Level 05 : La prière aux Dieux du Loot
Après avoir dit au revoir à Maël et Fiona, Gabriel entreprit d'escorter Rosélia jusqu'au centre-ville où celle-ci était censée retrouver ses amies lors d'une après-midi shopping. Ces dernières s'étaient donné rendez-vous près de la statue de la place Bellecour, point de rencontre apprécié des Lyonnais dès que le soleil était de sortie.
Ce monument mettant en scène Louis XIV chevauchant à la romaine était entouré d'une légende urbaine selon laquelle le sculpteur, Lemot, se serait suicidé après avoir oublié les étriers. Rumeur que Gabriel savait fausse puisqu'il avait pris le temps d'aller la vérifier, une fois, mais que Rosélia crut bon de lui remémorer pendant qu'ils attendaient le métro, adossés contre le mur. En réalité, Lemot était décédé d'une chute au moment de la pose de la statue ; quant aux étriers, il semblerait que, d'après ses plans, il n'avait jamais envisagé de les faire figurer à l'origine.
Toutefois, en voyant comment sa petite-amie semblait fière d'elle à l'idée de lui apprendre quelque chose, le jeune homme jugea préférable d'éviter de ramener sa science et la laissa lui raconter son histoire sans chercher à la corriger.
– Quand même, je m'inquiète pour ta pote..., changea-t-il de sujet une fois qu'elle eut terminé. J'espère qu'elle va pas mourir d'indigestion après s'être empiffrée comme quatre ce midi.
– Je pense pas, il en faut plus que ça pour venir à bout de Fiona ! rigola Rosélia. D'ailleurs, c'était quoi ce délire avec le concours de bouffe ?
Gabriel se mit à tortiller nerveusement sa chaîne en argent, ne sachant pas comment sa petite-amie allait prendre la vérité.
– Elle pensait réussir à dégoûter Maël en mangeant comme une grosse dégueulasse devant lui.
– Bah ça a pas eu trop l'air de fonctionner, grimaça Rosélia.
Un sourire satisfait apparut sur les lèvres de son interlocuteur à cette remarque.
– Ouais, confirma-t-il. Du coup, maintenant, elle va être obligée d'accepter d'avoir un rencard avec lui ! Elle me l'a promis !
Rosélia fronça les sourcils puis lui mit un petit coup sur l'épaule.
– Si je te connaissais pas, je croirais que t'essayes de caser ton pote avec la mienne, là !
Gabriel haussa les épaules.
– Bah, je me suis dit qu'on pourrait faire des sorties tous les quatre, s'ils étaient ensemble. Ce serait cool, non ? Et puis, ça lui ferait oublier un peu l'autre pédophile...
Sans parler du fait que, si Maël avait une meuf, il lui fouterait la paix et cela lui laisserait plus de temps à consacrer à WoW. Mais ça, il le garda pour lui.
– Pourtant tu dis sans arrêt que tu peux pas te voir Fiona... Tu serais prêt à la supporter en double rencards ?
– Que veux-tu ? Je suis plus romantique que j'en ai l'air ! Je suis prêt à faire des efforts pour te faire plaisir ! Et puis, ça s'est pas si mal passé, aujourd'hui, non ?
La jeune fille se serra un peu plus contre lui suite à ces paroles. Il la regarda d'un air attendri, et passa distraitement la main dans ses longs cheveux lisses.
Gabriel prit le temps d'observer son visage et se fit la réflexion que, comme d'habitude, elle avait mis beaucoup trop de maquillage à son goût. Chose qu'il ne s'expliquait pas car, l'ayant déjà vue sans, il savait pertinemment qu'elle était bien assez jolie au naturel.
– D'ailleurs, faut que t'arrêtes de l'imiter en mettant trente-six couches de fond de teint, ne put-il s'empêcher de remarquer. Tu vas avoir des problèmes de peau, à force.
Elle amena instinctivement les mains à ses joues à cette réflexion.
– C'est pour cacher mes taches brunes que je mets du fond de teint.
– N'importe quoi, tes taches brunes sont super sexy. T'as pas besoin de ça, j'te dis.
Les lèvres de la jeune fille s'étirèrent en l'entendant dire ça.
– Pourquoi tu souris bêtement ? s'enquit-il, amusé.
– Pour rien...
