Chapitre 15
Morgal fut réveillé par les cris des totems. Comme chaque matin. Les familiers des lumbars s'excitaient dès les premières lueurs du jour et se battaient dans des hurlements stridents.
L'elfe n'eut qu'une seule envie : les réduire en charpie.
Mais les totems étaient indispensables à leurs maîtres ; sans eux, la magie des lumbars seraient impossible.
Aussi préféra-t-il ignorer ces animaux et monter sur le pont, encore désert. Seul, Fergüs, le second, scrutait l'horizon de sa longue-vue. Les vagues grossissaient sous les bourrasques, balançant la petite frégate au-dessus de la houle agitée.
— Tu n'es pas très matinal pour un elfe, fit remarquer le nain en repliant son engin.
— C'est parce que mon Vala dort toujours.
Fergüs le regarda au-dessus de ses petites lunettes et ajouta :
— Tu as quel âge ? Seize ans ?
— Dix-neuf...
— Tu les fais pas. Je me mêlerais pas de ce qui me regarde pas mais je mettrais ma main au feu que tu es issu de la noblesse fëalocen. Tu as grandi dans un château, pas à la dure. Ton incapacité à te débrouiller et à te défendre ne le contredit pas.
Morgal leva les yeux au ciel, agacé par ces propos. Le nain avait raison mais il n'appréciait pas qu'on lui rappel les conséquences de sa paresse.
— Quand arriverons-nous en Fanyarë ? demanda-t-il pour briser le silence pesant.
— D'ici deux jours. Peut-être parviendrons-nous à percevoir les côtes ce soir, si le vent est avec nous.
Le prince hocha la tête, restant aux côtés du second. De tout l'équipage, c'était celui qu'il supportait le mieux, sûrement parce qu'il ne participait pas à la bassesse constante de l'équipage.
— Tu ferais mieux de repartir à tes occupations avant que le capitaine te voie sans rien faire, conseilla Fergüs de sa voix rocailleuse, il ne t'aime pas beaucoup.
— Comme tous les autres.
— Évidemment. Personne n'affectionne les elfes, vous êtes beaucoup trop hautains et réduisez vos adversaires en esclavage.
Morgal décala sa mâchoire, lassé d'entendre toujours le même discours. Les autres races détestaient les siens pour la simple et bonne raison qu'ils étaient bien plus développés. C'était simplement par pure jalousie à l'égard de leur supériorité incontestable.
Il quitta le nain et rejoignit les soutes pour mettre de l'ordre dans les cales. Et vu le capharnaüm, il y avait du travail !
En passant devant le frison, il décida de tout de même vérifier sa jambe. La pauvre bête le laissa la rejoindre, dardant ses yeux veloutés vers lui.
Morgal s'accroupit et observa le genou ainsi que le boulet. Lorsqu'il souleva délicatement le sabot, le cheval ne broncha pas, ne ressentant aucune douleur.
— Tu vois, ce n'était pas si terrible.
Sa monture s'ébroua, peu convaincue.
Le prince lui flatta l'encolure puis se retourna vers la selle et le licol. Sur le cuir, il trouva une inscription : Alaxos.
— Alaxos ? C'est ton nom ?
Le frison tourna ses longues oreilles et s'avança vers son maître pour poser son menton sur son épaule. Morgal lui gratta le chanfrein et partit vers le fond de la cale.
— « Ce cheval me manquera... »
Il tituba à cause des roulis et se rattrapa à une poutre in-extrémis. Décidément, il n'avait pas le pied marin. Et sa soif grandissante n'arrangeait rien.
— Maudite maladie !
C'était un véritable handicap. Sa gorge sèche lui arrachait des douleurs de plus en plus aiguës et dans ses veines pulsait le besoin de violence. Il secoua la tête comme pour contenir le feu qui le rongeait mais il ne pourrait bientôt rien n'y faire. Rejoignant des tonneaux bardés de fer, il souleva le couvercle et déroba un morceau de viande crue. Si cela pouvait calmer sa déshydratation...
— Non, mais tu fous quoi ?!
Il se retourna, la bouche pleine, rencontrant le regard incendiaire d'un lumbars sec, flanqué d'un chat squelettique.
Morgal ne s'était jamais senti aussi idiot de sa vie : la main dans le sac !
Le lumbars s'avança à grandes enjambées vers lui et lui saisit violemment le bras. Il dominait bien l'elfe d'une tête et son attitude empestait l'hostilité.
— Tu voles dans les réserves, hein ? Tu vas expliquer ça au capitaine !
Le prince écarquilla les yeux en sentant la panique monter en flèche dans sa poitrine. Nassër ne lui pardonnerait jamais !
Il se défendit comme il put, tentant de se soustraire de la poigne adverse. S'il ne se débarrassait pas du témoin, c'est lui qui finirait au fond de l'océan pour nourrir les poissons. Et quitte à assassiner un innocent, autant se servir.
L'elfe se jeta contre le lumbars surpris et lui sauta à la gorge, nullement dégouté par ce geste. L'homme s'effondra sous l'attaque fulgurante, un cri de douleur naissant dans sa gorge ensanglantée.
