Partie 3 : Chapitre 18 Le bon, la brute, le truand et la goupil


Le quatuor se matérialisa à l'intérieur d'une crique. Ou du moins, si elle avait eu une ouverture vers la mer, les joueurs auraient pu appeler cela une crique. Mais la caverne dans laquelle ils venaient d'apparaître ressemblait à une crique. À peine avaient-ils eu le temps de poser le pied sur la roche lisse qu'un bruit de mécanisme de revolver se fit entendre. Par réflexe, Ompreria, Saimhiramiss et Ban levèrent les mains en l'air, suivis de Sylver qui les imita avec quelques secondes de retard. En face d'eux, une dizaine de squelettes équipés d'armes à feu en tout genre les dévisageaient de leurs orbites vides, se tenant entre eux et une épave de navire. Cette dernière avait dû, à l'époque, voguer sur les flots noblement. Malheureusement, sa coque éventrée l'empêchait de regagner la mer, sous peine de sombrer dans les abysses. Tout absorbé par la contemplation des lieux, le Mebanide sursauta lorsque les morts-vivants s'adressèrent à eux.

— Les gars, quelqu'un va prévenir le capitaine qu'on a des invités, s'exclama l'un d'entre eux avec un accent à couper au couteau.

— Pas de problème, j'm'y colle, répondit un autre avec la même intonation.

— Pendant ce temps, on pourrait jouer avec eux, non ? s'enquit un troisième en les mettant en joug avec un fusil.

— Fais ça et le capitaine te fait passer à la planche, rétorqua le premier avant de se tourner vers celui qui revenait de l'épave derrière eux.

Durant leur conversation, Ban, faisant attention à ne pas trop bouger les lèvres, leur souffla de ne pas bouger.

— Ce donjon consiste en des épreuves individuelles qui, si elles sont toutes réussies, nous permettront d'affronter le capitaine. En revanche, si nous ne respectons pas les règles, nous devrons affronter des hordes infinies de morts-vivants. Alors, pas de bêtises, les enfants, avait-il expliqué dans un murmure à peine audible.

Toujours méfiante, Sémi notait chaque déclaration étrange du Parieur dans son esprit, compilant tout ce qui pourrait lui servir pour prouver aux deux garçons qu'elle avait raison. Ainsi, elle consigna précautionneusement le fait qu'il connaissait déjà le donjon alors qu'il avait dit qu'il n'avait pas pu le faire par manque de personnes. Cependant, elle n'eut pas le temps de réfléchir plus longtemps que l'équipage de squelettes se tournait vers eux.

— Vous êtes bien les envoyés de M'dame Lyra ? s'enquit le mort-vivant qui semblait diriger.

— C'est, en effet, bien le cas, répondit Ban.

— Très bien ! La première épreuve sera un concours de tir sur cible. Choisissez votre champion.

Le Parieur se tourna vers Ompreria.

— Je pense que ce sera toi, dit-il en lui adressant un clin d'œil.

En face d'eux, un squelette à quatre bras et portant un bandana rouge sur le crâne s'avançait. Dès que les deux élus furent à un mètre l'un de l'autre, les squelettes installèrent trente-et-une cibles à bonne distance d'eux.

— Chacun votre tour, vous tirerez une balle pour atteindre une cible. Celui qui en atteindra le plus gagnera la manche. Tous les coups sont permis ! indiqua le chef des squelettes qui semblait réduit au rôle de présentateur.

Le CanOs'ier, l'adversaire d'Ompreria, s'avança et montra son adresse en abattant l'un des mannequins sans même regarder où il visait. Le Roublard fit de même, défiant ouvertement le squelette qui ricana. Le duel continua sans qu'aucun des deux participants ne se démarque. Seulement, alors que Sémi attendait une quelconque trahison provenant des pirates, elle sursauta lorsqu'une violente explosion retentit. Surprise, elle regarda à l'endroit où se tenait le CanOs'ier, devant le stand de tir. Ses armes à feu fumantes, il regardait avec haine le Roublard qui sifflotait gaiement. Sous son pied, un mécanisme ressemblant trait pour trait au « Piège facétieux » se trouvait.

— Tricheur ! hurlèrent les membres de l'équipage à l'encontre de l'homme-dragon.

— Je n'y peux rien si l'un de mes pièges est tombé de ma poche et que, malencontreusement, il s'est activé au moment où votre ami a marché dessus. De plus, il était impensable que le choc électrique mette le feu à la poudre des pistolets et les fasse tous exploser.

— Tu te rends bien compte que c'est un aveu ? s'exclama le CanOs'ier.

— Mais pas du tout. Et même si cela en était un, l'arbitre a dit que tous les coups étaient permis, non ?

— Alors, toi, tu vas voir ce que tu vas voir lors de mon prochain tour ! ragea le squelette.

— Qui a dit qu'il te restait un tour ? répliqua Ompreria avec confiance.

Et sur ces paroles pleines de confiance, Ompreria s'avança. Il ne restait plus que trois cibles.

— Désolé, vieux, mais c'est une victoire pour moi, s'exclama-t-il en faisant semblant de le saluer avec un chapeau imaginaire.

