Partie 3 Chapitre 21 :Azzura, la Dresseuse
Le lendemain, se réveillant en même temps que Peter et Cassandra, le garçon les salua avant qu'ils ne partent au travail. Une fois seul, il se rua dans le jeu où, après s'être métamorphosé en Pao, il apparut à côté du campement de Terre Saine. Il invoqua son meilleur ami, Lepre.
— Encore toi ? grommela le Leprechaun en s'étirant. J'avais espéré que tu m'avais oublié. Bon, qu'est-ce que tu veux faire ?
— Jamais je ne t'oublierai, Lepre. Et, de toute façon, je ferai toujours en sorte de te protéger, quoi qu'il puisse m'arriver.
— Mouais... C'est pas dit qu'un jour, une attaque me soit fatale. Et tu sais bien que, si jamais cela venait à arriver, tu ne pourras plus m'invoquer. Contrairement à toi, je n'ai qu'une vie.
Tout en parlant, l'invocation n'avait pas remarqué l'expression de Sylver. Lorsqu'il finit par apercevoir les larmes dans ses yeux, le Leprechaun se mordit la lèvre.
— Non, non, surtout ne pleure pas, ça n'arrivera pas, je sais que tu me protégeras, marmonna-il en s'excusant. Il savait pertinemment que, une fois lancés, les pleurs de son maître duraient souvent plusieurs heures, et, comme le gamin qu'il était, il avait tendance à le serrer fort dans ses bras durant sa crise de larmes, l'étouffant à moitié. Heureusement pour le petit être, l'Invoqueur sécha les gouttes qui se formaient au coin de ses yeux et il se contenta simplement de hoqueter.
— Promis, il ne t'arrivera jamais rien ! jura le Pao.
— Je sais, je sais... bougonna Lepre en faisant néanmoins un câlin à son maître. Bon, tu veux jouer à quoi en attendant que les autres se connectent ?
Après six heures de jeu, les autres aventuriers se connectèrent et l'enfant se jeta sur eux.
— Tu es connecté depuis longtemps ? lui demanda Sémi alors qu'il la serrait dans ses bras.
— Non, pas du tout.
— Tu te moques de moi ? s'époumona Lepre. Ça fait six heures que tu m'obliges à jouer avec toi en les attendant !
— Désolé de ne pas avoir pu me connecter plus tôt, s'excusa la Quenaif, sincère.
— Ce n'est pas grave, je n'ai pas vu le temps passer avec Lepre.
L'invocation grommela dans sa barbe mais n'ajouta rien. Amusés par son comportement, Ban et Ompreria ne firent aucun commentaire mais leurs lèvres pincées en disaient long sur leurs pensées. Alors qu'ils allaient se diriger vers une quête que connaissait le Parieur, une jeune femme s'approcha d'eux.
— Excusez-moi de vous déranger mais pourrais-je vous demander un service ?
Surpris, le groupe fit volte-face et le Roublard détailla la nouvelle venue. D'une taille relativement petite, la dénommée Azzura était une jeune naine mince et sportive. Le Mebanide l'identifia comme une Surarf, à cause de l'étrange tenue de ranger qu'elle possédait mais aussi à la manière dont elle marchait. Là où les autres nains semblaient lourds et patauds dans leurs déplacements, elle semblait se mouvoir habilement, comme si ses pieds effleuraient le sol au lieu de se poser dessus. À côté de son pseudonyme, il put lire le titre « Collectionneuse de monstres » et le niveau quinze.
— Que pouvons-nous faire pour vous, demoiselle Azzura ? lui demanda Ompreria en s'inclinant, mimant un chapeau invisible dans sa main.
— Je recherche un groupe d'aventuriers de votre niveau pour m'assister dans la capture d'un animal extrêmement rare des Bourbiers des Gourmets.
— Malheureusement, nous ne possédons aucune expertise dans ce domaine, expliqua Ban en croisant les bras.
— Veuillez m'excuser, je me suis mal exprimée. Je recherche des gens capables de vaincre des monstres et de me protéger pendant que je capturerai l'animal.
— C'est dans nos cordes, non ? répondit Sylver en regardant ses amis pour avoir leur accord.
— Certes mais qui ne nous dit pas que c'est un piège ?
La phrase du Parieur fit sursauter la jeune naine qui ne s'y attendait pas.
— Pas du tout ! s'exclama-t-elle, paniquée.
— Pourtant, votre réaction me fait penser que vous êtes plutôt suspecte, fit remarquer l'humain. Donc, ce sera non merci.
— Je vous payerai généreusement ! Je vous donnerai un set d'armure complet ! proposa Azzura, l'air complètement désemparée.
— Pourquoi vous mettez-vous dans un tel état ? la questionna Saimhiramiss, étonnée de la voir perdre ses moyens.
— Je n'ai plus beaucoup de temps pour réaliser cette quête, expliqua la Surarf. Je suis une Cheffe animalier ainsi qu'une Éleveuse de niveau cinquante et je me passionne à m'occuper des animaux de ce jeu. Récemment, j'ai débloqué une nouvelle classe, celle de Dresseuse. Seulement, cette classe demande de réaliser certains défis pour évoluer. Ces défis font apparaître des créatures uniques dans le jeu et je ne veux pas passer à côté de ça. Malheureusement, personne ne s'intéresse à cette partie-là du jeu et je n'ai croisé personne de bas niveau, car le défi m'interdit de faire appel à des joueurs au-delà de mon niveau. Et comme il me reste moins de cinq heures de jeu pour faire cette quête, je suis désespérée.
— Honnêtement, Ban, elle me semble bien trop désespérée pour que ce soit un piège. Ou alors, elle mérite un oscar, commenta Ompreria.
Ce dernier s'était figé lorsqu'elle avait parlé de sa classe. Il savait que son camarade avait raison et sourit intérieurement. Il sortit l'œuf de Cakïman de son inventaire et lui montra.
— Est-ce que tu sais ce que c'est ?
— C'est un œuf, de reptile je dirais vu la forme, déclara la Dresseuse en observant la coquille minutieusement.
— En effet. Il me semble que ta classe possède certaines capacités sur les montures, je me trompe ?
— Non, c'est exact, répondit à nouveau la jeune naine en sursautant. Mais comment sais-tu tout cela ?
— J'ai connu quelqu'un qui possédait cette classe, il y a un petit moment. Donc, en échange de notre aide, je veux que, en plus de l'armure dont tu as parlé, tu fasses éclore les œufs de nos montures et que tu nous apprennes les sorts « Appel de monture » et « Conjuration ». Cela te convient-il ?
Abasourdie par la connaissance du Parieur, Azzura mit un peu de temps à se remettre de sa proposition. Cependant, l'urgence de sa requête la força à se reprendre et, une fois avoir pesé le pour et le contre, elle acquiesça.
— Non, ce n'est pas équitable. Vous mettez votre temps à ma disposition et vous me protégez. En plus de tout, je vous laisse la totalité des loots des monstres que vous tuerez dans cette quête. Je ne demanderai rien là-dessus, à l'exception de ce qui est nécessaire pour appâter l'animal que je souhaite capturer.
