Level 18 : La vie en hard mode
Tandis que, en tant qu'herboriste digne de ce nom, elle effectuait sa routine de récolte de plantes quotidiennes, Fiona attendait le retour de Milamber. Il avait prévu d'être revenu d'ici une demi-heure, or cela faisait déjà le double qu'il était parti.
Si le reste du groupe avait enchaîné les donjons sans lui, la jeune fille, elle, avait décidé de l'attendre. Depuis qu'elle avait rejoint la guilde, le mage, sachant à quel point il pouvait être complexe de quêter seule en tant que soigneuse, prenait toujours soin de venir l'aider. Il lui semblait donc juste de lui rendre la pareille concernant les donjons.
Et, pendant qu'elle volait de fleur en fleur sous sa forme de chouette, le regard vague, ses pensées la ramenèrent en début de matinée, lorsqu'elle s'était réveillée avec une migraine horrible et des pupilles irritées...
🎮🎮🎮
Se maudissant de ne pas avoir pris le temps d'enlever ses lentilles, Fiona se demanda comment elle avait atterri sur le lit de Maël vu qu'elle ne se souvenait pas être montée à l'étage, la veille. Puis des images lui revinrent vaguement en mémoire de quelqu'un la portant jusqu'à la chambre.
Probablement Maël, songea-t-elle en souriant. Un vrai chevalier servant...
Ensuite, quant à savoir pourquoi elle portait son pyjama, elle en conclut que Rosélia, qui dormait encore à côté d'elle, avait dû la changer pendant son sommeil.
La meilleure pote du monde.
Alors, ses yeux, tellement secs qu'elle parvenait à peine à les maintenir ouverts, la poussèrent à se lever. Le silence fut total lorsqu'elle passa la tête dans le couloir ; elle se faufila donc aussi discrètement que possible jusqu'à la salle de bain où elle ôta ses lentilles en poussant un soupir de soulagement.
Une fois ses lunettes sur le nez, elle sursauta en voyant son reflet. Son maquillage avait coulé, ses cheveux étaient emmêlés, elle avait des cernes horribles, son fond de teint s'était volatilisé, laissant apercevoir son acné... Bref, elle avait une mine à faire peur.
Hors-de-question que Maël me voit avec une tête pareille !
Leur relation n'en étant qu'à ses balbutiements, c'était encore bien trop tôt pour risquer de briser le mythe. Déjà qu'à cause de sa bêtise, elle serait obligée de lui montrer sa tête de binoclarde...
Elle tâcha de se remémorer l'endroit où elle avait laissé son sac la veille, et grimaça en le visualisant près du bar.
Bon, ça va aller, il est encore tôt, y'a peu de chance que les garçons soient déjà réveillés. Personne verra ta sale tronche.
Objectif de la mission : atteindre la cuisine, récupérer ses affaires, et revenir au point de départ. Le tout sans être repérée. Elle rabattit la capuche de son sweat sur son crâne et s'adressa des paroles d'encouragement dans le miroir :
– Tenue de camouflage activée ! Tu peux le faire !
Fiona passa sa tête dans l'entrebâillement de la porte, regardant à droite et à gauche afin de s'assurer qu'aucun ennemi ne se trouvait aux alentours. Jouant mentalement le thème de Mission : impossible histoire de se conférer du courage, elle entreprit ensuite de se déplacer en longeant les murs, effectuant de grandes enjambées absolument pas naturelles qui firent protester ses abducteurs et lui arrachèrent une grimace.
La première marche d'escalier émit un craquement si sonore qu'elle redouta que le quartier entier l'ait entendue. Elle resta immobile, tendant l'oreille, retenant son souffle ; mais seul le silence lui fit écho. La stature debout lui sembla trop risquée, aussi décida-t-elle de se mettre à quatre pattes, comme si elle descendait un mur d'escalade à reculons.
Je dois avoir l'air fine, tiens !
Une fois arrivée au rez-de-chaussée, elle jugea préférable de se déplacer accroupie, et ses cuisses se mirent rapidement à lui brûler sous l'effort. Dans le salon, elle jeta un bref coup d'oeil en direction du canapé déplié et soupira de soulagement en voyant que les garçons dormaient à poings fermés. Elle avait été si discrète que même Loki ne s'était pas réveillé.