Il se saisit de son revolver, fit tourner le barillet avec style et pointa une des cibles, visant un angle précis.

— Balle ricochet !

Sa balle partit, rebondit sur une cible, toucha la seconde et finit sa course dans la troisième cible, la plus difficile d'accès car les autres mannequins la dissimulaient. La mâchoire du CanOs'ier se décrocha littéralement et il jeta son arme à terre, déclenchant le tir qui brisa son crâne. Le reste de son corps tomba en poussière devant le regard surpris d'Ompreria qui avait bondi sur le côté en entendant le coup de feu partir.

— Manche gagnée par l'équipe Lyra, s'exclama le présentateur. Sylver applaudit son allié, à qui il adressa un clin d'œil.

— Bravo, je n'en attendais pas moins de toi, le félicita Ban en lui posant la main sur l'épaule.

— Merci, mais ce n'est rien.

— Prochaine manche, le jeu de chasse aux monstres. Vous allez devoir ramener le plus rapidement possible un objet que laisse parfois un monstre. Par preuve de notre bonne foi, nous laissons à l'équipe Lyra le choix du lieu de l'affrontement, déclara le chef des squelettes.

Le Parieur se tourna vers Sémi, tandis que Sylver se proposait.

— Je souhaiterais que ce soit toi qui participes à cette manche. Alors pourrais-tu m'indiquer quel lieu tu préfères, même si j'ai déjà ma petite idée.

— Je pense que je serai plus qualifiée pour affronter des monstres, expliqua le Pao, ne comprenant pas la décision de l'humain.

— Je suis d'accord avec le gamin, renchérit la Quenaif, sur ses gardes.

— Sauf que cette manche n'est pas un simple duel mais une chasse à l'objet. Or, il me semble que les Enfants de la nature possèdent une compétence passive les aidant à obtenir des objets dans certaines zones, je me trompe ?

Surprise, la femme-fennec le regarda avec méfiance.

— Comment tu sais ça ?

— Je joue au jeu depuis six mois et j'ai déjà rencontré beaucoup de joueurs. Parmi eux, j'ai connu un Enfant des neiges qui préférait la banquise de l'île au Nord.

— Mais tu n'es qu'au niveau quatre. Tu es si mauvais que ça ? s'étonna Sylver.

— Pas vraiment. Disons que j'ai dû recommencer un personnage à cause d'un problème, répondit l'homme en ricanant. De plus, ma classe actuelle n'est pas une classe de départ, ce qui fait que j'ai dû monter une autre classe jusqu'au niveau vingt avant de pouvoir débloquer la classe Parieur. Donc, je réitère ma question, Sémi, quel lieu choisis-tu ?

— Choisis le désert alors ! grommela la fennec en s'avançant tandis qu'il annonçait le choix de leur équipe.

En face d'elle, un zombi colossal traînant une immense hache à double tranchant s'approcha. Lorsqu'il aperçut son adversaire, il grimaça en un sourire terrifiant, dévoilant sa gueule édentée et sa langue putréfiée. Si l'image fit frissonner Sylver, Sémi, elle, ne broncha pas. Lorsqu'ils furent proches l'un de l'autre, les deux opposants disparurent, tandis qu'un écran apparut devant Ban. Dessus, Ompreria et Sylver, qui s'étaient penchés pour voir, pouvaient apercevoir la Quenaif qui progressait rapidement dans une immense étendue désertique, seulement vallonnée par quelques dunes.

Sémi, dès son apparition, vit une fenêtre de dialogue apparaître devant elle.

— Récupérer un croc de lion du désert avant votre adversaire.

Immédiatement, elle se dirigea droit devant elle.

— Pour le moment, inutile de se prendre la tête à choisir une direction. Si jamais je tombe sur un lion du désert, je m'en occupe et je passe directement au suivant s'il ne laisse pas de croc derrière lui, pensa-t-elle tandis qu'elle courait dans le désert.

Au bout d'une minute, elle remarqua un petit groupe de félins au loin. Elle changea de cap, prenant la direction de l'attroupement et, lorsqu'elle fut à une vingtaine de mètres, elle sortit son arc. Elle décocha sa première flèche et enchaîna les tirs, ne se souciant pas vraiment de quel lion subissait ses projectiles. Ces derniers touchaient toujours une cible mais parfois, c'était un félin intact qui subissait l'attaque. Après cinq assauts, les lions du désert aperçurent la Quenaif qui se confondait presque avec les grains de sable de la zone. Ils foncèrent sur elle mais Sémi n'en avait pas fini. Elle tendit sa main devant elle.

— Tentacule de cactus !

La femme-fennec répéta son incantation jusqu'à ce que, parmi les cinq adversaires, il n'en reste qu'un seul. Le survivant, pensant que son agresseuse ne pouvait combattre au corps à corps, essaya de la déchiqueter avec ses crocs. Sa surprise fut la dernière de sa vie.

Bougeant si vite que les spectateurs de la manche ne comprirent pas ce qu'il s'était passé, elle plaça une flèche à sa place et le lion du désert croqua dans la munition, se transperçant lui-même le palais. Il s'effondra, raide mort. Son corps disparut et Sémi en profita pour vérifier s'il avait laissé un croc derrière lui. Malheureusement, aucun des monstres n'en avait perdu.

