Level 27 : Premier sang

Inès leva la tête avec espoir en entendant la porte d'entrée claquer, puis la baissa dès qu'elle vit qu'il s'agissait seulement de l'autre crétin de Ryan.

– Mais qu'est-ce qu'il fabrique ? soupira-t-elle en remuant son verre sans conviction.

– De qui tu parles ? lui demanda Amélie.

– A ton avis, de qui tu veux qu'elle parle ? De Gaby, évidemment ! roula des yeux Pauline.

– Ah, il vient ce soir ? Math l'a invité ?

– Pourquoi tu crois qu'elle a mis son déguisement de biatch ? Avoue, Inès, t'as été l'acheter dans un sex shop, ton costume d'infirmière ras la touffe ?

La concernée lui adressa une oeillade meurtrière. Parce qu'elle se pensait meilleure qu'elle, cette vieille tchoin, avec son costume de sorcière claqué au sol commandé sur Temu ?

– T'as envie de pécho Gaby, Inès ? s'enquit Amélie.

– J'ai jamais dit ça ! objecta-t-elle.

Puis, après une brève réflexion :

– Enfin... En admettant que ça se fasse, vous pensez que Mathilde accepterait de me prêter sa chambre ?

Les deux autres échangèrent un regard qui en disait long.

– Hum, non, finit par répondre Pauline. Ça m'étonnerait. T'as vu comme elle s'est sapée ? A mon avis, t'es pas la seule à avoir une idée derrière la tête, hein...

Inès se rembrunit.

– Vous croyez qu'elle veut le récupérer ?

Pauline prit le temps d'avaler une gorgée de son punch avant de répondre :

– Bah, elle fait genre elle s'en fout, mais ça m'étonnerait pas qu'elle ait organisé cette soirée juste histoire de le revoir...

– C'est donc vrai, alors, qu'il l'a ghostée ? s'étonna Amélie. J'arrive pas à y croire ! Eux qui étaient si proches...

Inès haussa les épaules. Si Mathilde ne voulait pas perdre Gabriel, elle n'aurait jamais dû le tromper à la base. Et si elle s'imaginait vraiment pouvoir le reconquérir après ça, elle s'enfonçait le doigt dans l'oeil si profondément qu'elle risquait de le voir ressortir par le cul !

Elle avait beau tenter de se rassurer ainsi, elle ne put s'empêcher de ressentir une légère appréhension. Car nul doute que si Mathilde cherchait à lui faire concurrence en la matière, ce soir, alors ses chances de succès s'en trouveraient considérablement réduites.

Inès et Pauline sentirent soudain un bras s'appuyer lourdement sur leurs épaules : Ryan les avait attrapées toutes deux par le cou et les serraient contre lui en les asphyxiant de son haleine alcoolisée :

– Salut, les filles ! Waow, on s'est faites belles, à ce que je vois !

– Ryan, soupira Pauline en ôtant le bras de celui-ci. Toujours un plaisir de te sentir.

Elle ponctua sa phrase en agitant la main sous son nez, cependant l'autre s'avéra trop stupide pour décerner son sarcasme.

– Popo ! Ça fait cher longtemps, hein ? Ça te va bien, ta jolie tresse de sorcière ! T'as quelqu'un en ce moment, au fait ?

Cette dernière pencha le crâne de côté afin d'éviter qu'il ne continue à tripoter ses cheveux et amena son verre à ses lèvres pour s'épargner toute obligation de réponse.

– Bon, c'est bon, tu nous as saluées, tu peux disposer, maintenant ! le rabroua Inès d'un ton acerbe.

– Oh, Inès... Ma douce Inès... Sois pas si dure avec moi ! J'apporte une bonne nouvelle : j'ai croisé Gab en venant. L'ex de ces demoiselles ne devrait pas tarder à débarquer !

Les jeunes filles échangèrent un regard empreint d'excitation. Cette fois, c'était sûr ! Gabriel était ici et, d'une minute à l'autre, il franchirait la porte d'entrée.

– Vite ! s'exclama Amélie. Je vais prévenir Math !

Joignant le geste à la parole, elle s'empressa de courir en direction des escaliers.

🎃🎃🎃

Les mains appuyées contre le rebord du lavabo, Mathilde releva la tête afin d'inspecter son reflet. Avec un petit soupir, elle s'évertua à remettre ses boucles en place. A cause de l'humidité, elles avaient commencé à faire des frisottis, chose qui avait le don de la contrarier au plus haut point. Elle avait pourtant pris soin de les laver le jour-même, sachant qu'ils n'étaient jamais aussi beaux qu'à ce moment-là. Mais malgré ça, ses cheveux semblaient avoir décidé de la trahir, ce soir, ce qui n'était pas sans l'agacer, puisqu'il ne l'avait encore jamais vue depuis qu'elle avait arrêté de les lisser.