Elle ne semblait pas désireuse de se départir de son air benêt, lequel fut bientôt contagieux et le jeune homme sentit le même apparaître sur sa propre bouche. Il fit glisser son doigt sous le col roulé de sa petite-amie, le soulevant légèrement.
– Je vois que mon suçon est toujours là, constata-t-il, satisfait.
– Et t'es fier de toi ? Ça fait trois jours que je dois cacher mon cou à cause de ta connerie !
– Pourquoi tu le caches ? J'espérais au contraire que tu l'arborerais fièrement, histoire que tout le lycée sache à qui t'appartiens !
– Imbécile. Tais-toi, va ! ricana-t-elle avant de venir l'enlacer encore plus fort.
La plupart des gens dépeignaient Gabriel comme quelqu'un de froid, d'insensible, voire même de cruel. Ils se méfiaient toujours un peu de lui tout en accordant, paradoxalement, une haute opinion à ce qu'il pouvait bien penser d'eux. On le détestait tout en l'admirant. Fiona elle-même ne cessait de répéter à sa meilleure amie que c'était un connard et qu'il finirait par lui briser le coeur.
Mais Rosélia se fichait de tout ça, car lorsqu'ils étaient ensemble, il était différent. Il pouvait jouer les durs tant qu'il voulait le reste du temps, la jeune fille, elle, savait qu'il était capable de tendresse. Aussi moqueur qu'il pouvait être avec les autres, il se montrait toujours attentionné à son égard. Or, c'était la seule chose qui lui importait.
Le métro finit par arriver et, quand ils s'engouffrèrent à l'intérieur, un type louche se rapprocha un peu trop de Rosélia au goût de Gabriel qui, en réaction, l'entraîna à l'autre extrémité de la rame.
– Putain, je hais le métro ! râla-t-il en fusillant le pervers du regard. Vivement que j'ai mon permis ! Je pourrais t'emmener partout en voiture, on aura plus besoin de se mêler à la plèbe.
Rosélia éclata de rire.
– La plèbe ! répéta-t-elle. T'y vas un peu fort ! Et puis, se déplacer à Lyon en voiture ? Déjà c'est la merde... Sans parler de l'écologie ! La planète, t'y penses un peu ? Tu vas pas devenir un connard de pollueur quand même !
– Si on écoute les autres, je suis déjà un connard, pollueur ou pas pollueur. Et puis tu m'excuseras, mais la planète, je m'en fous un peu, ce qui compte c'est que ma copine soit en mesure de se déplacer en parfaite sécurité !
– Greta Thunberg serait pas fière de toi ! le réprimanda-t-elle tandis que ses joues se mettaient à lui brûler.
– Vu sa gueule, Greta doit pas se faire souvent emmerder dans le métro, donc son avis compte pas.
Rosélia sourit malgré elle et posa la tête sur son épaule. Depuis qu'elle le connaissait, Gabriel était très préoccupé par son apprentissage de la conduite, pressé d'obtenir son permis et d'acquérir sa liberté routière. Ayant fêté ses dix-huit ans quelques semaines plus tôt, il avait enfin pu s'inscrire à l'examen et attendait la date de celui-ci avec impatience, persuadé qu'il l'aurait du premier coup. Il réussissait toujours tout du premier coup, d'après lui. Si Fiona avait été là, elle aurait sûrement levé les yeux au ciel face à tant d'arrogance ; cependant, Rosélia devait bien reconnaître la part de vérité dans ces propos.
Gabriel savait qu'il était doué : quoiqu'il entreprenne, il réussissait sans cesse avec une facilité déconcertante. Ce talent inné comportait cependant des inconvénients : le jeune homme trouvait en général son entourage un peu lent à la détente, et ne comprenait pas pourquoi ses camarades galéraient là où lui ne rencontrait aucune difficulté. Autant dire que le lycée représentait à ses yeux un lieu de frustration permanente où sa patience était mise à rude épreuve.
Toutefois, lorsqu'il avait tenté de justifier ainsi son taux d'absentéisme élevé à la conseillère principale d'éducation, celle-ci ne s'était montrée guère compréhensive et n'avait vu là qu'un élève arrogant cherchant à se payer sa tête. Comme si elle lisait dans ses pensées, Rosélia interrompit le fil de ses réflexions en lui demandant d'un ton de reproche :
– Pourquoi t'es pas venu en cours, ce matin ? Tu m'avais promis d'arrêter de sécher !
