Chapitre 35

La nuit ne tarda pas à recouvrir les quartiers bourdonnants de Balondiel. Bamyane les avait convaincus de rester se reposer chez lui avant qu'ils ne retournent au campement, le lendemain.

L'elfe ne savait s'il devait se réjouir de passer ce temps loin de Locea ou se lamenter de l'odeur pestilentielle qui se dégageait des remises. Duncan s'abîmait dans une contemplation tenace, le regard fixé sur les cartes du locataire. Quant à Jenny, elle paraissait exploser dans cet habitacle si étroit.

— Je monte sur la terrasse, déclara-t-elle, je dois prendre l'air.

— Ne te fais pas trop remarquer, ordonna Duncan.

— Pas la peine d'intervenir dans ses moindres faits et gestes, l'attaqua Morgal.

L'astre sentit son sang ne faire qu'un tour : ce gnome lui sortait les yeux de la tête !

— Disparais !

L'elfe s'exécuta sans broncher, laissant son supérieur seul avec Bamyane.




Sur le toit, Jenny essayait de reprendre son calme. Mais la nervosité lui rongeait le sang et accentuait ses démangeaisons capillaires. Quelle plaie ! Elle demanderait à Locea quelque onguent pour soigner ça.

— Tout va bien, Jenny ?

Elle se retourna vers Chérubin qui lui tendait un gobelet de thé chaud.

— Tu pourrais avoir froid, se justifia-t-il en insistant.

— Qu'est-ce que tu veux, le gnome ?

— Rien pourquoi ?

Elle accepta le verre de terre cuite :

— Tant d'amabilité ne te ressemble pas. Tu tentes de me soutirer quelque chose...

— Désolé mais tu n'as rien à m'offrir, Jenny. C'est un geste purement gratuit.

— Si tu le dis...

Elle s'assit sur une caisse mais son ami préféra rester debout.

— Je ne supporte pas cet endroit, soupira-t-il, une fosse commune me serait plus sympathique. Je ne sais pas si c'est l'odeur, la saleté où la vue de toute cette merde ambiante.

— C'est sûr. Ton palais te manque toujours à ce que je vois... Figure-toi que j'ai grandi dans ce genre de quartiers. Je n'avais même pas un toit au-dessus de ma tête.

— Grandi ? Quel genre d'astre grandit ?

— Je suis hybride, Chérubin.

Jenny baissa la tête comme pour atténuer l'impact de cette révélation.

— Cela ne change rien pour moi, tu sais.

— Bien évidemment, ricana-t-elle amèrement, tu mets tous les non-elfes dans le même panier.

Promptement, il s'agenouilla devant elle :

— Non, Jenny. Ce que je veux dire, c'est que... Tu es la première personne à m'avoir témoigné une réelle affection en dehors de Calca. Jamais je ne pourrais te remercier assez... Et je t'aime vraiment, tu sais ?

— Mmh...

Le vent commença à se lever ; Jenny referma son écharpe sur ses larges épaules, l'esprit ailleurs.

— Quel pays ! continua son ami, impossible de ne pas mourir de chaud la journée et une fois la nuit tombée, le givre pourrait recouvrir la ville !

— Je crois que je vais rentrer...

— Suis-moi : Bamyane m'a montré où coucher.

La guerrière suivit le jeune homme vers l'échelle qui menait au dernier étage. Là, un dortoir de fortune les attendait, recouvert de poussière. Des araignées tissaient leurs toiles épaisses entre les poutres moisies.

— Espérons que toute cette architecture ne s'effondre pas sur nos têtes, murmura-t-elle.

— Bien ! Bonne nuit Jenny !

— Dormir par un froid pareil...

L'elfe haussa les épaules et s'allongea sur sa couchette, tirant à lui la couverture miteuse. De son côté, l'astre demeura statique quelques instants, l'oreille aux aguets. C'était une habitude qu'elle n'avait jamais abandonnée dans ce genre de lieux. En bas, Duncan parlait à voix basse avec Bamyane. Mais au loin, c'étaient les cris qui envahissaient les ruelles désertes de la ville.

Encore et toujours plus de victimes... Il le fallait. La Nuit appartenait aux prédateurs, après tout. Elle était la sœur de la Mort : chaque matin on retrouvait les corps sans vie, transis de froid.

— Jenny ?

— Quoi ?

— Tu claques des dents.

