Chapitre 8(1)

Lorsqu'il se réveilla, la première sensation qui l'assaillit ne fut ni la tristesse ni la peur. Non, ce fut la solitude. Une atroce solitude broyait ses entrailles malmenées. Il était seul. Seul dans son lit, seul dans sa chambre. Un horrible vide s'était insinué dans son âme. Jamais ses appartements ne lui avaient paru aussi froids, jamais ce silence si traitre.

Il tenta de se relever contre l'oreiller mais une douleur aigue lui traversa le ventre dans toute sa profondeur. La tige de fer lui avait pourfendu le corps, laissant une cicatrice encore fragile au-dessus du nombril et dans le dos.

Et si a moelle épinière avait été touchée ? Et s'il ne serait plus capable de marcher avant plusieurs années, le temps que les sortilèges fassent effet ?

Heureusement, il parvint à mouvoir ses jambes.

Mais aussitôt, la panique le reprit : où était Malgal ? Le pauvre garçon ne voulait entendre la vérité, il voulait retrouver son frère jumeau, la personne qui lui était indispensable pour vivre.

Avec une grimace crispée, il se leva et boita vers la porte, vêtu uniquement de sa chemise et d'un pantalon ample.

Des élancements dans le ventre lui arrachèrent des gémissements mais il parvint tout de même jusqu'au couloir. Là, il surprit une conversation entre son père et un mage. Pour la première fois, le Roi en Blanc était habillé de noir à l'instar du mage qui ne se départait pas de son long chapeau crochu.

— Majesté, je crains que son cas ne soit plus compliqué que ça...

— Soignez-le, Currunas, je vous remets la mission de sauver mon fils. Si vous échouez, je vous jure que vous rejoindrez le cimetière dans lequel on les a trouvés.

— Oui, Majesté. Je trouverai un moyen, j'en fais le serment.

— Bien, s'il se réveille, dite-lui que sa famille et les différentes cours sont parties pour l'enterrement.

Morgal s'effondra sur le parquet de sa chambre. L'enterrement...

Il n'y avait plus d'espoir. Son frère allait être enterré comme n'importe quel cadavre. Il se recroquevilla sur lui-même et commença à entrer dans une crise d'angoisse : Malgal ne serait plus jamais là pour mettre fin à son mal-être, au contraire, son absence définitive le rendrait vulnérable à ce genre de problèmes jusqu'à la fin de sa vie.

Le mage déboula dans les appartements et se précipita vers lui :

— Mon prince, s'empressa-t-il, vous devez vous reposer, c'est impératif pour votre santé !

— « Et pour ta survie aussi ! »

Le prince secoua la tête et rétorqua :

— Je me rends à l'enterrement.

— Vous ne...

— Il n'y a pas de négociation possible. À moins de vouloir m'attacher, vous ne me retiendrez pas.

Currunas souffla d'exaspération en sentant que son nouveau patient attitré ne serait pas de tout repos. Mais comme il n'avait plus vraiment le choix, il décida de répondre à la requête du blessé et de faciliter le trajet qui pourrait bien lui être fatal.

Morgal claudiqua jusqu'à sa penderie en serrant les dents et sortit une tenue noire pour l'évènement. Le mage l'aida à l'enfiler en prenant les précautions nécessaires pour éviter les réouvertures des plaies.

Une fois habillé, Morgal regarda son reflet dans le miroir. Quelque chose avait changé, mais il ne saurait définir exactement quoi. Il n'était plus le même homme, tout simplement. Son âme s'était brisée en mille morceaux et il fallait maintenant faire avec.

— Je suis prêt, lança-t-il à son compagnon d'infortune.

— Vous êtes surtout totalement fou de sortir dans votre état !

Il haussa les épaules sans se formaliser.

— Je veux rejoindre Malgal.

Currunas hocha la tête, espérant que par ces mots, son patient ne décide pas d'abréger ses jours.





Des rafales de vent balayaient le cimetière. Tous les hommes des différents royaumes portaient les longs chapeaux noirs de deuil alors que les femmes cachaient leur visage sous des mantilles en dentelles. Le silence régnait.

Pour la première fois, le caveau Fëalocen allait servir.

La famille s'était regroupée sans bruit autour de la chapelle mortuaire pendant que le prêtre psalmodiait les paroles propres aux défunts comme une litanie d'un autre monde.

Si Hirilnim pleurait sous le tissu fin qui recouvrait son visage, son mari et ses fils ne laissaient rien paraitre, stoïques comme des statues.

