Partie 3 Chapitre 20 : Rencontre royale
Ompreria fut la première à crever la surface de l'eau, ses poumons brûlant à cause du manque d'air. Elle s'accrocha à une racine qui dépassait d'une tourbière et reprit son souffle, luttant contre les lumières qui dansaient devant ses yeux. Derrière elle, des bulles firent leur apparition et Ban jaillit de l'eau, Sémi accrochée à ses épaules. Tous deux toussèrent quelques secondes, notamment la Quenaif qui avait manqué de s'évanouir. Les deux garçons aidèrent la femme-fennec à monter sur la terre ferme et attendirent quelques instants.
— Sylver était bien derrière toi ? finit par demander le Roublard, inquiet.
Le Parieur acquiesça et vit son camarade prendre une profonde inspiration avant de replonger. Heureusement, il ressortit rapidement, suivi par le Pao qui s'accrocha à son tour à la racine où se tenait un peu plus tôt Ompreria.
— Pourquoi étais-tu en retard ? grommela Ban.
— Désolé, Lepre avait été emporté par le courant alors j'ai dû le rattraper, ce qui m'a fait perdre du temps. Je ne voulais pas vous inquiéter.
En effet, blotti dans la main de son invocateur, le leprechaun crachait toute l'eau qu'il avait avalée. Tandis qu'il rouspétait, les joueurs se hissèrent sur la terre ferme, ignorant la fenêtre de dialogue qui leur indiquait qu'ils venaient de pénétrer dans un donjon, et contemplèrent la zone où ils étaient arrivés.
Comme à l'extérieur, ils semblaient être dans des marécages. Cependant, il y avait plusieurs différences avec le décor qu'ils avaient quitté quelques minutes plus tôt. Tout d'abord, il semblait y avoir un dôme au-dessus d'eux car le ciel était blanc et, malgré une certaine luminosité qui rappelait celle des soleils de Gillarg, aucun des deux astres n'était visible. Ensuite, plusieurs îlots de terre émergeaient de l'eau et Sémi put remarquer que la terre du donjon rappelait davantage celle de Terre Saine que celle des Bourbiers des Gourmets. Enfin, la présence de plusieurs Gatros les regardant avec méfiance venait compléter le tableau.
Ces derniers, armés de massues et d'épées, semblaient attendre que leurs adversaires soient prêts. Ce détail fit lever les yeux au ciel, ou plutôt vers la voûte qui les surplombait, à Ban.
— Il n'y a pas à dire, on est bien dans un jeu vidéo, railla-t-il, s'attirant le regard incrédule de Sylver et celui amusé d'Ompreria qui avait saisi la blague.
De son côté, Sémi était concentrée sur autre chose. En effet, dès qu'elle avait vu qu'elle était dans un donjon, elle avait cherché la porte menant à la prochaine salle mais rien ne semblait correspondre.
— J'espère juste qu'il ne faudra pas encore plonger, pensa-t-elle en prenant son arc et encochant une flèche.
À ce geste, les trois Gatros Babas se jetèrent sur les joueurs qui firent de même. Le combat fut plutôt court, les hommes-crocodiles étant plutôt faibles. Cependant, ce qui étonna surtout les joueurs, ce fut que lorsque leurs points de vie atteignirent zéro, les monstres ne s'écroulèrent pas mais plongèrent dans l'eau entourant l'îlot où ils se trouvaient, disparaissant tout simplement. Une fois les trois ennemis enfuis, la Quenaif chercha à nouveau une sortie mais elle ne vit rien.
— J'oubliais que vous ne connaissiez pas tout du jeu, lui répondit Ban lorsqu'elle fit remarquer sa découverte. Certains donjons sont parfois une simple salle où des vagues d'ennemis vont apparaître les unes à la suite des autres. Souvent, quelque chose va se modifier au fur et à mesure des vagues. Ici, je parierais ma bourse que c'est le niveau de l'eau qui va augmenter petit à petit.
Comme pour confirmer ses dires, le regard de Saimhiramiss se posa sur une touffe d'herbes grasses qui disparut sous l'onde. L'Enfant du désert allait rajouter quelque chose mais de nouveaux adversaires apparurent. Ou plutôt, une nouvelle vague. Car cette dernière était composée d'un unique représentant de la race des Gatros. Légèrement moins imposant que ses congénères, il paraissait plus mince, possédant une gueule plus allongée sur l'avant.
Cet ennemi donna du fil à retordre au quatuor. Il était véloce et, dès qu'il touchait l'eau, il l'électrifiait, manquant à deux reprises de tuer Sylver qui le pourchassait pour tenter de l'immobiliser. Heureusement pour les aventuriers, le Gatro Éclair finit par commettre une erreur en marchant sur l'un des pièges disséminés par Ompreria. Ce dernier, lorsqu'il avait compris qu'ils combattraient tout le donjon dans la même salle, avait miné le terrain avec ses « Piège facétieux ». Une fois immobilisé, le monstre n'opposa pas une grande résistance, ne pouvant rien contre trois adversaires l'attaquant à distance. Il s'enfuit à son tour, laissant les quatre joueurs seuls.
— Combien de vagues ce genre de donjon comporte-t-il d'ordinaire ? demanda Sémi à Ban tandis qu'elle soignait Sylver et buvait une potion de mana.
— Cela dépend mais, vu que nous sommes au début du jeu, je dirais qu'il en reste une ou deux avant le boss, répondit le Parieur.
— Je n'en suis pas si sûr, les gars. Regardez ça ! s'exclama Ompreria en désignant l'eau.
Les autres joueurs s'exécutèrent et l'humain écarquilla les yeux. Le niveau du liquide était drastiquement monté, à tel point que la zone émergée se limitait désormais à cinq petits îlots leur permettant tout juste de se tenir à trois dessus pour l'un d'entre eux. Quant aux autres, le Roublard monopolisait déjà tout l'espace du sien.
— J'espère que cette vague va être le boss car, sinon, cela veut dire que ce sera un combat sous-marin qui nous attendra, grommela Ban.
Au même moment, Sylver, qui scrutait la surface plane de l'onde, aperçut une ombre se mettre à grossir, à quelques mètres de lui. Il avertit ses amis qui prirent une posture de combat. Ainsi, lorsque la silhouette émergea de l'eau, ils purent tous admirer le plus gros crocodile qu'ils n'auraient jamais pu voir dans leur vie. En effet, le reptile se dressant de toute sa hauteur devant eux, la partie inférieure de son corps encore immergée, devait mesurer, dans son entièreté, une quinzaine de mètres. Sa gueule, titanesque, s'entrouvrit, dévoilant une lueur bleutée et quelques arcs électriques s'échappant d'entre ses crocs aiguisés.
— Et mer... ne put s'empêcher de jurer Ompreria en voyant le monstre plus proche du dinosaure que de l'animal se ruait sur lui.
Le Mebanide voulut se jeter sur le côté mais, entouré par l'onde, il se figea. Il se doutait bien qu'au moment où il se jetterait à l'eau, le « Donutsuchus », d'après la jauge de points de vie apparue quelques instants plus tôt, le mettrait en pièces. Aussi, lorsqu'il aperçut un mur de terre apparaître à côté de son îlot, il ne réfléchit pas. Il roula, esquivant le museau du crocodile, et, tout en se relevant difficilement à cause des vagues générées par la plongée de l'ennemi qui faillirent renverser sa frêle embarcation, il leva un pouce en l'air en direction de Sylver.