– Je t'ai manqué ? tenta-t-il d'éluder la question en l'embrassant.
La jeune fille lui rendit son baiser, s'accrochant à son cou afin de le faire durer autant que possible. Cependant elle revint à la charge sitôt que ce fut terminé :
– Je suis sérieuse, fit-elle avec une moue boudeuse. Je veux pas que tu sois viré.
Gabriel lui pinça les joues.
– T'en fais pas, on en est pas encore là. Saint Jude a besoin de moi pour étoffer son quota de pauvres. En plus, j'ai de bons résultats, alors quand j'aurais réussi dans la vie, ils pourront faire croire qu'ils sont responsables de ma success story. C'est gagnant-gagnant.
Rosélia leva les yeux au ciel, pas convaincue.
– Et puis, reprit-il, ce matin j'avais juste philo et EPS. Franchement, la philo je m'en branle vu le faible coefficient... Et le sport, bah... Déjà le prof peut pas me saquer, et en plus j'en ai pas vraiment besoin, la preuve : tâte-moi ces muscles !
Il fit toucher à Rosélia son biceps afin d'illustrer son propos, lui arrachant un sourire malgré elle.
– C'est vrai que c'est bien ferme, tout ça ! approuva-t-elle, étendant son auscultation aux pectoraux et aux abdominaux.
– Dis donc, stop me tripoter, petite perverse ! Je suis un homme prude, moi !
Elle se mit à pouffer tandis qu'il s'amusait à repousser ses mains baladeuses.
– En parlant de ça..., fit-elle d'un ton pensif en caressant sa mâchoire du doigt. Ta mère est encore de garde, ce soir ? Du coup... Je pourrais passer chez toi ?
– T'as pas ton cours d'équitation, le mercredi, toi ? fronça-t-il les sourcils.
Elle haussa les épaules avec un sourire en coin.
– Ben, je peux bien manquer de temps en temps... Surtout si c'est pour traîner avec toi...
Gabriel hésita. Partant du principe que Rosélia ne serait pas disponible, il s'était engagé sans trop d'inquiétude auprès des Glitch à tester la nouvelle recrue. Chose qui s'avérerait compliquée si sa petite-amie rappliquait chez lui.
Même s'il trouvait la proposition tentante, il se dit que cela aurait fait mauvais genre, en tant que personne ayant recruté Azriel, de ne pas être présent lors de sa première virée en guilde... Aussi fit-il preuve de délicatesse lorsqu'il déclina :
– J'aurais bien aimé, mais j'ai un truc à finir pour le cours de physique.
Ce dernier grimaça intérieurement en prononçant ces paroles ; il faudrait qu'il veille à améliorer ses mensonges à l'avenir.
– Gabriel Martin qui refuse une soirée en amoureux au profit des cours ? écarquilla-t-elle les yeux. Une première dans l'histoire de l'Humanité !
– Abuse pas ! protesta-t-il. C'est pas parce que je sèche que je bosse pas ! Je compte bien être riche, plus tard !
– Je sais, je sais. Je te taquinais...
A son grand soulagement, elle n'insista pas et le sujet fut clos, ce qui n'empêcha pas la jeune fille de se poser des questions. Depuis qu'ils sortaient ensemble, celui-ci n'avait jamais refusé une occasion de se voir en tête-à-tête, allant même jusqu'à renoncer à certains plans avec ses potes afin qu'ils puissent passer du temps ensemble. Et soudain, il estimait que ses cours étaient plus importants ? Ces mêmes cours qu'il n'avait aucun scrupule à sécher la plupart du temps ?
Peut-être, comme Fiona le prédisait depuis le début, Gabriel commençait-il à se lasser d'elle ? A peine eut-elle cette pensée qu'elle l'étreignit très fort, espérant l'empêcher de s'éloigner davantage en le serrant contre elle.
Le contraste lumineux entre le soleil extérieur et la pénombre du souterrain suffit à cramer les rétines sensibles de Gabriel lorsqu'ils remontèrent à la surface. Les amies de Rosélia, déjà sur place, minaudèrent en les voyant arriver ensemble, vantant à quel point ils formaient un couple bien assorti et autres conneries du même acabit. Il échangea quelques banalités avec elles puis entraîna sa petite-amie à l'écart afin de lui dire au revoir.
