Chapitre 3 : Une vision marqué

Il est quatre heures du matin quand Anna ajuste son expérience dans le sous-sol où se trouve son laboratoire personnel. Équipée de lunettes en plexiglas, d'un masque et d'une blouse en cuir marron, elle tient un tube à essai avec une pince, ses bras tendus pour éviter tout contact direct. Elle verse délicatement un liquide rose bonbon sur une pierre qu'elle a trouvée il y a quelques mois, un fragment venu du ciel.

Dès que la première goutte touche la pierre, un phénomène incroyable se produit. Le météore disparaît instantanément. Anna, stupéfaite, repose le tube sur son support et fixe l'espace vide où la pierre se trouvait. Sa main tremble légèrement alors qu'elle note précipitamment ses observations dans son carnet.

— Si mes calculs sont exacts, il devrait réapparaître d'un moment à l'autre.

À peine a-t-elle fini de parler que la pierre réapparaît, mais sous une forme cristalline. Les yeux écarquillés, Anna recule d'un pas, fascinée par ce qu'elle vient de voir.

— Tu es vraiment la météorite que je viens d'envoyer ? murmure-t-elle, comme si la pierre pouvait lui répondre.

Voilà plusieurs années qu'Anna travaille sur cette mystérieuse substance rose apparue lors d'une de ses visions.

* * *

Le jour de ses dix-huit ans, alors qu'elle soufflait les bougies sur son gâteau d'anniversaire, quelque chose d'étrange s'était produit. En fixant la fumée des bougies, un fourmillement étrange s'était glissé dans son esprit. Une vision avait alors envahi son esprit : à la lisière de la ville, sur une colline déserte, un liquide visqueux et rose s'écoulait lentement sur une roche angulaire. L'image était si nette, si réelle.

Sans prévenir sa famille ou son ami, Anna avait enfourché son vélo et pédalé aussi vite que possible jusqu'à cette colline, reconnaissant immédiatement l'endroit de sa vision. Les vestiges d'une ancienne civilisation parsemaient cette terre sans herbe, et son cœur battait à tout rompre, envahi par l'adrénaline de la découverte.

Elle avait emporté avec elle un pot en zinc, celui que sa mère utilisait pour la confiture. Arrivée sur place, elle avait vidé le contenu du pot, essuyé les restes collant avec le bas de son t-shirt et s'était mise à chercher la fameuse pierre. Son regard scrutait frénétiquement les alentours, impatiente de trouver cette mystérieuse substance.

Enfin, elle l'avait vue : le liquide rose s'écoulait bel et bien sur la roche, comme dans sa vision. Avec précaution, elle avait raclé une petite quantité de la substance avec le couvercle du pot, le cœur battant à toute allure. Malgré la précipitation, elle avait pu prélever un échantillon précieux avant de s'éloigner, son trésor en main.

Anna était rentrée chez elle, un sourire triomphant collé sur son visage. Ce qu'elle ignorait à ce moment-là, c'est que les autorités sanitaires avaient rapidement isolé la zone après son départ. Quelques heures plus tard, la colline avait été barricadée, gardée à l'abri des regards indiscrets.

* * *

Depuis, Anna mène ses propres expériences. Elle a découvert que ce liquide rose vif permettait à des objets de traverser des portails, soit dans le temps, soit dans d'autres dimensions. Pour cette raison, elle garde précieusement ses recherches secrètes. Mais pour aller plus loin, il lui faut des outils qu'elle ne possède pas, d'où son entretien avec ce M. Owlier.

Soupirant, Anna range le restant du liquide rose dans son récipient principal et le place dans une armoire sécurisée. Elle s'affale ensuite sur son canapé, fatiguée, et son esprit vagabonde vers la veille.

— Le PDG a sûrement dû me prendre pour une folle, se dit-elle. Qui ne le ferait pas en voyant une jeune femme perdue dans un tableau ?

La migraine qu'elle avait réussi à atténuer avec des cachets commence à revenir, plus forte. Se massant les tempes, Anna espère que la douleur s'estompe, mais rien n'y fait. Elle se lève péniblement et se dirige vers la cuisine à la recherche d'une nouvelle boîte de cachets. Malheureusement, celle qu'elle trouve est vide.

La douleur s'intensifie, devenant presque insupportable. Cherchant désespérément, elle fouille les placards, retourne les tiroirs, faisant tomber assiettes et verres sur le sol. Le fracas résonne dans la maison, suffisamment fort pour réveiller sa mère, Joe, qui descend les escaliers armés d'une batte de baseball, prête à défendre sa maison.

En voyant sa fille se frapper la tête contre le mur, Joe laisse tomber la batte. Anna est en train de se taper le front contre la paroi de plastique, son arcade est ouverte, et le sang commence à couler. La vision l'attaque sans prévenir.