Ne se démontant pas pour autant, la Quenaif courut rapidement récupérer ses flèches et se remit à la recherche de proies. Elle abattit un deuxième groupe de fauves mais toujours aucune trace de crocs. Au bout d'un moment, la femme-fennec se figea en entendant des bruits d'affrontement. Se faisant la plus discrète possible, elle s'approcha de la source sonore et aperçut le zombi en train de vaincre une dizaine de lions du désert. Attirés par l'odeur de chair putréfiée, les charognards se jetaient sur lui pour le dévorer, lui arrachant des lambeaux de peau et de muscles à chaque attaque. Mais le mort-vivant ne ressentait pas la douleur et continuait de balancer sa hache dans tous les sens.

Alors qu'elle allait s'éloigner, elle aperçut quelque chose du coin de l'œil. L'un des adversaires du zombi venait de disparaître, laissant derrière lui un croc. Pour le moment, le colosse ne semblait pas l'avoir remarqué mais ce n'était qu'une question de temps avant que son regard ne se porte sur l'objet.

— Mince, ça va être juste mais pas le choix, se dit-elle intérieurement en se débarrassant de sa cape de voyage, dévoilant une tenue en tissu souple d'un blanc éclatant. Elle se mit à courir dès que son adversaire eut le dos tourné. Alors qu'elle n'était qu'à vingt mètres de son objectif, le zombi pivota dans sa direction pour achever un autre lion. Dès qu'il l'aperçut, il se figea, ne comprenant pas tout de suite pourquoi elle se dirigeait vers lui.

— Quinze mètres, pensa Sémi.

Le mort-vivant, tournant la tête pour éviter à un fauve de la lui dévorer, aperçut le croc.

— Dix mètres.

Balayant l'espace autour de lui, il envoya voler tous ses opposants.

— Huit mètres.

Il se penchait en avant pour se saisir de son objectif mais la Quenaif lança son sort pour le faire reculer.

— Cinq mètres.

Arrachant le tentacule végétal d'une main, il projeta sa hache entre la femme-fennec et le croc.

— Trois mètres.

Sémi se jeta au sol pour éviter l'arme de son adversaire mais ce mouvement superflu lui fit perdre une seconde. Lorsqu'elle se releva, elle vit que le zombi s'apprêtait à attraper la récompense.

— Hors de question ! rugit-elle.

Ban sursauta. Ce que l'écran lui montrait était spectaculaire et il ne s'y était pas attendu. Saimhiramiss semblait changer d'apparence. Son corps se faisait plus grand, sa fourrure se fit plus longue tout en s'ébouriffant sous l'effet de sa colère. Ses dents s'allongèrent et, se recroquevillant sur elle, elle était devenue en moins de deux secondes qu'une véritable boule de nerfs et de poils enragée. Son bond fut si puissant que le mort-vivant, qui allait toucher le croc, ne comprit jamais ce qu'il s'était passé. Une seconde avant, ses doigts s'apprêtaient à effleurer l'objet de sa convoitise. La seconde suivante, il ne ressentait plus son bras et la dent de lion du désert avait disparu, tout comme le désert. Plus loin, Sémi semblait remettre sa cape de voyage qui était apparue en même temps qu'elle dans la crique.

— Mais qu'est-ce qu'il s'est passé ? grommela le zombi, louchant sur son moignon.

— Si tu cherches ton bras, répliqua posément la Quenaif en se décalant, il est là.

En effet, le bras du mort-vivant était par terre, à côté de la femme-fennec qui s'approcha du présentateur. Elle lui tendit l'objet qu'il lui avait demandé.

— Il me semble que c'est une victoire pour notre équipe, se contenta-t-elle de dire avant de rejoindre ses camarades.

Toute l'assemblée était en état de choc. Seul Ban avait vu correctement ce qu'il s'était passé et même lui ne savait pas quoi dire. Lorsque la Quenaif fut devant lui, il ouvrit la bouche mais elle le coupa.

— Oui, je possède une compétence unique et non je ne vous en parlerai pas pour le moment, du moins, pas devant de potentiels adversaires. L'utiliser m'a un peu fatiguée alors, si cela ne vous dérange pas, je vais dormir un peu pendant vos épreuves et je reviendrai en pleine forme pour le boss du donjon. Bon courage !

Et sur ces mots, elle se roula en boule et sembla s'endormir. Se remettant de sa stupeur, le présentateur leva le croc du lion du désert au-dessus de sa tête.

— Manche remportée par l'équipe Lyra, hurla le squelette. La prochaine manche sera un duel entre votre élu et le nôtre. Ce sera l'épreuve de la planche.

Ban se tourna vers Sylver et lui lança un sourire.

— Je crois que c'est ton tour, petit.

Excité par la victoire de sa camarade, le Pao s'avança en premier. Mais sa joie s'estompa lorsqu'il vit son adversaire s'approcher. Immense, un homme dont le buste était posé sur le corps d'une araignée de la taille d'une voiture se plaça devant le garçon.

— Gamin, il ne faut pas avoir peur d'un drider comme moi, lui susurra-t-il, d'un ton amusé, en penchant son visage aux longs cheveux noirs à son niveau. Si tu veux abandonner, il te suffira de sauter en dehors de la planche.

