soulignent que la reine Wendu s'est aussi rétractée lorsqu'il s'agissait d'alliance.

— C'était il y a plus d'un an, objecta le roi Vilnius.

— En effet. Mais pourquoi auraient-ils changer d'avis entre-temps ?

Elaglar hocha la tête, faisant luire le reflet de sa pâle couronne :

— Bien, nous assiégerons donc les murs d'Atalantë. Peut-être seront-ils disposés à engager des pourparlers ?

— Probablement, leur défense est bonne mais leur armée laisse à désirer.

— Alors organisons ceci.




Comme si son cauchemar le plus noir se réalisait, l'intendant voyait les colonnes hostiles se rapprocher toujours plus des murs. Leurs propres soldats s'étaient retranchés dans la cité pour mieux la protéger, exposant les populations humaines à la merci des envahisseurs. Heureusement pour elles, les elfes ne prêtaient aucune attention aux résidents, plus occupés à cerner l'intérieur de la ville.

— Alors ? Je n'avais pas raison de m'inquiéter ? lança-t-il plein de rancune à son souverain.

— Aucune, mon cher Ninkë ! assura Nilcalar avec son flegme habituel, nous avons eu le temps de mettre en place toutes notre artillerie lourde et nos machines de guerre ! De plus je vous rappelle que nous avons des otages ! La Fëalocy et l'Elendor sont venus exprès pour eux, ils ne les laisseront pas crever.

— Qu'est-ce que vous en savez ? grommela-t-il en appuyant ses coudes sur la rambarde du balcon.

— J'ai reçu une missive : nous allons échanger, les deux rois et moi.

— Ne vous faites pas assassiner pendant cet entretien.

— Aucune chance, les elfes ne transgressent jamais ce genre de principes.

Ninkë leva les yeux. Puissent les Esprits leur être favorables en ces temps troublés.




Les deux camps se faisaient face, au pied même de la cité, juste devant les portes titanesques qui refusaient jalousement son entrée.

Nilcalar était accompagné de ses meilleurs soldats d'élite, comme pour renforcer son assurance. Bien sûr, ses tigres avaient été laissés en retraites et les deux grands généraux détenteurs de la marque aussi. L'état-major astral se joignait à lui pour en imposer davantage.

De leur côté. Les elfes n'hésitaient pas à montrer des signes agressifs par leurs armes nombreuses, prêtes à être dégainées. Le roi Vilnius restait d'une rigueur inchangée alors que sa lourde couronne enserrait son front chauve.

Quant au Roi en Blanc, il ne laissait clairement pas Nilcalar indifférent. Sa longue cape immaculée rappelait ses cheveux lisses et l'éclat de son pourpoint luxueux. Ses iris presque translucides ne lâchaient pas le roi astre, comme si elles voulaient lui témoigner toute la haine du peuple elfe.

Quelques fils d'Elaglar se tenaient présent dont Morgal, sa capuche noire rabattue sur la tête.

— Heureux que vous ayez accepté nos pourparlers, commença Vilnius dans air qui se voulait cordial.

— Je pense, assura son adversaire politique en se lissant la barbe, que c'était en effet indispensable. À vrai dire, votre présence ici nous est encore peu compréhensible.

— Vous vous demandez pourquoi nous intervenons sur vos terres ? grinça Elaglar, peut-être à cause du sort subissent nos sujets dans vos murs ?

Nilcalar haussa faussement les sourcils et répondit insolemment :

— Vous parlez des elfes esclavagisés ? Qui vous dit qu'ils n'ont pas décidé eux-mêmes de rejoindre ma capitale pour exprimer leur homosexualité ? C'est bien interdit en Calca, non ?

Les sourcils d'Elaglar s'arquèrent davantage :

— Je doute qu'ils y soient allés de leur plein gré. C'est bien ce que nous a prouvé les contrats que vous avez passés avec les Berserks.

— Mmh... Soit, tous les esclaves entre nos murs ne sont pas tous consentants, haha. Mais ils constituent un formidable bouquet d'otages, vous ne croyez pas ? À chaque jour que vous passerez aux pieds de nos murs, nous vous enverrons la tête de dix elfes, cela peut vous dissuader, non ?

La patience commençait à fondre comme neige au soleil chez les elfes. Nilcalar avait un pouvoir incroyable de crisper son auditoire et le rendre fou.

— Non.

Les têtes se tournèrent vers Morgal.

— Non, continua-t-il simplement, cela ne nous dissuadera pas. Nous sommes peut-être là pour sauver nos frères de race mais aussi pour les venger. Si nous ne pouvons les ramener vivants en Calca alors soit. Mais nous les vengerons et nous vous ferons regretter le meurtre de nos semblables.

L'astre plissa les yeux, ne sachant si le prince bluffait ou était parfaitement sérieux. Dans tous les cas, il semblait en effet difficile que les elfes repartent aussi vite qu'ils étaient partis.

Aussi Nilcalar tenta-t-il une autre option, celle de semer la zizanie dans le camp opposé :

— Prince Morgal ! Vous nous aviez manqué !