Néanmoins, son soulagement fut de courte durée : peut-être avait-elle réussi à échapper à l'ouïe du chiot, mais elle ne pouvait tromper son flair infaillible. Elle vit donc, avec désarroi, les narines de ce dernier s'agiter avant qu'il n'ouvre les yeux et ne se mette à remuer la queue en l'apercevant.
Non, non, non, non...
Espérant qu'il comprenne, Fiona lui intima le silence en pressant son index contre ses lèvres. Le sac était à portée de main ; à quelques mètres à peine sur sa gauche tandis que le canapé se trouvait sur sa droite.
Elle fit un ou deux pas en position accroupie puis décida de tenter le tout pour le tout et effectua une roulade en direction du bar. Seulement, elle venait de se réveiller et n'avait pas pratiqué de gymnastique depuis des années, aussi s'étala-t-elle lamentablement au sol.
– Aïeuh..., gémit-elle.
N'est pas Tom Cruise qui veut...
Tandis qu'une douleur diffuse dans ses lombaires et ses reins la maintenait au sol, Loki, inquiet face à sa soudaine inertie, descendit du canapé et trottina vers elle afin de la couvrir de léchouilles, croyant probablement que cela suffirait à la remettre magiquement sur pied.
– Oh... pff ! ne put-elle contenir sous cette attaque de bisous qui couvrit son visage de bave.
Fiona repoussa doucement le chiot en se relevant avec une grimace. Enfin, ses affaires étaient à portée de main : elle allait pouvoir s'en saisir et filer à la salle de bain ! Seulement, alors qu'elle s'apprêtait à partir, Loki se mit à couiner.
– Non ! Chut ! Tais-toi, Loulou ! lui chuchota-t-elle.
A son grand dam, rien n'y fit ; l'animal, posté devant la baie vitrée, devint de plus en plus bruyant.
Il veut sûrement faire son pipi matinal...
Poussant un long soupir, la jeune fille se dirigea à pas feutrés jusqu'à lui et, non sans jeter un coup d'oeil rapide en direction des garçons histoire de s'assurer qu'ils dormaient toujours, fit coulisser aussi discrètement que possible la porte pour que le chiot et elle puissent sortir.
L'animal s'amusa un moment à parcourir le jardin afin d'y soulager sa vessie tandis que Fiona, bras croisés, gelait sur place. Au bout d'un temps qui lui sembla interminable, il eut enfin terminé ses besoins et ils purent retourner à l'intérieur.
Son regard glissa sur le canapé déplié, où elle ne put s'empêcher de contempler quelques instants Maël pendant qu'il dormait. Ce dernier avait adopté ce qu'elle nommait comme la "posture du super moit-moit" ; autrement dit, lorsqu'une partie de votre corps se trouvait à l'extérieur de la couverture, tandis que l'autre était à l'intérieur.
Allongé sur le dos, il avait glissé une main sous son sweat-shirt, laissant entr'apercevoir ses abdominaux, ce qui n'était pas pour lui déplaire vu que ses lèvres s'étirèrent en un sourire malicieux. Lequel s'effaça lorsqu'elle réalisa qu'à côté de Maël, l'espace où était supposé se trouver Gabriel s'avérait vide. Ce dernier s'était volatilisé.
Alerte : ennemi en vadrouille ! Je répète : ennemi en vadrouille ! Faut vite que je remonte pour éviter de le croiser !
Fiona trottina à petits pas jusqu'à son sac qu'elle attrapa d'un geste vif avant de se précipiter, toujours de cette même démarche étrange, en direction de l'escalier, longeant les murs et jetant des oeillades à droite et à gauche afin de s'assurer que Gabriel ne se trouvait pas dans les parages...
– Je peux savoir à quoi tu joues ?
La jeune fille tressaillit en entendant cette voix émaner d'au-dessus d'elle. Elle était repérée ! Levant les yeux, elle aperçut l'ennemi accoudé sur la rambarde, à mi-hauteur de l'escalier. Vêtu seulement d'un short noir et d'un t-shirt blanc, Fiona se demanda l'espace d'un instant si les terminaisons nerveuses de ce type fonctionnaient vu son apparente insensibilité à la fraîcheur matinale.