À peine avait-il eu le temps de dire ça que lui et l'homme-paon se téléportèrent sur une planche volante au-dessus d'une mer déchaînée. Surpris, l'Invoqueur jeta un coup d'œil à l'onde et déglutit. Mais il n'eut pas plus le temps de s'inquiéter. Le drider venait de lancer son offensive. Se tenant sur ses quatre pattes arrières, le monstre utilisait ses autres appendices comme des lances cherchant à percer le corps du Pao. Ce dernier arrivait pour le moment à les esquiver mais rapidement, il se retrouva au bord de la planche.

Ompreria, derrière l'écran qui était réapparu, regardait avec appréhension le duel.

— Rassure-moi, ce n'est pas un piège que d'envoyer un enfant se faire massacrer par un monstre ? demanda-t-il à Ban.

— Je pense que tu devrais me faire confiance, tout comme tu devrais faire confiance au gamin. Tu n'as jamais vu ce petit combattre correctement et tu risques d'être surpris, se contenta de lui répondre le Parieur sans lâcher des yeux la fenêtre.

Sur la planche, Sylver observait le drider se redressant sur ses pattes arrières, les autres prêtes à le repousser en contrebas, dans l'onde déchaînée.

— Dommage que tu sois tombé contre moi, petit, ricana l'homme-araignée. Une dernière volonté ?

— Excusez-moi de vous poser la question mais pourquoi est-ce que vous pensez que le match est terminé ? demanda simplement le Pao.

— Tu n'as aucune échappatoire et, même si tu es un oiseau, tu ne peux pas voler, railla son adversaire.

— Désolé de vous décevoir, monsieur le Drider, mais vous vous trompez. C'est vous qui avez perdu.

Agacé par le ton innocent du Pao, le monstre le frappa avec ses pattes. Seulement, Sylver s'était déjà jeté sous lui, esquivant les quatre pointes. Emporté par son élan, le drider voulut se maintenir en équilibre sur la planche en forçant sur ses appendices accrochés au bois mais l'Invoqueur n'en avait pas fini. Roulant pour passer derrière le drider, il ouvrit son étrange grimoire qui volait derrière lui dès qu'il combattait.

— Invocation : Leprechaun !

Aussitôt, Lepre apparut sur son épaule en grommelant. Il n'eut cependant pas le temps de se plaindre que son maître lui demandait déjà d'agir.

— Lepre, Séisme, s'il te plaît !

Obéissant à contrecœur, le petit homme de la terre bondit, son poing s'entourant d'une énergie marron, et frappa la planche, créant une secousse qui délogea les pattes de l'araignée qui réussit tout de même à tomber sur le bout de bois, s'équilibrant comme elle le pouvait. Le drider voulut tourner la tête pour voir son adversaire mais ce dernier n'était déjà plus là.

— Lièvre agité !

Le mort-vivant releva les yeux et aperçut l'homme-paon dans les airs. Sylver avait bondi juste avant la compétence de son invocation, évitant la secousse. Il commença à tourner sur lui-même, accumulant de l'énergie cinétique, et frappa de son talon la planche, déjà fragilisée par le Séisme du Leprechaun. Cette fois-ci, la puissance du coup la brisa tout simplement, précipitant l'opposant du jeune homme dans les eaux troubles.

Immédiatement, le Pao réapparut dans la crique avec le drider, ce dernier crachant l'eau qu'il avait avalée durant sa chute. Toussotant, il ne vit pas tout de suite que Sylver s'était approché de lui et lui tendait la main.

— C'était un beau combat ! lui dit l'homme-oiseau en souriant.

Surpris, le drider mit un peu de temps avant de serrer la main de son adversaire, s'attendant à un piège. Mais le Pao était quelqu'un d'honnête. Il se contenta simplement de le féliciter et rejoignit ensuite Ban et Ompreria qui lui tapèrent dans le dos.

— Eh bien, normalement, nous faisons cinq épreuves, grommela le présentateur. Mais vu que vous avez déjà gagné les trois premières, inutile de continuer. Le capitaine veut vous voir alors allez-y.

Et il se décala pour les laisser passer.

— Je croyais qu'il fallait réussir toutes les épreuves pour pouvoir rencontrer Fli, s'indigna Saimhiramiss en s'étirant après sa courte sieste.

— Il me semblait aussi, mais je me suis visiblement trompé, lui répondit Ban sans perdre son sourire narquois au coin des lèvres.

— Tu ne te serais pas moqué de nous ? continua-t-elle à le questionner Ompreria.

— Je ne sais pas pourquoi vous n'avez pas confiance en moi, mais je peux vous assurer que je n'étais pas au courant de ça, se défendit-il en haussant les épaules.

— Pourquoi je ne te fais pas confiance ? Parce que tu nous as suivis, espionnés, regardés combattre sans lever le petit doigt contre un monstre puissant, et enfin, parce que je suis sûre que tu nous mens quand tu dis que tu n'étais pas au courant pour ces cinq épreuves, s'emporta la Quenaif.

— Pourquoi aurais-je fait ça ?