– Bon, c'est le moment où on se sépare, du coup, souffla-t-il en lui caressant les joues. Mais au fait, pourquoi Fiona est pas avec vous ?
Rosélia lui fit signe de se pencher vers elle et lui chuchota dans l'oreille :
– Elle a prétexté qu'elle voyait Léo cet après-midi pour esquiver.
– Ah, elle leur a pas encore dit qu'il l'avait plaquée ?
– Chut, pas si fort ! le réprimanda-t-elle. Elle voulait surtout éviter d'avoir à leur dire qu'elle est fauchée car elle a déjà cramé toute sa thunes !
Gabriel haussa les sourcils, intrigué.
– Ah ouais ? Et elle a acheté quoi avec ?
Rosélia ouvrit la bouche pour répondre mais se reprit juste à temps, réalisant que Fiona n'apprécierait sûrement pas l'idée que Gabriel soit au courant pour son nouvel écran de gamer. Heureusement, elle s'extirpa de cette situation délicate grâce à Jade qui les interpella au loin :
– Bon, alors, les amoureux ! On a des soldes à faire, nous !
Gabriel secoua la tête.
– Ouais, ouais, je vous la rends, répondit-il.
Puis, après un dernier baiser d'adieu, il la laissa vaquer à ses occupations avec ses amies.
🎮🎮🎮
La première chose qui accueillit Gabriel, une fois qu'il eut poussé la porte de son appartement, fut la douleur cuisante d'une gifle sur sa joue immédiatement suivie d'un sermon :
– Espèce de petit con ! T'as encore séché les cours, pas vrai ? Le lycée m'a appelée alors pas la peine de nier ! Qu'est-ce que j'ai fait pour mériter un fils pareil, ah, Seigneur !
Le jeune homme ne fut cependant pas ému le moins du monde par ces remontrances qu'il avait déjà entendues un millier de fois et déclara d'un ton placide en frottant la zone endolorie :
– C'est marrant comme tu deviens croyante à chaque fois que t'es zahaf, tata.
– C'est marrant comme tu m'appelles tata à chaque fois que je suis zahaf contre toi, merdeux !
Gabriel eut un sourire en coin puis, alors qu'elle reprenait sa vague de réprimandes, décida de laisser ce vieux disque rayé tourner dans le vide tandis qu'il se servait un verre d'eau.
– Non mais regardez ce que je suis devenue à cause de ce gosse ingrat ! Trente-sept ans, célibataire, coincée avec un adolescent rebelle ! Il y a bien une raison pour laquelle je voulais pas d'enfants, figure-toi : mais au lieu d'en pondre un, il a fallu que j'hérite de celui de ma folle de soeur ! Ah, je savais que tu serais un nid à problème, tu tiens ça de ta mère ! Oh, celle-là, je te jure... Si un jour elle refait surface, je la tue !
Gabriel, désormais accoudé au bar de la cuisine, avait acquiescé à chacune de ses paroles.
– Et si elle est déjà morte ? s'enquit-il d'un air impassible.
Ceci eut le mérite de la stopper dans son élan pendant quelques secondes. Puis, tapant son poing contre sa paume, elle reprit :
– Alors je la ressuscite rien que pour le plaisir de la tuer à nouveau !
Le jeune homme eut un rictus moqueur mais s'abstint de commentaire.
– Ah, je te jure ! se lamenta-t-elle, enfouissant sa tête entre ses bras. Qu'est-ce que j'ai fait pour mériter ça ? Tu me fais vieillir prématurément !
Gabriel but une gorgée et la dévisagea par-dessus son verre. Audrey Martin était à la fois sa tante et sa mère adoptive ; tout comme lui, elle avait hérité des cheveux châtains de son grand-père et des yeux bleu-verts de sa grand-mère maternelle, mais la ressemblance s'arrêtait là.
Lui était grand et mince alors qu'Audrey était trapue, sans parler des kilos superflus qu'elle avait accumulés au fil des années passées à l'élever ; elle était émotive là où il était insensible ; enfin, elle était anxieuse quand lui faisait montre d'un sang-froid à toute épreuve.
– T'as encore trouvé un cheveu gris ce matin, c'est pour ça ton mélo ?
L'expression grimaçante qu'elle arbora en relevant la tête parla d'elle-même.
– Oui ! gémit-elle. Encore un ! Gabriel, ma vie est finie ! Je me marierai jamais !