Mais elle chassa ces questionnements assez vite quand elle vitqu'il descendait les marches restantes, se dirigeant vers elle d'un pas lent, tel un prédateur approchant sa proie. Paniquée à l'idée qu'il voie son visage, elle rabattit sa capuche sur sa tête, tirant dessus au maximum afin de le dissimuler.
– Arrête ! Reste où tu es ! l'avertit-elle.
Ignorant ses injonctions, Gabriel continua d'avancer : à chacun de ses pas, elle reculait, jusqu'à sentir, horrifiée, le mur contre son dos. Il n'y avait plus d'issue : elle était prise au piège.
– T'es encore bourrée ou quoi ? s'enquit-il en se penchant vers elle.
Fiona détourna la tête pour tenter d'échapper à son air scrutateur.
– Me regarde pas..., fit-elle d'une voix suppliante.
Mais Gabriel étant Gabriel, elle aurait dû savoir qu'il ne fallait en attendre aucune pitié. Ignorant ses supplications, il attrapa sa capuche et la rabaissa d'un coup sec, haussant les sourcils face au spectacle qui s'offrit à lui.
– Wow... Le come-back du petit pâté. T'as une sale tronche !
Elle lui jeta une oeillade courroucée en remettant vivement son couvre-chef.
– Ouais, bah on a pas tous la chance d'avoir la gueule d'un mannequin au réveil, contrairement à toi ! marmonna-t-elle.
– Une gueule de mannequin ? répéta-t-il en riant. Faut faire revoir tes lunettes, meuf ! J'ai surtout une gueule de défoncé, là, avec mes yeux injectés de sang et mes cernes !
Joignant le geste à la parole, il approcha son visage du sien en tirant exagérément sur ses pommettes pour s'enlaidir au maximum. Pourtant, le résultat fut loin d'atteindre l'effet escompté.
Tu parles, même avec une soi-disant gueule de zombie il est toujours BG, cet enfoiré ! C'est particulièrement rageant, d'ailleurs !
Evidemment, elle se garda bien de partager cette pensée à voix haute, se contentant de le repousser en le rabrouant entre ses dents :
– Parle moins fort, merde, tu vas réveiller Maël, à force ! J'aimerais éviter qu'il me voit comme ça !
– Avec ton visage au naturel, tu veux dire ? se moqua-t-il. Tu mets combien de couches de maquillage pour avoir l'air potable, au juste ?
– Va te faire foutre.
Un sourire narquois se dessina sur les lèvres de son tourmenteur, dont les yeux se posèrent sur le sac qu'elle tenait serré contre sa poitrine.
– Y'a tout ton attirail dedans, c'est ça ?
Il croisa les bras sur son torse.
– Laisse-moi deviner : t'espérais te faufiler en catimini dans la cuisine histoire de le récupérer, puis retourner à la salle de bain faire ton ravalement de façade quotidien avant qu'on te voie. Je me trompe ?
Fiona acquiesça, s'abstenant de commentaire.
– C'était pour ça, ton petit numéro de toute à l'heure ? Avec tes acrobaties bizarres ?
Elle tressaillit.
– Tu m'as vue ? Je croyais que tu dormais !
Gabriel la toisa avec condescendance.
– Loki m'a réveillé depuis un moment, tu sais. Je suis juste resté au pieu en attendant que vous vous leviez. Et là je t'ai vue débarquer et faire ton cirque... C'était trop drôle, je voulais pas risquer de t'interrompre, alors j'ai fait semblant de dormir. Tu te croyais dans Mission : impossible, avoue ?
La jeune fille sentit ses joues s'empourprer, et cette réaction répondit malgré elle à la question de Gabriel qui fut pris d'un fou rire incontrôlable.
– Bordel, petit pâté..., haleta-t-il en se tenant les côtes. Y'a que toi pour me faire rire comme ça de bon matin !
En effet : depuis qu'elle le connaissait, elle l'avait rarement vu se marrer aussi franchement. Néanmoins, l'idée que cela soit à ses dépens l'enchantait moyennement. L'espace d'un instant, elle crut qu'il allait continuer de l'emmerder en l'empêchant d'atteindre la salle de bain mais, une fois calmé, il se décala sur le côté afin de la laisser passer.
