Chapitre 8(2)
Le mage abandonna la chambre de son patient et regagna les appartements royaux d'un pas lourd. Là, Elaglar s'entretenait avec ses fils autour d'une table.
- Qui a tué notre frère ?! s'emporta Falarön en frappant du poing sur la surface lisse, ce n'est pourtant pas compliqué de retrouver un meurtrier !
Son père demeura silencieux, n'ayant pas de réponses à lui fournir.
- Qu'ont dit les mages ? demanda calmement Lorian, le troisième, ils devraient avoir trouvé des indices, non ?
- Eh bien, intervint Elaglar, voilà justement le mage Currunas qui a assisté à l'autopsie.
Les frères tournèrent la tête d'un seul homme et dévisagèrent le médecin de leurs yeux glacials. Currunas se racla la gorge pour se redonner contenance et s'avança vers eux :
- Le prince Malgal a été victime d'une attaque foudroyante, expliqua-t-il, les deux blessures majeures ont été infligées au visage et au ventre. Pour la tête, elle a été lacérée par ce qu'on pourrait qualifier de cinq griffes. Quant au corps en lui-même, il a été ouvert par une lame tranchante. Aucun animal n'aurait pu découper aussi proprement le tissu. Pour ce qui est des organes, par contre, ils semblent avoir été partiellement dévorés avant d'être déversés hors de l'organisme.
Les princes se regardèrent sans vraiment comprendre : était-ce un animal ou un meurtrier doué de raison, en fin de compte ?
- Cela ne nous avance en rien, souffla Saucarya.
- Il y a un problème, intervint Macar, si nous ne mettons pas la main sur le coupable, nous risquons de perdre notre crédibilité.
- Il a raison, certifia l'aîné du nom d'Haïront, nous ne devons paraitre faibles devant nos ennemis.
Ils s'abimèrent dans un silence presque religieux, cherchant une solution au problème.
- Comment va notre frère ? demanda Saucarya.
- Je crains qu'il ne soit atteint d'un autre mal...
- Ah oui ?
- Il est victime d'une déshydratation fulgurante qu'on ne peut soigner.
- Voyez-cela avec vos collègues, ordonna le roi, vous devez pouvoir trouver un remède !
- J'y travaille, Majesté.
- Morgal vous a-t-il informé sur le meurtre ? interrogea Haïront de son air toujours aussi sérieux.
- Non. Il ne veut rien dire...
- Nous n'avons donc aucune trace de l'assassin ! pesta Falarön.
Currunas haussa les épaules puis se retira vers les quartiers des mages. Là encore, il restait des traces du crime. L'immense laboratoire évacuait des vapeurs plus ou moins toxiques et l'on ne distinguait qu'à peine la silhouette des chercheurs.
Autour d'une table, un de ses collègues vérifiait les pièces à conviction.
- Qu'avons-nous ?
- Eh bien, récapitula le mage, une tige de fer qui servait à la clôture d'une chapelle, une dague et quelques bouts de tissus et d'écorces. La barre métallique comme le poignard sont tâchés de sang.
Currunas hocha la tête ; c'était lui qui avait retiré le bout de métal du corps du prince. Par contre, la dague, il n'en avait pas entendu parler.
- À qui appartenait la dague ?
- Au prince Morgal, pourquoi ?
Currunas fronça les sourcils : un meurtrier envolé, une dague sanglante dont on connaissait le propriétaire, un témoin silencieux... Et si c'était Morgal qui avait orchestré toute cette machination ? Et s'il avait tué son propre frère ? Après tout, il n'avait montré aucun signe de tristesse durant l'enterrement. Et son insistance pour y aller était peut-être une preuve pour se déculpabiliser. Mais il manquait le motif. Pourquoi aurait-il éliminé son propre jumeau ?
Le mage repartit vers les appartements du prince pour en avoir le cœur net. Si le coupable était Morgal, il parviendrait à lui faire cracher le morceau. Ainsi perdu dan ses pensées, il regagna les appartements princiers.
Il poussa la porte et trouva le prince à même le parquet du salon, suffocant et suant.
Après quelques secondes d'ahurissement, il se précipita vers lui pour le relever. Morgal tremblait de tous ses membres et bavait comme s'il fut victime d'un empoisonnement. Des râles étranges s'échappaient de sa gorge sèche alors qu'il se tordait dans tous les sens :
- Mais arrêtez de bouger ! s'exclama le mage en perdant patience.
Il finit par lui lancer un sort suite à quelques mots précis et le prince s'écroula inanimé sur le sol.
Currunas soupira et le tira jusqu'au lit où il décida de lui faire une énième inspection. Le front du malade était brûlant et son pouls bien trop rapide.
Il était en mauvais état, c'était indéniable. Ses lèvres sèches murmuraient des mots insensés alors que ses mains s'agrippaient désespérément aux draps.
Currunas se pencha au-dessus de son visage et à l'aide d'une pince qu'il sortit de sa large ceinture de fonction, il souleva la paupière de son patient. La pupille se dilataient mais ne reflétait aucun signe d'une quelconque maladie.