D'une manière générale, chaque centimètre carré de son allure avait été préparé et calculé avec soin. La jeune fille avait longtemps hésité à enfiler son vieux costume de Sally, dans l'espoir que, peut-être, il aurait mis celui de Jack, mais elle s'était ravisée, optant à la place pour un costume de succube sexy, vu que c'était le surnom dont il l'avait affublée lorsqu'ils sortaient ensemble.

Pour se faire, elle avait choisi une tenue mettant en valeur ses formes généreuses auxquelles il avait toujours eu du mal à résister, y compris lorsqu'il était furieux contre elle. Celle-ci se constituait d'un body noir et brillant qu'elle avait surmonté d'une jupe transparente et fendue sur le côté, le tout assorti à des cuissardes remontant jusqu'au-dessus de ses genoux. Elle avait accessoirisé l'ensemble d'une paire d'ailes de chauve-souris accrochée à son dos, des cornes longues et recourbées collées sur un bandeau caché sous sa chevelure, sans oublier un fouet issu de son coffre à jouets sexuels personnel, sachant que, même s'il n'avait jamais servi, il le reconnaîtrait à coup sûr.

A peine eut-elle formulé cette pensée que Mathilde eut envie de se gifler. Depuis que la fête avait débuté, elle n'avait reçu que des compliments sur son déguisement, et elle-même s'estimait particulièrement irrésistible quelques heures auparavant. Mais à présent, seule confrontée à l'image que lui renvoyait le miroir de sa salle de bains, elle se trouvait grotesque.

En admettant que je réussisse à attirer son attention habillée comme ça, ce sera pas pour les bonnes raisons.

Irritée, elle imbiba un coton d'huile d'amande douce avant de le frotter sur ses yeux rageusement, décidant d'enlever le maquillage élaboré qu'elle avait pourtant mis un moment à appliquer.

T'es ridicule, ma pauvre ! pesta-t-elle en son for intérieur pendant qu'elle s'exécutait. Ridicule, ridicule, ridicule, ridicule !

Plusieurs coups frappés à la porte l'extirpèrent de ses ruminations :

– Ça y est, Math ! retentit la voix d'Amélie de l'autre côté. Gaby est arrivé !

Les battements de son coeur accélérèrent à ces mots et elle immobilisa son geste. Elle inspecta son reflet et, après s'être aspergé le visage d'eau pour enlever les dernières traces de fard à paupière ou d'eye-liner, décida qu'il était désormais trop tard pour revenir en arrière.

Bon, et bien, advienne que pourra..., songea-t-elle en prenant une grande inspiration.

Puis elle poussa la porte de la salle de bains afin de retourner à la fête.

🎃🎃🎃

A peine Amélie fut elle redescendue auprès de ses amies que des exclamations fusèrent de toutes parts :

– Oh, matez un peu qui voilà !

– Le Sheitan est enfin là !

– Wesh, pélo !

Inès se dévissa le cou afin de l'apercevoir, et un air béat s'afficha sur son visage. Il était aussi beau que dans ses souvenirs. Peut-être même encore plus. Sa carrure semblait s'être développée depuis la dernière fois qu'elle l'avait vu, quant à son sourire... Il était toujours aussi ravageur.

– Ah, quel régal pour les yeux..., soupira-t-elle avec une mine rêveuse, tandis que ses deux amies acquiesçaient d'un geste machinal.

A ce moment-là, le jeune homme, tout de blanc vêtu et doté d'une auréole sur la tête, leur apparut tel un véritable ange descendu du ciel. Toutefois, leur enchantement s'avéra de courte durée car bientôt se matérialisa dans l'encadrement de la porte, aux côtés de leur Gabriel, une grande fille aux boucles blondes et aux jambes interminables, vêtue d'une minirobe rouge mettant en valeur des formes pulpeuses qui les en fit pâlir de jalousie.

Celle-ci éclipsa d'ailleurs l'entrée en scène de Mathilde qui passa complètement inaperçue lorsqu'elle apparut en haut des escaliers, tous les regards restant braqués sur l'inconnue.

– C'est qui cette pute, Math ? aboya Inès lorsqu'elle arriva à leur hauteur.

La concernée grimaça à l'entente du mot "pute" et ne put s'empêcher de la rabrouer :

– Surveille ton langage, Inès !

– Pardon, s'excusa Pauline à sa place. Quelqu'un aurait-il l'obligeance de décliner l'identité de cette péripatéticienne ?

– Oh, ça ? fit distraitement Ryan. C'est sa copine. Lucie... Ou Lisa... Euh, non, Léa, je crois !

Inès braqua des pupilles courroucées vers Mathilde.