— Marché conclu ! s'exclama l'humain en lui serrant la main.
Après avoir créé la quête et avoir rejoint leur groupe, Azzura les remercia un à un et leur présenta ensuite les détails de sa requête.
— Je dois capturer une Luxfiole, une sorte de luciole qui, à la place d'un abdomen normal, possède un corps transparent dans lequel est contenu un liquide phosphorescent unique. Pour l'attirer, il me faut créer un rassemblement de Carnifioles, une autre espèce de luciole. Ces dernières sont capables de dévorer n'importe quoi grâce à leurs puissants crochets. Donc, pour créer ce rassemblement, il me faudrait des pattes de Skitorniques, de la sève de Ciel pleureur et des écailles de Gatro monté. C'est là où c'est compliqué car cela veut dire faire le donjon de la Gueule de dessert plusieurs fois pour en obtenir beaucoup.
— Pas besoin ! la coupa Sylver en sortant son grimoire. Je peux en invoquer un et lui faire projeter ses écailles !
— Ah bon ? s'étonna la Dresseuse. J'ignorais que cela était possible mais, si tu le dis, je te crois. Bien, cela me va mieux que de devoir faire plein de fois un donjon. Merci, Sylver, nous allons gagner beaucoup de temps grâce à toi. Dans ce cas, nous allons commencer à nous diriger vers le Ciel pleureur. Sur la route, si vous apercevez des Skitorniques, n'hésitez pas à engager le combat pour que nous puissions récupérer leurs pattes.
Les aventuriers hochèrent la tête et le groupe, escortant la Surarf, prit la direction du plus grand arbre de la région, un immense saule pleureur qu'on avait désigné comme le Ciel pleureur à cause de sa haute taille. Sur le chemin, ils tuèrent quelques moustiques géants et, en plus des pattes, ils obtinrent des ailes et des trompes de Skitorniques.
— Je vous conseille de les donner à un forgeron de Cloruth. Cela vous permettra de faire une armure plutôt intéressante pour vous, Saimhiramiss, détailla Azzura.
— Appelle-moi Sémi et tutoie-moi s'il te plaît, lui répondit gentiment la Quenaif. Tu connais beaucoup de choses, n'est-ce pas ?
— Quand cela concerne les animaux du jeu, oui, je suis presque incollable.
— Je me demandais, intervint Ban, si tu es une Cheffe animalier et une Éleveuse de niveau cinquante, cela veut dire que tu as beaucoup progressé dans le jeu. Quelle classe utilises-tu pour combattre ?
— De base, j'avais choisi la classe Invocatrice mais cela me brisait le cœur de voir mes bébés se faire blesser, expliqua la Dresseuse. Maintenant, je suis une simple Ranger mais j'utilise rarement cette classe. La plupart du temps, je me contente d'élever mes animaux et de les vendre à de bonnes personnes pour gagner suffisamment afin de payer d'autres joueurs pour me protéger.
— Cela paye bien, d'élever des monstres ? demanda innocemment Ompreria.
— Ce ne sont pas des monstres, la corrigea la Surarf en lui faisant signe de son doigt. La plupart du temps, je récolte des œufs abandonnés et, une fois éclos, je les domestique moi-même pour en faire des montures ou des familiers selon l'espèce. Bon, après, je ne suis pas la meilleure dans ce domaine mais je me défends bien, alors on peut dire que oui, ça paye bien. Mais, depuis que je suis Dresseuse, je peux directement dresser des animaux sauvages pour en faire des alliés qui me sont propres.
— Tu en as déjà un ou la Luxfiole sera la première ? la questionna Sylver, émerveillé.
— J'en possède un. C'est un aigle unique provenant des sommets de la météorite du lac Cryorite.
Elle utilisa un sort et les aventuriers purent voir un sublime oiseau aux plumes irisées se poser devant la Dresseuse. Aussi grand que Ban, l'aigle possédait un troisième œil à l'intérieur de son bec que les joueurs découvrirent lorsqu'il piailla.
— On l'appelle le Célaimet, détailla Azzura en cajolant son animal. Il possède la capacité de détecter n'importe quelle proie depuis les cieux, peu importe la distance entre lui et sa cible. De plus, lorsqu'il attaque, il peut projeter un rayon de lumière brûlant à l'aide de son œil intérieur. Je l'ai nommé personnellement Séléné, en référence à la lune, car je l'ai capturé en pleine nuit.
Des étoiles plein les yeux, les joueurs admirèrent l'animal qui s'ébroua et le regardèrent s'envoler après que sa maîtresse l'eut congédié.
— Et toi, Sylver ? s'exclama la Dresseuse.
— Moi ? Qu'est-ce que j'ai fait ? s'étrangla le Pao, désemparé.
— Rien, je voulais simplement savoir quelles invocations tu pouvais faire. Après tout, tu es Invoqueur.
— Et bien, à part Lepre et le Gatro monté, je n'en ai pas d'autres.
— Ah bon ? Tu n'as pas obtenu d'autres pages que celle du Gatro monté ?
— Que veux-tu dire ? s'étonna Sylver.
— Attends une seconde. Rassure-moi un instant mais tu as bien fait la quête de ta classe qui te demandait d'aller affronter au moins dix monstres de type animal différents ? demanda la Surarf.
— Non, je n'ai pas eu le temps. Quand j'ai créé mon personnage, dame Lyra avait besoin d'aide pour les morts-vivants et, ensuite, chez les Gatros, je n'ai pas tué le moindre ennemi.
— Je ne te demanderai pas comment tu as fait pour obtenir ta page de Gatro monté à cause de l'interdiction du jeu mais je te conseille de le faire rapidement. Sinon, tu ne pourras jamais compléter ton grimoire et le faire évoluer, lui expliqua la naine. La classe Invoqueur, comme celle d'Invocateur que j'avais à l'origine, demande que nous collections une partie des monstres que nous affrontons. De quel élément est ton grimoire ?
— Je... Je l'ignore...
— Il me semble que Blanc avait dit que tu étais de l'élément terre, commenta Ompreria tout en éliminant un Skitornique qui s'était approché.
— Dans ce cas-là, après cette quête, tu devrais avoir vaincu trois animaux, corrigea Azzura en souriant. Je t'accompagnerai aux Montagnes Grises. Sur la route, nous éliminerons des monstres pour que tu puisses atteindre ton quota et, là-bas, tu pourras, normalement, obtenir une page facilement. Cela devrait suffire pour ta première évolution de grimoire mais, après, il faudra que tu récoltes un maximum de pages.
— Merci beaucoup, Azzura !
— J'ignorais que les classes d'invocation demandaient de telles conditions pour s'améliorer, dit Ban.
— C'est normal, c'est quelque chose que l'on apprend dans les grandes villes. Je suppose que vous n'avez pas encore rencontré les dirigeants de Morholt, de Bourg-Sentra ou encore de Cloruth. Donc, personne n'a pu en parler à Sylver. D'ailleurs, petit conseil, vous devriez essayer de choisir des quêtes plus axées sur les animaux pour aider Sylver.
— Nous essaierons de vérifier cela mais nous prenons souvent ce qui nous est proposé, expliqua le Parieur.
