Chapitre 21 : Le domaine de Lakedole
— Allons, allons, il ne sert à rien de s'énerver, tente de calmer Stephan.
Les nerfs se sont échauffés. Anna voit son père, les mains tendues en avant, en faisant des gestes d'apaisement. Elle avait ressenti un appel qui dans son sommeil l'a éveillée et guidée ici. Mais elle ne sait pas comment ses pas l'ont amené en cet endroit.
Maintenant, elle observe en silence sa mère tenant un fusil contre la tempe d'une personne de petite taille, qui tremble de toutes parts, pointant un revolver vers sa personne. Une autre femme se tient bien droite et tient en joue Joe avec un autre fusil. L'homme se tenant à ses côtés garde son arme près de son torse dans un calme olympien. Comment une telle situation a pu dégénérer à ce point ?
— Baisse ton arme gamine. Je vais ranger la mienne si ton nain n'essaie pas de trouer ma fille, siffle Joe.
— Fergus ! grogne Bénédicte, dépose ton arme tout de suite.
Le nain abdique et dépose son revolver sur le sol boueux. Joe baisse le sien et les autres se détendent. Stephan pousse un long soupir de soulagement et s'approche de sa fille pour la prendre dans ses bras. Anna accueille son étreinte, l'esprit encore embrouillé.
— Que s'est-il passé ? demande-t-il à sa fille en la tenant à présent par les épaules.
Tous attendent son explication. Mais même Anna n'arrive pas à mettre les mots sur ce qu'elle a ressenti. Elle hausse simplement les épaules en baissant la tête. Avec toutes les découvertes faites avant d'être assommée, elle n'a qu'une envie, c'est d'être dans son petit laboratoire et d'approfondir ses recherches sur la substance rose. Malheureusement, en tournant la tête vers le rivage et en apercevant les ruines de Stormdale flottant à l'horizon, sa petite vie d'avant ne sera plus présente.
— Nous devrions nous rendre immédiatement à Lakedole, histoire d'être plus en sécurité avant d'aller à Glockstorm dans une semaine, propose Anthony.
— Et que fait-on des fuyards ? interroge Bénédicte toujours à cran.
— Nous ne les retrouverons pas tout de suite, plions bagage et allons-nous-en.
Anthony se retourne et marche d'un pas précipité après avoir lâché sarcastiquement sa dernière phrase. L'homme est énervé de n'avoir pu rentrer en contact avec son frère. Entre les bêtises de Fergus, la rage de Bénédicte et tous les problèmes qui s'en est ensuivi, il n'a qu'une envie, revoir ses appartements, prendre une douche et se coucher. L'excitation du début de la journée a été remplacée par une grande déception.
Anna suit le groupe dans le silence. Elle observe la personne de petite taille qui a l'air de se prendre une ronflante par la demoiselle qui l'accompagne. Le jeune homme qui ressemble à Dennis, elle semble l'avoir déjà rencontré, il lui avait paru gentil aux premiers abords. Mais à présent, il a l'air sauvage, même si son allure est distinguée par des habits le mettant en valeur.
Le campement se plie en un tour de bras. Les soldats n'avaient pas attendu les ordres pour agir et charger les camions. Anna est à présent dans l'un d'eux avec sa famille et Anthony. Le nouveau paysage défile sous ses yeux. La forêt de pins s'enfonce dans l'ombre des collines rocailleuses. Le chemin est sinueux, serpentant entre les arbres. Les projecteurs des soldats tournent sans cesse pour scruter le moindre mouvement suspect qui mettrait leurs traversées en péril. Le voyage se fait dans le plus grand des silences, où une certaine tension règne dans l'ombre.
Joe caresse la tête de sa fille, l'invitant à se reposer. Mais malgré la fatigue et les incessantes montées d'adrénaline qui redescendent en flèche, Anna n'a pas envie de dormir. De plus, elle se rapproche des sièges avant pour contempler le paysage qui se dessine devant elle.
Anthony l'observe amusé, lorgnant sur le décolleté de la jeune femme alors qu'elle s'est penchée en avant.
— Où nous nous trouvons ? interroge Anna surprise par tant de beauté.
— Hem. Nous arrivons dans notre domaine. Lokedale. Anthony répond en fuyant son regard vers l'extérieur.
Une grande bâtisse en pierre s'impose devant un lac. De nombreuses fenêtres parcours la façade visible aux invités. Une tour se détache de l'ensemble, parée en son centre d'une grande horloge qui fait office de baie vitrée, ornée de rouages en bronze travaillant leurs mécanismes pour faire tourner les aiguilles. Des arbustes florissants s'étendent sur les parois, telles les roseraies se profilaient sur les murs des châteaux dans une époque bien trop lointaine.
Ce lieu offre un certain charme et un apaisement pour les esprits. Anna ne pensait pas un jour découvrir qu'un tel endroit pouvait exister. Ne connaissant que les buildings ou les maisons en plexiglas. Le camion se gare dans la cour gravillonnée, déposant Joe, Stephan, Anna et Anthony avant de repartir vers le fond du domaine où se trouve d'autre bâtiment pour les hommes de Bénédicte.
— Cela fait du bien de revoir cet endroit, il n'a pas changé au fil des ans, s'exclame Joe.
— Bénédicte en a hérité après votre départ, explique Anthony, depuis nous vivons tous ici.
Il s'avance, monte quelques marches menant au palier et pousse la grande porte en bois brun. Sa forme arrondie sur le dessus lui apporte une certaine élégance, mais Anna n'est pas au bout de ses surprises, loin de là. En franchissant la porte, elle découvre un vaste hall en marbre blanc. Un tapis rouge recouvre une partie du sol en damier noir. Un escalier est juste en face et remonte en spirale vers les étages, avec une rampe imposante de même matière. Un lustre en fer forgé accompagne sa rigidité au milieu de la spirale, le tout dévoilant une baie fixe sur tout le pan du mur, révélant un jardin donnant sur le lac.
