Level 03 : Léo le pédo
Si l'enthousiasme que Fiona manifestait quelques minutes plus tôt était descendu d'un étage en entrant à l'intérieur du tramway, il ne remonta pas davantage lorsque Maël vint s'asseoir à côté d'elle. Installés sur des sièges en carré face à face, Gabriel, Rosélia et elle formaient à présent un trio si morose qu'ils tenaient davantage de personnes âgées venant d'enterrer leur quatrième ami ce mois-ci que d'adolescents s'apprêtant à manger dans un restaurant à volonté.
Gabriel était agacé par la présence de Fiona, Fiona était agacée par la présence de Maël, et Rosélia était agacée de voir les deux autres agacés. Seul Maël, qui semblait complètement aveugle à la pourtant évidente hostilité que celle-ci manifestait à son égard, affichait un sourire béat à l'idée de passer du temps en compagnie de son crush.
Cela étant dit, Gabriel ne pouvait s'empêcher de tirer un plaisir malsain en voyant l'inconfort de la jeune fille en sa présence. Même si, du fait de l'écouteur qu'il avait vissé dans son oreille en montant le son au maximum, il s'avérait bien incapable de comprendre ce qu'ils pouvaient se raconter, le langage corporel de Fiona, lui, était particulièrement éloquent.
Chaque fois que Maël se rapprochait d'elle afin de lui parler ou avait le malheur d'effleurer son bras ou sa cuisse, celle-ci se décalait d'un centimètre du côté opposé histoire de rompre le contact. Alors Maël se rapprochait à nouveau, et Fiona recommençait à s'éloigner.
Un sourire satisfait avait dû apparaître au coin de ses lèvres car il sentit Rosélia, à côté de lui, lui mettre un coup de coude tout en le fusillant du regard. Il vit ses lèvres bouger mais elle s'exprima d'une voix si basse qu'il fut obligé d'ôter son écouteur et de se pencher vers elle pour l'entendre :
– Fais quelque chose au lieu de te marrer, abruti ! lança-t-elle entre ses dents.
– Pas mon problème, rétorqua-t-il en haussant les épaules.
Alors que Gabriel faisait mine de remettre l'appareil à son oreille, il eut droit à un nouveau coup de coude. Cette fois, il n'eut pas besoin de se pencher vers elle pour comprendre clairement le "Gaby !" mécontent qu'elle lui adressa. Réprimant un soupir, il se décida finalement à ranger ses écouteurs et à voler au secours de l'autre ogresse tel le preux chevalier qu'il était. Il n'eut pas besoin de réfléchir très longtemps pour savoir comment accaparer l'attention de son pote :
– Au fait Maël, t'as maté le match hier soir ?
En effet : dans l'échelle des priorités de ce dernier, le foot arrivait à peu près au même niveau que le sexe opposé. Cela se confirma une fois de plus car, dès qu'il eut entendu le mot "match", il se désintéressa complètement de sa victime pour le regarder.
A peine se fut-il détourné d'elle que le soulagement de Fiona fut palpable ; ses épaules se décontractèrent et elle sembla capable de respirer à nouveau normalement. Gabriel se retint de lever les yeux au ciel face à cette réaction.
Quelle petite nature, sérieux.
Tout en donnant le change à Maël, il ne put s'empêcher de continuer de l'observer du coin de l'oeil, guettant des indices de la soi-disant soirée horrible qu'elle avait passée la veille. Même si, au vu des trente-six couches de fond de teint appliquées sur son visage, la tâche s'avérait ardue.
Pourtant, après l'avoir scrutée ainsi plusieurs minutes, il en arriva à la conclusion qu'il n'y croyait pas une seconde, à cette histoire de rupture. Depuis que Maël s'était désintéressé d'elle, Fiona semblait beaucoup trop ravie à son goût, à regarder le paysage de la ville défiler par-delà la fenêtre du tram, avec son sourire qui s'étirait presque d'une oreille à une autre.
Et pour cause : ce que Gabriel ignorait, c'était qu'à cet instant précis, la jeune fille ne songeait plus du tout à sa récente rupture. Non, les pensées de Fiona étaient monopolisées par une seule et unique chose : son estomac vide et toute la succulente nourriture avec laquelle elle s'apprêtait à le remplir.
Rosélia avait visé juste en lui proposant cette sortie. Elle la connaissait trop bien et savait sur quels boutons appuyer afin de lui remonter le moral ; en tant que fidèle disciple de la Switch Girl numéro un, Nika Tamiya, Fiona ne pouvait en aucun cas refuser une invitation à un buffet à volonté.
Mais d'un autre côté, un buffet à volonté en compagnie de Maël allait être une vraie torture ; d'abord parce qu'il ne la lâcherait pas d'une semelle, et ensuite parce que, si elle voulait conserver son image de princesse de Saint Jude, elle devrait rester maîtresse d'elle-même et ne pas céder à sa goinfrerie.