Elle se releva et rejoignit la couche de son ami :

— Tu permettrais que... enfin que...

Il haussa un sourcil, faisant mine de ne pas comprendre. Dans tous les cas, il était désappointé par le caractère si différent de la vampire : elle d'habitude si sûre d'elle n'était plus que l'ombre d'elle-même.

Il hocha rapidement la tête et se décala sur la couchette pour lui laisser une place. Elle s'allongea dos à lui, en position fœtale.

— Merci. J'ai si froid...

— Tu pourrais demander à Hervan ou Duncan de rester en dehors de la capitale, si c'est trop dur pour toi.

— Tu n'as aucune idée de ce que j'ai vécu, lâcha-t-elle sèchement.

L'elfe se pinça les lèvres et enroula son bras autour des épaules de la femme.

— Rapproche-toi de moi.

Il n'y avait aucune hésitation dans sa voix. Jenny s'exécuta sans mot et se cala contre le torse chaud du vampire. Aussitôt, sa respiration se calma et les tressautements de son corps se dissipèrent. Un long soupir s'échappa de ses lèvres alors que le corps de son Chérubin prenait une allure tout d'un coup plus protectrice. Elle n'aurait jamais pensé que la petite princesse qu'elle avait dégotée à Jasmain devienne ainsi un guerrier aussi affirmé. En un mot, il était devenu l'objet de ses fantasmes, le seul qui parviendrait à lui faire oublier dans quel pays elle se trouvait.

Explicitement, elle commença à frotter ses fesses contre les reins de son ami afin de lui susciter le maximum de désir. Elle espérait secrètement qu'il la déculotte vite-fait et qu'il la prenne bestialement dans de violents coups de rein. Malheureusement, elle savait que le jeune vampire était bien trop prude pour prendre de telles initiatives.

— Dis-donc, tu as des vers dans le derrière ou ça se passe comment ?

Devant un tel manque de finesse, elle ne put s'empêcher d'éclater de rire : ce stupide gnome la tournait en bourrique. Pas question qu'il continue plus longtemps à la laisser sur la touche. Il ne voulait pas prendre les commandes ? Très bien, il l'aura voulu.

Elle se retourna agilement et lui saisit le col pour l'embrasser langoureusement. Pour une fois, l'elfe ne la repoussa pas, lui laissant même un plus ample accès à sa langue. Satisfaite, Jenny bascula entièrement sur lui sans détacher sa bouche de la sienne. Un étrange magnétisme se dégageait de l'elfe, une alchimie incroyable et enivrante qu'elle n'avait jamais ressentie avec les autres hommes. C'était comme un pouvoir divin qui l'ensorcelait et qui la menait dans les bras de l'extase. Loin d'être dupe, elle comprit rapidement que c'était une caractéristique propre à la race du jeune homme. Cela expliquait beaucoup de chose ; cette attraction permanente pour les siens. Le peuple de Calca, bien que détesté, dégageait des phéromones qui ne laissait personne indifférent.

Morgal se redressa contre la tête de lit, Jenny à califourchon sur son bassin. Il ne lui fallut pas longtemps avant qu'elle ne retire son corset et sa chemise. Son corps musculeux n'enlevait en rien la féminité animale dont elle pouvait faire preuve dans ce genre de contexte. Comme pour mettre son partenaire à pied d'égalité, elle lui ôta son haut avant de reprendre l'assaut de ses lèvres.

Encore une fois, il ne se rétracta pas et lui saisit même les hanches pour rapprocher davantage leurs sexes.

— Tu en as envie, n'est-ce pas ? releva-t-elle avec un sourire mutin.

— C'est surtout toi qui rêves de me monter, hein ? Désolé mais ça ne se passera pas ainsi.

— Ah oui ?

D'un mouvement brusque, il échangea les positions et la plaqua brutalement contre la tête de lit, pour le plus grand plaisir de la vampire qui enroula aussitôt ses jambes autour de sa taille.

— Je préfère lorsque tu te montres plus autoritaire, souffla-t-elle alors que ses mèches brunes volaient autour de son visage.

— Ah oui ?

— Mais je tiens aussi participer activement à l'acte.

Sur ces mots, elle glissa subrepticement sa main dans le pantalon de son partenaire pour se saisir de ses attributs virils. Morgal se tendit sur le coup et chassa l'intruse avec fermeté :

— Tu seras gentille de ne pas toucher à ça.