– Allez, va, la chenille... Métamorphose-toi et deviens papillon !
🎮🎮🎮
– Y'a encore du monde ici ?
La voix de Milamber émanant de son casque arracha Fiona à ses pensées.
– Y'a que moi, lui répondit-elle. Les autres sont partis manger, mais avant ça ils ont lâchement fini leurs donjons sans toi, vu que tu revenais pas...
– Bah, c'est pas grave, c'est de ma faute, soupira-t-il. J'ai été retenu par les choses de la vie.
– Ah, je connais ça, plaisanta-t-elle. L'IRL, quelle plaie !
Fiona l'entendit se marrer.
– Tu l'as dit ! Je crois que ce soir ils s'étaient tous ligués pour me casser les couilles... Enfin bref. Et toi, t'as fini tes donjons aussi ?
– Non, je t'ai attendu. Tu trouveras plus vite un groupe si on tag ensemble, vu que je suis heal !
– Eh bien, c'est gentil, ça.
Au son de sa voix, Fiona comprit qu'il semblait sincèrement surpris et flatté à cette idée.
– Tu m'aides tout le temps à faire mes quêtes, donc bon, bredouilla-t-elle, mal à l'aise. C'est la moindre des choses...
Milamber l'invita alors à rejoindre son groupe et les inscrivit à la recherche automatique. Comme Fiona l'avait prédit, ils n'attendirent pas longtemps avant de voir leurs personnages téléportés à l'intérieur d'un donjon en compagnie d'équipiers aléatoires.
– Faudrait se donner une heure, histoire de se synchroniser, à l'avenir. Pour tes quêtes.
Ils se décidèrent donc de se retrouver tous les jours à dix-huit heures trente, s'engageant à prévenir l'autre sur Discord en cas d'empêchement.
– Histoire d'être sûre... Tu me proposes pas ça parce que je suis une fille et que t'as vu ma tête, hein ?
Milamber eut un petit rire.
– J'suis pas un charo, oh ! s'offusqua-t-il. Et puis je t'ai déjà dit que j'étais casé, ça m'intéresse pas de sortir avec une meuf du jeu, hein !
– Tant mieux, soupira-t-elle, soulagée. Moi aussi, les mecs du jeu, j'ai déjà donné !
– Ah oui, le fameux Bitoku.
– Botokun ! le corrigea-t-elle.
– Je préfère Bitoku, perso.
Elle leva les yeux au ciel, sans toutefois parvenir à s'empêcher de pouffer bêtement à sa plaisanterie.
– D'ailleurs, c'est quoi son vrai nom IRL, à ce prince charmant ?
Fiona fit la moue et lâcha du bout des lèvres :
– Léo.
– Comment vous vous êtes rencontrés, au juste ? Sur le jeu ?
Alors qu'elle s'apprêtait à répliquer, elle se reprit en comprenant son petit jeu :
– Non mais dis donc ! Tu m'auras pas aussi facilement ! Le deal c'était : je te raconte un truc, tu m'en racontes un ! Alors si tu veux connaître mon histoire avec Léo, je te dirais rien par rapport à mon crush ! Et puis, je te signale que tu m'as laissée sur ma faim, tout à l'heure, avec l'histoire de ton ex, là !
Milamber demeura silencieux quelques instants, semblant réfléchir à la question. Cependant, avant qu'il ne réponde quoique ce soit, la jeune fille se mit à pester :
– Mais qu'est-ce qu'il fout ce tank bon sang ? Il a décidé d'aggro la salle entière ou bien ?
Et pour cause : le guerrier avait entrepris d'attaquer absolument tous les groupes possibles, y compris ceux qu'ils auraient pu aisément éviter.
– Il trouvait que le donjon était pas assez long, ou quoi ? s'énerva-t-elle.
– Il croit peut-être qu'il faut tout décimer si on veut valider l'objectif ?
– Quel teubé, j'te jure ! Voilà pourquoi je déteste jouer avec des gens randoms, en temps normal... Et puis t'as vu le nom de sa guilde ? Spectres of blood, ça veut rien dire !
– Sérieux ? rigola le mage. On en est là ! Pourquoi pas Le Fantôme des Règles, tant qu'on y est ?