Seul Arlin, âgé de douze ans, commença à verser quelques larmes qu'il essuya pour ressembler à ses ainés.

Et puis la foule s'écarta pour laisser passer Morgal. La surprise se lisait sur les visages en même temps qu'une certaine pitié mêlée à de la stupeur. Elaglar assassina le mage du regard mais celui-ci haussa les épaules d'impuissance, faisant comprendre qu'il n'y pouvait rien.

Le sixième fils s'arrêta devant le cercueil en marbre. Mais malgré la proximité avec son frère décédé, il ne ressentait plus le lien. Il n'y avait plus rien qu'une dépouille sans forme, totalement déchirée par un démon d'un autre temps.

Enfin, le prêtre termina son oraison et fit signe aux porteurs de faire entrer le cercueil dans la chapelle. Huit elfes se chargèrent de transporter le défunt ; ils descendirent, suivis de la famille, les marches qui menaient dans la nécropole royale. Là, ils déposèrent la structure en marbre sur le présentoir entouré de cierges.

Morgal demeura immobile, les traits impassibles cachés sous les rebords de son large chapeau de deuil. Derrière un mur, il lui sembla discerner la silhouette squelettique de Djinévix, son large sourire plaqué sur ses lèvres minces. Mais comment en être sûr ?

Il ne savait plus quoi penser. Il était détruit. Il avait l'impression que son esprit se heurtait à des écueils tranchants et qu'il se décrépitait en de milliers de particules informes. On lui avait retiré une partie vitale, indispensable, de lui-même.

Morgal frissonna : il était persuadé d'être devenu un mort-vivant. Une créature dotée uniquement d'une enveloppe charnelle, sans esprit ni volonté.

La cérémonie prit fin et petit à petit, la nécropole se vida. Il ne resta plus que le couple royal, le mage et lui.

Finalement, sa mère vint et le prit dans ses bras en sanglotant. La voir dans cet état lui fit de la peine, mais après tout, qu'est-ce que ça changeait ?

Elaglar attendit que sa femme eût fini son étreinte puis la mena hors de cette atmosphère trop oppressante.

Morgal s'avança davantage vers le cercueil. Bien sûr, vue l'état du défunt, il était fermé. Le prince caressa le marbre de la main dans toute sa longueur avant de s'asseoir sur une chaise.

Derrière, Currunas rongeait son frein, ne désirant pas s'éterniser dans ces lieux glauquissimes. Par contre, son patient semblait apprécier le cadre. Il souffla d'exaspération et attendit en silence.





Alors qu'ils remontaient tous deux les marches du palais, Morgal ressentit une violente nausée. Il s'accouda à la rambarde en tenant sa blessure.

— Majesté ? interrogea le mage, vous allez bien ?

Le prince serra les dents et regagna sa chambre en boitant. Dès que ce fut fait, il s'affala sur son grand lit et demanda à son médecin d'inspecter la plaie. Ce dernier s'y attela mais à part une légère réouverture provoquée par la cérémonie, il ne nota rien d'anormal.

— Qu'est-ce qu'il m'arrive ? gronda Morgal en se tortillant sur ses draps.

— Arrêtez de bouger ! je dois vous occulter plus intégralement.

Le malade se redressa brutalement et vomit dans un pot de fleurs. Currunas grimaça et continua son inspection mais encore une fois ne trouva rien d'alarmant.

— J'ignore encore ce qui vous rend ainsi, avoua-t-il, pour l'instant, ces signes me font uniquement penser à l'attestation d'une grossesse. Je ne pense pas que ce soit votre cas...

— Ah bon ? s'énerva le concerné, heureux de l'apprendre !

— Que ressentez-vous à part ces nausées ?

— J'ai soif.

Le mage soupira et lui tendit de l'eau que son patient avala d'une traite. Mais cela ne sembla pas suffire.

— Je crois que votre état psychologique est gravement atteint, fit-il remarquer, vous avez vécu avec votre frère jumeau toutes ces années et il vous est brusquement arraché. Vous allez devoir vous reconstruire, en quelques sortes... Et si vous pouvez me donner des détails sur ce qui s'est passé, ça m'aiderait beaucoup.

— Vous n'avez pas besoin de savoir, faites votre travail et c'est tout.

Currunas hocha la tête, exaspéré par le comportement invivable auquel il se confrontait. Mais il devait se rendre à l'évidence : le prince semblait victime d'un début de déshydratation. Pourtant, son organisme ne manquait pas d'eau, sa magie le lui certifiait bien. Il devait trouver un remède à ce cas étrange sinon, il risquait fort de se voir pendre au gibet royal.

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