— Je comprends mais, si jamais vous avez le choix, prenez celles-ci. Plus Sylver possédera d'invocations différentes, plus il sera puissant et plus votre avancée dans le jeu sera simple. Je peux vous le dire, j'ai quand même monté ma classe d'Invocatrice au niveau cent.
Alors qu'elle finissait sa phrase, ils se rendirent compte qu'ils venaient d'arriver au pied du Ciel pleureur. De loin, l'arbre paraissait grand mais, vu depuis sa base, il semblait écrasant. Dominant les Bourbiers des gourmets de toute sa hauteur, le végétal laissait retomber ses branches vers le sol, créant ainsi un rideau occultant les astres diurnes et leurs lumières. Son bois, d'un blanc pur, était malheureusement taché par des rassemblements d'insectes géants qui se battaient pour pouvoir atteindre les rares endroits où l'écorce avait été brisée et d'où coulait une sève rappelant la couleur du caramel.
N'appréciant pas spécialement les insectes, Sylver ne put s'empêcher de frissonner en voyant les Stiques se tourner dans leur direction lorsque les joueurs s'approchèrent plus. Aussitôt, les insectes se mirent à vrombir pour se faire plus menaçants mais cela ne les arrêta pas. Voyant que les envahisseurs n'avaient pas peur, les monstres se jetèrent sur eux, prêts à défendre leurs pitances. Malheureusement, ils ne purent rien contre les sorts des aventuriers qui les décimèrent sans trop de difficultés. Les autres Stiques, ayant observé leurs congénères se faire massacrer, se contentèrent de s'éloigner le plus loin possible de la source de sève la plus basse du Ciel pleureur.
Tandis qu'Azzura, aidée par Sylver avec qui elle discutait beaucoup, récoltait le liquide brunâtre de l'arbre, les autres s'occupèrent de récolter les restes des insectes morts. Une fois qu'elle eut fini, la Dresseuse appliqua un onguent sur l'arbre afin de faire coaguler la sève et empêcher les Stiques de saigner plus le colossal végétal.
— Bien, maintenant que nous avons la sève, il nous faudrait trouver un endroit plutôt plat. J'en connais un mais il est assez loin.
— Malheureusement, nous ne connaissons pas bien les Bourbiers, répliqua Ban. Mais, si c'est une question de temps, alors nous avons une solution, ajouta-t-il en montrant son œuf de monture.
— Mais bien sûr ! Quelle cruche je fais ! Sortez vos œufs, je vais les faire éclore !
Tous s'exécutèrent et, sous le commandement de la Dresseuse, les joueurs placèrent le cadeau du roi des Gatros devant elle. Elle activa de nombreux sorts, créant une sorte de zone d'incubation. Émerveillés, Sylver, Saimhiramiss et Ompreria l'observèrent réaliser tour à tour des incantations, utiliser des potions, venir vérifier si la coquille avait été fragilisée, etc. Au bout de deux minutes, un craquement retentit et les aventuriers purent voir de petits caïmans avec deux étranges moustaches rappelant celles d'un poisson-chat sortir de leurs œufs. Soulagés de voir qu'ils étaient tous en bonne santé, Azzura se tourna vers ses compagnons.
— Bien, maintenant, vous allez vous placer devant eux et leur donner un nom. Dès que vous le ferez, le jeu considérera qu'ils sont vôtres. Ensuite, j'utiliserai une potion pour les faire vieillir plus rapidement et nous pourrons aller jusqu'à l'endroit où je voulais vous faire aller.
Obéissant, les quatre joueurs se saisirent des petits reptiles et réfléchirent rapidement à un prénom.
— Câlin, annonça Sémi en premier.
Aussitôt, une lumière bleutée l'entoura et une fenêtre de dialogue apparut, lui indiquant que la monture caïman prénommée « Câlin » lui appartenait désormais. Suivant son exemple, Ompreria, Sylver et Ban nommèrent respectivement leurs reptiles Sloan, Cho et Caesar. Une fois que tout le monde eut fini, la Dresseuse appliqua une lotion sur les bébés caïmans qui se mirent à grandir subitement, atteignant rapidement la hauteur d'un mètre trente. Surpris par la croissance expresse de sa monture, le Pao ne put s'empêcher de monter dessus avec réticence, tandis qu'Azzura grimpait sur Câlin avec Sémi.
— Et comment ça se pilote ? demanda le Roublard.
— Laisse-les faire et tu comprendras vite, dit de manière énigmatique la Surarf.
En effet, à peine avait-elle eu le temps de dire cela que les longues moustaches des caïmans se redressèrent pour venir se placer à portée de leurs maîtres.
— Leurs moustaches sont comme des rênes, expliqua la naine en s'amusant de l'air abasourdi du Mebanide. Pour avancer, il te suffit de donner un coup et pour accélérer, tu donnes un deuxième coup. Pour tourner, tu tires doucement sur la moustache correspondant à la direction. Enfin, pour freiner, tu tires les deux rênes. Et, ne vous en faites pas, du moment que vous ne tirez pas dessus avec l'intention de les arracher, ils ne souffriront pas.
— Globalement, c'est comme un cheval, résuma Ban qui semblait déjà maîtriser sa monture.
— C'est exactement cela, sauf qu'il n'y a pas besoin des pieds et que tu ne risques pas d'être désarçonné naturellement. Le jeu considère qu'à moins qu'un ennemi ne vous attaque directement, c'est comme si vous étiez soudés à la monture. Bien, maintenant, par ici !
En suivant les indications de la Dresseuse, ils ne mirent que dix minutes pour atteindre un lopin de terre plat et non inondé. Durant le trajet, les joueurs s'essayèrent à la conduite de leurs nouvelles montures et, à l'exception de Sylver qui ne semblait pas à l'aise, tous réussirent sans difficultés à prendre en main le pilotage des caïmans.
Une fois sur place, tous mirent pied à terre et elle leur apprit, comme promis, les compétences « Appel de monture » et « Conjuration ». Ils utilisèrent la deuxième afin que les reptiles ne soient pas mis en danger durant la chasse à la Luxfiole. Ensuite, à la demande d'Azzura, l'Invoqueur utilisa son nouveau sort. Ouvrant son grimoire, il leva la main en direction du ciel et psalmodia.
— Invocation : Gatro monté. Pluie d'écailles !
De derrière lui, une immense silhouette jaillit et la Dresseuse ne put s'empêcher de soupirer en apercevant le majestueux crocodile géant. Comme il l'avait fait contre les joueurs durant le combat qui les avait opposés à la monture du roi Blanc, l'invocation projeta ses écailles dans tous les sens, les fichant dans le sol sec. Une fois son attaque finie, il disparut comme il était apparu en plongeant dans le sol.
— C'est extraordinaire, s'exclama Azzura en applaudissant. Quelle magnifique créature ! Je suis trop jalouse, Sylver !
Le Pao rougit devant le compliment et, pour cacher sa gêne, lui demanda ce qu'il devait faire désormais.