Peu importait maintenant les coups que renvoyait sa victime ni même les sortilèges qui commençaient à apparaitre, Morgal ne lâcherait pas, emporté dans une fièvre inarrêtable. Comme la première fois, ses angoisses et ses peines s'envolèrent au contact du sang chaud. De la raison, il passa à la folie, avide d'éponger sa soif. La situation lui paraissait aussi divertissante qu'ironique, il était prêt à déchiqueter le corps jusqu'à ce qu'il n'en reste que des lambeaux.
Mais le lumbars se remit rapidement de cet assaut fulgurant. Il abattit ses deux mains sur le crâne de son agresseur et lui brûla la peau. Morgal tomba à la renverse, tenant son front endolori.
L'autre n'attendit pas qu'il se relève pour dégainer son cimeterre et le pointer sous le menton du coupable. Pour l'immobiliser davantage, il écrasa son épaule sous sa lourde botte.
Le prince émit un râle de douleur en ressentant sa foulure précédente mais petit à petit, ses grognements se transformèrent en ricanements, en proie à une crise.
Le lumbars fronça les sourcils, dérouté par ce comportement lunatique pour le moins effrayant. Aussi préféra-t-il assener un formidable coup de pommeau dans la tempe de l'elfe pour le calmer une bonne fois pour toute.
Pour un réveil, ce fut un réveil violent. Comme si son épaule meurtrie et son crâne malmené ne suffisaient pas ! Un deuxième coup de poing dans la mâchoire lui craqua douloureusement les cervicales. Nassër aimait se défouler sur lui, apparemment !
— C'est pas interdit pour la Ligue Marchande de maltraiter les membres de son équipage ? demanda-t-il dans un sourire cynique.
Le capitaine lui saisit le cou de sa grosse main calleuse, dardant ses yeux noirs dans les siens :
— Si jamais je savais que tu étais un sale vampire, l'elfe, cracha-t-il, je t'aurais éventré avant que tu ne mettes les pieds sur mon bateau !
Pour toute réponse, Morgal lui ricana au nez, récoltant d'ailleurs un choc dans ce dernier. Le sang commença à couler drastiquement de ses narines et de sa bouche. Il n'aurait jamais pensé que le sien ait si bon goût d'ailleurs. Mais il fut interrompu dans ses réflexions par son supérieur qui lui attrapa les cheveux pour le relever.
Comme pour lui rendre la douleur de son cuir chevelu enflammé, il voulut riposter par un crochet dans son visage mais il se trouva entravé par de grosses chaines. Ah... Il ne les avait pas vues, celles-là.
— Je vais te démolir ta sale petite gueule, l'elfe, et quand j'aurai fini de te refaire ton joli portrait, je laisserai mes hommes te finir. Pas un seul d'entre eux n'a été épargné par la perfidie perverse des tiens. Ils se feront un plaisir de t'exécuter.
Morgal déglutit, ne désirant pas vraiment se faire torturer. Il haussa les épaules et recommença à rire en se recroquevillant dans le coin de la cale.
Les lumbars haussèrent les sourcils, dépassés par ce cas étrange. Sur le sol, l'autre continuait de s'agiter dans une hilarité de plus en plus déstabilisante.
— On le jette à la mer ? proposa un marin affublé d'une mouette, il va nous attirer le mauvais œil.
— On peut toujours le pendre au mât de misaine, renchérit un autre.
— T'es pas bien ! il va attirer les charognards.
— Vu son état, j'en doute...
Les lumbars se concertèrent un instant sur le sort de leur mousse, bien décidés à lui faire payer ses actes. Ce qui ne sembla nullement contrarier le concerné qui continuait à rire allégrement comme un possédé.
Nassër secoua la tête dans un soupir et quitta la cale avec ses sous-fifres, laissant le prisonnier seul avec ses chaines.
Morgal se calma lentement, comme si sa raison lui revenait petit à petit. Si la crise passait, la soif de sang restait toujours présente. C'était désagréable et il désirait bien rejoindre le capitaine pour lui faire payer son état.
Mais un problème plus immédiat le ramena à la réalité : d'ici quelques instants, ils reviendraient pour le tuer dans d'horribles souffrances. Il grimaça en imaginant quel genre de torture les lumbars pratiquaient. On lui avait parlé d'extirpation cérébrale par les narines ou les oreilles et d'écorchement de la rétine au scalpel. Bref, rien de très réjouissant.
L'elfe tira sur ses fers pour vérifier leur solidité. Mais apparemment, il ne s'en sortirait pas sans avoir arracher ses mains et ses pieds. C'était douloureux et seule la magie des Haut-Mages pouvaient recréer des membres à partir de rien. Et puis s'enfuir sans ses pieds, s'avérerait compliquer. Surtout sur un bateau à plusieurs lieues des côtes.
Non, il devait trouver un moyen de se libérer et attendre que le navire se rapproche suffisamment de la terre ferme. Pas avant le matin... Et à en juger la tempête qui sévissait, il n'était pas rendu...
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