– Tu m'avais pas dit qu'il était casé ! fit-elle d'un ton de reproche.

Puis, après une seconde de réflexion :

– Tu t'es démaquillée ?

Son interlocutrice haussa les épaules.

– Ouais, mes yeux me piquaient alors j'ai préféré tout enlever, éluda-t-elle. Et comment j'aurais pu savoir qu'il avait une copine, hein ? J'te rappelle qu'il a aucun réseau social ! Franchement, c'est toi qui es conne, meuf : on parle de Gaby, là, t'as vraiment cru qu'il était du genre à rester célibataire ?

Elle avait beau prononcer ces paroles d'un ton empreint d'assurance et de condescendance, elle ne pouvait nier le léger pincement qu'elle avait elle aussi ressenti dans sa poitrine en le voyant débarquer accompagné. Réussir à lui parler en tête à tête risquait de devenir bien plus compliqué si sa nouvelle copine lui collait aux basques...

J'aurais dû m'y attendre, aussi. Depuis que je le connais, il a tellement peur d'être seul qu'il se jette toujours dans les bras de la première venue... Pas étonnant qu'il finisse souvent avec des tarées ou des reloues !

Gabriel utilisait les filles comme des doudous réconfortants et des distractions, afin d'éviter de se retrouver en proie à ses pensées. Mathilde essaya donc de se raccrocher à cette idée, et de se rassurer en se disant que, de fait, la présence d'une énième petite-amie ici ce soir ne signifiait pas pour autant que celle-ci revêtait une quelconque importance à ses yeux.

Si ça se trouve, il l'a ramenée juste histoire de me foutre le seum. Et le pire, c'est que ça marche. Il m'emmerde !

– Fait chier ! pesta Inès sans l'écouter. Bon, bah, maintenant, c'est sûr : j'arriverai jamais à le pécho !

Mathilde la fixa pendant de longues secondes, dissimulant de son mieux le mépris qu'elle lui inspirait.

Pff, ma pauvre, même si Gaby était célibataire, t'aurais aucune chance, en vrai. Ça fait longtemps que les clochardes comme toi l'intéressent plus...

– Sérieux, t'es en chien à ce point-là ? se moqua-t-elle.

– Mais quand même ! enchérit Amélie en faisant la moue. T'avais pas dit que c'était réservé aux anciens de troisième, ce soir ? Si j'avais su, moi aussi j'aurais ramené mon mec !

Mathilde lui adressa un sourire sardonique.

– T'as vraiment cru qu'on pouvait interdire un truc à Gabriel, toi ? ironisa-t-elle d'un ton moqueur.

– Grave ! intervint Ryan. En plus, t'as vu un peu la go, comme elle est fraîche ? Je comprends qu'il ait eu envie de l'emmener pour frimer ! Vous avez vu cette paire de...

Mathilde lui asséna une tape derrière le crâne sans le laisser terminer sa phrase.

– C'est bon, on a pigé !

Inès se tourna alors vers Amélie et Pauline, une lueur maléfique dans les yeux :

– Bon... Ça vous dit d'aller les saluer ?

Mathilde les observa s'éloigner en direction du couple, prise de pitié vis-à-vis de la copine de Gabriel en voyant leurs airs de conspiratrices.

Hum, j'espère que ta nouvelle meuf est pas du genre chialeuse, Gaby, sinon elle va morfler, ce soir, songea-t-elle en secouant la tête. Faudra quand même que je garde un oeil sur ces trois-là, histoire d'être sûre que les choses dégénèrent pas trop. Quelle idée t'as eu de la ramener, sérieux ?

Ryan l'extirpa de ses pensées en s'accoudant nonchalamment sur son épaule, ce qui lui valut une oeillade meurtrière.

– Merci de pas me confondre avec un accoudoir, Ryan, marmonna-t-elle en se dégageant.

– C'est à ça que servent les personnes de petite taille, pourtant, lui fit-il remarquer, avant de se prendre un coup de pied dans le tibias.

– Aïe ! T'es folle ?

– C'est plutôt toi qu'es fragile ! rétorqua-t-elle. La prochaine fois je vise tes couilles, or en tant que "personne de petite taille", comme tu dis, je suis à la bonne hauteur, donc méfie-toi !

Ryan fronça les sourcils, perplexe face à cette réaction, puis son regard suivit celui de la jeune fille et un éclair de compréhension le traversa.

– C'est à cause de Gab que t'es de si mauvaise humeur ? T'as le seum qu'il ait ramené sa meuf ?

Mathilde prit le temps d'ajuster ses cornes de succube avant d'admettre à contrecoeur :

– Je pensais qu'il viendrait seul, oui.

– Tu veux le récupérer ?