— Parce que si nous l'avions su, nous t'aurions envoyé au combat à un moment. Mais maintenant, à part toi, nous sommes tous affaiblis à la suite de nos différents combats. Accorde-moi le bénéfice du doute sur ta sincérité, veux-tu ?

Voyant que son amie repartait en guérilla contre l'étrange individu, Ompreria soupira.

— Sémi, je comprends ta colère. Mais pour l'instant, nous devons affronter le boss tous ensemble. Pourrait-on en reparler après le donjon ? lui dit-il. En revanche, s'il fait quoi que ce soit de suspect dans le combat, on s'en occupe, d'accord ? ajouta-t-il suffisamment bas pour que Ban ne l'entende pas.

— Avec plaisir, répondit la Quenaif d'un ton sarcastique, fusillant du regard le Parieur.

— Cela me va parfaitement, dit ce dernier en s'inclinant.

Le quatuor avança et, passant entre les pirates morts-vivants, pénétra dans l'épave du Hollandais coulant. Ils montèrent sur le pont et y découvrirent le fameux Fli. Ce dernier, un squelette d'au moins quatre mètres dont on avait remplacé l'un des bras par un canon de bateau et la jambe par une jambe de bois, les regardait à l'aide de son œil de verre unique, l'autre orbite dissimulée derrière un cache-œil. Il ajusta son tricorne en les voyant se mettre en garde, les ombres donnant l'impression à sa mâchoire décharnée de sourire de manière malveillante.

— Et bien voilà la bleusaille qui vient me défier pour m'empêcher de ramener ma belle Lyra. Mais je ne vous laisserai pas briser notre idylle.

Et sur ces mots, il dégaina son sabre et se rua vers eux si vite que cela surprit tous les membres du groupe. En effet, ils avaient imaginé que le mort-vivant serait lent à cause du canon qu'il portait. Heureusement pour le groupe, Sylver s'interposa entre eux et le monstre, son corps bougeant par réflexe, et il subit l'entaille pour ses compagnons.

Revenant de sa surprise, Sémi lui lança un sort de soin tandis que Lepre enveloppait son corps de « Peau de pierre », augmentant son endurance pour quelque temps. Ainsi renforcé, le Pao put encaisser le deuxième coup sans souffrir le martyr. Pendant ce temps, Ban et Ompreria s'étaient jetés chacun d'un côté pour le prendre en tenaille. Tandis que le Roublard lui tirait dessus, le Parieur fit apparaître des cartes dans sa main, comme s'il jouait au poker, et les regarda avec intérêt. Il sourit en découvrant deux cartes d'une valeur supérieure à dix. Se saisissant de l'une d'entre elles, il la jeta sur le boss dont la jauge de vie était apparue.

— Carte haute !

À peine le projectile toucha le squelette qu'il explosa, le repoussant sur le côté. Profitant de ce moment de répit, Sylver bondit en arrière, se libérant du corps à corps de Fli.

— Reflets de la lune sur l'eau !

Aussitôt, il sembla disparaître et laisser sa place à une illusion représentant la lune. Surpris, le mort-vivant ne comprit pas pourquoi le plancher de son pont avait été remplacé par la surface d'un lac. Soudain, des perturbations naquirent sur l'onde et il reçut un puissant coup dans le sternum. L'illusion se dissipa et Sylver réapparut. Enchaînant les coups de poing, de pied et de queue, il repoussa doucement mais sûrement Fli en arrière.

Voyant cela, Ompreria lança son « Piège facétieux » derrière le boss qui marcha dessus. Aussitôt, il se retrouva immobilisé.

— Carte haute !

— Tentacule de cactus !

— Visée ajustée !

Les trois sorts percutèrent de plein fouet le mort-vivant qui s'écrasa contre la rambarde du navire. Ses points de vie venaient d'atteindre la moitié de sa jauge et une flamme rageuse apparut dans son œil de verre. Il les braqua avec son canon et tira, déchaînant un véritable enfer sur eux. L'arme à feu semblait magique car le monstre n'avait pas besoin de recharger, obligeant les joueurs à esquiver du mieux qu'ils le pouvaient. Ban épuisa sa main et, utilisant une compétence pour piocher cinq nouvelles cartes, il grommela en remarquant qu'il n'en avait aucune au-dessus de dix, limitant ses dommages. Ce fut à ce moment qu'il remarqua que Sylver, malgré toute sa bonne volonté et ses réflexes, recevait de plein fouet un boulet, annihilant ses points de vie que Sémi n'avait pas réussi à soigner.

Cette dernière, comprenant que sans tank, le groupe n'aurait aucune chance, se décida à utiliser sa compétence unique. Elle l'avait découverte en se connectant la première fois et l'appréciait bien, lui apportant un corps plus puissant et plus proche de celui du monde réel.

— Gène récessif !

Tandis qu'elle évitait un nouveau projectile, son corps changea, prenant l'apparence des ancêtres des Quenaifs, des hommes-renards plus grands, plus puissants mais surtout plus sauvages. Abandonnant son arc, elle se jeta à quatre pattes en direction du capitaine Fli qui dut cesser son bombardement pour se débattre avec Sémi, devenue folle de rage.

