Chapitre 1

Les rayons du soleil inondaient la chambre d'une clarté chaleureuse. Une atmosphère quasi-féérique emplissait la pièce ; chaque objet et chaque meuble en était transformé. Le cristal prenait une teinte dorée alors que les diamants qui sertissaient les colonnes d'appui resplendissaient de mille feux. Par la fenêtre, les oiseaux gazouillaient joyeusement et les fleurs courbaient leurs pétales dans de délicieux arômes.

Un matin fabuleux dans un lieu paradisiaque...

Morgal se redressa sur son séant et s'étira en plissant les yeux. L'astre du jour était déjà haut dans le ciel et il devait sortir du lit s'il ne voulait pas rapidement se faire réprimander. Mais sa paresse légendaire ne tarda pas à le rattraper et il s'affala une nouvelle fois sur l'oreiller dans un grognement de contentement. Ses cheveux dorés qui lui arrivaient d'habitude au-dessus des épaules formaient désormais un soleil sur le tissu blanc. Et s'il décidait de rester sous les draps en fin de compte ?

Malheureusement, ce n'était pas ce que l'on attendait d'un prince. La barre était haute et comment dire... il n'y était pas.

Et son fainéant de jumeau non plus.

Allongé dans le même lit, ce dernier continuait sa nuit, le visage marqué par un étrange rictus.

— « Encore une fois, le rêve ne semble pas plaisant », pensa Morgal en le détaillant.

Malgal comme lui, étaient physiquement identiques. Les courtisans ne parvenaient à faire la différence. Rien que leurs noms prêtaient à confusion. Malgal, Morgal, cela se ressemblait.

Enfin, son frère émergea brusquement de son sommeil, le souffle coupé et les yeux écarquillés. Il lui fallut de longues secondes pour reprendre sa respiration.

— Un problème ? ricana Morgal.

Malgal réajusta sa chemise de soie sur ses épaules et secoua la tête pour chasser ses dernières pensées. Comme les matins précédents, il paraissait réellement troublé. Aussi, son frère jumeau supporta mal de le voir dans un état pareil. Pour une raison qui échappait à la plupart des mages, un lien psychique les unissait et leur permettait de ressentir leurs émotions respectives. En fait, ils étaient si proches l'un de l'autre qu'il était impossible de les séparer. Ils partageaient tout : leurs vêtements, leur chambre, leurs envies et leurs défauts. C'était presque comme une seule personne qui se dédoublait.

— Malgal ? Tout va bien ? s'inquiéta-t-il.

— Heu... Oui. Juste un cauchemar, c'est rien...

Morgal hocha la tête et sauta du lit pour se rafraichir le visage et s'habiller comme son rang l'exigeait. Il disparut dans la salle de bain, gardant toutefois une proximité avec son jumeau : le contraire pouvait les rendre malades.

Le jeune prince soupira en contemplant son reflet dans le miroir. Sa chevelure en bataille allait lui donner du fil à retordre.

— « Et si je me rasais la tête ? » songea-t-il en se passant une serviette sur les joues.

C'était bien sûr une solution à ne pas envisager bien que l'expérience pût provoquer un scandale divertissant. Il décida donc de rassembler les mèches du dessus en une petite queue de cheval qui dégageait ses deux longues oreilles effilées. Deux orbes d'un bleu époustouflant lui faisaient office de yeux : pour rien au monde il n'aurait désiré changer cette couleur qui, il fallait le dire, lui donnait beaucoup d'admirateurs. Même ceux de son jumeau n'étaient pas si intenses.

En regardant plus attentivement son reflet, il décréta qu'avec sa mâchoire bien soulignée, ses pommettes hautes et son nez droit, il ne manquait pas de charme. Loin de là. Et tant mieux : on pardonnait beaucoup plus à un jeune prince séduisant qu'à un souillon sans beauté.

En fait, Morgal et Malgal avaient pour le moins du succès, surtout chez la gente féminine. Mais ils ne s'intéressaient guère aux femmes, trop occupés à lancer des mauvais coups ou à perdre du temps dans leurs loisirs respectifs.