— Dis-donc, t'es vraiment monté comme un prince Fëalocen, toi !

— Pardon ?!

— Tu ne connais pas cette expression ? s'esclaffa-t-elle en joignant ses mains derrière la nuque du vampire.

L'elfe fronça les sourcils, pas vraiment enthousiasmé que ce soit ce genre de phrases qui sortent lorsqu'on mentionnait sa famille. Il aurait préféré des éloges bien différentes...

— Eh, c'est pas parce que tu n'en es pas un que tu ne sauras pas t'en servir.

Comme pour lui faire oublier ce désagrément, elle redoubla ses baisers, se montrant même sauvage par moment. La gorge de son compagnon ainsi offerte ne pouvait pas s'en sortir indemne ! Elle y enfonça ses crocs pendant que lui attrapait ses cuisses pour la plaquer davantage contre la paroi en bois. Il se dégagea rapidement de la mâchoire de son amante, comme s'il refusait de se soumettre, et lui rendit la pareille. Le sang ne tarda pas à couler dans son larynx comme un délicieux nectar.

— Chérubin, prends-moi, maintenant !

— Dis-le plus fort, parvint-il à articuler en lui saisissant les poignets.

— Va-z-y ! Qu'est-ce que tu attends ?!

Elle écarta ostensiblement les jambes, comme pour mieux le recevoir. Mais ce fut Duncan qui entra en fracas dans le dortoir. Il dégaina aussitôt son sabre et fondit sur son subordonné pour le pourfendre. Morgal s'écarta immédiatement de la couchette pour saisir son épée et contrer le coup qui allait le défigurer. L'entrechoquement du fer résonna dans toute la maisonnée.

— Tu l'as ensorcelée, sale gnome dégénéré !

— Je n'y peux rien si j'ai plus de charisme que vous, chef !

Jenny intervint :

— Arrêtez, tous les deux ! C'est de ma faute, c'est tout !

— Toi, tu n'es qu'une salope, c'est une autre affaire, cracha Duncan.

Il baissa sa lame sans lâcher le prince du regard :

— Tu vas prendre ta chemise et déguerpir pour le restant de la nuit !

— Bien, bien... Pas la peine de tirer la tête parce que j'allais tirer mon coup !

— Sale fils de pute, je t'avais prévenu. Tu vas déguster à notre retour au campement !

Morgal grimaça en caricaturant la phrase de son chef. Duncan écarquilla les yeux et referma ses doigts sur le manche de son sabre.

Heureusement, l'opportun mis fin au conflit en prenant le chemin de la porte. L'astre se tourna vers la femme, à moitié nue dans le lit. Cette dernière hocha la tête en soupirant devant la demande implicite de son deuxième compagnon.

— Oh et encore une chose chef, ajouta Morgal avant de disparaitre, ce n'est pas parce que vous en êtes incapable que je vous apprêterais Jenny à chaque fois !




Morgal referma son manteau sur lui et s'engouffra dans une ruelle, soulagé de s'éloigner de ses frères d'armes. Avec toute cette histoire, Locea risquait bien de lui tomber dessus et lui faire payer son infidélité. Mais comment aurait-il pu résister à exaspérer ainsi Duncan ? Sa fureur avait été jouissive à voir. L'elfe avait voulu lui montrer que rien ni personne ne pouvait s'opposer à ses désirs. Certes, jamais il n'avait ressenti de l'attirance pour Jenny et tenait encore moins coucher avec elle. Mais il avait clairement fait comprendre à Duncan que sur ce terrain-là, il le battait désormais ; peut-être l'astre coucherait-il avec la vampire, cette nuit-là, mais Morgal savait que ce serait à lui qu'elle penserait pendant l'acte. Son supérieur commençait à perdre du terrain dans leur lutte. Les forces ne tarderaient pas à se renverser...

— « Il n'y a pas un passant à égorger dans cette ville ? » maugréa-t-il.

En fait, il y en avait pléthore. Mais leur allure misérable le repoussait. Leur sang serait forcément infecté par une quelconque maladie.

Étonnamment, les gens se poussaient sur son passage sans tenter le moindre contact.