Cela suffit à arracher Fiona à sa mauvaise humeur qui pouffa malgré elle. Ils passèrent ensuite plusieurs minutes à se moquer du manque évident de skill de leurs équipiers temporaires.
– Chouf le classement, lui dit Milamber. Je suis en train de carry la game, là. Je fais quatre-vingt pour cent du DPS à moi seul. Quant à toi, t'es heal et tu fais plus de dégâts que le moine !
War of Wizards ayant beau être un jeu que l'on effectuait en équipe, s'il y avait bien une chose à savoir sur les gamers, c'est qu'ils avaient besoin de compétitivité pour se sentir exister. Ce besoin constant de s'adonner à des concours de "qui avait la plus grosse" les menait ainsi à installer des add-ons, ou programmes informatiques additionnels et facultatifs, permettant de mesurer les dégâts qu'ils avaient infligés, afin d'évaluer de la compétence et de la performance de chacun. Concours qui s'avérait ici remporté haut la main par Milamber, en l'occurrence.
– Abusé ! s'étonna Fiona. Comment je peux faire plus de dégâts que lui ? Il doit être bas level, obligé !
– Ou alors il se touche en même temps...
– Pff ! N'importe quoi, t'es trop bête ! rigola-t-elle. Oh et l'autre abruti de chasseur qui slack dans les dégâts de zone... Désolée, mec, je peux pas soigner la stupidité ! Sérieux, Milamber, t'es mage et tu sais mieux bouger que lui...
Le fait de "slacker" signifiait que vous restiez, par fainéantise, à l'intérieur des zones de dégâts évitables, et était souvent perçu comme un signe évident de votre nullité... Ou de votre manque de considération envers le soigneur du groupe, à qui cela conférait du travail supplémentaire. Au sein des Glitch, l'un des membres les plus connus pour sa qualité de slackeur n'était autre que Sneaky, qui se voyait souvent charrié par les autres à cause de ça.
– Bah c'est un chasseur aussi, remarqua Milamber. On sait tous que c'est une classe de noobs. A part aggro tout le donjon avec leurs pets ou feindre la mort quand c'est la hess, ils servent à rien !
– T'exagères ! s'esclaffa-t-elle. Lalie est une chassou et elle est cool !
– Elle est surtout nulle, reconnais-le ! T'façon j'ai raison et tu le sais : sur le jeu, les chasseurs sont des noobs, les voleurs des connards et les guerriers des teubés.
– Ah, et les mages, dans tout ça ?
– Beaux, intelligents, skillés. La perfection, quoi.
Fiona leva les yeux au ciel, pourtant elle ne parvint pas à réprimer le sourire qui s'étira sur ses lèvres.
– Et les druides ?
– Souvent des meufs fans de chats. A cause de la forme de panthère.
– N'importe quoi !
– Genre, t'aimes pas les chats ? Tu préfères les chiens ? Si c'est le cas, tu t'es gourée, fallait jouer chamane, t'aurais pu te transformer en louve...
– J'aime tous les animaux sans aucune discrimination ! Et je joue drood parce que c'est la meilleure classe du jeu, tout simplement !
Milamber lâcha un "pff" dédaigneux.
– La meilleure classe, c'est mage, cherche pas !
Après plusieurs minutes passées à débattre ainsi, il finit par recentrer la conversation sur l'IRL en lui demandant si elle comptait sortir avec son crush.
– Donc t'as fait ton choix ! lança-t-elle d'un air triomphal. Entre mon ex et mon crush, ce qui t'intéresse le plus, c'est mon crush !
Elle marqua une pause puis s'enquérit d'un air soucieux :
– En vrai, ça t'intéresse vraiment ou tu demandes ça par politesse ?
– Je veux juste faire la conversation ! rigola-t-il. Mais si t'as pas envie d'en parler, t'es pas obligée...
Fiona réfléchit à la situation avant de reprendre la parole :
– Non, ça va, je veux bien t'en parler. Mais toi d'abord ! J'ai envie d'entendre la suite de l'histoire que tu m'as teasée tout à l'heure ! Je suis trop intriguée, maintenant !
– Tu parles de "Banque de sperme" ?
La jeune fille, qui était en train de boire une gorgée à son verre d'eau, faillit s'étouffer à cette question.