— Tu as une sale tête, remarqua Morgal à l'égard de son frère.

— J'aimerais pouvoir arrêter de dormir. Cela m'éviterait de subir pareils rêves.

— Pour cela, il faudrait que notre Vala se réveille. Et ce n'est toujours pas le cas...

— Nous avons dix-neuf ans ! Il serait grand temps.

— T'en fais pas. Cela peut tarder un peu. Qu'est-ce qu'un an ou deux dans toute une éternité ?

Malgal grommela et partit s'habiller dans son coin. Décidément, son frère ne supportait pas de le voir ainsi, si angoissé. Cela lui retournait l'estomac. Mais comme il venait de le préciser, le réveil de leur Vala, la magie qui coulait en eux, règlerait tous ces soucis...

Et puis, on toqua à la porte.

Morgal leva les yeux au ciel d'exaspération et vint jeter un coup d'œil à la porte, à moitié vêtu.

Un gnome pénétra dans le séjour, tenant un plateau d'argent où reposait une missive en évidence.

— Bien ! Le début des ennuis ! Et dire que cette matinée de printemps commençait si bien !

La créature, du haut de sa petite taille, se rétracta comme si elle craignait essuyer le courroux de son maître.

— Allez, dégage de là, le gnome, ordonna le prince en dépliant l'enveloppe.

Le serviteur ne se fit pas prier deux fois et s'éclipsa.

— Tu parles mal aux gnomes, je trouve, fit remarquer Malgal en rejoignant son frère.

— Ce sont des esclaves, ils sont là pour ça. Toutes les races devraient être traitées ainsi, haha. J'ai l'impression de parler comme père.

— En effet... Moi je trouve ces autres cultures intéressantes.

Morgal haussa les sourcils :

— Ah oui ? Tu veux qu'on parle des astres ? Une civilisation totalement décadente où la morale et la raison ont désertés chaque individu. Les humains ? Ils s'entretuent continuellement et sont si faibles qu'ils crèvent de n'importe quelle maladie. Les nains et les lumbars ne valent pas mieux : tout ce qui les intéresse est de sauver leur peau dans ces guerres.

— Tu oublies les nurvars.

— Ceux-là sont d'une inutilité affligeante et je ne parle même pas des peuples de la forêt.

Malgal haussa les épaules. Contrairement à son jumeau, ces différents horizons le passionnaient. Mais la totalité des elfes était emprunte d'une sérieuse particularité : le racisme exacerbé. Persuadés de leur supériorité incontestable, ils ne voyaient aucun problème à réduire en esclavage les autres ethnies. C'est pourquoi Morgal ne comprenait pas l'intérêt de son frère pour les autres races.

— Bon, je ne veux pas casser tes rêves, Malgal, mais père nous appelle sur le champ dans son bureau.

— Cela s'annonce mal. Tu crois qu'il a appris pour l'autre jour, à la maison de jeux ?

— Mais non ! Allez, viens.

Avec la tonicité du mollusque, Malgal suivit son frère dans les immenses couloirs lumineux du palais royal. C'était toujours chez Morgal que germaient des idées d'un discernement douteux. Et lui, était toujours prêt à suivre, à accomplir les pires stupidités juste pour satisfaire leur envie de sensations. Mais pour le moment, ils devaient rejoindre le roi et peut-être sentir le savon passer ; avec eux c'était devenu une routine. Contrairement à leurs cinq grands frères qui répondaient à la perfection aux attentes du souverain, les jumeaux détonnaient par leur incapacité à devenir des princes dignes de ce nom.

Ils continuèrent leur chemin, évitant les groupes d'aristocrates qui les ennuyaient sérieusement et plongèrent dans les vastes appartements royaux. Comme dans le reste du palais, le luxe imprégnait la moindre parcelle de mur. En fait, à Elmaril, la capitale, aucun signe de pauvreté ne transparaissait. La classe sociétale la plus basse chez les elfes se limitait à la petite bourgeoisie. La main d'œuvre, elle, se constituait des gnomes, ces elfes-miniatures, et d'autres races au Vala très diminué, réduites en esclavages. On ne contredit pas la loi du plus fort...