— « Ils doivent sentir mon syndrome... Mais tant mieux, qu'ils me laissent chasser tranquillement. »

La ruelle qu'il avait empruntée prenait désormais une pente ascendante. Contre les murs décrépis, les mendiants baissaient les yeux, la plupart marmonnant des prières incompréhensibles. Les passants s'écartaient presque avec révérence, même ceux qui adoptaient la panoplie du brigand ou du voleur. Cette sensation de supériorité plut grandement à Morgal : inspirer ainsi la crainte lui inspirait bien plus de plaisir qu'il n'eut voulu le reconnaitre.

Mais trêve de réflexion : le sang de chèvre ne le nourrissait pas. Il fallait... autre chose.

À un carrefour, il distingua plusieurs silhouettes dans une venelle adjacente. L'étroit passage était occupé par quatre hommes, vêtus bien moins miteusement que la moyenne.

Morgal tira sur son manteau de cuir et, le sourire aux lèvres, s'élança dans le couloir. Les inconnus ne distinguèrent que trop tard le fauve qui s'était rué sur eux. En un clin d'œil, la carotide du premier succomba sous les crocs. Le sang gicla sur les visages alors que l'homme s'effondrait comme une masse sur le sol boueux.

— Merde ! On se tire !

L'elfe dégaina ses deux dagues et trancha la tête du meneur. Les deux autres empoignèrent leur bâton de magie, prêts à s'enfuir. Des astres donc...

— Une saloperie de vampire ! Il doit venir de la Confrérie d'Hervan.

— Tout juste, sourit le concerné.

D'un bond, il se jeta sur les deux hommes encapuchonnés pour les occire aussi rapidement . La résistance se fit davantage sentir mais ils ne faisaient pas le poids. L'un fut embroché et l'autre servirait de repas.

— Pitié... gémit le survivant en se plaquant contre le mur.

— Vous aviez le même uniforme à ce que je vois, quelle secte ?

— Secte d'Astragale... ne me tuez pas...

— Mmh pas tout de suite, en tout cas.

Morgal tira sur le col pour planter ses crocs et commença à le vider de son liquide vital. Malgré les cris, personne ne vient à la rescousse du malheureux. Après tout, ce n'était pas les hurlements qui manquaient dans la ville nocturne.

L'astre cessa de se débattre ; d'ici quelques secondes, il serait exsangue et son corps partirait en fumée.

Le prince termina son acte de barbarie et le laissa choir sur le sol froid. Un revers de manche sur la bouche n'effaça pas les vestiges du carnage. L'elfe haussa un sourcil ; un cinquième homme se tenait, recroquevillé dans un coin. Ses nombreuses blessures témoignaient de sa récente agression causée par les sectaires. Il s'agissait d'un moine.

— Vous allez bien ?

— Par... pardon ?

Sans aucun doute, il était terrifié par le vampire.

— Vous voulez que je vous raccompagne chez vous ?

— Pourquoi... feriez-vous cela ?

Il haussa les épaules et releva l'humain.

— Vous serez en sécurité avec moi.

— Oui...

Sans hésiter, Morgal aida le moine à marcher. Ce dernier calma son souffle et s'agrippa à son bras pour ne pas s'effondrer.

— Si vous voulez bien me mener jusqu'à la cathédrale.

— La cathédrale ?

— Sur la colline.

— Je vois... Pourquoi vous ont-ils attaqué ?

— Les sectes et la Maison du Créateur ne s'entendent pas vraiment.

— J'imagine.

Le silence s'installa pendant qu'ils s'avançaient lentement dans les ruelles. Le prince se surprit de cet élan de générosité ; il venait de dévorer quatre hommes et désormais, il aidait un homme d'Église. Après tout, avec son éducation, il avait toujours nourri un très profond respect pour la religion bien qu'il ne soit pas cul et chemise avec elle.

— « Ma vie n'a aucun sens... »

La façade de la cathédrale surgit devant eux. Morgal poussa le lourd battant de bois cerclé de fer et déposa le moine sur un banc.

— Besoin d'eau ?

— La fontaine est dans le cloitre, je vous remercie.

Morgal alla remplir sa gourde et revint vers son nouveau protégé. Ce dernier avait rabattu l'ample capuche de sa bure. Même dans l'obscurité, il était aisé de percevoir son jeune âge et surtout ses cheveux lisses et rouges, coupés au carré.

— Je ne suis que novice, expliqua-t-il à son sauveur, ce ne sera pas compliqué pour moi de me séparer des richesses et des plaisirs de ce monde mais j'avoue que raser mes mèches rousses, ce sera bien triste.