Bénédicte descend les marches avec lenteur, caressant la rambarde avec ses doigts. Elle est arrivée en avance pour donner les ordres aux servantes afin d'y préparer les chambres des invités. Pensant bien évidement qu'il y en aurait plus que ceux présents.
— Où se trouve Fergus ? interroge Anthony curieux qu'il ne soit présent.
— Il est dans son atelier, tu le connais, répond-elle calmement.
Le fait de se trouver dans son domaine assure une certaine sécurité à Bénédicte. Sa colère a pu retomber et à laisser place à son humeur chaleureuse. Elle invite la famille à prendre place dans le salon. Bénédicte s'installe dans un large divan victorien avec des accoudoirs en bois vernis et recouvert de tissu vert bouteille.
La pièce ne se démonte pas face à la beauté du hall. Sa prestance est honorée par une cheminée imposante en brique blanche. Des motifs de l'ancienne famille, demeurant en ce lieu, ornent le linteau du manteau par une série de gravures montrant deux loups face à face.
Joe caresse les symboles avec un air de nostalgie, car elle avait connu autrefois cette demeure. Cela appartenait à sa famille comme un lieu secondaire. Elle y a passé une partie de son enfance avant de devoir affronter les affres de l'effondrement planétaire.
Stephan lui enlace les épaules afin de l'attirer contre son torse. Nombre de souvenirs joyeux ou mélancoliques refont surface depuis leurs arrivées. Ce qu'Anna ne comprend pas en observant leurs comportements.
Elle part s'asseoir sur l'un des canapés, ne se sentant pas à l'aise en ce lieu pourtant si accueillant.
— Je pense que nous devrions nous reposer avant d'entamer quoique ce soit, propose Anthony.
Il remarque que personne n'ose entamer une conversation. Beaucoup d'évènements se sont enchaînés. Bénédicte ne sait pas trop comment aborder Anna. Elle attend que celle-ci lui demande plus d'explication à la situation actuelle, mais la jeune femme reste étrangement silencieuse.
— C'est une bonne idée, approuve Stephan. Nous devons remettre nos idées en place avant d'approfondir le sujet. Tu viens ma chérie ?
Il pose la question vers sa femme avec un sous-entendu dissimulé. Le couple veut reprendre possession de leurs vies d'avant. Ils s'éclipsent non sans glousser comme des adolescents, suivant une servante menant à leur chambre.
— Je file, soupire lourdement Bénédicte. Fergus voulait me montrer une invention.
Anthony la lorgne, méfiant, se doutant que l'invention en question cache une autre affaire. Il connaît bien les deux qui entretiennent une relation plutôt ambiguë. Il ne cherche pas à l'accompagner pour autant, contrariant passablement Bénédicte quand elle s'arrête à son niveau en posant une main sur son torse.
— Tu nous rejoins ? murmure-t-elle en battant des cils.
— Non. Je vais me coucher.
Anthony est sec dans sa réponse, puis il s'adosse au mur en croisant les bras. Bénédicte fronce les sourcils, n'appréciant guère la réponse de son ami. Elle se tourne vers Anna qui baisse la tête, rougissant de les avoir regardés. Bénédicte sourit, et s'éclipse en faisant un salut de la main et souhaitant bonne nuit d'une vois enjôleuse.
Anthony soupire en tournant le regard vers l'extérieur. La nuit est bien avancée. Il ne sait pas si elle sera bonne, mais courte, ça, c'est certain.
— Je voulais...
Anna tente de poser une question, mais ne parvient pas à trouver le courage. Elle se lève à son tour et va pour quitter le salon. Mais Anthony lui barre la route. Il la scrute de ses yeux verts perçants.
— Que veux-tu savoir ?
Anna sent le rouge lui monter aux joues. Elle est déstabilisée par la ressemblance de cet homme envers son ami Dennis. Qui plus est aussi mignon. Un brun plus charismatique.
— Rien, je vais essayer de trouver ma chambre, souffle-t-elle en baissant la tête.
— Je t'accompagne.
Anna veut refuser son offre, mais Anthony ne lui laisse guère le choix. Ils passent tous les deux devant une servante qui s'efface dans l'ombre du hall, remarquant que la jeune femme n'a pas besoin de ses services. Ils montent les escaliers jusqu'au deuxième étage. Puis, ils arpentent une galerie où de nombreux tableaux ornent les murs tapissés de rouge. Anthony s'arrête devant une porte, l'ouvre et laisse Anna pénétrer dans sa nouvelle chambre.
— Si tu as besoin de quoi que ce soit, je suis juste en face, montre-t-il la porte à l'opposé.
— Merci.
Anna ne sait vraiment pas comment se comporter. Tout est allé si vite, et accompagné de situations plus complexes les unes que les autres. Anthony reste un instant pour voir si tout va bien pour la jeune femme, puis la quitte en fermant la porte. Il écoute au travers, mais aucun son ne lui parvient. L'homme soupire et entre dans sa propre chambre. Il dépose son long manteau qu'il n'avait pas quitté depuis son arrivée sur le dossier de la chaise de son bureau.
Il voudrait se laver de toute cette galère, mais le poids de la fatigue le force à s'asseoir sur son lit, la tête posée dans le creux de ses paumes.
Tant de mystère entoure ce lieu si paisible, qui renferme néanmoins tant de secret. Les occupants de Lakedole éteignent peu à peu les lampes à huiles qui éclairent ce domaine dans la nuit, laissant les esprits se reposer et retrouver un semblant de vitalité.
Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top