– Dis pas ça, t'es encore bien conservée...
– Tu trouves ? lui demanda-t-elle avec une note d'espoir dans la voix.
– ... ouais, pour une cinquantenaire, franchement, ça va.
L'air réjoui disparut instantanément au profit d'un masque de fureur.
– Espèce de petit con ! larmoya-t-elle. Je te hais ! T'as fait fuir tous mes exs avec ton sale caractère !
– C'était que des connards, t'as rien perdu.
– T'as gâché ma vie, oui !
– Tout le plaisir est pour moi.
– Espèce d'insensible ! Tu pourrais avoir pitié de moi !
Gabriel était bien forcé d'admettre que la vie de sa tante aurait pu être différente s'il n'y avait pas fait irruption quinze ans auparavant ; jeune infirmière souriante, optimiste, vigoureuse et fiancée, son avenir semblait alors radieux et tracé d'avance. Pourtant, sa tranquillité fut bousculée lorsque sa soeur aînée disparut dans la nature après avoir abandonné son rejeton sur le pas de sa porte.
– J'aurais dû te mettre à la DDASS, oui ! bougonna-t-elle d'un air boudeur. Mais non, il a fallu que je te prenne en pitié et que je t'adopte. Argh, je devrais t'y renvoyer, là, tout de suite !
– Je suis majeur, donc techniquement c'est impossible. Mais tu peux me mettre à la porte si tu veux.
Audrey le dévisagea fixement quelques secondes, semblant sincèrement considérer cette possibilité, puis poussa un soupir découragé.
– Bah ! A quoi bon ? Après t'avoir supporté tout ce temps, ça n'aurait aucun sens. D'autant plus que je compte sur ton quotient intellectuel pour que tu deviennes riche et que tu me dédommages ces quinze dernières années passées à suer du cul pour tes beaux yeux.
Gabriel eut un sourire attendri.
– T'exagères. J'étais plutôt cool quand j'étais petit...
– Oui, c'est là le piège ! lui reprocha-t-elle. T'as été adorable pendant quoi... Cinq ans ? C'est après que t'as montré ton vrai visage ! Quand je pense que ma soeur t'a appelé "Gabriel" en référence à l'ange de la Bible... Un ange, tu parles ! T'étais un vrai diablotin !
Sans demander la permission, elle lui prit son verre et but d'une traite le reste de son contenu avant de reprendre :
– Le nombre de fois où j'ai été convoquée au collège parce que tu martyrisais tes camarades... Bon, cela dit, pendant que je me confondais en excuses, je pouvais pas m'empêcher de penser : "je préfère que ce soit ça que l'inverse". Est-ce que ça fait de moi une mauvaise personne ?
– Probablement, affirma Gabriel d'un ton implacable. Pas étonnant que j'ai mal tourné, avec un tel exemple.
Audrey lui décocha un regard noir puis finit par éclater de rire.
– Ah, bon sang ! Ma vie serait quand même triste sans toi, va. J'ai peut-être bien fait de te garder, je pense.
– Je suis aussi content que tu m'aies pas envoyé à la DDASS, reconnut-il d'un air attendri. T'es plutôt okay, comme mère, en vrai.
Celle-ci haussa les sourcils.
– Gabriel qui me fait un compliment ! s'étonna-t-elle. T'essayes de m'amadouer, c'est ça ?
– Non, je t'exprime ma reconnaissance la plus sincère, protesta-t-il d'un ton solennel en posant la paume sur son coeur.
– Ouais, et bien si tu veux me montrer ta reconnaissance, arrête de sécher le lycée. T'es peut-être intelligent, mais t'iras pas bien loin sans diplômes, alors va en cours, compris ?
– Je peux rien promettre, haussa-t-il les épaules. Mais je ferai un effort.
Audrey leva les yeux au ciel, cependant elle savait que venant de lui, on ne pouvait attendre grand-chose de plus. Elle tressaillit en voyant le regard du jeune homme se perdre en direction de la pile de courriers étalée sur le bar.
– Ça commence à être un peu le zbeul, par ici, non ? Tu fais encore de la phobie administrative ou quoi ?
– Oui, oui, je sais ! soupira-t-elle d'un air exaspéré. Je vais trier ça ce week-end !