– Pardon ? Quoi ? s'étrangla-t-elle en essuyant ses lèvres du revers de la main.
– Banque de sperme, répéta-t-il, imperturbable. C'est le surnom qu'on lui a donné, à l'autre tarée. Parce qu'elle m'avait pris pour une banque de sperme !
Fiona prit le temps de se rasseoir dans son siège.
– Alors, j'ai plein de questions, là...
Milamber poussa un long soupir.
– Bah, en gros, elle m'avait dit qu'on avait pas besoin d'utiliser de capotes car elle prenait la pilule, sauf qu'elle mentait. Elle a fait exprès parce qu'elle voulait que je la mette enceinte, quoi.
– Wow, souffla-t-elle. Mais pourquoi faire une chose pareille ? T'es un riche héritier ou un truc du genre ?
Il éclata de rire à cette question.
– Bah non, même pas, c'est ça le pire ! Je suis fauché as fuck ! Franchement, c'était incompréhensible ! Après... Je cherche pas à me dédouaner dans cette affaire, hein ! J'avais qu'à pas l'écouter et mettre un préservatif, même si, comme feu ma meilleure amie l'a fait remarquer à l'époque, cette meuf était tellement déter qu'elle aurait probablement été du genre à percer les capotes...
– "Feu" ta meilleure amie ? répéta Fiona en fronçant les sourcils.
Et, réalisant ce que cela signifiait, elle reprit d'une voix adoucie :
– Merde ! Elle est morte ?
Milamber mit quelques secondes à répondre. Et quand il le fit, se fut après s'être éclairci la voix :
– Non, non, t'inquiète. Elle est toujours vivante. On se parle plus, c'est tout.
– Oh ! Comment ça se fait ?
– Hé, on a dit que c'était donnant-donnant, très chère ! T'as voulu entendre l'histoire de Banque de Sperme, du coup t'auras pas celle de Ma...
Il s'interrompit soudainement avant de se reprendre :
– Hum, de ma pote.
Fiona poussa un soupir de frustration mais se résigna. Elle ne pouvait pas vraiment se plaindre des règles qu'elle avait elle-même mises en place.
– Okay, très bien. Et du coup, comment ça s'est fini, avec Banque de sperme ?
– Bah, elle a avorté.
– Tu l'as accompagnée ?
– Evidemment ! Faut être deux pour faire un gosse, hein, et même si elle m'a menti, j'suis pas du genre à fuir mes responsabilités ! Surtout que bon, le temps qu'elle se décide, c'était trop tard pour les médocs, du coup elle a eu droit à l'aspiro, la pauvre... C'était vraiment pas cool.
Il marqua une pause puis ajouta à demi-mots :
– En vrai, j'en rigole maintenant, mais sur le moment je peux te dire que je rigolais pas ! J'ai vraiment flippé ma race... Et ma mère m'a défoncé. Ça m'a servi de leçon, crois-moi. La première chose que j'ai fait en rentrant chez moi, c'est de chercher sur Google à quel âge on pouvait se faire faire une vasectomie !
Fiona ne put s'empêcher de pouffer.
– Et du coup, à quel âge ?
– Pas avant la majorité, en tous cas, soupira-t-il. Et même ensuite c'est compliqué, de ce que j'ai cru comprendre... Enfin bref, quoiqu'il en soit, après ça je flippais à chaque fois que j'avais des rapports avec une meuf, je m'arrêtais en plein milieu histoire de vérifier que la capote était bien mise... Heureusement, ça va mieux maintenant, même si je fais encore des cauchemars où je vois des bébés morts escalader mon pieu en criant "Vengeance !"
Il se mit à rire en disant ça et la jeune fille l'accompagna malgré elle.
– T'es au courant que techniquement, c'était pas encore un bé-
– Ouais, je sais, j'suis pas teubé ! C'était juste un foetus. Mais bon. Quand même ! Ça m'a marqué, wesh !
Milamber poussa un long soupir.
– Enfin, voilà pour mon anecdote... A ton tour, maintenant ! Prête à me parler de ton crush ?