Enfin, les deux battants d'airain pivotèrent sur leurs gongs et les jumeaux s'avancèrent dans le vaste bureau, surplombé d'une voute de verre d'où pendait un lustre de cristal.

Leurs pieds s'enfoncèrent dans l'épais tapis jusqu'à ce qu'ils s'arrêtent à deux mètres du roi. Elaglar Fëalocen, le Roi en Blanc, siégeait avec toute sa prestance. Il était souverain de la Fëalocy depuis désormais de longues décennies et avec son avènement, son royaume s'était élevé au-dessus de toutes les autres monarchies elfiques de Calca. Un brillant stratège qui n'hésitait pas à supprimer ses opposants. Son visage sévère, encadré par de longs cheveux lisses immaculés lui donnait parfois l'air d'un fantôme et ses vêtements couleur neige accentuaient cette idée. Pour le moins que l'on puisse dire, Elaglar inspirait la peur à tous.

Mais en cet instant, c'était surtout ses propos que craignaient les deux princes.

Derrière le fauteuil royal, leur mentor, maître Ingalme, les transperçait de son regard de rapace.

— Malgal, Morgal, commença le roi de son air imperturbable, j'ai quelque chose à vous annoncer.

Les deux adolescents se regardèrent avec inquiétude.

— Père, hasarda Malgal, si vous voulez nous marier, je vous assure que...

— Ce n'est pas de cela dont je vous parle, trancha Elaglar, vous êtes bien trop immatures pour que je vous affranchisse de la sorte.

Les deux frères soufflèrent de soulagement. Le mariage était sans doute le seul gros point noir de leur avenir. Car cela rimait à une séparation douloureuse. À moins qu'ils ne vivent à quatre dans les mêmes appartements. Ou qu'ils partagent la même femme comme le proposaient leurs ainés en se moquant d'eux.

— Non, continua leur père, maître Ingalme et moi nous sommes mis d'accord sur un fait : votre formation a besoin d'un sérieux coup de fouet. Votre incapacité accablante vous empêche de devenir des personnalités importantes au sein du royaume. Si vos connaissances sont acceptables, il n'y va pas de même pour le maniement des armes où votre talent est de l'ordre du néant !

Morgal et son frère baissèrent la tête, forcés de reconnaitre ce discours.

— Pourquoi ne pas arrêter cet enseignement ? releva-t-il en craignant la réponse de son père.

— Parce que nous sommes des elfes guerriers, Morgal, pas des elfes sylvestres !

— Notre mère en est une...

— Elle ne l'est plus ! Et de toute façon, nous sommes en période de guerre. Il est essentiel pour vous-deux de connaitre une formation militaire digne de ce nom. C'est pourquoi je vous envoie sur le champ à Ur-Nabal.

— Quoi ?! s'étrangla Morgal.

— Père, je vous en supplie...

— Ma décision est prise et l'on vous y attend déjà. Le temps de parvenir en Aldor et vous commencerez à devenir de vrais hommes.

— Mais...

— Suffit ! Disparaissez.

Les frères sortirent du bureau, atterrés par cette nouvelle fracassante. Leur père les avait tout bonnement chassés du palais. Encore une fois, sa volonté inébranlable s'était abattue sur eux. Humiliés, ils regagnèrent leur chambre. Les gnomes s'activaient déjà pour les préparatifs, exaspérant les deux princes.

Il y avait de quoi être accablé pour ces fils fainéants : Ur-Nabal était l'école militaire la plus prestigieuse et élitiste de Calca. Les différents princes et aristocrates des royaumes elfiques s'y rendaient pour ensuite intégrer les meilleures places dans l'armée. Ce qui n'était absolument pas le but de Morgal et de son jumeau. N'importe quelle arme les répugnait et ils étaient aussi dégourdis au combat que des molusques.

Pourtant, cela devait changer car ce jour-là, leur enfance prenait fin.

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