Si encore il n'y avait eu que Rosélia et Gabriel, elle aurait pu se lâcher complètement et s'empiffrer autant qu'elle le voulait... Quoique non, même s'il savait quel genre de truie elle pouvait être lorsqu'il s'agissait de bouffe, M. Propre-sur-Lui n'aurait pas pu s'empêcher de lui adresser des commentaires désobligeants sur la quantité de nourriture qu'elle avalait, sur sa façon de manger avec les mains ou encore de desserrer le cran de sa ceinture afin de pouvoir en mettre le plus possible dans son estomac.
Non, le mieux aurait été de s'y rendre en compagnie de Rosélia. Juste Rosélia. Un buffet à volonté et Rosélia... Oui, c'était ça, le paradis !
Le premier réflexe qu'eut Fiona en arrivant au restaurant fut de tester l'élastique de son jean. Si elle avait su, elle aurait suivi les préceptes d'Aida Sensei en portant une robe ample, car les pantalons taille haute n'étaient vraiment pas adaptés à ce genre de situation. Et puis, son regard glissa sur Maël et elle se souvint qu'elle devrait garder son sang-froid et ne pas céder à l'appel de la nourriture en sa présence.
C'est pourquoi, au moment de remplir les assiettes, la jeune fille profita qu'il soit distrait par Rosélia pour s'éclipser le plus loin possible ; ainsi, à chaque aliment qu'elle mettait sur son plateau, elle en ingurgitait un autre presque simultanément.
Tellement absorbée par sa tâche à guetter Maël du coin de l'oeil histoire d'être sûre qu'il ne la détecte pas, elle ne vit à aucun moment Gabriel se rapprocher d'elle et sursauta lorsqu'il posa son plateau sur les rails à côté du sien en déclarant d'une voix grave :
– J'ai pigé ton manège, hein.
Elle tressaillit en l'entendant prononcer ces paroles. Il l'avait donc grillée en train de se goinfrer telle une truie ? Honteuse, Fiona répliqua de la seule façon qu'elle connaissait lorsqu'elle était prise en flagrant délit : l'attaque.
– Et ben quoi, tu vas te remettre à m'appeler petit pâté comme en troisième, c'est ça ? siffla-t-elle entre ses dents.
Cela dit, à la façon dont Gabriel haussa les sourcils d'un air perplexe, elle comprit qu'elle s'était fourvoyée.
– Mais de quoi tu parles ? lança-t-il sans comprendre.
Mal à l'aise, elle détourna les yeux en marmonnant à voix basse :
– Je pensais que tu te foutais de moi parce que je m'empiffrais depuis tout à l'heure.
Gabriel secoua la tête d'un air dépité.
– Bah, ça, tu fais bien ce que tu veux, je m'en branle !
Il marqua une pause avant d'ajouter :
– Mais c'est sûr que faudra pas venir chialer si tu grossis. C'est pas parce que tu viens de te faire larguer que les calories comptent pas, tu sais.
Fiona rit jaune à sa blague de mauvais goût.
– Ouais, bah c'est bien dommage ! déplora-t-elle en secouant la tête. On devrait tous avoir droit à une carte blanche calorique post-rupture, si tu veux mon avis !
Alors qu'elle prononçait ces paroles, elle réalisa soudain la situation et tourna vivement la tête vers lui, les yeux arrondis.
– Mais attends ! Comment tu sais que... ?
Son regard glissa en direction de Rosélia, laquelle se trouvait un peu plus loin, en train d'hésiter entre les nems et les raviolis vapeurs en compagnie de Maël, puis revint se poser sur lui. A cet instant, Gabriel crut presque apercevoir les rouages de son cerveau s'agiter tandis qu'elle percutait.
– J'y crois pas... C'est Lia qui m'a vendue, c'est ça ?
– Comme une vache à un abattoir, confirma-t-il avec un sourire moqueur.
Voyant l'expression de Fiona se muer en colère, il s'empressa d'ajouter :
– C'est bon, lui en veux pas trop. C'est moi qui lui ai mis la pression pour qu'elle crache le morceau. Ça me faisait chier que tu te tapes l'incruste à notre rencard.
Fiona resta à le dévisager sans mot dire, aussi se sentit-il obligé de poursuivre :
– Pour être honnête, j'ai même cru que tu mythonnais histoire de m'emmerder.
Elle mit ses poings sur les hanches et, tout en arborant ses airs de peste habituels, lança :
– Eh bien, au risque de blesser ton ego démesuré, sache que le monde ne tourne pas autour de toi !
