Chapitre 18

Morgal s'assit sur sa chaise, le visage fermé dans uneadversité palpable. Pourtant, il décrocha  son regard de son assiette fumante pour inspecter les membres de la famille. Trois enfants étaient présents, un dernier devait sûrement rester cloitrer dans sa chambre à cause de la peste.

Mais pour ce qui était de ses trois frères, ils semblaient en pleine forme ! Ils se disputaient sans arrêt, se crachant dessus ou s'envoyant de la nourriture à la figure.

— « J'ai reçu le fouet pour moins que ça », grommela-t-il.

Non, vraiment, il voulait étriper ces petits diablotins immondes. Parce qu'objectivement, ils étaient laids, gras comme des loches et bêtes comme des manches à balai.

Rien que de voir leurs petites mains potelées farfouiller dans la viande le dégoutait.

Durantal siégeait à côté de son conseiller, maître Djamn. D'ailleurs le dernier des trois morveux lui ressemblait assez fort... Morgal ne préféra pas savoir les raisons : ce n'était pas ses problèmes.

— Maman, renifla l'ainé, pourquoi le monsieur a des yeux bizarres ? Il est méchant ?

— Mais non, mon chéri, c'est juste un elfe.

Le gosse prit sa fourchette pour houspiller son voisin aux oreilles pointues :

— Alors c'est un ennemi ! Les elfes sont des méchants.

Morgal lui saisit son arme improvisée et l'envoya valdinguer à l'autre bout de la pièce. Ceci fait, il saisit le mioche par le col et murmura :

— Tu ferais bien de fermer ta petite gueule de peste parce que ma patience a des limites. À l'avenir, tu éviteras de me déranger : j'ai tendance à dévorer les petits garçons dodus qui n'ont rien dans la cervelle.

Comme pour appuyer sa menace, il passa la langue sur ses canines pointues. Le pire, c'était qu'il ne refuserait pas à ouvrir la gorge de ce mioche ignare.

Ce dernier fut si terrifié qu'il urina dans son pantalon avant de s'enfuir de la salle en courant.

Son père ricana en se détachant de toute responsabilité. Quant à maître Djamn, il perçait l'elfe de son regard vicieux. À n'en pas douter, il n'appréciait pas l'intervention inopinée sur le fils héritier. Peut-être qu'il avait un lien de sang avec ce petit ventre sur pattes, aussi.

— Haha Morhunas, gloussa le bourgmestre, évitez de traumatiser mes enfants.

— Au fait, intervint sa femme sans se soucier de l'évènement fâcheux, d'où venez-vous, exactement ?

Aïe, la question qui gênait. Mais Morgal se rendit vite compte que son hôtesse en avait que faire de la réponse, seulement intéressée par l'image qu'elle voulait renvoyer. Le fils d'Elaglar regretta d'avoir porté de la nourriture à sa bouche car ce qu'il remarqua lui donna envie de tout recracher. Dame Gerbine, en face de lui, arborait une tenue affreuse dont le décolleté semblait vomir ses gros seins flasques. Elle se voulait... séduisante ? En tout cas, c'était l'échec. Et puis d'abord, elle demeurait mariée, il était donc impensable pour le prince qu'elle veuille le tenter.

Aussi préféra-t-il se concentrer sur sa côtelette de veau plutôt que sur cette vision d'horreur. Après tout, il devait reprendre des forces, surtout après la saignée qu'on lui avait faite. D'ailleurs, par association d'idée, il devait se trouver un pauvre domestique à égorger avant que sa soif insatiable ne se manifeste à nouveau...

Le médecin le sortit de ses réflexions en se penchant à l'oreille du bourgmestre :

— C'est vrai ? s'exclama le concerné, mon fils est guéri ?

— Sire, il n'a même plus les symptômes...

— Et cela en l'espace de...

— De quelques minutes, sire.

Durantal pivota vers Morgal avec des yeux écarquillés.

— « Qu'est-ce qu'il me veut, lui ? »

— Morhunas, commença le bourgmestre, vous me semblez bien pâle êtes-vous sûr de ne pas vouloir vous reposer.

Il fronça les sourcils. Qu'est-ce qu'ils manigançaient ?

— Votre médecin vous accompagnera jusqu'à votre chambre.

Le docteur hocha la tête avec diligence et attendit que l'elfe le rejoigne. Il n'aimait pas ça du tout : cette histoire empestait le coup fourré. Mais ce n'est pas comme s'il avait le choix. Il suivit le médecin jusqu'à une chambre élevée.

— Je vous en prie, allongez-vous.

— Merci, je peux me gérer seul.

— Non, je dois vous refaire une saignée : votre cas ne semble pas s'être amélioré.

— Ah non ! pas de saignée. Sortez de cette pièce !