Ban et Ompreria profitèrent du répit pour boire une potion de soin avant de retourner au combat, mais le boss semblait trop puissant pour eux. De plus, comme l'Enfant du désert avait déjà utilisé sa compétence unique il y a peu, son corps était mis à rude épreuve et, à peine les PV du mort-vivant atteignirent-ils trente pourcents, elle reprit son apparence naturelle, se faisant repousser par Fli qui braqua à nouveau son arme à feu sur eux.

Ompreria voulut lancer un nouveau piège mais, malheureusement, le temps de recharge de sa compétence n'était pas encore écoulé. Ce fut alors que Ban fonça sur leur adversaire.

— Je vais faire le tank ! Désolé, petite, mais je t'emprunte ceci !

— Tricheur. Cible : Gène récessif !

Abasourdie, Sémi vit alors le corps de l'humain se couvrir de poils, les dents devenir des crocs et les vêtements du Parieur disparaître, dévoilant une version plus grande et plus forte de sa compétence unique. Seulement, même si elle arrivait à se contrôler, Ban, n'ayant jamais ressenti la sauvagerie des ancêtres des Quenaifs, se déchaîna sur le boss qui ne s'y attendait pas. Comprenant que son allié ne pourrait pas tenir longtemps sous cette forme, l'Enfant du désert se tourna vers Ompreria qui rechargeait.

— Il faut l'achever maintenant !

Acquiesçant, le Roublard mit en joug le boss au moment où ce dernier achevait Ban et vida son chargeur, priant pour que cela suffise. Heureusement, les balles brisèrent la colonne vertébrale de Fli qui s'écroula comme un jeu d'osselets. Pestant, le boss regarda la Quenaif et le Mebanide s'approcher de lui.

— Bon, d'accord, c'est vous les gagnants. Comme convenu, je vous laisse partir avec le traité de paix. Il est dans ma cabine, par là-bas, dit-il tandis qu'un de ses doigts s'agitait pour pointer le bon endroit.

Les deux joueurs s'y dirigèrent et, tandis qu'ils ouvraient la porte, ils l'entendirent marmonner, grommelant contre sa faiblesse.

Amusés, ils pénétrèrent dans sa cabine où les attendait un coffre au trésor.

— Vas-y, ouvre-le, dit Sémi.

Ompreria la remercia d'un signe de la tête et il découvrit le contenu du coffret. À l'intérieur, il trouva un tricorne, un cache-œil et un pistolet ainsi qu'un parchemin roulé qu'il identifia comme le traité de paix. Il observa les effets des objets et grimaça.

— Mince, le cache-œil et le pistolet vont ensemble, grommela-t-il.

— Ce n'est pas grave, garde tout, lui répondit Sémi.

— Mais nous avons fait le donjon ensemble, vous devriez avoir votre part du butin.

— Personne ne joue d'arme à feu à part toi, alors ce serait bête de briser le set. Quant au tricorne, il ne fait gagner que de l'or d'après ce que tu m'as dit. Or, personnellement, je m'en moque. Je pense que c'est pareil pour Sylver et il est hors de question que ce Ban reçoive quoique ce soit.

— Sur ce coup-là, je suis bien d'accord. Mais rappelle-toi que sans lui, nous n'aurions jamais réussi à le vaincre, même si je n'ai pas compris comment il a fait.

— Justement, allons lui demander.

Et ils disparurent, sortant du donjon.

Leurs corps se matérialisèrent directement sur la place d'Initia, où les attendaient Ban et Sylver. Ce dernier leur sauta dans les bras et, si Ompreria se laissa faire, Sémi ne quitta pas du regard le Parieur. L'humain comprit qu'il ne pourrait plus reporter la conversation que cherchait à obtenir la Quenaif depuis leur rencontre.

— Bon, je suppose que c'est l'heure de l'interrogatoire, dit-il simplement en s'asseyant sur un banc.

— Qui es-tu exactement ? s'exclama Saimhiramiss, sa voix emplie de colère.

— Je suis Ban, un Parieur de niveau 4...

— Nous savons cela, le coupa Ompreria, d'un ton plus modéré que celui de sa camarade. Ce que nous voulons savoir, c'est qui es-tu réellement ? Tu n'es pas un simple joueur, je me trompe ?

Aussitôt, le sourire de Ban s'effaça et il se repositionna, joignant ses mains, les coudes sur les genoux.

— Ce que je suis ne vous regarde pas, gamins. Si vous voulez le savoir, je veux que nous passions un contrat. En échange de la vérité, je veux que vous me promettiez que vous ne parlerez, n'écrirez ou même ne tenterez de communiquer ces informations sous aucun prétexte. De plus, je veux que nous continuions de faire équipe tous les quatre. De nouveau, j'offrirai mes connaissances sur le jeu afin de vous guider vers des sommets que vous ne pouvez même pas rêver. Si vous refusez, alors je quitterai votre équipe sur le champ et vous n'entendrez plus jamais parler de moi.

— Tu possèdes une compétence contractuelle ? s'étonna Ompreria.