Ce dernier, voyant son ami en danger, avait demandé à Lepre d'invoquer son Mur de terre. Même si ce dernier était fragile, il permettrait aux joueurs de se balader entre les lopins émergés sans avoir à nager, ne s'exposant pas ainsi à la vitesse incroyable du boss. Le Roublard rejoignit un nouvel îlot et profita du fait que le Donutsuchus ait bondi hors de l'eau pour l'atteindre avec quelques tirs. Ban et Sémi n'étaient pas en reste non plus et, dès qu'ils en avaient la possibilité, ils le bombardaient avec leurs flèches et leurs cartes, infligeant des dommages au fur et à mesure. Voyant que ses amis géraient l'attaque, Sylver sourit et se concentra donc sur leur protection, érigeant des murs de pierre au bon moment. Le combat se déroula donc sans accroc jusqu'à ce que la jauge de points de vie du boss atteigne les trois quarts.
À ce moment-là, le Donutsuchus bondit de nouveau hors de l'eau et, ouvrant sa gueule, projeta une véritable pluie d'éclairs. Le Pao eut tout juste le temps d'ériger une protection pour défendre le lopin de terre qu'il partageait avec le Parieur et l'Enfant du désert. Malheureusement, Ompreria était trop loin et, pour esquiver la décharge foudroyante, il n'eut d'autre choix que de plonger dans l'eau.
Lorsqu'il ouvrit les yeux, il faillit laisser échapper l'air de ses poumons tant ce qu'il vit le choqua. En effet, il s'était demandé comment le dinosaure pouvait se mouvoir sous l'eau alors que, au début du donjon, les marécages ne semblaient pas si profonds. Mais, maintenant, il n'y avait plus que des profondeurs abyssales sous les plateformes que lui et ses camarades utilisaient pour se tenir émergés. Pris d'une soudaine thalassophobie, le Roublard voulut rejoindre la surface mais un puissant courant marin le fit passer sous l'îlot de ses camarades.
Surpris, le Mebanide regarda autour de lui et vit le crocodile géant nager autour de lui, utilisant sa masse pour générer des mouvements d'eau si puissants qu'ils l'emportaient. Sortant son pistolet, ce dernier essaya de tirer mais les balles, ralenties par le liquide, n'atteignirent jamais leur cible. Ses poumons se mirent à s'irriter, lui indiquant par une vive douleur qu'il commençait à manquer d'air, et il voulut se décaler mais une nouvelle lame de fond l'emporta vers les abysses. Luttant tant bien que mal contre les courants, Ompreria tendit la main vers la lumière de la surface et commença à perdre conscience.
Quelle ne fut pas sa surprise lorsque quelque chose s'enroula autour de son poignet et le tracta droit vers le haut, le catapultant dans les airs lorsqu'il émergea de l'eau. Remplissant son organisme d'air, l'homme-dragon ne put s'empêcher de gémir en atterrissant violemment sur une plateforme créée par Sylver. Mais, alors qu'il allait s'emporter, une vague de chaleur emplit son corps et il soupira de soulagement.
— Comment te sens-tu ? lui demanda Ban, surveillant l'eau à la recherche du boss.
— Comme un type qui a failli se noyer et qui vient de s'écraser sur la terre après avoir été tiré par un tentacule végétal, railla Ompreria.
— Si tu es capable de faire de l'humour, c'est que tu vas bien, s'amusa Saimhiramiss en encochant une nouvelle flèche.
— Par contre, il faut que personne ne tombe à nouveau dans l'eau, s'exclama le Roublard.
— Ne t'inquiète pas, nous avons tous vu les abysses, expliqua Ban en lançant une « Carte haute » sur le Donutsuchus qui s'approchait un peu trop près.
— Donc, c'est quoi le plan ?
— Pour le moment, descendre cette saleté de bestiole tout en survivant !
L'affrontement continua. À l'exception de Sylver, tous durent plonger à un moment ou à un autre pour échapper aux éclairs qui jaillissaient entre les crocs aiguisés du monstre. De plus, ayant appris de ses erreurs, le crocodile ne se contentait plus de les empêcher de rejoindre la surface mais projetait ses écailles comme des balles de pistolet. Heureusement, le Pao veillait sur ses camarades et les couvrait à temps de « Peau de pierre », réduisant les dommages qu'ils subissaient à chaque fois.
Cependant, lorsque ses points de vie atteignirent la moitié de sa jauge, le Donutsuchus entra dans une colère terrible. Il renversa la plateforme sur laquelle se tenaient Ban, Sémi et Sylver et, les ayant isolés chacun sur un minuscule îlot, les bombarda d'éclairs. Le Parieur et le Roublard purent bloquer l'attaque en opposant un tir contre l'électricité tandis que la Quenaif se protégeait derrière son « Tentacule de cactus ». Seulement, pour la première fois du combat, l'Invoqueur ne se défendit pas. Il subit de plein fouet la foudre et ne dut son salut qu'à un sort de soin lancé in extremis par son amie.
— Qu'est-ce qui t'a pris de ne pas te défendre ? s'époumona Ompreria.
— Lepre est épuisé, il a besoin d'un peu de temps pour récupérer sa magie !
En effet, sur l'épaule de l'homme-paon, le leprechaun haletait. Depuis désormais une dizaine de minutes, il avait puisé dans son énergie et celle de son invocateur pour les défendre, créant « Mur de terre » et « Peau de pierre » sans s'arrêter. Or, lui et Sylver étaient à court de points de magie et, comme le Pao n'avait pas pensé qu'il pourrait être un jour dépourvu de mana, il n'avait pas de potions.
Heureusement pour lui, le Donutsuchus ne semblait pas suffisamment intelligent pour comprendre la détresse de l'Invoqueur et se contenta, en jaillissant à nouveau de l'onde, de cracher une énième boule de foudre sur le Roublard. Tandis que ce dernier utilisait une « Bombe à eau » pour disperser l'électricité, Sylver aperçut quelque chose dans la gueule du crocodile. Réagissant par instinct, il plongea la tête sous l'eau pour observer les mouvements du dinosaure et, anticipant l'endroit où il sortirait, il bondit dans les airs.
— Sémi ! J'ai besoin d'un appui ! cria-t-il.
La Quenaif, ne se posant pas de questions, obéit et invoqua son « Tentacule de cactus » pour créer une plateforme au Pao. Ce dernier retint un grognement de douleur en posant le pied sur les épines du végétal mais sauta de nouveau pour arriver juste au-dessus du Donutsuchus qui émergeait de l'eau, la gueule ouverte pour projeter sa nouvelle attaque électrique. Aussi, il ne s'attendait absolument pas à ce que Sylver se jette de lui-même entre ses crocs. Son geste stupéfia tout le monde, que ce soient les joueurs, le boss mais aussi Lepre qui hurla en voyant la mort se jeter sur lui.
— Espèce de malade ! J'aurais ta peau un de ces quatre ! eurent tout juste le temps d'entendre les aventuriers tandis que leur ami disparaissait dans la mâchoire du dinosaure.
Quelle ne fut pas leur surprise de voir ce dernier se figer, attendant quelque chose, la gueule entrouverte. Ne le voyant ni croquer ni avaler le Pao, Ban fit signe à Ompreria et à Saimhiramiss de ne pas attaquer. Au bout de quelques minutes, le Donutsuchus s'allongea à la surface de l'eau et ouvrit en grand sa gueule, dévoilant Sylver tenant à bout de bras un étrange petit homme-crocodile vêtu de vêtements royaux et coiffé d'une couronne bien trop grande pour sa tête enfantine.