— Nous allons entasser les pattes de Skitorniques au centre de ce lopin de terre puis nous allons enduire le sol autour de cet îlot avec la sève de Ciel pleureur. Ensuite, nous mettrons le feu aux pattes afin de créer une fumée emplie de l'odeur de la chair qu'apprécient particulièrement les Carnifioles. Elles vont rapidement venir et vont dévorer l'offrande. Une fois repues, elles ne pourront plus voler et elles vont essayer de partir mais la sève les bloquera au sol. Au bout d'un moment, attirée par toute la lumière générée par ses congénères, la Luxfiole devrait apparaître. Vous devrez à ce moment-là la défendre contre toutes les Carnifioles qui n'auront pas assez mangé pendant que j'essaie de la capturer. Enfin, lorsque j'aurai réussi, nous pourrons nous en aller. La sève ne bloquera pas indéfiniment ces lucioles donc nous ne les condamnons pas à une mort certaine en les abandonnant.
— C'est le jeu qui t'a donné toute la solution ? demanda Sylver qui s'intéressait beaucoup à la classe de la naine.
— Non. Tout ce qu'il m'a indiqué, c'était que je devais capturer une Luxfiole. Tout le reste, je l'ai découvert moi-même en fouillant la bibliothèque de Rapvia, la capitale des Hibs, les hommes-hiboux. D'ailleurs, si un jour, vous cherchez des informations, je vous conseille de vous y rendre. C'est le temple du savoir et Hoola, l'Archiconseillère de la ville, est adorable.
— Merci pour le conseil ! la remercia le Roublard tout en rechargeant son pistolet.
Une fois que tout le monde fut prêt et que la sève et les pattes avaient été disposées correctement, Azzura démarrage la cérémonie avant d'aller se cacher dans un buisson. Il avait convenu que la vue des joueurs aurait pu rebuter les lucioles carnivores à s'approcher. Ainsi, alors que les insectes phosphorescents se montraient, les aventuriers attendirent, dissimulés par la végétation ambiante.
Comme prévu, les Carnifioles dévorèrent les pattes de Skitorniques épargnées par les flammes et, une fois qu'elles en eurent dévoré la totalité, elles commencèrent à repartir en marchant, se coinçant dans la sève de Ciel pleureur. De leur côté, celles n'ayant pas eu le temps de se nourrir volaient au-dessus du bûcher, cherchant des restes de leur plat préféré. Leurs abdomens phosphorescents généraient une lumière qui, une fois reflétée sur les écailles de Gatro monté, créait une lueur aveuglante. Utilisant des lunettes de soleil que leur avait données la Dresseuse, les joueurs cherchèrent des yeux la Luxfiole.
Ce fut Sémi qui la repéra la première. Volant au-dessus de ses congénères, une luciole dont l'abdomen n'émettait presque aucune lumière semblait apeurée à l'idée de se faire remarquer par les Carnifioles. Seulement, ces dernières finirent par la repérer et lui foncèrent dessus. Quelle ne fut pas leur surprise lorsqu'un déluge de projectiles leur barra la route, protégeant leur proie. Agacées, les insectes carnivores cherchèrent la source de cette gêne et découvrirent Ompreria, Ban et Saimhiramiss qui préparaient un nouvel assaut.
— Balle ricochet !
— Haute carte !
Les sorts ainsi que les flèches électriques de l'Enfant du désert abattirent deux nouveaux insectes, énervant les autres qui se jetèrent sur eux. Pendant que la bataille faisait rage, Azzura, accompagnée de Sylver qui la protégeait dès qu'une luciole virulente s'approchait trop près d'eux, alla se placer sous la Luxfiole. Elle sortit un petit sachet de son inventaire et vida son contenu au-dessus d'elle. Un nuage de poudre scintillante retomba doucement sur son corps et, tandis que la cible de la Dresseuse la regardait avec intérêt, la naine se mit à danser.
Ce n'était pas aussi gracieux qu'on aurait pu l'attendre, mais le ballet de la Surarf captiva le Pao qui ne put s'empêcher de rougir en la voyant se mouvoir comme une danseuse ballerine. Il faillit même laisser une Carnifiole l'attaquer tant il était hypnotisé par la beauté de la danse réalisée par son alliée. Il se rattrapa de justesse et se rendit compte qu'il n'était pas le seul à suivre les mouvements d'Azzura avec attention. La Luxfiole semblait se dandiner au rythme des gestes de la Dresseuse et, bientôt, elle se retrouva à la hauteur de la naine qui, tout en continuant de bouger avec grâce, lui murmura :
— Dressage ! Cible : Luxfiole. Nom : Lucie.
Aussitôt, une sorte de lien blanc apparut autour des cous de la Surarf et de l'insecte. Surpris, Sylver observa l'étrange corde se resserrer et disparaître au moment où cela les toucha en même temps. Immédiatement, Azzura cessa de danser et lança un nouveau sort.
— Révocation !
Un portail se forma à travers l'espace et la Luxfiole s'y dirigea, disparaissant en même temps que la brèche spatiale. Se tournant vers l'Invoqueur, la Dresseuse leva son pouce pour lui indiquer que tout allait bien. Il hocha la tête et siffla, donnant le signal de la retraite. Les joueurs coururent alors, fuyant le lieu du rituel d'apparition de l'insecte rare tout en abandonnant leurs agresseurs qui n'osaient pas partir, pensant que l'odeur allait finir par les mener à leur met favori. Les aventuriers rejoignirent bientôt le duo à l'endroit convenu et prirent quelques instants pour reprendre leur souffle.
— Tout s'est bien passé ? demanda Ban.
— Oui, j'ai réussi à capturer la Luxfiole. Grâce à vous, j'ai pu gagner cinq niveaux. Attendez, il faut que je vous offre votre récompense maintenant.
Elle pianota quelque chose dans son menu et aussitôt, une fenêtre apparut devant le quatuor tandis que leurs corps s'illuminaient.
— Vous venez de terminer la mission proposée par Azzura. Vous gagnez deux niveaux. De plus, pour avoir participé à la capture d'un animal unique, vous gagnez de l'expérience supplémentaire. Vous gagnez deux niveaux.
— Eh bien, avec l'expérience que nous avons gagnée en tuant les Skitorniques, les Stiques et enfin les Carnifioles, cela fait un total de six niveaux gagnés pour cette quête, commenta Saimhiramiss.
— Sacrément rentable comme mission ! Dis-moi, le jeu ne t'aurait pas proposé de capturer une nouvelle bestiole ? demanda Ompreria sur un ton amusé.
— J'aurais adoré, mais malheureusement, non, lui répondit la Surarf en éclatant d'un rire cristallin. Mais, si jamais j'ai besoin d'aide pour ce genre de quêtes, je n'hésiterai pas une seconde à faire appel à vous. Bien, il me reste encore quelque chose pour vous. Tenez !
Elle sortit de son inventaire un set complet d'armure, celui de la panoplie Gatro. Ban en observa rapidement les effets et se tourna vers Sylver.
— Avec son bonus d'Endurance et sa résistance à la foudre, je pense que cet équipement te sera plus profitable qu'à moi ou à Sémi, dit-il. De plus, nous avons désormais suffisamment de composants pour finir un set d'armure pour Ompreria et forger une panoplie entière pour toi, Sémi. Il ne manquera plus que moi, mais je suis certain que nous trouverons quelque chose à Cloruth.