J'en reviens pas de me faire sermonner sur mon bordel par un adolescent. C'est pas le contraire qui devrait se produire, normalement ?
En réalité, les rôles étaient souvent inversés, entre eux. Un peu maniaque sur les bords, le jeune homme détestait le désordre et passait régulièrement derrière elle pour ranger ou nettoyer. C'était aussi le plus souvent lui qui cuisinait, allait faire les courses, ou s'occupait des petites choses à réparer et à bricoler dans l'appartement.
Une vraie fée du logis, songea Audrey avec un sourire en coin. Déjà bon à marier.
– Ouais bah non, s'y opposa-t-il d'un air mécontent. Faut arrêter de remettre à plus tard et commencer à ranger tout de suite !
Joignant le geste à la parole, il se dirigea dangereusement vers les lettres et Audrey s'empressa de s'interposer en s'exclamant :
– Attends, Lou ! Avant ça, il faut que je te dise un truc !
Le jeune homme s'immobilisa et la regarda dans l'expectative. Prenant une grande inspiration afin de se donner du courage, elle osa enfin cracher le morceau qui lui pesait sur la poitrine depuis qu'il était rentré :
– T'as reçu une lettre de... hum, de qui-tu-sais. Pour ton anniversaire.
Comme chaque fois, le visage de Gabriel se ferma à la simple évocation de cette personne.
– Un mois de retard, dit-il d'un ton placide. Il s'améliore. Tu l'as ouverte ?
– Il y a un chèque et un mot, acquiesça Audrey.
– Cool, déclara-t-il d'un ton neutre.
Puis, après s'être étiré, il reprit :
– Encaisse le premier et brûle le deuxième, alors. Je vais dans ma chambre, à plus tard !
– Gabriel, attends ! Je pense qu'il faut que tu le lises...
– Rien à foutre de son bullshit, objecta-t-il en s'éloignant.
Audrey ne s'avoua pas vaincue et le retint par le poignet. Prenant une grande inspiration pour se donner du courage, elle finit par expulser ce qui lui pesait sur le coeur depuis le début de la matinée :
– Il veut te rencontrer.
Gabriel s'immobilisa à ces mots, restant silencieux durant plusieurs secondes, lesquelles semblèrent durer des heures aux yeux de sa mère tant elle appréhendait sa réaction. Elle s'attendait à peu près à tout ; de la colère, du chagrin, du rejet, de l'indifférence, même, qu'elle soit feinte ou sincère... Oui, Audrey avait imaginé une pléthore de possibilités, sauf celle qui se produisit : le jeune homme eut un fou rire.
Car si elle ne voyait pas ce qu'il y avait de drôle, Gabriel, lui, trouva la chose hilarante. Après avoir passé quinze ans à payer sa mère adoptive afin de ne surtout pas être confronté au fils illégitime qu'il avait engendré, voilà que l'autre Casper se réveillait un beau matin et décidait qu'il voulait le connaître. Oui, décidément, cette situation était grotesque.
– Qu'est-ce qui lui prend, au vieux ? Il a disjoncté ? Il est malade ? Il a une maladie incurable ? Oh, non, je sais : il a besoin d'un de mes organes !
Audrey croisa les bras sur sa poitrine, mécontente.
– J'en sais rien. Tu le connais, il est jamais très loquace dans ses lettres. Il dit simplement qu'il veut te rencontrer. Peut-être qu'il est mourant...
– Parfait ! Dans ce cas, qu'il crève. Je serai pas son ticket pour le Paradis.
Gabriel ponctua sa phrase d'un doigt d'honneur qu'il dirigea contre le ciel, puis alla s'enfermer dans sa chambre. Sa mère tapa à la porte un moment afin d'essayer de le raisonner puis, connaissant le caractère têtu du jeune homme, finit par laisser tomber. Elle se contenta de glisser l'enveloppe sous la porte accompagnée d'un post-it : "Réfléchis-y quand même", laquelle termina sur un coin du bureau tandis qu'il allumait son ordinateur.
Ces sombres pensées s'estompèrent quand le jeu eut fini de charger ; en effet, son mage, qu'il avait laissé dans le hall de sa guilde avant d'aller dormir, eut la surprise d'y trouver les officiers en train de s'enjailler en sous-vêtements.