– Pas du tout ! protesta-t-elle. Mais je m'étais dit que... j'espérais seulement...

La jeune fille s'interrompit, la mine soudain assombrie.

Qu'est-ce que j'espérais, au juste ?

🎃🎃🎃

Fiona sentit toute l'ampleur de son erreur dès qu'ils pénétrèrent à l'intérieur. La musique était trop forte, il y avait beaucoup trop de monde, l'air sentait déjà un mélange de sueur, d'alcool et de beuh qui lui montait à la tête, sans oublier que tous ces visages lui étaient, hélas, beaucoup trop familiers. Et ce malgré les masques, costumes et autre dose de maquillage revêtus pour l'occasion.

Gabriel, lui, entra tel un coq dans une basse-cour, immédiatement acclamé comme le messie. La jeune fille en aurait levé les yeux au ciel si son coeur n'avait tant battu la chamade. Non, à la place, elle ne trouva rien de mieux à faire que de se cramponner un peu plus au bras de son cavalier d'un soir, lequel joua le jeu en la serrant par la taille dès qu'on l'interrogeait sur l'identité de la "belle blonde qui l'accompagnait".

La demeure, construite en forme de L, était divisée en deux blocs : celui où ils se trouvaient était une sorte de hall d'entrée doté d'un escalier menant à l'étage, donnant directement sur la terrasse via une grande baie vitrée ainsi que sur la cuisine/salle à manger sur leur gauche. Le salon, lui, se trouvait dans le bloc de droite, et c'était là que se déroulait le plus gros de la soirée. En plus des invités déguisés, la pièce avait été décorée pour les circonstances, se trouvant agrémentée de toiles d'araignées, d'éclairages assez sombres, de citrouilles ainsi que divers éléments rappelant Halloween.

Un buffet avait été dressé sur le mur de droite, garni d'apéritifs, de bouteilles d'alcool, mais aussi de boissons soft, ainsi que d'un immense saladier de punch. Les meubles avaient été déplacés afin de faire place à une piste de danse de fortune où certains adolescents se déhanchaient déjà. Même si la plupart préféraient rester vautrés sur les canapés, les yeux rivés sur leurs smartphones.

Fiona se maudit en toutes les langues qu'elle connaissait d'avoir eu l'idée de prétendre être la copine de Gabriel lorsqu'elle aperçut, à l'autre bout de la pièce, le groupe des exs démoniaques qui la dévisageaient d'un air mauvais. Histoire de couronner l'ironie de cette situation déjà bien puante, c'est à ce moment précis que les enceintes laissèrent entendre la voix d'Ed Sheeran chantant les premières paroles de I don't care.

"I'm at a party I don't wanna be at..."

Oh, crois-moi, je sais ce que tu ressens, maintenant, mon p'tit Ed.

Son angoisse s'intensifia encore d'un degré lorsqu'elle aperçut les exs se diriger droit sur eux. Elle n'eut pas vraiment à réfléchir longtemps avant de se remémorer leurs prénoms tant elles lui avaient pourri la vie au collège : Inès, Amélie et Pauline.

La première, une fille maigrichonne aux cheveux noirs et raides et au nez prononcé, était vêtue d'un costume d'infirmière trop échancré et décolleté pour avoir été acheté dans un simple magasin de farces et attrapes.

– Gabriel ! s'exclama-t-elle en arrivant à leur hauteur. Toujours aussi BG !

Et celle-ci de lui tâter le torse sans aucune gêne. Fiona en resta bouche bée. Le jeune homme lui-même parut mal à l'aise car il attrapa les poignets d'Inès et la repoussa fermement.

– Et toi, toujours aussi... tactile.

– Oh, merci ! minauda-t-elle en entortillant une mèche de ses cheveux.

Avait-elle au moins compris ce qu'il entendait par là ? Comment avait-il fait pour sortir avec une fille si stupide ? Fiona leva les yeux au ciel, ce qui n'échappa pas à Pauline qui braqua ses pupilles vertes sur elle et demanda d'un ton acide :

– Tu nous présentes pas ton amie ?

– Si, bien sûr... C'est Lia, ma copine.

Il n'omit pas de la serrer contre lui tandis qu'il disait ça, ce qui sembla encore décupler la haine que Fiona lisait dans leur regard.

– Euh... Salut, bredouilla-t-elle.

– Et tu l'as ramenée à la soirée alors que c'était censé être réservé aux anciens de troisième, déclara Amélie avec un sourire hypocrite.

Déguisée en Harley Quinn, elle avait attaché ses cheveux auburn en deux couettes hautes histoire de coller à son costume.

– Ça doit être sérieux, entre vous ! enchérit Pauline.

– Vous êtes ensemble depuis combien de temps ? s'enquit Inès.