Elle laissa retomber ses bras et se détourna de lui pour recommencer à remplir son plateau, avant d'ajouter d'un ton beaucoup plus affecté :
– Et oui, j'ai bel et bien été larguée comme une merde. J'imagine que ça te fait plaisir de l'apprendre, alors vas-y, jubile !
Gabriel, qui avait lui aussi repris le remplissage de son plateau, fronça les sourcils :
– Pourquoi je jubilerais ?
– Bah, t'arrêtais pas de l'appeler "Léo le pédo" et de dire qu'il profitait de moi !
Il poussa un léger soupir, sachant déjà qu'elle n'allait pas apprécier ce qu'il s'apprêtait à dire, mais le fit malgré tout :
– En même temps, tu m'excuseras mais un gars de vingt-sept piges qui se tape une mineure, c'est chelou, non ?
– Pas forcément, fit-elle avec les lèvres pincées. Il a dit qu'il me trouvait très mature pour mon âge !
A cet instant, Gabriel dut lutter contre sa forte envie de lever les yeux au ciel tellement c'était cliché.
Vas-y, j'en étais sûr. Il a même pas essayé de faire dans l'originalité, ce niqué.
– Et puis, pour ta gouverne, j'aurais dix-huit ans d'ici quelques mois ! reprit-elle d'un air guindé.
– Ouais, bah même si t'étais majeure, ce serait chelou, en vrai. Désolé mais tu m'enlèveras pas l'idée que les mecs dans son genre sont juste trop creepy et immatures. Du coup comme les meufs de leur âge veulent pas d'eux, ils se tournent vers des adolescentes encore trop jeunes et trop naïves pour comprendre à quel point ils sont dégueu. Jusqu'à ce qu'elles réalisent la situation et arrêtent de tolérer leurs conneries.
Il s'était préparé à l'idée que, comme d'habitude, Fiona réagisse mal. Du fait de leur histoire compliquée, tous deux avaient toujours pris soin de s'éviter comme la peste une fois arrivés au lycée. Mais, depuis qu'il sortait avec Rosélia et que celle-ci s'entêtait à essayer de les réconcilier, ils avaient été contraints de se côtoyer plus qu'à l'accoutumée.
Or, chaque fois qu'il avait essayé de faire de l'humour ou de lui parler dans une tentative d'apaisement, il avait fini par faire ou dire quelque chose qui la mettait en colère et à se prendre des piques, voire des insultes en retour. Discuter avec elle s'apparentait à un jeu d'équilibriste éprouvant au cours duquel la moindre remarque risquait de la froisser et de provoquer sa colère.
Vous comprendrez donc quel fut son étonnement lorsque, pour la première fois en deux mois, Fiona se mit à pouffer sincèrement à l'une de ses plaisanteries.
– C'est vrai que, dit comme ça, c'est quand même un peu creepy, admit-elle en se marrant.
Enhardi par cette réaction, Gabriel décida de poursuivre son analyse digne d'un mentaliste dans l'espoir de continuer à la faire rire :
– Ouais, puis la plupart du temps, c'est aussi des mauvais coups au pieu. C'est pour ça qu'ils choisissent des meufs inexpérimentées : comme elles peuvent pas comparer, elles risquent pas de comprendre à quel point ils sont nuls !
– Tu crois que c'est pour ça ? s'esclaffa-t-elle.
Tandis que l'hilarité de Fiona devenait contagieuse, il ne put s'empêcher de continuer en pouffant :
– Bah ouais, et t'as aussi ceux dont la spécialité c'est de larguer la pauvre meuf après avoir pris sa virginité !
A ce moment précis, Gabriel comprit qu'il avait merdé. Le funambule qu'il était, encouragé par les réactions positives de la jeune fille, s'était emporté et avait, encore une fois, tout fait chavirer.
Car, en une fraction de seconde, l'expression de Fiona changea drastiquement. Cessant de rire, son sourire s'effaça, son menton se mit à trembloter, tandis que ses yeux, eux, lui renvoyèrent une expression de souffrance pure et dure.
– Merde, grimaça-t-il. J'ai visé juste, c'est ça ?
Le regard de Fiona s'assombrit.
– Ouais, lança-t-elle dans un souffle.
Gabriel déglutit et se mit à tripoter nerveusement sa chaîne en argent.
Putain, quel con. J'aurais mieux fait de fermer ma gueule.
Sans qu'il ne s'explique pourquoi, il n'avait pas vraiment imaginé qu'elle pourrait appartenir à cette catégorie. A cause de son habitude de ne sortir qu'avec des gars plus âgés, il s'était auto-persuadé qu'elle avait déjà passé cette étape depuis longtemps.
– Fiona..., commença-t-il.
– C'est rien, le coupa-t-elle.
Elle lui adressa un regard glacé.
– Ça me surprend pas, en fait, enchérit-elle d'un ton dur. J'imagine qu'il n'y a rien de mieux qu'une sale race pour en comprendre une autre !
