CHAPITRE HUIT

CHAPITRE HUIT - VRAIE VIE

été 2003

cet été-là, je crois que nous avons tout fait ensemble. vélo, piscine, rires, glaces, arcades, courses, alcohol, karaoke. j'embarquais dans ta voiture et je te laissais me conduire où ton coeur te le dictait.

parfois, nous allions au coiffeur te refaire une beauté lorsque tes cheveux grisaient. tu m'as même une fois incité à me teindre les pointes en bleus. pointes que j'avais coupées le lendemain, car je me sentais coupable lorsque je traversais la salle de bain et les apercevaient dans le miroir.

parfois, nous allions à la boulangerie s'acheter des bagels. et parfois, nous ne faisions que dormir dans ton salon, brûlées de la chaleur du soleil. le dimanche, tu m'accompagnais à la messe avec ma famille. mais ça, c'est une autre histoire.

nous passions la plupart de notre temps à chanter, danser, courir et pleurer. tant que je n'étais pas seule à la maison, mais avec toi. c'était bien avec toi que je me sentais en sécurité, avec toi que je voulais passer tout mon temps. je voulais passer le restant de mes jours à tes côtés.

je mangeais et dormais chez toi, dans ton lit. je t'ai entendu ronfler, plus que tu ne le crois. je me suis tellement emmitouflée tout près de ton corps, j'en ai perdu le compte. quelques fois, je me sentais coupable de m'étendre dans ton lit, comme si ce n'était qu'un rêve que je faisais en boucle à l'asile. ma douleur ne faisait que refaire surface.

combien de films avons-nous vu ensemble? 15? 20? je me souviens bien de ce film français. tu as toujours eu cet amour inconditionnel pour les films internationaux pourris, pour une raison qui m'échappe. peut-être parce qu'ils étaient aussi mystérieux, aussi incompréhensible que toi. tellement que ça en faisait leur beauté.

ce film français était tellement pourri que tu t'es endormie sur moi, la tête sur mes cuisses, tes cheveux décolorés tressés dans mes doigts. c'est d'ailleurs pour cette seule raison stupide que je me souviens de ce film.

le premier que nous avons vu ensemble, c'est nemo. au tout début de l'été. nemo, nemo, nemo. au final, on ne l'a même pas vu.

c'est en conduisant nos vélos que nous sommes arrivées au cinéma délabré de la ville. le ciel était gris, presque noir. le vent frôlait nos visages comme s'il voulait nous caresser, nous bercer dans ses bras. l'air avait cette odeur habituelle d'humidité d'avant-orage. ça, ça m'avait réellement manqué.

— j'crois qu'un orage s'annonce.

et j'ai souris, comme jamais auparavant.

— taz. tu souris.

tu m'as regardé comme si j'étais devenu quelque chose de beau, très beau. tu souriais, toi aussi, comme seul un ange savait le faire. mon ange et sa tornade.

— j'adore ton sourire. j'ai attendu 4 ans pour le voir et putain... il en vaut l'attente.

je sais plus trop si c'était moi ou toi qui a dit ça. mais je me souviens d'avoir été heureuse, insouciante. le genre de bonheur qui ne peut être emmagasiné que lorsqu'on a 6 ans.

— ton retour à la maison, c'était comment?

— mmh.. les vieilles habitudes, quoi. mon père m'a serré dans ses bras. ma mère m'a fait signe de la main d'où elle était dans sa chambre. le chat m'a miaulé quelque chose. c'est tout. mes choses n'avaient pas bougées d'un poil. sauf pour mon cadre de famille. il était dans le salon quand je suis revenue, juste à côté de l'énorme croix catholique.

— tu n'as pas célébré avec eux?

— non.

— et ta grand-mère? l'as-tu vu? et ton oncle, lui?

— non. pas encore.

— pourquoi? tu as peur, taz?

putain. ça me frappait toujours quand tu réussissais à me lire comme ça. pourquoi connaissais-tu chacunes de mes faiblesses comme si j'avais passé toute ma vie avec toi? et après, je me souvenais que j'avais partagé 4 ans de mes inquiétudes avec la jeune femme que tu es.

— je veux pas en parler.

— ça va, taz. tu n'es pas obligée.

le film commençait tout doucement. nous étions assises côte-à-côte, nos bras se frôlaient. ta peau était douce et chaude. ou pas. j'ai peut-être tout halluciné. je t'aurais pris la main, si je n'avais pas eu aussi peur.

on entendait le tonnerre à l'extérieur. mon coeur s'est rempli de joie. je me suis retournée vers toi pour observer ta réaction. tu as regardé le plafond comme pour voir la pluie tomber. et tu t'es tournée vers moi, surprise. quelle innocence tu avais.

pendant un instant, je me la suis imaginée, cette scène où je plaçais ta mèche de cheveux roses derrière ton oreille. ton visage aurait été illuminée par une lumière mauve. tout aurait été filmé au ralenti au son d'une musique classique. sûrement du piano. je me serais rapprochée de toi, nez contre nez, ma main sur ta nuque. toi, ma meilleure amie. et mes lèvres aurait frôlées ta lèvre inférieure, simplement pour la caresser. le ciel m'embrasse et je pleure, pleure, pleure. la pluie tombe sur moi. tu es heureuse. nous sommes heureuses.

— tout va bien, taz?

c'est à cet instant de panique que la panne d'électricité a décidé de nous de frapper. nous avons été plongées dans le noir, la lumière mauve toujours imprimée dans mes paupières.

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