Gabriel fixa sa fausse petite-amie puis fit mine de réfléchir. Il remit délicatement une de ses mèches blondes derrière son oreille en demandant :

– Hmm, bonne question, ça fait combien de temps, ma chérie ?

Mieux vaut dire que ça fait pas longtemps si je tiens à la vie.

Mais, alors qu'elle s'apprêtait à répondre, celui-ci la prit de court :

– Oh, ça doit bien faire quatre mois, je crois...

Quatre mois ? répétèrent les autres, incrédules.

Fiona dut elle aussi se retenir d'ouvrir de gros yeux. Rosélia et lui ne sortaient même pas ensemble depuis si longtemps ! D'accord, ils avaient commencé à flirter pendant la fête de Maël, en juillet, et s'étaient envoyés des messages tout l'été, mais ils n'avaient officialisé leur relation qu'à la rentrée de septembre ! Alors pourquoi gonflait-il le chiffre de cette manière ? Et, en voyant l'air narquois qu'il arborait ainsi que l'aversion sur le visage de leurs interlocutrices, elle comprit.

Il fait exprès histoire de les faire enrager.

– Hé, Gab ! l'interpella soudain un de ses potes. On sort fumer, tu viens ?

– Ouais, j'arrive. On se retrouve plus tard, Lia ?

– Euh... Je...

Fiona le fixa avec insistance, voulant lui crier en silence de ne pas l'abandonner dans la fosse aux lionnes.

– A tout à l'heure ! ajouta-t-il en faisant mine de ne pas comprendre.

Il ponctua cette mise en scène du pire geste qui soit : se saisissant de son menton, il se pencha vers elle et l'embrassa sur la commissure des lèvres. Le sang de Fiona ne fit qu'un tour mais, avant qu'elle ne puisse réagir, ce baiser s'arrêta aussi vite qu'il avait commencé. Gabriel amena ensuite sa bouche près de son oreille afin de lui chuchoter :

– Félicitations, te voilà devenue l'ennemie publique numéro un. Bon courage, p'tit pâté !

Et, après un dernier clin d'oeil, il la planta là afin de rejoindre ses amis.

– A... Attends !

Cependant, les trois folles se mirent en travers de sa route sans lui laisser faire ne serait-ce qu'un pas vers lui.

– Allons, allons, tu vas pas rester accrochée à ton mec toute la soirée. Viens, on va te présenter à tout le monde !

🎃🎃🎃

Gabriel eut du mal à contenir son hilarité en voyant ses trois exs traîner une Fiona complètement paniquée en direction du salon. La crainte qu'il lisait sur son visage la faisait ressembler à un caniche apeuré, or cela lui procura un immense sentiment de satisfaction.

Alors comme ça, Lia et elle ont comploté contre moi ? Et bah bon courage pour me surveiller avec ces trois tarées !

Il suivit ses potes à l'extérieur et, tandis qu'il s'allumait une clope, laissa échapper un sifflement de surprise en voyant la piscine creusée. Bien qu'il fasse trop froid pour s'y baigner, la bâche avait été relevée, probablement afin d'être plus présentable.

Gabriel ne put s'empêcher de jeter des coups d'oeil envieux devant la taille de la propriété.

Y'en a qui se mettent bien, ici...

Le bassin s'avérait entouré d'une terrasse en bois, comportant, du côté où il se trouvait, une table de jardin surmontée d'un parasol, de même qu'un barbecue apposé contre un mur escaladé par des plantes grimpantes. Ces dernières apportaient une touche de verdure parmi l'aspect lissé des bâtiments, dont seules les fenêtres aux bordures noires tranchaient avec la couleur blanche omniprésente.

En face, on apercevait un espace comportant plusieurs transats de luxe, dont les matelas étaient à coup sûr plus confortables que celui de son propre lit. La terrasse s'étendait ainsi le long de la piscine et des aménagements extérieurs, puis laissait place à une immense pelouse fraîchement tondue.

Ses amis l'entraînèrent de l'autre côté, vers un petit renfoncement comprenant un patio pourvu de canapés de jardin sur lesquels ils s'installèrent. Tandis qu'il se posait contre l'accoudoir de l'un d'entre eux, Eden ne tarda pas à lui proposer un joint qu'il refusa en désignant sa cigarette :

– Non merci, oublie pas que je conduis, donc je vais me limiter au tabac, ce soir.

– Ah ouais, c'est vrai ! s'exclama Enzo. Bsahtek pour ton permis, frère !

– Ça fait quoi d'être dans la légalité ? s'enquit Eden.

Gabriel aspira une bouffée de sa clope avec un rictus.

– C'est chelou, en vrai. J'ai encore des sueurs froides quand je passe à proximité des keufs, puis après je me rappelle que j'ai le droit de conduire, maintenant...