Le Gatro ne se débattit pas et, tendant un sceptre surmonté d'une sculpture de gâteau, il pointa vers l'eau, qui sembla se résorber, rendant au donjon son aspect d'origine. Les aventuriers se rejoignirent, un peu ébranlés par la peur qu'ils avaient ressentie en voyant le Pao fondre vers une mort qu'ils avaient cru certaine. De son côté, Sylver déposa le reptile au sol et, une fois descendu de la gueule du dinosaure, il s'agenouilla devant celui qu'il portait quelques instants plus tôt, ajoutant une couche à la surprise de ses amis.
— Veuillez m'excuser, Votre Majesté Blanc, de vous avoir ainsi brusqué.
— Ne vous inquiétez pas, noble Sylver, s'exclama le roi des Gatros. Vous n'avez fait que protéger vos camarades. Mais, avant toute chose, je souhaiterais faire quelque chose.
Se plaçant devant les autres joueurs, il posa un genou à terre et s'inclina.
— Votre Majesté ! s'écria le Pao en le voyant faire.
— Je vous prie de m'excuser de vous avoir attaqué depuis la gueule de mon Donutsuchus. Malheureusement, je ne savais pas comment évaluer vos aptitudes autrement et je craignais que vous ne soyez dangereux pour mon peuple.
— Ne vous en faites pas, nous nous doutions bien que vous ne cherchiez pas à nous faire du mal. Cela confirme donc ta théorie, Sémi, s'amusa Ompreria en se tournant vers son alliée.
— Une théorie ? s'étonna Blanc en se relevant.
— Votre compatriote Lanoix a dit que vous aviez tout fait pour nous protéger de la faction opposée à la vôtre, expliqua la Quenaif en inclinant la tête à l'égard du roi. Il n'était alors pas difficile de remettre les pièces du puzzle en place et de comprendre que le raid sur Terre Saine n'était qu'un moyen de calmer vos ennemis politiques.
— Votre sagesse n'a d'égale que votre ardeur au combat, le complimenta le reptile en lui rendant sa révérence. Malheureusement, la faction des Écailles d'amande gagne en pouvoir jour après jour et mon règne précoce à la suite de la mort de ma mère, la Reine Suzette, n'arrange pas les choses.
— Peut-être pourrions-nous vous aider ? proposa innocemment Sylver.
— Et tu comptes faire quoi ? railla Lepre, qui avait fini de récupérer de la vision d'horreur du crocodile géant. Leur taper dessus ?
— Je ne sais pas... répondit le Pao.
— L'idée est pourtant simple, déclara Ban. Il vous suffit, Majesté, de vous afficher avec nous.
Sa déclaration fit sursauter tout son auditoire, qui ne s'y attendait pas.
— Que... Que voulez-vous dire ? demanda d'une voix étranglée le roi.
— Vos opposants vous jugent certainement faible car vous ne vous dressez pas contre l'envahisseur. Mais retournez cela contre eux. Laissez-nous vous accompagner jusqu'à votre village et nous nous montrerons les meilleurs invités : polis, courtois et généreux. Nous vous achèterons des articles, créant ainsi du revenu pour vos concitoyens.
— Pourquoi faire ? s'étonna Sémi.
— En faisant tout cela, nous montrons à vos citoyens que nous ne sommes pas dangereux, reprit Ompreria, qui avait compris où voulait en venir le Parieur. Ensuite, nous inviterons les habitants de Terre Saine à vous visiter et vous signerez un traité de paix ainsi que des accords commerciaux. Ainsi, vous lierez les mains de vos ennemis et gagnerez en popularité auprès de votre peuple. Cela inversera le rapport de forces entre les Écailles d'amande et votre faction. Et, si jamais ils essaient de s'opposer à tout cela, ils ne feront que s'attirer la haine de vos concitoyens.
Ban confirma les dires de son camarade d'un signe de tête. Blanc prit quelques instants pour peser le pour et le contre de la proposition du Parieur, les laissant dans un silence pesant. Enfin, au bout de quelques minutes, un sourire dévoila ses petits crocs étincelants.
— Vous êtes un homme rusé, sieur Ban. Quant à vous, sieur Ompreria, vous êtes très malin pour avoir compris le plan de votre ami. Bugne ne pourra rien contre un tel plan. Je vous remercie sincèrement, aventuriers. Pour vous remercier, j'aimerais vous offrir des présents mais, malheureusement, je ne les ai pas sur moi. Pourriez-vous aller transmettre une demande de ma part à Gauberg ? Dites-lui que, demain soir, je souhaiterais l'inviter dans notre humble village afin que nos peuples se lient en utilisant sa cérémonie de la fumée noire. En montrant aux Gatros que c'est une fête bienveillante et non un événement maléfique, ils pourront mieux accepter de se lier avec les habitants de Terre Saine. Venez ensuite devant le donjon et Lanoix vous mènera jusqu'à moi. D'ici là, j'aurai fini de préparer vos cadeaux.
Et sur ces mots, il s'inclina et monta sur le dos du Donutsuchus. Ce dernier plongea dans l'eau, disparaissant comme il était apparu la première fois. Un peu surpris, Saimhiramiss et Sylver se tournèrent vers Ban.
— Tu savais déjà comment réaliser cette quête ? demanda l'Enfant du désert.
— Absolument pas, répondit le Parieur en souriant. C'était juste un plan logique pour aider tout le monde sans avoir à combattre les autres monstres. Pour tout vous avouer, lorsque nous sommes arrivés à Terre Saine avec Bahasan à l'époque, nous n'avions même pas fait cette quête. Je ne pense même pas qu'elle existait. Nous avions simplement fait la cérémonie de la fumée noire puis nous étions partis à la recherche d'une sorcière pour aider un enfant malade.
— Tu es vraiment impressionnant ! Pareil pour toi, Ompreria ! Tu es trop forte pour avoir compris où voulait en venir Ban ! s'exclama le Pao en lui tapant dans le dos.
— Ce n'est pas grand-chose ! commenta le Mebanide en souriant.
Les deux autres aventuriers le complimentèrent à leur tour et, après avoir quitté le donjon, ils se dirigèrent vers Terre Saine. Au moment où ils arrivèrent à la lisière du campement, les premiers rayons du soleil perçaient l'obscurité et les joueurs sourirent en apercevant Gauberg en train de remonter l'un des derniers tipis abîmés. En les voyant, le protecteur se rua vers eux, ravi de les savoir de retour sains et saufs. Il écouta leurs aventures sans broncher, ne les coupant à aucun moment. Une fois leur récit terminé et la demande de Blanc réalisée, le quatuor attendit la réponse de l'elfe. Ce dernier mit un peu de temps à leur répondre, semblant hésiter.
— Pensez-vous que c'est un piège ? finit-il par demander après un long silence.
— Honnêtement, je ne pense pas. Il n'était pas sous contrainte lorsque je lui ai proposé ce plan et il avait l'air réellement soulagé de cette solution pacifique, expliqua Ban. Vous pouvez lui faire confiance.
— Très bien. Dans ce cas, allez-y et nous vous rejoindrons là-bas dès que nous aurons fini de remonter le camp. Merci encore pour tout, aventuriers. Oh ! Avant que vous ne partiez, s'exclama-t-il tandis que le petit groupe opérait un demi-tour, laissez-moi vous récompenser pour votre courage.