Fiona se tapota le nez en acquiesçant :
– Ouais, en fait, je me dis que c'est plutôt cool de t'en parler à toi, finalement. T'es neutre, dans l'histoire, tu connais aucun des protagonistes, donc tu sauras me conseiller ! En vrai, je sais pas ce que je veux. Ce mec et moi, on... Je l'aime bien, il est vraiment adorable, et si j'écoute mon coeur, j'aurais envie de dire oui. Mais si j'écoute ma tête... Au final, on n'a pas beaucoup de points communs. Et puis, j'ai aussi peur qu'il m'idéalise un peu et qu'il soit déçu en apprenant à me connaître.
Rongée par ces inquiétudes, Fiona avait veillé à éviter de se retrouver seule avec Maël le lendemain de la soirée, afin de ne pas prendre de décision trop hâtive.
– C'est quoi le problème, au juste ? T'as une personnalité si horrible que ça ? T'as peur qu'il se sauve en courant, c'est ça ? la taquina Milamber.
– Plus ou moins. Disons que je fais beaucoup d'efforts pour être féminine et douce et délicate et toutes ces conneries qu'on attend des filles au quotidien... Mais en vérité, c'est juste pas moi. J'ai une grande gueule, je me fais remarquer partout où je passe, j'ai toujours le don de me mettre dans des situations pas possibles, je m'énerve facilement, j'ai un sale esprit de compétition...
– En gros, la coupa-t-il, t'es juste un être humain, quoi.
Fiona resta muette un moment en entendant ça, ne sachant que répondre. Oui, elle était humaine ; avec ses qualités et ses défauts. Était-ce si terrible, au fond, ne pas correspondre aux idéaux féminins que lui renvoyait la société ? Méritait-elle de finir sa vie seule à cause de ça ? Ou devrait-elle continuer à faire semblant, à jouer un rôle, à se cacher derrière un masque de princesse qui lui brûlait la peau ?
– A mes yeux, tu te prends un peu trop la tête, continua Milamber. Si ce mec tient à toi, il t'acceptera comme tu es ; et si c'est pas le cas... Bah, t'auras rien perdu. C'est que vous étiez pas faits pour vous entendre.
– "T'auras rien perdu" : ça a l'air facile à dire, comme ça. Sauf qu'en vérité, ça signifie que je devrais repasser par une phase de rejet ; qu'après y avoir cru, mes espoirs seront déçus ; qu'après avoir été en couple, je me retrouverai seule à nouveau...
Sa séparation avec Léo avait été un épisode particulièrement douloureux. Une rupture, c'était une déchirure. La veille, vous aviez auprès de vous une personne à qui vous confier, un ami fidèle qui vous acceptait et vous connaissait par coeur ; le lendemain, cette personne vous devenait étrangère et il ne vous était plus possible de lui parler comme avant.
Au final, le plus difficile était de se départir de certaines habitudes. Les premiers temps, chaque détail du quotidien vous rappelait cette personne. Vous pensiez à quelque chose et votre premier réflexe était de lui en parler ; et, alors que vous vous saisissiez de votre téléphone, la réalité vous frappait en plein visage, vous remémorant que tout était terminé. Que vous ne pouviez pas la contacter comme vous l'auriez fait auparavant. Vous aviez perdu non seulement un amant, mais aussi un de vos meilleurs amis.
– En vérité, je sais pas si je veux un copain, confia-t-elle. Les relations amoureuses, c'est trop de montagnes russes émotionnelles pour mon petit coeur ! La vie est plus paisible quand on est seul, je trouve...
Un silence s'ensuivit pendant quelques secondes, jusqu'à ce que Milamber le brise :
– Alors ton plan c'est de rester célibataire parce que t'as peur de souffrir ? Si tu veux mon avis, c'est nul : ça revient à jouer ta vie en mode facile !
– Comment ça ? bredouilla-t-elle.
Il se racla la gorge.
– Eh bien, c'est sûr qu'en agissant ainsi, tu seras plutôt safe et tranquille... Mais putain, qu'est-ce que tu te feras chier ! La vie est déjà pas très palpitante de base, c'est dommage de refuser de la pimenter...
– Donc en gros... Tu compares le fait de se laisser tomber amoureux avec celui de mettre le jeu en mode difficile, c'est ça ?