Ses amis se mirent à pouffer.

– Tu te souviens quand on a crashé la BM que mon frère avait volé ? lui demanda Khalid.

– Wesh, y'a pas de on qui tienne ! C'est toi qui l'as défoncée contre ce poteau électrique, pas moi ! se dédouana-t-il.

Les autres rirent bêtement à cette anecdote, pendant que Khalid secouait la tête en se remémorant l'engueulade que ça lui avait coûtée par la suite.

– Il m'a limite fait un deuxième anus tellement il m'a enculé, c'bâtard, marmonna-t-il.

Cette déclaration augmenta l'hilarité générale et, alors que le joint revenait vers Gabriel, celui-ci le fit à nouveau passer sans y toucher, à regret.

– Ah ouais, t'es sérieux, alors, tu vas même pas tirer une taffe ou deux ? s'enquit Enzo. C'est de la bonne, tu sais, c'est celle de Khalid !

Il secoua la tête.

– En vrai, si ça tenait qu'à moi, je l'aurais fait, admit-il. Mais vu que j'ai une passagère, je vais rester sage...

– Et quelle passagère, hein ! le charia Ryan. C'est une meuf de Saint-Jude ? T'avais pas dit qu'elles étaient trop pète-culs, là-bas, pourtant ?

Gabriel haussa les épaules.

– J'ai fait une exception, cette fois-ci.

– Hum, on te comprend, t'inquiète ! ricana Eden. Tu voulais foutre le seum à Mathilde en la ramenant, avoue ?

– Abuse pas ! se marra-t-il. On parle de Math, là, elle a jamais été du genre jalouse...

– Oh, tu sais..., intervint Ryan. J'étais avec elle quand vous avez débarqué, et vu comment elle l'a chab, je peux te garantir qu'elle était grave dégoûtée...

Gabriel eut du mal à se retenir de rire en imaginant Mathilde être jalouse de Fiona.

Dire qu'elle a failli se pointer en mode balec avec autant de boutons sur la gueule qu'une Casio... Heureusement que son reuf et moi on l'a secouée !

Tandis que la conversation déviait sur le rugby, il sentit soudain quelqu'un lui tapoter l'épaule.

– Salut, Gaby.

Son regard se perdit malgré lui dans le décolleté plongeant de son interlocutrice, avant de vite revenir sur son visage. Des yeux noirs pénétrants, une peau marron, lisse et dépourvue de défauts, une bouche charnue à laquelle il était difficile de résister, des traits si parfaits qu'elle n'avait de toute évidence même pas éprouvé le besoin de se maquiller...

Sans parler de ses cheveux noirs bouclés s'arrêtant au niveau de son cou ou de son body sexy soulignant ses courbes. Oui, elle était toujours aussi magnifique.

– Salut, Math.

Quand on parle de la succube, on en voit la queue fourchue, hein, songea-t-il.

D'ailleurs, comme si elle cherchait à le narguer, c'était ainsi qu'elle s'était déguisée, ce soir. Et, bien que ça le tuerait de le reconnaître à voix haute, ce costume lui allait à ravir... Beaucoup mieux que celui de Sally, si vous lui demandiez son avis.

Elle a mis le paquet, dis donc... C'est parce qu'elle savait que je viendrais ou quoi ?

La jeune fille le dévisageait d'un air si radieux que, l'espace d'un instant, il eut l'impression d'être revenu plusieurs mois en arrière et que rien ne les avait séparés. Impression qui cessa dès qu'elle reprit la parole :

– Je suis contente que tu sois venu. J'avais peur que tu refuses à cause de ce qu'il s'est passé entre nous, mais je vois que t'as pas tardé à me remplacer ! Enfin, j'aurais dû m'en douter ! Les mecs comme toi restent pas célibataires longtemps, même après s'être faits larguer...

Elle ponctua cette phrase d'un sourire rayonnant. Balancer des mesquineries en toute innocence, c'était sa spécialité. Néanmoins, loin de l'agacer, cela lui arracha un haussement de sourcils.

Serait-ce de la jalousie que je décèle dans sa voix ? Ryan a pas menti, donc...

Il contint de son mieux un rictus amusé. Lorsqu'il raconterait à Fiona qu'elle était devenue assez jolie pour être enviée d'une fille comme Mathilde, elle allait bien se marrer.

Sur le moment, l'autre fausse blonde l'avait sérieusement énervé en décidant de se faire passer pour sa copine sans lui demander son avis. Cependant, si ça lui permettait d'atteindre son ex, il allait peut-être finir par apprécier la situation...

– A ce propos, s'enquit-il, t'es pas occupée à torturer ma meuf en compagnie d'Inès et ses harpies ?