Et sur ces mots, le corps des joueurs s'entoura de lumière, prenant un niveau, et une fenêtre de dialogue apparut devant eux.
— Vous venez de gagner l'amitié de Gauberg, le protecteur de Terre Saine. Vous débloquez tous la classe Dernier rempart.
Les aventuriers remercièrent sincèrement le PNJ et prirent ensuite la direction du donjon qu'ils avaient quitté une heure plus tôt. Tandis qu'ils marchaient, ils virent Ban pianoter sur sa messagerie et sourire.
— Qu'est-ce qui t'amuse ? demanda Ompreria, méfiante.
— Rien, je viens simplement de demander à une vieille connaissance si elle pouvait me rendre un service et elle a accepté.
— Il te reste des amis qui te sont fidèles ? s'étonna Sémi.
— Ce n'est pas un ami, simplement une connaissance, corrigea Ban. Ses services sont chers mais cela vaut le coup, surtout pour ce que je m'apprête à faire. Et, ajouta-t-il en la voyant ouvrir la bouche, je souhaite faire une surprise alors je ne te dirai pas ce que c'est.
Lorsqu'ils arrivèrent, ils aperçurent la massive silhouette de Lanoix qui les attendait.
— Honorables invités, je vous prie de m'excuser de mon comportement passé. J'espère que votre séjour au village Monté sera plaisant et que vous accepterez que je vous serve de guide, les salua-t-il quand ils furent assez proches de lui.
— C'est déjà de l'histoire ancienne, déclara Sémi en souriant.
— J'avoue que l'épisode de strangulation aurait pu être évité mais bon, je comprends que vous défendiez votre peuple, poursuivit Ompreria.
Ravi de se savoir excusé, le colossal homme-crocodile les escorta derrière la souche géante qui abritait l'entrée du donjon. Là, parmi les différentes racines s'entremêlant pour former un bosquet dense, il dévoila une gemme minuscule. Il la saisit et la plaça sur sa tête. Aussitôt, des bulles d'air se formèrent autour de la tête des joueurs qui s'émerveillèrent devant le sort.
— Nous allons devoir nager un long moment mais ne vous inquiétez pas, ces sphères vous apporteront de l'oxygène continuellement tant que vous restez proches de moi.
Il les ramena à l'entrée du donjon dont il était le gardien et plongea dans l'eau, ses invités le suivant. Ban sourit en remarquant que Lanoix nageait doucement pour ne pas les distancer. Le groupe s'arrêta à un moment pour que le Gatro déplace un énorme rocher bloquant l'accès à un tunnel secret qu'ils empruntèrent. Au bout d'une dizaine de minutes à parcourir le boyau sombre, ce dernier remonta en pente douce jusqu'à une lumière que les joueurs accueillirent avec joie, l'obscurité commençant à faire naître de la morosité dans leur cœur. Lanoix le premier, ils sortirent un à un de l'eau. Après s'être séchés avec l'aide d'un sort provenant de la gemme récupérée plus tôt par l'homme-crocodile, les joueurs purent admirer les alentours. Ils se trouvaient sous l'eau, ou plus précisément sous un plafond fait d'eau. Au-dessus d'eux, ils purent discerner les rayons du soleil percer l'étrange voûte liquide pour diffuser une lumière verdâtre et ondoyante. Autour d'eux, de nombreuses huttes avaient été érigées entre les racines qui s'échappaient du dôme, et en tressant des herbes entre les végétaux, les Gatros avaient formé des murs entourant leurs parcelles. L'entièreté du sol en pierre était immergée, rafraîchissant l'air de la caverne à ciel ouvert. Seulement, personne ne semblait habiter l'endroit. Cela inquiéta Sylver, qui voulut en faire part à Lanoix, mais ce dernier leva sa main, lui intimant de garder le silence pour le moment. Il claqua sa queue sur le sol à plusieurs reprises, créant une sorte de code auditif. Dès qu'il eut fini, du sol émergèrent petit à petit de nombreux Gatros. Devant l'incrédulité de ses invités, le gardien leur expliqua :
— Comme vous avez pu le voir, notre entrée est secrète mais pas inviolable non plus. Alors, dès que le rocher est bougé, une alarme retentit dans le village et tout le monde a pour ordre de se dissimuler. Ils ne doivent sortir que si je leur donne le code.
Étonné par l'ingéniosité du système, le Pao contempla de nouveau les habitations qui se remplissaient par l'arrivée des Gatros. Bientôt, une foule s'amassa autour d'eux. En effet, les habitants étaient étonnés par la présence d'étrangers. Si les plus jeunes semblaient s'émerveiller de voir des races inconnues, les plus vieux s'inquiétaient. Lanoix allait prendre la parole lorsque la masse se fendit pour laisser passer un homme-crocodile aussi grand que le guide des joueurs. Ses écailles, d'une couleur proche du caramel, avaient été cerclées sur ses avants-bras par des lignes argentées. L'un de ses yeux avait été décoré à l'aide de peintures violettes, rappelant les tatouages égyptiens.
— Lanoix, as-tu perdu l'esprit ? Comment se fait-il que tu aies donné le feu vert à mon peuple de sortir alors que des étrangers sont dans le village ? s'indigna le nouveau venu, visiblement en colère.
— Bugne, je vous prierai d'être plus poli avec les invités de Sa Majesté Blanc, répondit l'intéressé sur un ton empli de mépris. De plus, j'aimerais que vous n'oubliiez pas que ce n'est pas votre peuple mais celui de notre roi.
Un sourire carnassier apparut sur le visage de Bugne.
— Ainsi donc, Sa Majesté Blanc a perdu la tête en invitant des étrangers dans notre village. Aurait-il oublié que c'est leur faute si nous ne pouvons pas voir les étoiles, ce qui nous aurait certainement permis de voir la mort de notre défunte Reine, qui est accessoirement sa mère ?
— Mais, très cher Bugne, l'interrompit Ban avec un sourire que Saimhiramiss identifia comme une façade dissimulant un mauvais coup, nous ne sommes pas venus les mains vides. Sachant que vous adorez les étoiles, mes camarades et moi n'avons pu nous empêcher de vous ramener quelque chose de précieux.
Surpris que l'humain lui coupe ainsi la parole, le colosse se tourna vers lui au moment où ce dernier s'inclinait en sa direction. Il allait parler lorsque l'humain décida d'agir. D'un habile mouvement de la main, le Parieur fit jaillir de son inventaire un objet qu'il garda dans son poing. Ce dernier, irradiant d'une lumière blanche, aveugla l'assemblée.
— Vite ! Protégez vos enfants et fuyez ! Maudits étrangers, je ne vous laisserai pas blesser mes citoyens ! rugit Bugne en se protégeant les yeux à l'aide de son bras.
Lorsque la lueur décrut, l'opposant politique du roi s'apprêtait à pointer du doigt le carnage fait par les nouveaux venus mais s'immobilisa en découvrant que personne n'était blessé. De plus, reposant au creux de la main de Ban, un joyau étincelant reposait, baignant l'auditoire dans une douce lumière.
— Je vous présente le Diamant des étoiles, présenta l'humain, content de son petit effet. C'est un morceau de météorite qui a été travaillé par l'un des meilleurs artisans joailliers de la ville de Cloruth. J'espère que ce présent saura vous montrer que nous, les « maudits étrangers » comme vous dîtes, monseigneur Bugne, venons avec des intentions louables.