— Vous vous dirigez directement vers Cloruth ? demanda la Dresseuse.
— Pour le moment, oui. J'aimerais que le maximum d'entre nous ait une armure, lui répondit le Parieur. De plus, cet après-midi, je ne pourrai pas jouer, alors j'aimerais que, pour demain, tout soit prêt pour que nous puissions jouer tranquillement.
— Ah bon ? Tu n'es pas disponible ? s'étonna Sylver en enfilant sa nouvelle armure, une pointe de déception dans la voix.
— Oui, mais si Azzura est d'accord, j'aimerais que, en mode sans expérience, vous alliez aux Montagnes grises pour régler ton problème de grimoire.
— Ce serait avec plaisir. Je vous dois au minimum ça pour m'avoir aidé à capturer Lucie. Cependant, demain, je vais devoir retourner à mon travail d'Éleveuse. J'ai une nouvelle commande et je ne peux faire attendre mon client.
Ravi de pouvoir passer plus de temps avec elle, le Pao sourit à la naine qui lui rendit son geste, le faisant rougir.
— De mon côté, je vais en profiter pour faire ce que j'ai à faire dans le monde réel, expliqua Ompreria.
— Alors, cet après-midi, nous serons certainement tous les trois. Mais d'abord, répartissons nos points de statistiques, conclut Saimhiramiss.
Une fois qu'ils eurent fait cela, ils échangèrent à propos des compétences qu'ils avaient obtenues au niveau 15. Le Roublard avait débloqué le « Piège soporifique », qui infligeait l'état Endormi à la cible qui le déclenchait, tout en lui infligeant quelques dommages. De son côté, Ban avait obtenu un nouveau sort nommé « A.N.P.R. », lui permettant d'infliger un malus à l'Endurance d'une cible pendant dix secondes. Sylver, lui, avait appris un nouveau coup intitulé « Lumière irradiante ». Enfin, Sémi venait de gagner un sort de zone, « Nuée de charognards ».
Ils appelèrent leurs montures et se dirigèrent à toute vitesse en direction de Cloruth. Là-bas, ils obtinrent leurs classes de métiers. Saimhiramiss décida de prendre celui de Pharmacien afin de pouvoir créer des potions de renforcement pour ses alliés. Ompreria, lui, choisit de compléter sa classe en acceptant d'être un Ingénieur, ce qui lui permettait de créer de nouveaux pièges et des mécanismes utiles à tout moment. Ils suivirent ensuite Azzura qui les amena au clan Sauvage afin que Sylver devienne un Éleveur. Lorsqu'il reçut son premier animal à dresser, il fut si heureux qu'il se jeta au cou de ses amis. Ne comprenant pas bien pourquoi, Ban eut un peu de mal à recevoir sa joie et s'excusa, s'éclipsant discrètement. Il revint quelques temps après, son métier de Transporteur acquis.
Ils se dirigèrent rapidement au clan des Forges afin de créer les armures de la Quenaif et du Mebanide. Ainsi, l'Enfant de la nature reçut l'armure Insecte des marais, qui lui donnait un bonus passif l'empêchant d'être ciblé par les ennemis. De son côté, le Roublard se fit forger des gants à partir des restes des Carnifioles ainsi que des bottes avec la sève du Ciel pleureur qu'ils avaient en excès. Combinés à sa veste, il gagnait un bonus de +2 en Dextérité et une augmentation de sa portée d'esquive. Une fois leurs nouveaux équipements en poche, les joueurs se saluèrent et se déconnectèrent, se donnant rendez-vous le lendemain en début d'après-midi.
Lorsqu'il se réveilla, une voix robotique résonna.
— Nous vous remercions pour le temps passé dans notre Gillarg Stop. N'hésitez pas à revenir, monsieur Niccolo Amato.
La capsule dans laquelle il avait été placé s'ouvrit et il se redressa. Il se trouvait dans le hall d'un Game Stop, une boutique permettant à des joueurs de payer un abonnement afin de pouvoir jouer à un jeu en réalité virtuelle sans avoir à acheter un SARV. Ils étaient peu fréquentés mais cela convenait largement à Niccolo. Après tout, il cherchait à se faire discret. Le jeune homme salua l'hôtesse d'accueil et récupéra sa carte d'abonnement. Il descendit en utilisant l'ascenseur du centre commercial et ne put s'empêcher de remettre en place ses cheveux en bataille.
Tandis que ses doigts combattaient une mèche rebelle refusant de s'aligner avec ses consœurs, le trentenaire s'observa dans le miroir. Ce dernier lui renvoyait les traits d'un homme mince, à la chevelure noire de jais parsemée de petits traits blancs et aux yeux bleus surmontés de sourcils broussailleux. Une vilaine cicatrice sur sa joue droite venait compléter son visage que beaucoup comparaient à celui d'un ange déchu, ne l'enlaidissant pas. Au contraire, cette marque qu'il avait reçue lors de l'un de ses nombreux contrats rendait ses traits encore plus énigmatiques, ajoutant à son charme naturel.
— Et bien, mon pauvre Corvo, le meilleur tueur à gages de Naples a bien changé depuis les jours où les habitants d'Italie craignaient pour leur vie dès qu'ils entendaient ton surnom, murmura-t-il à son image.
Les portes de l'ascenseur s'ouvrirent et il se dirigea d'un pas nonchalant en direction de sa voiture. Alors qu'il ouvrait la portière, l'italien ne put s'empêcher de soupirer en se remémorant les événements qui l'avaient mené jusqu'à ce jour.
Jeune garçon né dans une famille de mafieux, il avait rapidement fait ses preuves en tant que tueur à gages. Devenant rapidement l'un des hommes de main du parrain, il avait fini par obtenir le droit de se retirer du monde sanglant d'assassinat pour profiter de sa richesse. Malheureusement, le dirigeant de la mafia se refusait à perdre un pion aussi profitable que Corvo, alias Niccolo depuis sa fuite. Aussi, il approcha le meilleur ami de son homme de main et le paya grassement pour que ce dernier invite le tueur à gages à jouer dans un casino tenu secrètement par la mafia. Petit à petit, la maison de jeux reprit l'argent de Corvo qui devint accro au fur et à mesure. Lorsque sa fortune fut retournée entre les mains du parrain, ce dernier recontacta le jeune homme qui n'eut d'autre choix que de revenir. Cependant, il se passa deux choses que le mafieux n'avait pas prévues.
Tout d'abord, à force de jouer, celui que l'on nommait Corvo avait désormais un sens aiguisé dès qu'il s'agissait de paris et s'était refait une petite fortune grâce aux jeux d'argent, malgré les triches de la banque. Ensuite, Gillarg Stories sortit. Pouvant jouer avec de l'argent irréel, Corvo ne s'en priva pas et se détourna à nouveau de ses missions de tueur. Après tout, il n'avait plus besoin de mettre fin à la vie des gens pour pouvoir vivre lui-même. Voulant récupérer son pion favori par tous les moyens, le parrain essaya alors de l'atteindre dans le jeu et retrouva le dénommé Bahasan, nouvel ami de Corvo, nom qu'utilisait l'italien à l'époque dans le jeu. Une nouvelle somme d'argent fut versée et le joueur trahit l'italien.