– Arrête tes conneries ! s'agaça-t-elle. Tu sais parfaitement que je suis pas du genre à prendre part à ces gamineries !

– Honnêtement, je sais plus trop quel genre de personne tu es, Mathilde, soupira-t-il d'un ton las.

Elle haussa les épaules tandis que ces paroles installaient un blanc entre eux, jusqu'à ce qu'elle décide de rompre le silence :

– Si tu sais qu'elles comptent lui faire passer un sale quart d'heure, pourquoi tu l'as laissée toute seule ?

Gabriel souffla la fumée de sa cigarette en répondant :

– T'en fais pas, j'ai confiance en elle. Elle saura se démerder. En vrai, c'est plutôt pour les trois autres que je m'inquiète...

Et puis, elle a mérité une petite leçon.

Ceci dit, il ne s'alarmait pas outre-mesure. Car s'il y avait une chose qu'il devait reconnaître à Fiona, c'est qu'elle était plus forte qu'elle en avait l'air. La pleureuse sans défense du passé avait disparu au profit d'une jeune fille au caractère bien trempé, résiliente, brave et courageuse. Oui, elle saurait encaisser les coups, ça ne faisait aucun doute. Mieux que ça, en réalité : elle allait probablement les rendre. A cette idée, il ne put réprimer le sourire qui vint se dessiner sur ses lèvres, faisant hausser des sourcils stupéfaits à Mathilde.

Hum, ça m'intrigue, là, se dit-elle. Cette fille doit pas être n'importe qui, si elle est capable de faire naître une telle expression chez lui. Moi qui pensais qu'il l'avait ramenée juste histoire de me rendre jalouse... Mais en fait on dirait qu'il tient vraiment à elle !

– C'est vrai, les fragiles c'est pas ton style, en principe, remarqua-t-elle. Enfin bon, les blondes non plus, d'habitude...

Elle plissa les yeux :

– T'as toujours préféré les brunes, il me semble...

Gabriel haussa les épaules.

– C'est juste une couleur...

Et même pas sa vraie, d'ailleurs, compléta-t-il en pensées. Je sais pas pourquoi elle les décolore, au final, le châtain lui allait mieux, mais bon. Les meufs et leurs délires cosmétiques, ça fait longtemps que je cherche plus à comprendre...

– Sympa, ta baraque, sinon, lança-t-il histoire de changer de sujet.

Mathilde entortilla négligemment une de ses mèches autour de son index en rétorquant :

– N'est-ce pas ? Ça fait une sacrée différence, par rapport à l'époque où on devait finir le mois en sautant des repas ! Et puis, on a pu m'inscrire à un lycée prestigieux, du coup. Saint-Jude, à côté, c'est de la rigolade, crois-moi !

Elle eut envie de se mordre la langue en s'entendant parler.

Bon sang, la petite pique mesquine n'était vraiment pas nécessaire..., songea-t-elle. Rha, je mérite des baffes, parfois !

Gabriel la dévisagea avec des yeux inexpressifs, pas le moins du monde étonné par son attitude. Sans qu'elle ne s'explique pourquoi, cette absence de réaction la contraria.

– C'est cool, déclara-t-il placidement. Ça réussit bien à ton père, d'être une michto.

Même si elle savait l'avoir mérité, Mathilde lui décocha une oeillade assassine. Cependant, elle n'eut pas le temps de réagir qu'un cri émanant du salon retentit :

– Cette fille est une psychopathe !

Tous deux échangèrent un regard lourd de sens.

– Hum, on dirait que les hostilités ont commencé, là-bas..., remarqua-t-elle.

– Ouais, de toute évidence..., enchérit Gabriel en se pinçant l'arête du nez. Bon, je vais aller voir quand même, au cas où...

Il se redressa et commença à se diriger vers les lieux du crime d'un pas précipité, car le doute s'était emparé de lui.

J'ai peut-être un peu abusé en la laissant se démerder...

N'avait-il pas commis une erreur en l'abandonnant seule avec les trois folles ? Sur le moment, il avait surtout voulu la punir et lui prouver un point, sauf qu'il commençait à regretter son choix tandis que des images de Fiona en larmes envahissaient son esprit.

Putain, Gab, t'es trop con ! pesta-t-il en son for intérieur alors que les battements de son coeur accéléraient sous la panique.

Soudain, il s'aperçut que Mathilde l'avait suivi, contrainte de presser le pas afin de réussir à suivre sa cadence.

C'est vrai, j'avais presque oublié que c'était un hobbit, songea-t-il avec un rictus moqueur.

– Si jamais y'a eu un meurtre, tu m'aideras à nettoyer, hein ? s'enquit-elle d'un ton légèrement essoufflé.