— Non mais je possède une relique appelée le Serment du Juste, expliqua l'homme en sortant de son inventaire un rouleau de papier doré fermé à l'aide d'un lacet d'argent. Tout contrat rédigé dessus ne peut être brisé impunément. De plus, c'est un objet consommable que l'on ne peut obtenir qu'une seule fois par partie.

— C'est donc rare... pensa à haute voix Sylver.

— Oui et je propose de faire ce contrat en utilisant cet objet pour prouver ma bonne foi. Donc, désormais, je souhaite savoir si vous voulez apprendre la vérité sur notre rencontre ou si vous voulez que je disparaisse.

Il retira ses lunettes teintées et fixa son regard dans celui de Sémi, qui déglutit. Elle avait supposé que le Parieur eût des yeux verts, mais ses prunelles étaient en réalité un mélange entre le vert, l'orange et l'or. Le tourbillon de couleurs semblait se fondre par endroits, harmonisé, tandis qu'ailleurs, il donnait l'impression d'être un champ de bataille où les teintes luttaient pour dominer. Cette complexité colorée surprit la Quenaif d'autant plus qu'elle pouvait ressentir au fond de son cœur la sincérité qui brillait dans la voix de son interlocuteur. Elle prit du temps pour réfléchir.

— J'aimerais un échantillon de ton expérience, demanda Ompreria, ses soupçons encore présents.

— Si tu y tiens vraiment, grommela le Parieur, je te propose d'aller rendre la quête à Lyra, lui confier le traité de paix et, ensuite, lorsqu'elle vous proposera de vous diriger vers Bourg-Sentra, refusez et demandez-lui si elle ne connaît pas un autre lieu à visiter sur l'île principale. Vous verrez alors qu'elle vous indiquera les Bourbiers des gourmets. Là-bas, vous trouverez un PNJ qui propose une quête plutôt intéressante. Malheureusement, je ne peux pas vous en dire plus à cause de la politique du jeu.

— Et bien, allons voir cela tout de suite, s'exclama Sémi sur un ton plus posé qu'à l'accoutumée, s'étant remise de l'étrange sensation qu'elle avait ressentie durant leur échange visuel.

Prenant la tête du groupe, le Roublard se dirigea vers la mairie, suivi par les trois garçons. Lorsqu'ils furent autorisés à pénétrer dans le bureau de Lyra, cette dernière les accueillit avec une légère inquiétude.

— Comment allez-vous ? les interrogea-t-elle.

— Très bien, je dois l'admettre, répondit Ompreria en s'inclinant devant la dirigeante d'Initia. Vous serez très certainement ravie d'apprendre que ce vulgaire squelette ne vous dérangera pas pour une petite semaine, ajouta-t-il en lui remettant le traité de paix.

Émue, la jeune femme lui adressa un sourire larmoyant et les félicita tous pour leur travail. Tandis qu'elle discutait de ce qu'ils voulaient faire, Sémi décida de suivre les indications que Ban venait de lui donner, les mettant à l'épreuve. Dès que l'humaine leur proposa de se rendre à Bourg-Sentra, elle prit la parole.

— Je vous remercie, mais ne connaîtriez-vous pas un autre lieu à visiter ? Je connais déjà bien Bourg-Sentra et j'aimerais découvrir d'autres horizons.

Sa déclaration fit réfléchir la mairesse qui finit par sourire, une idée en tête.

— Cela fait depuis bien longtemps que je n'ai pas adressé de lettres à un vieil ami que j'ai rencontré durant ma vie d'aventurière. Pourriez-vous apporter un message de ma part à Gauberg, le protecteur de Terre Saine, dans les Bourbiers des gourmets ? C'est au nord-est de Bourg-Sentra.

— Ce serait un plaisir pour nous de renouer les liens entre Initia et Terre Saine, accepta la Quenaif en s'inclinant.

— Très bien ! s'exclama Lyra en tapant des mains, ravie. Je vais l'écrire maintenant, je n'en aurai pas pour longtemps. D'ailleurs, vous devriez tout de même vous arrêter à Bourg-Sentra pour acheter une carte des Bourbiers afin de mieux vous repérer dans ces contrées inhospitalières et aussi faire le plein de potions.

— Merci du conseil ! répondit Sylver en souriant.

Au bout de quelques minutes, la dirigeante d'Initia leur tendit une lettre cachetée portant le sceau de la ville. Ils la remercièrent pour ses précieuses indications et sortirent du bâtiment administratif. Une fois à l'extérieur de la ville, les joueurs s'arrêtèrent, Sémi dévisageant Ban.

— J'accepte ton marché.

— Très bien. Et toi, Ompreria ?

— Je n'ai rien à redire, dit l'intéressé, non sans garder une certaine suspicion à l'encontre de l'humain.

Le Parieur sourit, sortit le Serment du Juste et rédigea un contrat que la Quenaif et le Mebanide vérifièrent ensuite. Lorsqu'ils furent assurés que tout allait bien, ils signèrent le papier, suivi de Sylver et du contractant. Aussitôt, une lueur enveloppa leurs corps.

— Bien, maintenant que le Serment du Juste est activé, je vais pouvoir vous dire la vérité. Je vous demanderai de ne pas m'interrompre s'il vous plaît.

Les deux garçons et la fille acquiescèrent, curieux face à tant de mystères.