Il avala une gorgée et continua :

— Je m'appelle Ravénor. Et vous ?

— On m'appelle Chérubin.

— Comme les anges de notre Créateur... Même si ces derniers ne sont pas des vampires... Vous ne comptez pas me tuer ?

Morgal retira son foulard, découvrant sa tête.

— Vous êtes un elfe ?!

— En effet...

— Vous vous êtes échappé ? Vous devriez partir...

— Échappé de quoi ? coupa le prince.

— Eh bien... de la capitale non ?

— Il y a des elfes à la capitale ?

Le moine fronça les sourcils et baissa la tête :

— Excusez-moi, je ne voulais pas vous inquiéter...

— Je suis membre de la Confrérie d'Hervan.

— Oh.

Le silence reprit son droit dans le vaste édifice. Le novice se pencha en appuyant ses coudes sur ses genoux :

— Nous n'arrivons pas à endiguer la misère, soupira-t-il.

— Vous devriez abandonner ce bouge infâme. Vous aidez la population et en réponse, on vous attaque dans les rues.

— Tel est notre rôle, il faut croire. Mais vous ? Vous m'intriguez. Je peux faire quelque chose pour vous ?

— Je crains que non. Ma position est... impossible.

— On me surnomme Frère du Bon Conseil : je sais toujours trouver des solutions pour les autres.

Morgal soupira. Il avait terriblement besoin de se confier à quelqu'un d'autre que Locea. Alors, il décida de tout déballer, sans rien cacher. Son enfance insouciante en Calca, le meurtre de Malgal dû à sa nature de Réceptacle, son premier assassinat, sa fuite en Fanyarë et le reste de ses tribulations. L'entrée dans la Confrérie, la possessivité croissante et inquiétante de Locea et son déclin total dans la violence. Il ignora combien de temps se déroula ce long monologue mais comme un besoin vital, il ne peut y mettre un terme avant la fin du récit.

— Vous ne devez pas entendre ce genre de discours tous les soirs, sourit-il dans un rire amer.

— En effet... Mais vous m'êtes sympathique !

— Heu... vraiment ?

— Oui ! Il y a tant de choses à améliorer chez vous ! Vous êtes une vraie friche !

— Vous n'êtes pas à ma place, si je puis me permettre.

— Non, en effet. Plus sérieusement, je crains malheureusement qu'il n'y ait plus grand-chose à sauver chez vous.

— Merci. C'est peut-être ironique votre surnom, non ?

— Vous êtes sérieusement atteint, à cause de votre syndrome. Saviez-vous qu'égorger des gens, c'était mal ?

— Cela l'est s'ils sont des elfes. Le sort des autres races m'indiffère. Ils ne méritent qu'une chose : être réduits en esclavage.

— Votre racisme est bien... elfique. Mais bon, si vous voulez un conseil pour ne pas sombrer davantage, raccrochez-vous.

— Me raccrochez à quoi ?

— Je n'en sais rien, à n'importe quelle valeur honorable. Mais pas à votre quête de vengeance et de pouvoir. Je sais que vous ne vous en détournerez pas mais... Gardez une partie de vos actes dans la lumière.

— Mmh...

— Bien ! J'espère que nous nous reverrons dans le futur ! De mon côté, je pars pour l'infirmerie : ces bougres m'ont bien abîmé !

— Je peux vous administrer des sorts de guérison, si vous le souhaitez.

— Oh ne vous fatiguez pas pour moi, conclut-il en se levant du banc.

Il épousseta ses longues manches blanches et déclara :

— Je vous remercie de m'avoir sauvé, Chérubin, cela prouve qu'il vous reste une part de bonté en vous.

— Bien sûr, bien sûr...

— Je prierai pour vous.

— Il n'y a plus rien à sauver, vous l'avez dit.

— Le Créateur sonde les esprits et les cœurs, il saura vous guidez si vous lui demandez.

Sur ces mots, Ravénor abandonna l'elfe dans la collégiale glaciale. Seul avec lui-même, le prince s'abîma sans une profonde contemplation : à l'extrémité de la nef, la statue dorée du créateur resplendissait à la lumière des candélabres. Dans une nuée de feuilles de diamants, le dieu suprême s'élevait dans toute sa gloire, les bras tendus vers ses fidèles, comme un signe paternel.

Mais Morgal ne ressentait que l'abandon dans un monde qu'il haïssait.

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