Amusé, Gabriel constata en ouvrant Discord que ceux-ci étaient connectés dans le canal audio. Alors, mettant son casque sur son crâne, il décida de les y rejoindre ; le tableau qu'il avait sous les yeux fut bientôt complété par une ambiance sonore adéquate, faite de musique disco et d'éclats de rire.
– Eh ben, y'a de l'ambiance, par ici !
Son arrivée fut aussitôt acclamée de toute part.
– Wesh, Milamber ! l'accueillit Sneaky. Joins-toi à nous ! C'est la prière aux dieux du loot, tu sais bien ! Le rituel du mercredi !
En effet : si, pour le commun des mortels, la semaine débutait le lundi, pour les gamers jouant à War or Wizards, elle démarrait le mercredi. Car "mercredi" rimait avec "reset" : l'ensemble des actions effectuées la semaine précédente étaient réinitialisées et il devenait possible de les recommencer.
Les joueurs ouvraient alors leur coffre hebdomadaire, dans lequel chacun trouvait une récompense basée sur ce qu'il avait accompli la semaine précédente. Plus votre investissement sur le jeu s'avérait complexe et rare, et plus la récompense suivait.
Autant dire que tous les joueurs attendaient ce moment avec impatience, chacun espérant y trouver une pièce d'équipement pouvant améliorer grandement leurs performances de jeu. La sensation était presque semblable à celle que l'on pouvait ressentir en ouvrant un cadeau, sauf que celui-ci était fait de pixels.
Toutefois, si la plupart d'entre eux se déconnectaient en général devant le coffre afin de l'ouvrir dès les premières minutes de connexion, sans attendre leurs camarades, les Glitch, eux, procédaient différemment. Ils avaient pour habitude de se retrouver dans le hall de guilde afin d'y danser ensemble en petite tenue tout en priant les "dieux du loot", autrement dit les "dieux du butin", de leur conférer une récompense intéressante.
C'était donc typiquement ce à quoi s'adonnaient actuellement les officiers. Gabriel secoua la tête, amusé, et, bien qu'il refusa catégoriquement de dévêtir son personnage comme les autres, monta sur une table histoire de danser avec eux.
– N'empêche, si la nouvelle débarque maintenant, elle va nous prendre pour des tarés ! fit remarquer Lalie en riant.
– Au moins, elle saura tout de suite à quoi s'attendre ! lui répondit Taec.
Et, comme pour confirmer leurs propos, c'est à ce moment précis que celle-ci choisit d'arriver, puisqu'une voix féminine inconnue retentit dans leur casque à tous :
– Euh... Bonjour ?
🎵 Boney — Rasputin
https://youtu.be/Nl_Eo2QzqU4
Hello ! Vous allez bien ? 👋 Moi ça va, même si je crois que j'ai encore chopé le Covid ! Ce sera la troisième fois, déjà ! 😭 Et vous, vous l'avez déjà eu ?
J'espère que ce chapitre vous a plu, sinon ! Il a été un peu remanié par rapport à la première version, mais dans l'ensemble il est resté plutôt similaire.
Qu'avez-vous pensé de ce moment entre Rosélia et Gabriel, et de sa façon de se comporter avec elle ?
C'est aussi le premier chapitre où la mère de Gabriel, Audrey, fait son apparition. Qu'avez-vous pensé d'elle ? C'est un personnage haut en couleur, qui a fait de son mieux pour l'élever, même s'il lui a quand même donné du fil à retordre. On en a également appris davantage sur son passé et sa situation familiale. Qu'en avez-vous pensé ?
Bon, et finalement, Gabriel a enfin pu se connecter au jeu, ça y est ! Contrairement à la V1 où c'était lui le nouveau venu dans la guilde, ici, c'est Azriel qui fait son apparition sur la fin et qui surprend les officiers en pleine fiesta. 🤭
Dans le prochain chapitre, vous assisterez donc enfin à la première vraie discussion entre Milamber et Azriel... lesquels ignorent qui est vraiment la personne se trouvant en face. Et si vous avez lu la première version, sachez que cette rencontre va être différente ! Des pronostics ? 😏
Sinon, il ne reste plus que deux chapitres, et donc deux semaines avant de terminer le premier arc narratif de ce tome 1 ! Le temps passe vite, quand même ! J'espère que cette première partie vous plaît, jusqu'ici !
Mais bref, en attendant, je vous dis à la semaine prochaine pour le prochain chapitre ! Des bisouuuus ! 😘
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