Croyant enfin tenir entre ses mains son meilleur assassin, le mafieux détourna son attention de lui quelques jours. En effet, un problème avec une autre famille éclata et, lorsqu'il fut évident que seule la mort du chef éteindrait les flammes de la guérilla que se livraient les deux clans, il rappela Corvo. Quelle ne fut pas sa surprise de découvrir que ce dernier avait littéralement disparu de son radar. Il eut beau faire tous les efforts possibles, son tueur favori avait disparu, les traces qu'il avait laissées indiquant qu'il avait mis fin à ses jours.
Mais il n'en était rien. En réalité, s'étant fait discret, Corvo avait changé d'identité, devenant Niccolo Amato, un homme sans histoire profitant d'un héritage pour mener un voyage à travers l'Italie. L'assassin avait fait ce choix après que Gillarg Stories lui avait eu proposé de devenir Ban le Parieur. Il avait alors abandonné sa fortune pour n'utiliser que quelques économies qu'il avait dissimulées au parrain. Utilisant son talent pour les paris, il avait adopté une nouvelle identité pour gagner une centaine de milliers d'euros et finit par endosser le rôle de riche héritier. Depuis, il vivait au jour le jour et dormait dans sa voiture la plupart du temps. Il ne restait jamais plus de deux jours dans la même ville et ne s'arrêtait que pour jouer à Gillarg Stories, étanchant sa soif insatiable de jeu. L'ancien mafieux avait découvert que les paris de son avatar lui procureraient la même sensation que lorsqu'il était au casino et il préférait miser sur une fausse vie plutôt que sur la réalité. De plus, il commençait à s'attacher aux jeunes compagnons qui l'accompagnaient et se voyait mal les abandonner.
— Après tout, je cherche à me venger d'une trahison, je ne vais pas me parjurer pour cela. Hors de question que je trahisse les petits, pensa Niccolo en prenant la direction de Milan.
Il fit plusieurs détours, surveillant dans ses rétroviseurs tout véhicule qui lui semblait suspect. Dès qu'il pensait être suivi, il changeait d'itinéraire, faisant même parfois demi-tour pour tromper d'éventuels poursuivants. Seulement, personne ne semblait le pourchasser. La nuit tombant, il fut obligé de s'arrêter dormir dans un petit hôtel à la campagne et reprit la route à la première heure le lendemain. Achetant une carte SIM prépayée, le fugitif chercha où trouver un Gillarg Stop et, en trouvant un à la périphérie de la grande ville, il s'y dirigea. Lorsqu'il arriva sur place, il remarqua qu'il était affamé. Après tout, il n'avait rien mangé depuis midi la veille. Il s'arrêta dans un kiosque où il dévora son repas. Une fois rassasié, il se dirigea vers le lieu où il allait passer son après-midi. Une fois que son abonnement fut reconnu, Niccolo alla s'installer dans une cabine et ferma les yeux.
Aussitôt, son corps chuta et changea. Ses traits se modifièrent, laissant place au visage de Ban. Le bleu de ses yeux tourbillonna, ajoutant du vert et de l'orange pour créer l'étrange couleur de ses iris. Enfin, sa chevelure poivre-sel se teinta de blond. Lorsque ses pieds touchèrent le sol, l'ancien Corvo était inexistant, remplacé par le Parieur au sourire énigmatique.
Il vérifia sa liste d'amis et aperçut les icônes de Sylver et d'Ompreria allumées. L'humain leur envoya un message et alla à leur rencontre une fois qu'il eut leur localisation. Dans le quartier du clan Sauvage, le Pao semblait s'amuser avec un loup bicéphale tandis que le Mebanide bricolait, assis sur des caisses. En voyant leur camarade, les deux joueurs lui adressèrent un salut.
— Tu es en avance, fit remarquer Sylver.
— En effet, je pensais que je devrais prendre plus de temps pour faire ce que j'avais à faire. Alors, qu'avez-vous pu faire hier ?
— Azzura m'a emmené aux Montagnes Grises, expliqua l'Invoqueur tout en cajolant l'animal à deux têtes. Avec l'aide de Sémi, nous avons chassé des créatures de cet endroit. J'ai obtenu deux nouvelles invocations grâce à elles. J'espère pouvoir te les montrer rapidement mais je ne veux pas utiliser mon mana pour rien.
— Non, je t'ai interdit de le faire lorsque tu m'as raconté ton après-midi, le corrigea le Roublard, continuant à trafiquer un mécanisme.
— Ensuite, Azzura m'a proposé de m'aider avec mon métier car Sémi ne pouvait pas rester plus longtemps connectée, continua le Pao après s'être excusé. Maintenant, je suis un Éleveur de niveau vingt et je m'occupe de Milady, une louve bicéphale qui a été retrouvée sur le marché noir. Elle a été maltraitée par les trafiquants et je dois l'aider à apprécier la compagnie. Ce matin encore, elle refusait qu'on l'approche mais maintenant, cela va beaucoup mieux.
En effet, l'animal tenait désormais plus du chien que du loup sauvage. Ban s'étonna même du fait qu'il le laisse le caresser sans rien dire, lui, un parfait inconnu.
— Tu as effectué un travail admirable, le félicita le Parieur. Bon, avez-vous une idée de ce que vous voulez faire cet après-midi ?
— Il ne faudrait pas continuer à gagner des niveaux ? demanda Ompreria en rangeant ses outils et en serrant la main du Parieur.
— Certes mais vous voulez faire quoi précisément ? Explorer la zone au nord ? Nous pouvons aussi chercher une quête ici ou bien repartir dans les marais, proposa l'humain en se massant la main à la suite de la décharge électrique que venait de lui envoyer le Mebanide.
— Personnellement, je pense que nous devrions rester ici, répondit le Roublard, fier de sa petite blague. Nous ne connaissons pas la ville et, en plus, je pense que les monstres des alentours seront de l'élément terre, ce qui intéressera Sylver.
— Je suis d'accord, approuva le Pao. Bon, je vous laisse deux minutes, je ramène Milady à Kilbera.
Il s'éloigna avec la louve et revint cinq minutes plus tard, ayant repris sa classe d'Invoqueur. Saimhiramiss venait d'arriver et le petit groupe se mit à visiter la ville. Ils se baladèrent de quartier en quartier, cherchant des PNJ pouvant leur offrir des quêtes. Cependant, à l'exception de celles leur permettant de monter leurs classes de métier, ils n'en trouvèrent aucune.
Alors qu'ils perdaient espoir et allaient partir de Cloruth, ils aperçurent un Fraharf assis contre l'une des parois du précipice dans lequel la ville avait été construite. Les yeux clos, il semblait respirer avec difficulté. Le quatuor s'approcha de lui et Sylver ne put s'empêcher de pousser un cri apeuré en découvrant le visage du nain.