– En gros, acquiesça-t-il. La vie sans amour, c'est le mode facile ; laisser entrer quelqu'un dans ta vie... C'est le hard mode. C'est sûr que tu prends le risque de souffrir, mais... Au moins, ça t'évite de t'ennuyer. Perso, quand je lance un jeu et que je me mets à rouler sur tout parce que je croise aucune résistance... Ça m'emmerde. Pas toi ?
– J'avoue que j'avais jamais envisagé les choses de cette façon ! reconnut-elle en riant.
Tous deux conservèrent le silence un moment, méditant sur ces paroles, jusqu'à ce que Milamber lui demande d'une voix douce :
– Du coup... Tu vas lui laisser une chance, à ce mec ?
Fiona attendit avant de répondre, se mordant la lèvre inférieure tandis qu'elle pesait le pour et le contre. Puis, finalement, elle soupira à demi-mots :
– Peut-être. Je vais y réfléchir...
🎵 Olivia Rodrigo — Love is embarrassing
https://youtu.be/AXi213cWgYM
"Just watch as I crucify myself
For some weird second string
Loser who's not worth mentioning
My God, love's embarrassing as hell"
Hello ! Vous allez bien depuis mardi ? Votre semaine s'est bien passée ? Moi je pleurs des larmes de sang, ce chapitre m'a donné du fil à retordre à la correction, mais je suis contente d'en être venue à bout ! 😫
Enfin bref, j'espère que ces interactions Gabriel/Fiona vous ont plu. Ce chapitre est là pour montrer un peu le contraste entre la façon dont Gabriel se comporte avec elle IRL, et comment ils interagissent sur le jeu. J'espère que ça a marché, du coup !
Qu'avez-vous pensé du flashback de Fiona ? De ses acrobaties en mode Tom Cruise pour espérer se maquiller avant qu'on ne la voie au naturel ? Je me souviens avoir bien rigolé quand j'avais écrit cette scène à l'époque, et pour être honnête je ne l'ai pas trop touchée par rapport à la première version. 🤭 (si ce n'est que j'ai dû enlever un nombre incalculable de "dans" vu que visiblement c'était mon mot favori à l'époque, mais ça c'est une autre histoire 😡)
De son interaction avec Gabriel ? Il est pas hyper sympa, là, mais encore j'ai un peu adouci l'échange par rapport à la première version 😅 (Oui, oui, il était encore plus odieux ce petit con !)
Et ensuite, de leurs échanges et confidences respectives sur le jeu ? Dans la V1, Gabriel ne se confiait pas autant à Fiona, et pas aussi tôt dans le roman. L'épisode "Banque de Sperme" était raconté plus tard, et ce n'était pas avec Fiona qu'il l'évoquait, mais avec quelqu'un d'autre. Mais l'un des défauts que je reprochais à la V1 était justement l'aspect déséquilibré de leur relation sur le jeu, avec une Fiona qui se confiait tout le temps à lui et Gabriel qui ne disait jamais rien. Donc voilà, j'ai voulu rééquilibrer tout ça à travers leur petit arrangement, et je trouve ça plutôt cool qu'il se confie lui aussi à elle sur des événements de sa vie. Et vous ?
Enfin, qu'avez-vous trouvé des arguments de Gabriel pour tenter de la convaincre de laisser une chance à Maël ? De sa comparaison entre l'amour et le mode difficile des jeux vidéo ? Etes-vous d'accord avec sa philosophie ?
Pensez-vous que cela va suffire à convaincre Fiona ?
Des pronostics pour la suite ?
Le prochain chapitre se déroulera au lycée (oui, promis, ça leur arrive aussi d'aller en cours à mes personnages) et mettra en avant un personnage secondaire qui était très apprécié dans la première version... à savoir Adrian, le petit frère de Fiona ! Je ne pense pas mentir en disant que c'était vraiment un des petits chouchou de tout le monde. 🥰
Ah, et aussi, parce que je suis une meuf lambda sans aucune personnalité, j'ai suivi le mouvement et rejoint le nouveau RS visant à remplacer Twitter, Threads, sous le même pseudo qu'ici ou Instagram, "lilylubie". Honnêtement, je sais pas trop ce que je vais en faire, ou si je vais vraiment l'utiliser, mais bon, voilà, si ça vous intéresse de me follow, n'hésitez pas !
En attendant de vous lire, je vous fais des bisous et vous dis à vendredi prochain ! 😘
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