Le sortilège prit fin avant que le mage n'ait fini ses analyses.
- J'ai soif, murmura le prince d'une voix faible et rauque.
Currunas l'observa : il était en proie à des hallucinations et malgré les litres d'eau qu'il lui donnait, il s'affaiblissait toujours plus.
- « Si ça continue, se dit-il, il mourra d'épuisement. »
Il devait trouver un moyen. Devant lui, Morgal s'était rendormi, le visage marqué par une tristesse infinie.
Se pouvait-il qu'il ait réellement tué son jumeau ?
Currunas se réintéressa à sa face et de sa pincette, il tira sur la lèvre pour observer l'état des dents.
- En parfait état, murmura-t-il, je me demande ce...
Il s'arrêta brusquement devant sa découverte. Une abominable découverte. Il discerna une malformation dans la bouche du malade...
Ses canines étaient beaucoup trop développées.
Currunas recula sur le matelas, horrifié par cette constatation. Le prince était-il en phase de mutation ?
Il chercha dans ses souvenirs quelle pouvait être la cause d'un tel changement. Malédictions ? Sortilèges ? Maladies ?
La réponse ne tarda pas à se présenter avec évidence dans son esprit.
Il se leva précipitamment et courut vers les quartiers des mages. Au fond de lui, il espérait se tromper car sinon, il devrait annoncer au roi ce dont son fils était capable et ce qu'il avait probablement fait.
Contournant ses collègues, il farfouilla nerveusement dans des casiers et en sortit trois bocaux, encore frais.
Il s'esquiva de la pièce lourde de senteurs expérimentales et regagna la chambre du prince. Celui-ci toussait à s'en arracher les poumons, mais au moins, il n'agonisait pas sur le parquet.
- Mon prince ! annonça le mage, j'ai une potion qui pourrait bien vous guérir.
- J'ai mal à la tête.
- C'est normal...
Currunas versa une partie d'un bocal dans une gourde opaque et le tendit au malade. Morgal renifla le goulot avec une grimace de dégoût.
- On dirait que vous avez mixé les restes d'un poulet et que vous l'avez mis dans ce récipient.
- Buvez avant de dire cela.
Morgal le foudroya du regard et fit glisser le liquide dans sa gorge. Comme Currunas le craignait il finit la fiole et en redemanda, précisant que cela le rassasiait.
Currunas soupira, lui resservit une gourde pleine et partit annoncer la nouvelle au roi.
D'un pas de plomb, il trouva son souverain dans son bureau immense où de lugubres tentures noires recouvraient les murs.
- Currunas ! s'écria-t-il sans lâcher des yeux sa paperasse, avez-vous trouvé un remède pour mon fils ?
- Il semble bien que oui...
- Formidable. Je vous en suis reconnaissant.
Il continua sa tâche sans se soucier du mage, pensant l'entretien terminé.
- Majesté, hasarda le pauvre médecin en triturant le liserai de sa longue tunique, il se trouve que votre fils...eh bien...
Le roi releva la tête, pris d'impatience :
- Eh bien ?
- Je crains qu'il soit responsable de la mort du prince.
- QUOI ? rugit Elaglar.
Currunas baissa la tête, impressionné par la prestance et l'hostilité qui se dégageait du Roi en Blanc.
- Votre fils est le seul à avoir été retrouvé sur les lieux du crime, justifia-t-il, il avait une arme contrairement au prince Malgal. Il lui a ouvert le ventre avec la dague.
- Ah oui ? Et il lui a mangé les organes peut-être.
- Votre fils est atteint d'un syndrome vampirique, Majesté. Sa déshydratation venait simplement d'un manque de sang...
- Balivernes ! Mon fils n'a jamais eu une telle tare !
- C'est un syndrome qui apparait brutalement, Majesté. Ses canines ont poussé depuis peu et ses envies de sang ne font que croitre...
Il s'arrêta de parler devant l'air démoniaque du roi. Aussi préféra-t-il se retirer avant qu'Elaglar ne balaie tout son bureau d'un revers de main.
Le père n'osait croire ce qui arrivait à sa famille. Après la mort d'un de ses fils, voilà qu'un autre sombrait dans la démence. Il avait intérêt à faire taire cette affaire s'il voulait préserver son titre de roi le plus puissant de Calca. Il avait déjà assez rétrogradé et Morgal ne lui prendrait pas sa gloire avec sa folie.
Morgal... Son fils aurait-il vraiment attaqué son frère ? Il en doutait. Un syndrome vampirique n'apparaissait pas du jour au lendemain, il fallait un traumatisme violent pour le déclencher. Et ce traumatisme était la mort de Malgal. À ce moment, Morgal était encore doté de tout son esprit.
Il y avait donc bien eu une troisième personne sur le lieu de l'accident mais pourquoi Morgal se bornait-il à garder le silence ?
Currunas ne pouvait avoir raison. Non, il devait se tromper.
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