Ce dernier était rongé par des moisissures et des champignons, couvrant ses yeux, ses narines et même sa bouche. La Quenaif n'hésita pas et lui lança tour à tour ses sorts « Résistance du désert » et « Sable doux », lui retirant petit à petit les marques de l'étrange maladie qui le dévorait vivant. Retrouvant peu à peu ses forces, le nain finit par ouvrir complètement ses paupières et grommela.
— Merci bien, ma petite dame ! Sans votre aide, je pense que je n'aurais pas survécu plus de quelques heures.
— De rien. Mais pourquoi ne vous êtes pas rendu au quartier de l'Alchimie ?
— J'ai essayé mais les gardes de la ville m'ont refusé l'entrée après m'avoir vu. Au début, je pensais qu'en les enlevant de mon visage, ça allait partir. Mais ces maudits champignons revenaient à la charge. Les miliciens disaient que je portais peut-être une maladie contagieuse et qu'ils ne pouvaient risquer la vie de tous les habitants de la ville pour sauver une seule personne. Je les comprends mais j'avoue que j'aurais aimé qu'ils appellent un médecin. Mais bon, grâce à vous, je suis guéri alors je n'ai pas à me plaindre. Tenez, voici quelques pièces d'or. Bonne journée à vous.
Il se leva et, alors qu'il s'éloignait, il se mit à tousser. Ompreria, le dominant de sa haute taille, aperçut le sang qui vint couvrir son poignet.
— Attendez ! l'apostropha-t-il. Il semblerait que vous ne soyez pas encore guéri. Ban, Sylver, allez chercher un médecin au quartier de l'Alchimie !
Lorsqu'ils revinrent, les deux aventuriers, accompagnés d'un joueur Abarf de la classe Médecin qui avait accepté de les suivre, découvrirent avec horreur que, malgré les sorts que continuait de lancer Sémi, les champignons réapparaissaient et semblaient gagner du terrain. Dès que la moisissure se montrait, la Quenaif combattait avec sa magie le mal tandis qu'Ompreria ne pouvait que lui donner des potions de mana pour l'aider.
— Je croyais qu'il allait mieux ! s'indigna le médecin en se plaçant aux côtés de l'Enfant du désert.
— Quand nous sommes partis, il ne portait plus de champignons sur son visage, expliqua Sylver, inquiet.
— En effet, confirma le Roublard. Seulement, ils sont revenus à la charge immédiatement et depuis, Sémi essaie d'empêcher son état de s'aggraver mais elle ne va pas réussir à tenir plus longtemps.
— Je peux le stabiliser pour l'instant, indiqua le médecin en déployant de son inventaire son arsenal. Cependant, cela ne durera pas. Si d'ici huit heures, je ne l'ai pas guéri, il ne pourra pas survivre. Il me faudrait un échantillon de l'origine de la maladie pour créer un antidote complet. Savez-vous où il a développé ses symptômes ?
— Non, malheureusement, il ne nous a rien dit, répondit Ban.
— Alors prenez ceci et amenez-le à Harthaï, le chef du clan de l'Alchimie, expliqua le nain des profondeurs en leur tendant une fiole contenant de la moisissure provenant des plaies du blessé. Il saura vous guider au mieux pour retrouver le point de départ de cette maladie. Dépêchez-vous, s'il vous plaît !
Devant l'urgence de sa voix, les aventuriers coururent en direction du laboratoire de Harthaï. Ce dernier fut surpris de les voir débarquer ainsi dans sa demeure.
— Et bien, ce n'est pas une manière d'entrer chez les gens, les réprimanda-t-il.
— Désolés, nous sommes dans une situation urgente. Un Fraharf est entre la vie et la mort et nous devons trouver l'origine de sa maladie pour pouvoir le soigner. Voici un échantillon de son mal, lui répondit Ompreria en tendant la fiole.
Le chef de clan la prit soigneusement entre ses mains et haussa un sourcil.
— Encore ces champignons ? Curieux...
— Vous les avez déjà vus ? s'étonna Sylver.
— C'est le troisième cas aujourd'hui. Malheureusement, je n'ai pas pu sauver les deux premiers car lorsqu'on me les a présentés, ils étaient déjà morts. J'allais demander à des gardes de se diriger vers la mine où nous les avons trouvés mais il semblerait que vous soyez plus aptes à nous aider. Dirigez-vous vers la mine sud. À côté de la cascade, tournez à droite et vous apercevrez les restes d'un bûcher. L'entrée du tunnel ne doit pas être loin. Tenez, je vous donne ces masques qui protégeront vos bronches des spores que peuvent projeter les champignons. Cela devrait vous permettre de marcher sans problème dans le tunnel. De plus, j'ai fait une commande chez les ingénieurs pour des lance-flammes afin de brûler les moisissures. Allez les chercher et nettoyez cette mine, s'il vous plaît.
— Certes, mais notre objectif est de trouver la source de l'épidémie pour la ramener au médecin, rétorqua Sémi.
— Dans ce cas, cherchez un champignon conscient. Je ne pense pas que de simples moisissures puissent tuer des nains robustes. Cela doit être l'œuvre d'une créature magique. Si vous l'éliminez, vous pourrez récupérer un morceau de son corps afin de créer l'antidote.
Les remerciant pour leur aide, le quatuor se dirigea chez les ingénieurs en charge du projet de lances-flammes. Ompreria les aida à finir le travail.
— Faites attention, il est assez instable, les avertit le chef de l'atelier. Nous l'avons fait dans la précipitation alors il peut, à tout moment, vous lâcher dans les doigts.
Tenant compte de ses paroles, les joueurs les saluèrent et suivirent les indications de Harthaï. Ils finirent par arriver à l'entrée de la mine. Une violente odeur boisée leur parvint et ils équipèrent leurs masques respiratoires.
— Bon, si nous voulons avoir une chance de sauver ce pauvre nain, il va falloir se magner, grommela Ban en attrapant son lance-flamme d'une main et une torche de l'autre.
Sur ces mots, ils pénétrèrent dans le tunnel. Éclairés par la lumière ondoyante du flambeau, les aventuriers progressaient doucement à l'intérieur du boyau rocheux. Pour l'instant, ce dernier ressemblait à n'importe quel tunnel de mine, si l'on ignorait l'odeur d'humus présente. Heureusement, les masques que leur avait donnés Harthaï filtraient légèrement la puanteur qui aurait été insoutenable sans. Ils continuèrent à s'enfoncer sous terre pendant de longues minutes, jusqu'à ce qu'une sorte de brouillard se forme devant leurs yeux.
Curieux, Sylver voulut passer sa patte à travers, mais Ompreria le retint de justesse.
— Ne touche pas ça ! Ce sont des spores !
Son avertissement fit sursauter le Pao qui ne s'y attendait pas. De son côté, Ban s'approcha et, utilisant le lance-flamme, brûla le nuage. Aussitôt, le feu se propagea sur les parois de la caverne et un véritable incendie se déclara en quelques secondes. Heureusement pour eux, l'Invoqueur érigea rapidement un mur de terre pour fermer l'accès au tunnel embrasé.
— J'ai comme qui dirait un doute quant à l'utilisation de ces machins, grommela Sémi en lançant un regard suspicieux en direction de l'outil pyromane.