Tout en parlant, il tournait sur lui-même afin que tous puissent voir avec précision la pierre précieuse. Lorsque cette dernière passa devant lui, le chef de la faction des Écailles d'amande tendit le bras pour la saisir, envieux d'un tel bijou. Mais Ban, vif, lui retira à temps de sa portée.
— Monseigneur Bugne, ceci est un présent pour le peuple Gatro. Il me semblerait donc que je doive le remettre en mains propres à Sa Majesté Blanc. Je suis certain qu'il saura lui trouver une place parfaite pour que tous puissent l'admirer.
— Et vous avez raison, sieur Ban. Je sais parfaitement où placer votre présent pour que moi et mes concitoyens puissions en profiter au mieux, déclara une voix émanant de derrière Bugne, qui sursauta en l'entendant.
Traversant la foule qui s'écartait pour le laisser passer, Blanc s'approchait d'eux. Une lueur mauvaise fit étinceler les iris de son opposant politique qui, cependant, s'inclina comme le reste des Gatros devant son souverain.
— Votre Majesté, commença Bugne, en tant que conseiller, il est de mon devoir de vous rappeler que les « extérieurs » ne sont pas permis de rentrer dans le village. Il nous faut donc punir Lanoix !
— Pourquoi diable souhaiterais-tu punir le gardien alors qu'il n'a fait qu'obéir à l'un de mes ordres ?
— Avez-vous perdu l'esprit, Votre Majesté ? s'emporta le colosse. Dois-je vous rappeler que ce sont les étrangers qui ont cherché à tout prix à nous tuer pour récupérer notre cuir ? Ce sont même eux qui ont tué feu votre père ! Et vous les laissez pénétrer dans notre domaine, malgré tout cela !
— Oui, certains étrangers se sont montrés dangereux envers notre peuple, répondit Blanc calmement. Cependant, nous ne pouvons pas faire de généralités d'un seul exemple. Sinon, si je suis cette logique, je devrais exterminer toute notre race car ta faction a déjà tué des membres de la mienne.
Cette déclaration fit s'élever un murmure dans l'assemblée. Pour la première fois, Blanc confrontait directement Bugne sans chercher à se cacher.
— De plus, enchaîna le roi avant que son opposant n'ait eu le temps de répliquer à sa provocation, ces « extérieurs » n'ont jamais cherché à nous faire du mal.
— Et qu'en savez-vous ? rugit un Gatro qui, aux étranges cercles d'argent sur les bras, semblait appartenir à la faction des Écailles d'amande.
— J'ai plusieurs exemples sous la main. Tout d'abord, durant le raid, ils n'ont à aucun moment cherché à nous tuer intentionnellement alors que nous les attaquions. Certes, il y a eu deux morts de notre côté, mais d'après ce que j'ai vu de leurs capacités de combat dans le donjon, nous aurions perdu bien plus s'ils s'étaient réellement battus avec l'intention de nous tuer. De plus, ils nous ont rendu les corps intacts de nos morts.
Bugne rageait, aux portes d'une colère irrationnelle.
— Cela ne prouve rien ! rugit-il.
— Je n'ai pas fini, conseiller ! s'exclama Blanc en faisant claquer sa queue sur l'eau. Alors qu'ils combattaient Lanoix, ils se sont contentés de l'assommer et lui ont même donné une potion de soin pour qu'il se rétablisse. Dans le donjon, ils n'ont jamais cherché à poursuivre nos blessés, évitant ainsi de faire des victimes inutiles. Enfin, lorsque sieur Sylver m'a repéré à l'intérieur de la gueule de mon Donutsuchus, il m'a simplement sorti de là et s'est agenouillé devant moi. Ses camarades ont simplement engagé un dialogue pacifique avec moi.
Il fit une pause, laissant le temps à son peuple de digérer les informations qu'il venait de révéler. À aucun moment, il ne regarda son conseiller qui bouillonnait sur place, augmentant encore sa rage.
— De plus, dois-je rappeler que, alors que mon conseiller les insultait, ces mêmes étrangers n'ont pas bronché et se sont contentés de nous offrir un merveilleux présent ? déclara le roi en haussant la voix, couvrant le murmure sceptique qui émanait des Gatros. J'ajouterai pour conclure que, pour nous prouver leur bonne foi, les habitants de Terre Saine nous rejoindront à l'extérieur du village pour que nous participions tous à la cérémonie qui célèbre nos étoiles. Ainsi, nous pourrons comprendre pourquoi ils la font et surtout, nous verrons par nous-mêmes que ce n'est pas simplement pour nous déranger dans notre contemplation.
— Assez ! hurla Bugne.
Son cri fit sursauter tout le monde et, avant que les gardes du roi n'aient eu le temps de réagir, il se jeta sur Blanc qui ne s'y attendait pas, ayant désarmé un soldat surpris. Mais deux personnes intervinrent. Tout d'abord, à l'aide de ses réflexes hors du commun, Sylver ordonna à Lepre de lancer « Peau de pierre » sur le dirigeant des hommes-crocodiles pour le protéger de la lame volée du conseiller. Ensuite, Ompreria, qui n'avait cessé d'observer Bugne, s'interposa au moment où le coup allait frapper le roi. L'attaque fut si violente qu'elle épuisa la quasi-totalité des points de vie du Roublard qui s'écroula sur le coup.
Revenant de leur stupeur, les gardes de Blanc se jetèrent sur l'agresseur, stupéfaits par le geste de l'étranger, et le maîtrisèrent.
— Mais comment... murmura le captif, ne comprenant pas ce qui venait de se passer.
— Conseiller Bugne, comment osez-vous porter la main sur le roi ? rugit Lanoix en se plaçant devant le putschiste qui commençait à se remettre de sa surprise.
— Je... Je ne peux pas laisser notre peuple tomber dans la déchéance, répondit ce dernier, s'adressant plus à l'assemblée qu'à son interlocuteur. Blanc n'est qu'un enfant, ignorant de ce qui est bon pour les Gatros. Regardez-le, à sympathiser avec ceux qui nous ont trahis, chassés et tués. Mais, bon sang, pourquoi cet étranger a-t-il fait ça ? ajouta-t-il en se tournant vers Ompreria.
— Et bien, la question est plutôt à poser autrement, s'amusa le Mebanide tandis que Sémi le soignait avec son sort de soin. Pourquoi donc n'aurais-je pas protégé quelqu'un ?
Sa question fit écarquiller les yeux des Gatros. Même Bugne sentit sa colère diminuer à cause de la surprise. Il dévisagea le Roublard d'un air incrédule.
— Pour tout vous dire, je me moque éperdument que vous soyez un Gatro ou un représentant d'une autre race, poursuivit Ompreria. J'ai juste vu une personne en attaquer une autre, j'ai simplement réagi, comme Sylver. Cependant, conseiller Bugne, si pour vous il faut réfléchir à la race de la personne à sauver, c'est que votre cœur est pourri jusqu'à la moelle.
Un silence pesant s'installa dans la foule. Les joueurs, à l'exception du Roublard, se regardèrent, légèrement apeurés à l'idée que la déclaration de leur ami n'eût énervé plus qu'autre chose les Gatros. Cependant, après quelques secondes à réfléchir, les hommes-crocodiles s'agenouillèrent tous en direction des aventuriers, à la surprise de Blanc et de Bugne.