Son interlocuteur grimaça sans réagir.

— Oui, vous nous aviez manqué, continua le roi, et dire que la dernière fois que je vous ai vu, c'était dans mon lit !

Un lourd silence s'abattit d'un coup sur les deux groupes qui se faisaient face. On entendait les mouches siffler et l'écho des armes. Les astres se regardèrent entre eux en pinçant les lèvres alors que les elfes ne bronchèrent pas. Seul le roi Vilnius écarquilla les yeux le temps d'une seconde mais Elaglar demeura imperturbable.

— Je ne suis pas certain que cet argument nous fasse déguerpir, lâcha Morgal sans se démonter pour autant, si vous y tenez tant que ça, libérez vos esclaves.

— Ah oui ? Et mon artillerie, elle sert à décorer mes remparts, peut-être ? Non, mes mignons, soit vous déguerpissez, soit vous aurez le sang de vos semblables sur les mains. Vous ne mettrez jamais à bas ma cité, elle n'est jamais tombée !

Il pouffa de rire avant d'ajouter :

— Et puis, quel est le mal à avoir des esclaves, vous en avez bien, vous, non ?

— La différence est que ces peuples esclavagisés n'ont pas d'armées de dragons, cracha Elaglar alors que son regard se faisait bien plus reptilien.

— Eh bien, laissez donc vos dragons incendier mes murs ; nous avons les arbalètes suffisantes pour les mettre hors état de nuire.

Vilnius se mordit la joue ; on ne pouvait pas affirmer que ces pourparlers se soldaient par un franc succès. Chacun était resté sur ses positions, faisant étalage de sa puissance.

Pourtant, il fallait prendre une décision.

Avec son caractère de chef, le roi de Fëalocy n'hésita pas un instant :

— Bien ! Nous assiégerons la capitale jusqu'à ce que vos murailles s'effondrent.

Le souverain d'Elendor acquiesça tout autant. Déjà, les flammes de la vengeance consumaient le sang des guerriers elfes, en soif de réparation.

— Faîtes comme bon vous semble. Atalantë peut tenir des années en état de siège. J'espère que vos soldats sont patients.

— Ils n'auront pas à l'être, siffla Elaglar.

Sur ces mots de conclusion, les deux races regagnèrent leur retraite.

Les armées avaient déjà levé le camp non loin de la cité. L'état-major se réunit une fois de plus sous une tente pour délibérer sur la marche à suivre.

— Mes hommes assureront le ravitaillement, commença un sergent d'Elendor, nous devons manquer de rien.

— Mes dragonniers sont prêts, ajouta Macar, ils n'attendent que les ordres.

— Bien ! déclara Elaglar, nous allons envoyer nos fantassins et nos machines autour de la muraille. Il faut les affaiblir de l'intérieur.

Le roi Vilnius semblait plus soucieux :

— Nous sommes pris par le temps ; ils vont s'empresser de liquider les elfes à l'intérieur des murs.

— Croyez-moi, intervint Haïront, ce serait une délivrance pour eux. Ils ne doivent demander que ça, de mourir.

— Détrompe-toi, rétorqua Morgal à l'ainé de la famille Fëalocen, Nilcalar ne se contentera pas de les décapiter. Ils seront torturés et humiliés. Leurs corps seront conservés pour les orgies de l'aristocratie astrale même si leurs têtes manquent.

Cette déclaration jeta un froid dans l'assemblée.

— J'ai l'impression que tu en as un peu trop vu lors de ton séjour, murmura Elaglar, tu m'expliques l'allusion du roi, s'il-te-plait ?

— Disons que j'ai évité de justesse un épisode malheureux.

— Bien, je me contenterai de cette réponse pour l'instant.

— Pour en revenir aux elfes esclaves, continua Morgal en monopolisant la parole, la plupart d'entre eux sont extrêmement doués pour se battre. Certains ont même le titre d'Ilfégirin. S'ils se rebellent à l'intérieur de la cité, cela pourrait être un excellent avantage pour nous.

— Ce n'est pas faux, avoua Vilnius.

— Le soucis, c'est que la marque les prive de cette liberté. Pour les en soustraire, nous devons éliminer les deux premiers généraux de Nilcalar, les premiers détenteurs.

Tous réfléchirent à cette proposition. Finalement, Elaglar prit la parole :

— Je refuse ; ce plan est bien trop aléatoire. Nous devons mettre le plus de certitudes de notre côté. La chance et le hasard sont des béquilles branlantes pour asseoir la domination sur un ennemi.

Les elfes suivirent aussitôt le souverain dans sa réflexion, ce qui ne manqua pas d'exaspérer Morgal. Il fallait bien tenter, pourtant. Mais son père restait ferme sur le sujet, pas question de faire entrer les victimes dans le plan d'annihilation.

Déçu, le jeune prince se retira dans sa tente. Qu'à cela ne tienne, il n'obéissait plus à aucun maître, pas même son père, le roi.

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