Les images sont violentes. Elle voit des accidents en chaîne se propager dans Stormdale. Les autoroutes se retournent, les voitures tombent dans le vide. La ville s'inverse, ses structures se tordent et se désintègrent sous un ciel rouge de sang. Anna hurle, tentant de fuir ce cauchemar, mais la vision la retient, s'intensifie. Les ponts apparaissent, leurs tours se brisant comme des jouets. Un hurlement animal résonne dans sa tête, si fort qu'elle croit devenir folle. Une odeur étrange l'envahit, celle du métal brûlé et de la chair.

Puis, des silhouettes se forment. Une femme, vêtue d'un corset en cuir marron, un chemisier blanc dévoilant un décolleté audacieux, et une longue jupe victorienne noire relevée sur le côté. Ses cheveux blonds sont attachés en dreadlocks, de grosses lunettes rondes reposent sur son front. À ses côtés, l'ombre d'un animal à quatre pattes, indéfinissable. En face de cette femme se tient M. Owlier, un sourire malsain aux lèvres. La femme semble attendre Anna, tenant dans sa main une météorite.

Le hurlement continue, strident, jusqu'à ce que soudain, une sensation froide envahisse le bras d'Anna. Le liquide d'une seringue, plantée dans sa peau, circule dans ses veines. Sa mère, Joe, n'a pas hésité : elle lui a injecté une dose puissante de morphine pour calmer la crise.

À ce moment-là, Stéphan, le père d'Anna, rentre à la maison. Il découvre le salon et la cuisine dans un désordre total, des éclats de vaisselle jonchant le sol. Ses yeux se posent sur sa femme, tenant la seringue dans le bras de leur fille.

— Qu'est-ce que... elle a refait une crise ? demande-t-il, alarmé.

— Oui, aide-moi à la monter dans sa chambre, répond Joe, la voix tendue.

Malgré son épuisement après une longue journée, Stéphan laisse tomber ses affaires et soulève Anna dans ses bras. Il grimpe les escaliers, portant sa fille jusqu'à son lit.

— Quelle dose lui as-tu injectée ? interroge-t-il en la déposant doucement.

— Le triple, répond Joe.

Stéphan soupire. C'est la dose maximale autorisée dans une situation pareille. Joe sort une trousse de secours et commence à nettoyer la plaie d'Anna, la recousant avec soin. Pendant ce temps, son époux fait les cent pas, pensifs.

— Dennis l'a ramenée après son entretien, dit Joe en travaillant. Apparemment, ce PDG n'a pas voulu entendre parler de ses recherches et l'a renvoyée. Mais elle a eu une vision avant de partir... Tu crois que c'est lié ?

— Comment s'appelle-t-il déjà ? demande Stéphan, se tournant vers sa femme.

— Un truc comme... Ogleir, quelque chose comme ça...

— Owlier ?

Joe manque de crever la paupière d'Anna lorsque Stéphan crie le nom du PDG. Elle lève les yeux, surprise. Visiblement, son époux connaît cet homme. M. Owlier est un personnage influent, à la tête d'une entreprise pharmaceutique renommée. Les pensées de Stéphan s'embrouillent. Il travaille justement sur un projet pour ce fameux Owlier.

Joe, ayant terminé de soigner sa fille, se redresse et s'appuie contre lui. Ensemble, ils regardent Anna, profondément endormie sous l'effet de la morphine. Ils savent que chaque crise de cette violence annonce quelque chose de grave. Mais face à ces forces incontrôlables, ils ne peuvent rien faire, juste attendre.

— Je vais bricoler dans le garage, soupire Stéphan.

— Tu devrais te reposer ou manger un morceau avant, propose Joe.

— Ça ira. Appelle-moi quand elle se réveillera.

Il dépose un baiser sur le front de sa femme avant de quitter la chambre. Joe, les poings sur les hanches, grogne à moitié, mais elle sait qu'il a besoin de réfléchir.

* * *

À l'extérieur, perché sur un lampadaire, Arcane, le hibou de M. Owlier, observe silencieusement la maison. Ses yeux luisent dans l'obscurité, réfléchissant les éclairs qui zèbrent le ciel. Il estime qu'il est temps de faire son rapport. D'un battement d'ailes majestueux, il s'envole vers les gratte-ciel du centre-ville.

* * *

— Tu penses que c'est le moment ?

L'homme posant la question se tient sur un monticule. Il fume un cigare, ses yeux fixés sur la ville de Stormdale au travers d'une brume rose bonbon.

— Ses visions se précisent. Je ne ressens pas sa douleur, mais les événements convergent, répond une femme en décroisant ses jambes.

Elle remonte sa longue jupe et sort une petite pochette dissimulée à sa jarretière. Entre ses doigts sales, elle fait tourner une météorite. Elle allume une cigarette d'un geste nonchalant.

— Elle a reçu ton message ?

— Je l'espère, soupire la femme en recrachant la fumée.

Elle se lève, puis porte son regard vers la brume.

— Ça va bientôt commencer. 

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