— Nous remercions les sauveurs de notre roi ! s'exclamèrent d'une même voix les habitants du village Monté.
Heureux de voir son peuple uni et tolérant, le roi soupira et s'inclina à son tour. Cependant, ce geste ne fit qu'énerver encore plus son opposant.
— Mais avez-vous perdu l'esprit ? Ce sont des étrangers ! Des monstres assoiffés de sang qui n'attendent qu'une chose : que vous baissiez votre garde pour vous tuer ! rugit-il, dément.
— Ici, je ne vois qu'un seul monstre, répondit calmement le dirigeant. Et il s'agit de toi, Bugne. Alors, en tant que roi, je vais désormais prononcer mon verdict. Pour avoir tenté un coup d'État et blessé un invité, tu es condamné à mort !
La voix de Blanc résonna dans la caverne. Bugne, passant de la colère à la peur, se mit alors à implorer son roi de faire preuve de clémence. Cependant, ce dernier ne fit aucun compromis. Prenant le grimoire que l'un de ses gardes portait pour lui, il l'ouvrit et incanta :
— Invocation : Donutsuchus primordial !
Dès qu'il eut fini de prononcer le sort, une ombre voila la lumière des astres perçant le plafond aquatique. Surpris, les joueurs levèrent la tête et déglutirent. Au-dessus d'eux, un immense œil reptilien observait l'assemblée. Ban remarqua qu'ils n'étaient pas les seuls à être apeurés. Même les Gatros semblaient trembler à la vue de la créature titanesque. De son côté, Bugne hurlait littéralement de terreur. Quant au roi, il semblait être le seul individu calme. Il pointa simplement son ancien conseiller.
— Je déclare Bugne coupable. Que ta sentence soit sans remords, divinité reptilienne !
L'œil se mit à briller et la foudre tomba, réduisant à néant le Gatro renégat. Dès qu'il ne resta rien de Bugne, l'apparition cauchemardesque disparut, laissant de nouveau la place aux astres diurnes de Gillarg. Blanc, affaibli par la puissance de son sort, trébucha et commença à s'écrouler. Heureusement pour lui, Lanoix veillait et le saisit avant qu'il ne touche l'eau recouvrant le sol.
— Merci, Lanoix, murmura le souverain des hommes-crocodiles. Porte-moi jusqu'à ma demeure. Honorables invités, veuillez nous suivre, ainsi que toi, Cannolo.
Surpris, ce dernier appelé, un Gatro de taille normale et aux avant-bras cerclés d'argent, sursauta mais s'inclina et obéit. Le groupe suivit le protecteur du village qui tenait dans ses bras son roi et ils arrivèrent devant une hutte parfaitement banale. À l'intérieur, seul un trône fait d'os et recouvert d'un cuir écailleux sortait de l'ordinaire. Le reste du mobilier était plutôt basique, avec un lit, une table et des tabourets. Cela étonna un peu les aventuriers qui se seraient attendus à une demeure rutilante.
Lanoix déposa Blanc sur son siège et se plaça ensuite à sa gauche. Le souverain indiqua la place à sa droite à Cannolo, qui écarquilla les yeux.
— Votre Majesté, c'est trop d'honneur... murmura l'homme-crocodile.
— Tu étais le bras droit de Bugne et je sais que, comme lui, tu ne m'aimes pas forcément. Cependant, je pense, comme mes parents avant moi, que mon conseiller doit appartenir à la faction opposée à la mienne pour que notre peuple ne soit pas dirigé par un despote. J'espère qu'un jour, tu sauras m'arrêter si je m'approche de cette image.
— Je ferai en sorte de vous servir au mieux. De plus, j'aimerais vous dire que je ne vous en veux pas pour le châtiment de mon prédécesseur. Il est allé trop loin en s'attaquant à votre personne. Enfin, j'aimerais renouveler mes remerciements à nos invités et leur souhaiter la bienvenue au village Monté, dit-il en s'inclinant devant Ompreria.
— Très bien, je suis heureux de voir que tu ne m'en tiens pas rigueur, conclut le dirigeant tandis que son nouveau conseiller venait prendre place à ses côtés. Bien, désormais, nous allons pouvoir poursuivre ce que je n'ai pas pu faire dans le donjon. Lanoix, apporte le coffre là-bas, s'il te plaît.
Le Gatro colossal s'exécuta et déposa devant les joueurs un large coffre en bois. Blanc les invita à l'ouvrir et, d'un commun accord, Ompreria fut celle désignée pour soulever le couvercle. À l'intérieur du coffret, elle découvrit un parchemin, un arc, un drôle de mécanisme ainsi que quatre œufs de la taille d'un ballon de rugby. Voyant son incompréhension, le dirigeant sourit au Mebanide et décida de détailler ses présents.
— Pour Sieur Ban, je vous remets un parchemin vous permettant d'apprendre le sort « Langue de crocodile ». Ce pouvoir vous permettra d'affaiblir l'Esprit de vos adversaires. J'espère que ce présent vous apportera de merveilleuses victoires.
— Je n'en doute pas une seule seconde, répondit le Parieur en s'inclinant.
— Pour Dame Saimhiramiss, je me suis permis de demander à l'un de nos artisans de vous fabriquer un arc capable d'électrifier vos flèches. Que la magie foudroyante de mon peuple vous permette de protéger vos camarades.
— C'est un honneur de recevoir un tel présent de votre part, s'exclama l'Enfant du désert en s'agenouillant.
— Pour Sieur Ompreria, je voulais vous offrir l'un des bijoux de nos artisans, un piège discret qui blessera vos adversaires, mais suite à votre sacrifice pour ma personne, je ne peux que vous offrir cela. Lanoix, peux-tu aller chercher une veste de combat qui se trouve dans mon armoire ?
Le protecteur s'exécuta et ramena une veste faite en écailles verdâtres, rappelant celles du Donutsuchus. Il l'enfila prestement et remercia humblement le roi pour ses deux présents.
— Enfin, pour Sieur Sylver, je pense que le meilleur présent serait celui-ci, déclara Blanc en ouvrant son grimoire.
Il en arracha une page et l'envoya voler en direction de l'Invoqueur. Le livre de ce dernier s'ouvrit de lui-même et accueillit la page, cette dernière se collant à l'ouvrage naturellement. Surpris, le Pao vit une représentation du Donutsuchus en train de projeter ses écailles devant lui.
— J'aurais aimé vous donner une invocation complète, mais malheureusement, il semblerait que vous soyez lié à l'élément de la terre. Or, je ne possède que des invocations liées à la foudre. Cependant, je peux au moins vous faire grâce de la « Pluie d'écailles » de ma monture. J'espère que vous apprécierez mon présent, même s'il n'est pas aussi somptueux que je le voulais.
Ému, le Pao ne sut que répondre et se contenta donc de simplement s'agenouiller.
— Et pour finir, à chacun d'entre vous, je vous remets un œuf de Cakïman. Ce sont d'excellentes montures qui se déplacent aussi bien sur terre que dans l'eau.
Ravis de leurs récompenses, les aventuriers le remercièrent chaleureusement tandis que leurs corps s'illuminaient, indiquant qu'ils venaient de prendre un ou plusieurs niveaux. De plus, une fenêtre de dialogue apparut devant leurs yeux.