– Ça dépend : y'a un élevage de cochons pas loin ?

– Tu te la jouerais à la Snatch si tu voulais faire disparaître un cadavre, donc ?

Gabriel lui jeta un regard malicieux avant de lancer en imitant la voix de Tête de brique :

"Pour un porc affamé, des morceaux de cadavre c'est du coq au vin pour un poivrot !"

Elle secoua la tête, ayant du mal à réprimer le sourire qui se dessinait sur ses lèvres tandis qu'elle enchaînait sur une autre réplique de la fameuse scène :

"Ils dévorent les os comme du beurre !"

Gabriel pouffa sans pour autant répondre car, arrivés devant la baie vitrée, leur attention fut accaparée par Pauline, le visage trempé de punch, en train de se ruer vers la salle de bain. Derrière elle, Inès et Amélie, la mine choquée, dévisageaient une Fiona arborant un air menaçant, lequel seyait parfaitement aux cornes de démon qu'il lui avait achetées.

Un poids sembla s'envoler de ses épaules face à ce spectacle.

Bon, visiblement je m'inquiétais pour rien : comme je le pensais, c'est bien elle qui a versé le premier sang, songea-t-il, le coeur pétri de fierté à l'égard de sa petite pouliche.

– Il s'est passé quoi ? demanda Mathilde à un mec qui observait la scène, bouche bée.

– Euh bah... Pauline a renversé son verre sur la robe de la meuf de Gab... Et elle, elle lui a carrément enfoncé la tête dans le saladier du punch en retour !

Gabriel éclata de rire à ces mots. Ça, c'était la Fiona qu'il connaissait ! Rien à voir avec le caniche apeuré ou la jeune fille pitoyable de tout à l'heure.

Car Fiona n'appartenait pas à la catégorie des princesses en détresse. Elle n'avait besoin de personne pour occire les dragons. Et c'était précisément l'un des aspects de son caractère qu'il appréciait le plus.

Math a raison. J'ai jamais aimé les fragiles.

– Wow, mec, fit Ryan à côté de lui en tapotant son épaule. On dirait pas en la voyant comme ça, mais ta meuf, c'est une thug, en vrai !

Gabriel prit le temps de tirer une taffe sur sa cigarette puis répliqua avec un large sourire :

– Et oui, qu'est-ce que tu veux que je te dise ? C'est ma copine, après tout. Faut pas la chercher ! 


Fiona : 1 | Les Exs Démoniaques : 0


🎵Doja Cat — Paint The Town Red

https://youtu.be/fGe8drSjqHI

"Mm, she the devil
She a bad lil' bitch, she a rebel"

Hello ! Vous allez bien ? 😁 Moi, oui, forcément, puisque je suis (enfin) en VACAAAAAAAAANCES ! Cette période aura été longue, j'en pouvais plus ! 

Ce chapitre vous a plu ? Cette fois, ça y est, Gabriel et Fiona ont officiellement débarqué à la fête... Et les hostilités ont d'ores et déjà commencées. A votre avis, qui en ressortira gagnante ? 

Qu'avez-vous pensé de l'introduction des 3 exs démoniaques ? Vous me connaissez, d'habitude j'essaye de creuser un peu la psychologie de mes perso et de leur apporter de la profondeur... Bon bah là c'est pas le cas. 😂 Je me suis un peu fait plaisir avec ces trois-là, elles sont volontairement hyper clichées et stéréotypées, c'est vraiment pour le côté fun/drama que je les ai ajoutées lol. Même si bon, malheureusement, des filles comme ça, qui cherchent à tout prix l'attention et la validation des mecs quitte à se pourrir entre elles, ça existe, surtout à l'adolescence... C'est bien dommage, car d'expérience il existe très peu de mecs qui vaillent vraiment la peine qu'on se tire dans les pattes entre nous, et à mes yeux on ferait mieux de se soutenir, plutôt, mais bon ! C'est la vie ! 🤷

Vos premières impressions sur Mathilde ? Quelles sont ses intentions, d'après vous ? Vous lui faîtes confiance ou pas ? 

Qu'avez-vous pensé de l'arrivée de Gabriel et Fiona ? Des jalousies que suscite Fiona, tout d'abord ? Et de Gabriel qui a activé son mode sale race et qui fait exprès de faire enrager ses exs, avant de l'abandonner avec elles ? 

Des retrouvailles de Gabriel et Mathilde ? 

Et enfin, du premier sang versé ce soir ? Vous vous y attendiez ? 🤭 Gabriel a quand même un peu douté, pendant quelques instants hahaha ! 

Des pronostics pour la suite ?

En attendant de vous lire, je vous fais des bisous et vous dis à vendredi prochain pour l'un de mes chapitres préférés ! ❤️😘



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