Les pupilles du jeune homme s'arrondirent sous l'insulte mais, avant qu'il n'ait pu répliquer, elle tourna les talons et s'enfuit d'un pas rapide en direction des toilettes.
GG, Gabriel. T'as de nouveau tout foiré ! se maudit-il intérieurement en la voyant partir.
– Qu'est-ce que t'as encore fait ?
La voix de Rosélia derrière lui le fit sursauter.
– Rien ! J'ai rien fait ! se défendit-il instinctivement.
Sa petite-amie conserva le silence, se contentant de l'observer les bras croisés sur sa poitrine. Dans ces circonstances, elle n'avait pas besoin de prononcer la moindre parole afin d'obtenir des aveux. En effet, la jeune fille était dotée d'un talent dont elle n'était pas peu fière : elle était capable d'arquer un seul de ses sourcils sur les deux. Et elle savait toujours quand l'utiliser à bon escient.
Cette technique sembla fonctionner une fois de plus puisque, après un court silence à être dévisagé de la sorte, Gabriel finit par marmonner en se frottant la nuque, mal à l'aise :
– Disons que... Pour faire simple... Mes dons de mentaliste ont encore frappé.
Le jeune homme se targuait souvent de son aptitude à analyser les gens et les situations avec une étonnante clairvoyance. Sauf que cette fois-ci, sa perspicacité s'était de toute évidence retournée contre lui.
– Comment ça ? s'enquit Rosélia sans comprendre.
Prenant une longue inspiration, elle ferma les paupières tout en articulant :
– Gaby... qu'est-ce que tu lui as dit ?
Il ouvrit la bouche mais la referma aussitôt, sentant déjà qu'elle risquait d'entrer en mode enragée si elle apprenait la vérité.
– Laisse tomber. Je vais aller lui parler, finit-il par marmonner.
Et, alors qu'il faisait mine de partir, Rosélia le retint :
– T'es sûr que c'est une bonne idée ? Tu risques pas d'aggraver la situation ?
– C'est bon, je vais gérer ! Tu me fais pas confiance ou quoi ?
Si, si, songea-t-elle en le regardant s'éloigner. Mais je sais pas si c'est une bonne idée.
🎵 Olivia Rodrigo — Vampire
https://youtu.be/RlPNh_PBZb4
"Went for me and not her... 'Cause girls your age know better"
Hello ! Vous allez bien ? Vous avez passé un bon week-end ?
Bon, je n'ai pas réussi à poster le chapitre vendredi soir comme prévu, mais le voilà aujourd'hui ! Je le poste en bonus cette semaine car il est assez court (2500 mots, c'est peu par rapport à mon palmarès lol). Au final, j'aurais presque pu l'ajouter au chapitre suivant mais ça aurait fait un peu long, et j'aurais pas suivi mon sommaire initial donc... Bref, voilà, je me suis pas très bien organisée pour le coup. 😆
J'espère qu'il vous a plu malgré tout ! Pour la petite info, je n'écris pas forcément dans l'ordre chronologique et ce chapitre et le suivant sont les 2 premiers chapitres que j'ai réécrits ! Je m'y suis reprise en plusieurs fois, mon amie a_nevro m'a beaucoup aidée pour le coup, car j'avais du mal à trouver l'équilibre dans la relation Gabriel / Fiona.
Au début, à force de vouloir l'adoucir, Gabriel s'excusait beaucoup trop, à tel point que ça ne lui ressemblait même plus, à la fin ! J'veux dire, il est pas du genre à s'excuser à tout bout de champ, non plus, faut pas exagérer. Mais voilà, à force de m'y reprendre, je suis plutôt contente du résultat. Je trouve que j'ai réussi à l'adoucir sans trop le changer, et j'ai aussi mis en avant une Fiona moins passive, plus agressive et plus sur ses gardes, que dans la V1. J'ai aussi davantage explicité le malaise qui existe entre eux au début de l'histoire, à cause de leur passé, pour qu'on comprenne à quel point Gabriel galère à savoir comment s'adresser à elle à chaque fois. Enfin voilà, et vous, qu'en pensez-vous ?
On en apprend aussi encore un peu sur Léo, et sur ce qu'il s'est passé entre Fiona et lui... Et oui, dans la V1, il était précisé que Fiona avait perdu sa virginité avec Adam. Mais vu qu'elle ne l'a jamais fréquenté dans cette nouvelle version... Bref, disons que sa première fois a été... différente. Que pensez-vous de tout cela ?
A votre avis, Gabriel va-t-il réussir à rattraper sa gaffe et à lui remonter le moral ?
En attendant de vous lire, je vous fais des bisous et vous dis à vendredi (vivement, car on sera en week-end !) 😘
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