— Félicitations ! Vous avez désormais accès au village Monté ! Pour votre exploit, vous obtenez les titres « Ami des Gatros », « Protecteur du Roi » et « Habile négociateur » ! De plus, pour avoir tissé des liens entre Monté et Terre Saine, vous obtenez de l'expérience supplémentaire ! Enfin, pour avoir obtenu des œufs de monture, vous avez débloqué la classe « Éleveur novice » !
Étourdis par la cascade de récompenses, les joueurs mirent de côté leurs nouvelles acquisitions pour se concentrer sur la suite des événements.
Dans un premier temps, ils laissèrent le roi se reposer en compagnie de Lanoix, qui laissa sa place de guide à Cannolo. Ce dernier, véritable hôte de marque, leur présenta chaque commerçant et leur expliqua comment faire du troc avec eux. Ban discuta avec lui de la monnaie, et les deux négociateurs continuèrent ainsi durant tout le long de la visite tandis que Sylver s'émerveillait devant chaque marchand. Sémi dut d'ailleurs le raisonner à plusieurs reprises afin qu'il n'achetât pas tout ce qu'il voyait.
Ensuite, tandis que la lumière commençait à décliner, les aventuriers virent Lanoix partir, laissant la gemme à Blanc. Tous les Gatros se mirent alors sur leurs gardes. Cela mit les joueurs mal à l'aise, car certains membres des Écailles d'amande les regardaient encore avec haine. Au bout de quelques minutes, le roi des hommes-crocodiles, qui regardait le tunnel par où était sorti son protecteur, soupira de soulagement en discernant des ondes à la surface.
— Il semblerait que nos invités soient arrivés ! Que ceux qui souhaitent participer à ce moment historique viennent avec moi ! déclara-t-il.
Une partie des adultes s'avancèrent et, une fois que les gardes se furent assurés qu'aucun des membres de l'escorte royale ne soit armé, ils suivirent leur roi à travers le boyau inondé. Portant la gemme permettant aux « sans-écailles » de nager longtemps sans se noyer, Blanc guida son peuple et ses invités jusqu'à la surface. Là, les aventuriers purent voir la totalité des habitants de Terre Saine en train de préparer la cérémonie de la fumée noire, aidés par Lanoix qui suivait les ordres de Gauberg. Cette vision perturba beaucoup les sujets du roi reptilien, habitués à ce qu'on leur dise que cette fête ne soit qu'un prétexte pour les déranger. Alors, voir l'un des leurs aider à l'organiser fut un choc pour certains anciens Gatros. Mais, dans l'ensemble, la plupart des hommes-crocodiles aidèrent de bon cœur, notamment lorsqu'ils aperçurent Lamington, le seul membre de leur espèce vivant à Terre Saine, en train de serrer la patte de Lanoix. Ce geste sembla motiver les reptiles humanoïdes qui travaillèrent alors main dans la main avec ceux qu'ils considéraient comme des envahisseurs.
Les joueurs furent aussi mis à contribution et, en moins d'une petite heure, la cérémonie de la fumée noire était fin prête. Tous profitèrent de la fête et les Gatros apprécièrent énormément l'événement, s'excusant mille fois pour leur méprise. Enfin, Blanc officialisa, Gauberg à ses côtés, que Terre Saine serait désormais la première ligne de défense du village Monté.
— En effet, expliqua-t-il devant les regards ahuris de son peuple, je ne compte tout de même pas ouvrir notre village à tous, afin d'éviter à des âmes malintentionnées de venir nous massacrer. Reprenant les pensées de mon ancien conseiller Bugne, j'ai donc décidé de demander à Gauberg, ici présent, de ne parler de notre village qu'à ceux qu'il juge dignes de nous.
— De plus, ajouta le protecteur de Terre Saine, si jamais l'un de mes concitoyens venait à oser trahir cette parole, je le tuerai moi-même, de mes propres mains !
Son avertissement semblait inutile, car tous les habitants du campement n'auraient jamais trahi leur dirigeant, mais les Gatros frissonnèrent en se disant qu'ils avaient bien fait de se faire un allié de cet elfe.
Tandis que la fête se terminait, Ban alla saluer les dirigeants avec ses compagnons et le quatuor s'éclipsa. Une fois isolés, le Parieur se tourna vers ses camarades.
— Bien, je pense qu'il va être temps pour nous de nous déconnecter, non ?
Sémi observa rapidement l'heure réelle dans son menu et grimaça. Elle ne s'était pas rendu compte qu'il était déjà 17h55. Dans un quart d'heure du jeu, son SARV la déconnecterait sans lui laisser le temps de saluer ses compagnons.
— En effet, je n'avais pas vu l'heure, commenta la Quenaif, peut-être devrions-nous au moins prendre nos niveaux ?
— C'est une excellente idée ! Vous souvenez-vous de mes conseils, ou dois-je encore vous indiquer où placer vos points de statistiques ? demanda le Parieur.
Ses trois alliés hochèrent la tête négativement et il put se concentrer sur sa propre répartition. Lorsque Sylver se rendit compte qu'ils étaient au niveau onze, il regarda immédiatement ses compétences.
— Ban ! Ban ! J'ai une nouvelle compétence !
— Oui, comme tout le monde, ne put s'empêcher de dire l'humain aux yeux multicolores sur un ton sarcastique. Dis-moi plutôt ce que tu as gagné exactement.
— Ça s'appelle « Œil médical » et ça permet de voir les points vitaux sur des créatures non humaines de taille moyenne ou moins. Ah ! Ça explique pourquoi je voyais ces drôles de points sur les Gatros !
— Attends ! l'interrompit Sémi. Tu es en train de me dire que depuis tout à l'heure, tu vois des choses étranges et tu ne t'es pas posé la moindre question ?
— Je pensais que j'avais des hallucinations à cause de la fumée, se défendit le Pao en riant.
— Mon dieu... De mon côté, Ban, je peux désormais soigner un état à l'un d'entre vous avec « Résistance du désert ». Pour le moment, il ne me semble pas vous avoir vu subir un état mais je suppose que, plus tard, cela sera utile.
— Et toi, Ompreria ? s'enquit Sylver, intrigué.
— J'ai débloqué un sort pour mon pistolet. Il se nomme « Tir croisé » et, comme une démonstration vaut mieux qu'une explication, voyez par vous-même.
Il dégaina le Flingue et tira à deux reprises. Seulement, l'un des projectiles disparut dès qu'il sortit du canon de l'arme et se matérialisa de l'autre côté du tronc d'arbre mort qu'il ciblait. Les deux tirs se croisèrent au centre du végétal, déclenchant une légère explosion qui fit voler en éclats l'écorce. Tandis que l'Invoqueur regardait le Roublard avec des étoiles dans les yeux, Ban le complimenta.
— Bien joué. Ce sort sera parfait pour toucher les morts-vivants sans perdre les rebonds de ta « Balle ricochet » et peut te permettre d'éviter les protections directionnelles comme un pavois.
— Et de ton côté ? l'interrogea Sémi.
— Mon nouveau sort se nomme « Paire » et est une version améliorée de ma « Carte haute ». J'ai aussi profité de ce petit moment pour regarder nos nouveaux titres. Vous devriez faire de même.
Ompreria s'exécuta et siffla doucement en voyant les trois titres dans son menu.
« Ami des Gatros : vous obtenez +1 à vos statistiques tant que vous vous trouvez dans les Bourbiers des Gourmets.