— Je suis d'accord avec toi, mais il faut reconnaître que c'est très efficace, commenta Ompreria. En revanche, j'espère qu'il n'y avait pas de survivants sinon nous venons de les achever.
— Vu la quantité de spores, je pense que personne n'aurait pu survivre, s'exclama Ban. Gamin, surtout, n'abaisse pas ton mur tout de suite. Il faut attendre que les flammes s'éteignent par manque d'oxygène.
— Pourquoi ? demanda Sylver, pour qui la notion d'oxygène était étrangère.
— Le feu a besoin d'air pour brûler, expliqua le Parieur. Or, en séparant le tunnel en deux, tu empêches l'air de venir depuis l'entrée. Donc, pour le moment, il va brûler mais dès qu'il n'y aura plus assez d'oxygène, il va s'éteindre. Sauf que, si tu ouvres ton mur, tu vas créer un appel d'air et les flammes risquent de nous revenir dessus à pleine puissance.
— Pour faire simple, andouille, si tu ouvres mon mur, on va tous griller, grommela Lepre.
— Et ça va durer combien de temps ? l'interrogea l'Invoqueur.
— Je ne connais pas la profondeur du tunnel, mais je dirais une bonne demi-heure vu la vitesse des flammes. Pendant ce temps, nous allons ressortir afin de ne pas épuiser notre torche, d'accord ?
Le petit groupe sortit et, malgré l'inquiétude du benjamin, ils attendirent un petit moment à l'entrée de la mine. Ompreria profita de ce délai pour aller observer les plans du tunnel et revint avec le journal de bord du chef de chantier.
— Honnêtement, je pense que tu as raté ton estimation. Ce réseau de galeries était en construction et il ne restait qu'une vingtaine de mètres avant d'arriver au fond, d'après ce que j'ai lu. À mon avis, si l'incendie dure plus de dix minutes, je veux bien avaler mes outils d'ingénieur.
Ban sourit et refusa de parier. Après tout, cela ne servait à rien de jouer s'il était sûr de perdre. Ils retournèrent dans le tunnel et Lepre brisa son mur. Aussitôt, une vague de chaleur revint vers eux mais, prévoyant, Sylver avait utilisé la Peau de pierre de son invocation tandis que le Roublard les avait aspergés avec sa Bombe à eau. Leurs précautions subirent de plein fouet l'air embrasé et la fumée irritante, mais elles tinrent bon, les empêchant de cuire à l'étouffer. Au bout de quelques minutes où ils ne virent rien à cause de la fumée noire, le tunnel se vida des stigmates de l'incendie et les aventuriers purent observer avec attention ce qui avait survécu aux flammes infernales.
Tout avait noirci et il ne restait que quelques tas de cendres encore fumants par endroits. Alors qu'ils progressaient, Ban, en première ligne, discerna de drôles de formes au fond du boyau rocheux. Il fit signe aux autres de ne pas bouger et jeta sa torche en direction de la paroi du fond. Le bout de bois enflammé se heurta au sol et, emporté par son élan, roula jusqu'à heurter le mur de pierre naturelle, éclairant une scène qui fit frémir le Parieur.
— Je crois que nous sommes dans la mouise jusqu'au cou... murmura-t-il.
Devant eux, une brèche ouverte à travers l'espace tournoyait sur elle-même doucement, disséminant peu à peu de nouveaux amas de spores. Autour d'elle, comme immunisés par les flammes, des moisissures et des champignons proliféraient, se multipliant si vite que les joueurs pouvaient discerner à l'œil nu leur progression.
— Mais qu'est-ce que c'est ? demanda Sémi, inquiète après avoir entendu le commentaire de son allié.
— Bon sang, vous ne savez pas reconnaître une porte vers un autre monde quand vous en voyez une ? grommela Lepre.
— Par autre monde, tu entends quoi ? l'interrogea Sylver.
— Genre dimension de la terre d'où je viens.
— Mais là, nous avons affaire à un donjon, remarqua Ompreria en lisant la fenêtre qui était apparue lorsqu'il s'était approché.
— Ce n'est pas un donjon normal. Comment se nomme-t-il ? le questionna avec empressement l'humain.
— Mycelsteim, le royaume sporeux. C'est de niveau quinze.
— Bien, alors nous avons une chance de nous en sortir, dit en soupirant le Parieur. Si cela avait été le domaine de la vie, nous n'aurions jamais eu le niveau, peu importe ce qu'indiquait le jeu.
— C'est juste un donjon, non ? répliqua Saimhiramiss.
— Non. Lorsque des aventuriers entrent dans un donjon, ce dernier est simplement sur Gillarg, même si nous sommes exclus de sa surface le temps du donjon. Cependant, pénétrer dans un autre monde implique de devoir s'adapter aux règles de cet univers. Je craignais que ce soit le domaine de la vie car, là-bas, toutes les créatures possèdent une régénération absurde qui fait que, sans des combattants aguerris, il nous serait impossible de venir à bout de la moindre bête. En revanche, je n'avais jamais entendu parler du Mycelsteim.
— Normal, bougonna Lepre. C'est un royaume mineur.
— Pourquoi mineur ? l'interrogea à nouveau Sylver, perdu.
— Il existe en tout six royaumes primordiaux, expliqua l'invocation. Celui du feu, celui de l'eau, celui de l'air, celui de la terre d'où je viens, celui de la vie et celui de la mort. Ils sont caractérisés par le fait qu'ils sont dirigés par des dieux élémentaires. Ensuite, il y a les royaumes majeurs. Ils se sont créés avec le temps, on ne sait comment, et leurs dirigeants sont légèrement plus faibles que les nôtres. Enfin, il existe une multitude de royaumes mineurs. Souvent, ce sont des créatures uniques qui ont réussi à se forger un domaine mais ils ne valent pas grand-chose. Cependant, comme l'a dit ton ami le dingue d'argent, les lois de ce royaume seront certainement différentes par rapport à celles d'ici. Par exemple, chez nous, ce que vous appelez pesanteur est bien plus élevé qu'ici.
— Mais comment se fait-il que la porte soit ici ? demanda Ompreria, curieux.
— Les portes des royaumes sont perdues sur la surface de Gillarg, lui répondit Ban. Je pense que les nains sont accidentellement tombés dessus en creusant et, malheureusement, ils ont été surpris par les spores.
— Surtout que, répliqua Lepre, vu qu'elle était sous terre et très certainement scellée, la découvrir a dû la libérer. Il a dû se passer l'équivalent de ce que vous appelez un « Donjon Break » et les spores se sont répandues comme une lézarde sur un mur.
— Dans tous les cas, ils sont morts, conclut le Parieur. Si nous voulons sauver le patient et éviter que Cloruth ne devienne une ferme à champignons, nous devons finir ce donjon.
— Si vous battez le dirigeant du royaume, son monde sera à nouveau scellé pour quelques temps, expliqua le leprechaun en voyant le regard vitreux de son invocateur. Ensuite, il faudra que vos autorités se chargent d'en vérifier l'état de temps à autre et le tour sera joué.
N'ayant pas toutcompris, le Pao acquiesça et suivit Ban qui s'approcha de la porte. Dès qu'illa toucha, le groupe se fit aspirer par la brèche spatiale.
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