— Vous n'avez pas d'ordre à me donner, monsieur Morhunas.

Zut, il avait tendance à oublier que tout le monde ignorait son statut de prince ici.

— Maintenant, déclara l'humain, mettez-vous sur ce lit pour que je vous extraie du sang !

Son temps devenait un peu trop péremptoire au goût de l'elfe. Refusant d'obéir, il recula vers la sortie avec la ferme intention de s'en aller. Mais l'homme se mit en travers de son chemin, et pointa son scalpel sous son menton :

— Regagnez votre lit, je ne me répèterais pas...

Ça, c'était certain. Car quatre canines s'enfoncèrent dans sa jugulaire pour lui arracher le cou. Morgal se laissa tomber avec lui à terre pour boire son sang. Il crut renaitre tellement la sensation qu'il éprouva lui enflamma les veines. C'était divin.

Mais le cri d'une domestique l'arrêta dans son repas sanglant. Un rictus de frustration passa sur son visage : elle allait prévenir la garde. Qu'importe ! Il saisit le scalpel du médecin et rattrapa la bonne en quelques enjambées pour l'égorger à son tour. Voir tant de sang lui procurait un bien être malsain qu'il n'aurait jamais voulu abandonner.

Malheureusement, une patrouille finit par se manifester à l'autre bout du couloir. Il ne faisait plus bon à s'attarder.

Abandonnant le cadavre encore chaud, il se précipita vers les escaliers qu'il dévala d'une traite. Mais arrivée sur le dernier pallier, il distingua que la porte de sortie était gardée. Fichtre ! La fenêtre sur sa gauche apparut comme une planche de salut. Il brisa la vitre dans sa course et tomba dans la rue. Grâce à son agilité, il en échappa indemne mais à peine s'était-il relevé qu'une vingtaine de soldats l'entouraient, la lance pointée vers lui.

— Oups.




Attaché au lit de sa chambre, le fils d'Elaglar rongeait son frein. Cinq gardes le surveillaient en attendant que leur supérieur ne se manifeste. Enfin, Durantal apparut dans ses habituels atours excentriques.

— Mon cher Morhunas ! Vous voilà en piteux état. Ce n'est guère sympathique de tuer mon médecin ainsi qu'une de mes domestiques ! Regardez-vous, tout barbouillé...

— Pourquoi vouloir à tout prix me vider de mon sang ?

— Pourquoi ? Mais voyons, Morhunas, vous êtes ma poule aux œufs d'or, vous ne comprenez pas ?

— Hein ?

— Vous avez guéri mon fils !

Morgal écarquilla les yeux, incrédule. Voyant son incompréhension, le bourgmestre se tourna vers la fenêtre et expliqua :

— Apparemment, les légendes sur votre peuple sont vraies, l'elfe. Votre sang permet de soigner n'importe quelle maladie. C'est pourquoi vous allez gentiment alimenter mon nouveau commerce.

— Votre...

— Les gens vendront leur fortune pour échapper à la peste. Une seule goute et ils seront guéris, formidable, n'est-ce pas ?

Morgal n'en revenait pas : il allait se faire saigner comme un goret alors que c'était lui le vampire ? La situation était absurde. La colère pulsait dans son âme mais tous les humains semblaient satisfaits de la chose. Et ça ne s'améliora pas quand le gamin de la fois dernière se pointa avec un sourire triomphant affiché sur sa face bouffie. Le prisonnier se craqua la mâchoire, rêvant d'arracher cette petite tête insolente de son corps replet.

— Libérez-moi, grinça-t-il en tirant sur ses chaines.

— Et votre service à mon encontre ? Ne me jetez pas ce genre de regard, Morhunas. Car la vérité est que vous êtes un vulgaire vampire, rejeté par votre race. Et tant que votre magie ne vous sera pas révélée, vous resterez ici.

Et voilà que les tribulations continuaient... Le bourgmestre quitta la chambre avec sa suite, le laissant seul avec son fils.

— Tu vas regretter de m'avoir menacé, le gnome, prévint ce dernier d'un air qui se voulait autoritaire.

— Je suis mort de peur.

— Tu le devrais.

— Parce que tu ressembles plus à un pourceau gélatineux qu'à un enfant ?

Ses grosses joues rougirent de colère mais il s'abstint de tous commentaires, laissant l'elfe sur son lit.

— C'est ça, va vider le garde-manger...

Déjà de mauvaise humeur, le prince vécut mal l'arrivée des médecins. Il s'emporta dans une bordée de jurons alors que les hommes le plaquaient sur les draps pour lui ouvrir les veines. Perdant patience, l'un d'entre eux lui assena un formidable coup dans la tempe. Cela suffit à lui faire quitter la réalité.

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