Protecteur du roi : vous obtenez un bonus de +1 en Endurance et de +5 % en PV.
Habile négociateur : vous pouvez désormais obtenir une réduction de 5 % dans les commerces. »
Ban indiqua à Sylver de s'équiper de « Protecteur du roi » et aux deux autres de choisir « Ami des Gatros » pour le moment. Quant à lui, il allait les imiter lorsqu'un éclat scintilla dans ses yeux multicolores. Les autres virent apparaître le titre « Habile négociateur » au-dessus de sa tête pendant une seconde mais ce dernier disparut au même moment qu'une fenêtre de dialogue se forma devant l'humain.
— Votre titre « Habile négociateur » veut fusionner avec votre classe Parieur pour vous donner un nouveau titre. Acceptez-vous ?
Le Parieur accepta et son pseudonyme fut alors poursuivi du titre « Insensé Parieur ». Son propriétaire le consulta et siffla en lisant ses effets.
— Insensé Parieur : Pari peut désormais être utilisé sur n'importe quelle action du personnage. Si réussi, l'effet de l'action est multiplié par deux. Cependant, s'il rate, vous subissez 20 % de vos PV max.
— Et bien, c'est risqué mais plutôt intéressant, pensa Ban.
Il s'en équipa et, une fois que tout le monde eut fini sa répartition de points de statistiques jusqu'au niveau onze, ils se saluèrent et se déconnectèrent les uns après les autres.
Tandis que le SARV s'éteignait et qu'il reprenait conscience, il tendit l'oreille. Un silence de mort semblait régner dans la maison. Un peu triste, il se leva et se dirigea sans difficulté vers sa chambre, éclairée par les rayons du soleil couchant. Il ouvrit la porte et sursauta en voyant ses deux parents qui l'attendaient, un immense sourire sur leur visage.
— Surprise, Lee ! s'exclamèrent-ils en anglais tandis que le jeune garçon se jetait dans leurs bras. Après les avoir serrés contre lui, il se dégagea de leur étreinte et les contempla.
Cassandra Anderson était une jeune femme atteignant doucement la quarantaine. Quelques rides venaient désormais atténuer la jeunesse de son visage mince mais, au lieu de l'enlaidir, cela lui donnait un air de femme sérieuse, notamment avec ses cheveux longs bruns qui encadraient ses prunelles noisette. Malheureusement, son sourire étincelant venait souvent rappeler le caractère enfantin qu'elle partageait avec Peter, son mari. Ce dernier, mesurant plus de deux mètres, était fin et athlétique. Tout comme sa moitié, il possédait une chevelure longue, à la différence que la sienne était noire plutôt que brune. Dès qu'il rentrait du travail, il retirait l'élastique qui maintenait ses cheveux en queue de cheval le reste de la journée. Comme son fils, il avait des yeux gris qui semblaient changer entre le bleu et le vert selon la lumière.
Enfin, Lee Anderson, alias Sylver dans Gillarg Stories, ressemblait à un parfait mélange de ses parents. Outre la couleur de ses yeux, il partageait la taille de son père, mais avait hérité d'une tignasse brune étrangement ondulée qui refusait de pousser aussi bien que celle de sa mère. Malheureusement, il avait surtout hérité d'une santé fragile qui l'obligeait à rester chez lui la majeure partie de l'année. Né prématurément, le jeune Américain souffrait d'une malformation des poumons qui les rendaient très sensibles, le rendant allergique au pollen et, à son grand malheur, aux poils d'animaux.
L'air pollué de New York avait contraint Cassandra et Peter à chercher désespérément un nouvel endroit pour leur fils, et la mutation du jeune banquier en Suisse, à la suite de l'ouverture d'une succursale, avait été une aubaine pour le couple. Ils avaient donc déménagé tous ensemble à Lausanne, une commune située dans le canton de Vaud. Leur fils, âgé de six ans à l'époque, avait pu renforcer sa santé malgré ses allergies. Approchant désormais de quinze ans, le jeune adolescent était ravi de la vie qu'il menait, à une exception près.
Comme ses parents, tous deux banquiers, voyageaient souvent, il se sentait souvent seul. Il leur avait demandé d'avoir un animal de compagnie, mais ils avaient été contraints de refuser, trop préoccupés par l'impact que cela pourrait avoir sur sa santé. Ainsi, lorsque Gillarg Stories était sorti, les deux Américains, profitant d'un voyage à Los Angeles, avaient offert le jeu à leur fils. Ravi, le garçon avait essayé le jeu et s'était attaché à son univers fantastique.
Alors qu'il y repensait, Lee se rappela que ses parents n'auraient normalement pas dû être là.
— Why are you here ? demanda-t-il.
— Apparemment, répondit Cassandra en passant au français qui lui avait tant manqué pendant leur voyage aux États-Unis, notre client est tombé malade et a annulé nos rendez-vous avec lui pour aujourd'hui. Nous en avons profité pour prendre de l'avance sur notre travail, et comme ça, nous nous sommes dit que nous pourrions te faire une surprise en passant la soirée avec toi.
— Quand nous sommes rentrés il y a quelques minutes, nous avons vu que tu jouais, et comme tu devais arrêter à dix-huit heures, nous avons décidé de ne pas faire de bruit pour te surprendre, conclut Peter en mélangeant les deux langues, admirant la capacité linguistique de leur fils qui, en moins d'un an, avait appris à parler français aussi bien qu'anglais.
C'était d'ailleurs ce qui étonnait beaucoup les deux adultes. Tous deux professionnels de la finance, ils avaient naïvement pensé que leur enfant serait doué en mathématiques à l'école. Cependant, aussi surprenant que cela puisse paraître, Lee ne comprenait rien aux chiffres. Au début, cela avait inquiété ses parents, mais lorsqu'ils avaient découvert que leur fils possédait un véritable talent pour apprendre le français, ils avaient décidé de faire quelques tests. Ainsi, à l'âge de dix ans, le jeune Américain parlait couramment allemand, italien, français, espagnol et anglais. De plus, avec l'aide d'un tuteur, il avait appris le chinois, le japonais et l'arabe. Cette année-là, il venait même de découvrir sa passion pour le russe, qu'il comprenait déjà parfaitement mais qu'il ne parvenait pas encore à prononcer correctement. Ainsi, lorsqu'il pouvait accompagner ses parents à l'étranger, il leur servait souvent d'interprète, un fait qui amusait beaucoup les amis du couple.
— Bien, soirée pizza et film, ça te convient, Lee ? proposa Peter en sortant son téléphone.
L'adolescent hocha la tête et, tandis que son père commandait, il parla à sa mère de ses aventures dans le jeu. Écoutant attentivement son fils, Cassandra ne put s'empêcher de rire devant les détails amusants.
— Attends, tu t'es vraiment jeté dans la gueule de ce monstre ? s'étrangla-t-elle lorsqu'il lui raconta le combat contre le boss du donjon.
— Oui. Et là, Lepre s'est mis à hurler qu'un jour, il se vengerait.
— J'aurais tellement aimé voir ça ! s'exclama-t-elle en riant franchement.
Le reste de la soirée se passa sans encombre, les adultes écoutant leur enfant parler de son jeu. Discrètement, ils échangèrent un regard complice, heureux de voir que leur fils ne se sentait pas trop seul malgré leur absence. Alors que minuit approchait, ils allèrent ensemble dans la chambre du jeune homme et, après un baiser sur le front, les parents de Lee le laissèrent dormir.
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