— Vous devez certainement connaître la guilde Avatar, la première guilde du jeu. Elle m'a approché il y a trois semaines, ainsi qu'un ami à moi. Nous étions tous les deux des passionnés de Gillarg Stories et nous jouions à fond. Aussi, lorsque nous avons découvert une quête secrète qui pourrait nous donner une classe unique, nous n'avons pas hésité. Nous nous sommes immédiatement précipités pour la réaliser et, lorsque nous sommes arrivés à la fin de la quête, nous avons rencontré Razer, le chef de la guilde Avatar.

Il prit une petite pause pour reprendre son souffle, ménageant son auditoire par la même occasion.

— Mon ami et moi étions heureux de faire la connaissance d'une telle célébrité, d'autant plus qu'il s'intéressait à nous. Lorsqu'il nous a révélé que nous avions le potentiel pour rejoindre sa guilde, nous n'avons pas hésité. Cependant, ce que je n'avais pas prévu, c'est que celui que je prenais pour un frère de cœur ne cherchait la gloire que pour lui seul. Alors, au moment où nous avons affronté le boss du donjon permettant de finir la quête, il m'a tué. Je m'attendais à réapparaître à l'extérieur du donjon, comme d'habitude, mais le jeu m'a alors indiqué que, à l'aide d'une relique unique, ce traître avait réussi à détruire mon personnage. J'ai été surpris et je me suis donc recréé un personnage rapidement pour reprendre contact avec Razer. Mais mon traître d'ami m'attendait et m'a de nouveau effacé du jeu. Il fait désormais partie d'Avatar et me supprime à chaque fois que je m'approche de la guilde.

Sylver renifla, les larmes aux yeux. Il ne comprenait pas tout ce qui avait été dit, mais il sentait la peine de Ban dans sa voix. Lepre, perché sur son épaule, roula des yeux, ennuyé par la fragilité de son maître.

— Pendant une semaine, ce traître m'a poursuivi à Initia pour me détruire encore et encore, reprit le Parieur. Cependant, lorsque j'ai été éliminé la vingtième fois, le jeu m'a alors proposé une quête étrange. Il m'a demandé si je voulais parier avec lui sur ma réussite à me venger de cette personne. J'étais si en colère que je n'ai pas réfléchi et j'ai accepté. J'ai alors débloqué une possibilité de modifier mon avatar bien loin de mon apparence humaine et j'ai acquis la classe Parieur, une classe rare que l'on ne peut obtenir autrement. Depuis, j'attendais à Initia, me dissimulant dès que je voyais ma némésis se montrer. Je cherchais un groupe qui me permettrait de cacher mon identité à ses yeux car, d'après lui, je suis incapable de me faire des alliés. Je ne vous demanderai pas de m'aider dans ma vengeance, juste m'accompagner dans ma montée de niveau.

- Désolé de te couper, mais avant de te donner ma réponse, je voudrais que tu m'expliques ce qu'il s'est passé lorsque tu as utilisé ma compétence unique, coupa Sémi, car elle sentait que le garçon essayait de noyer le poisson.

— Oh ! Ça, c'est juste ma compétence unique, « Tricheur ». J'en ai hérité en même temps que ma classe. Elle me permet une fois par jour de copier une compétence unique que j'ai vue. Donc, considère ton « Gène récessif » comme pouvant m'appartenir de temps en temps. Mais j'essaie de ne l'utiliser que lorsque c'est réellement une urgence, comme tout à l'heure.

— Et pourquoi nous avoir observés au lieu de simplement nous approcher normalement ? s'enquit Ompreria.

— Je pense que c'est sur cela que mon ancien ami avait raison. Je ne sais pas comment m'y prendre pour approcher les gens sans faire de coups fourrés. Je vous observais pour voir si vous seriez un bon groupe et je guettais l'opportunité pour vous interpeller.

— As-tu autre chose à nous dire ? le questionna le Roublard.

— Non, à moins que vous n'ayez des questions, répondit Ban en regardant la Quenaif qui répondit de la tête par la négative.

— Bien, dans ce cas, nous allons respecter les termes du contrat et t'accepter dans notre groupe, expliqua le Mebanide.

— C'est un plaisir de faire équipe avec toi, enchérit Sylver.

— Pour ma part, je ne vais pas dire que c'est avec plaisir, mais je conçois que, avec ton histoire, j'aurais fait la même chose. Alors, bienvenue dans l'équipe, grommela Sémi.

— Merci beaucoup.

Il se leva et leur serra la main à chacun. Il fut un peu surpris lorsqu'une décharge parcourut son corps mais, devant le sourire d'Ompreria, il se tut et endura la supplication, voyant cela comme une petite vengeance. De son côté, Sylver ne réfléchit pas longtemps. Il attrapa ses camarades dans ses bras et les souleva, les étreignant.

— Je suis trop content qu'on soit tous copains maintenant ! déclara-t-il, un immense sourire aux lèvres. Maintenant, direction Terre Saine !

— Malheureusement, il va falloir que je me déconnecte pour le moment, expliqua Sémi d'une voix étranglée. Mais je serai de retour pour 14h, si ça vous convient.

— Aucun souci pour moi, répondit Ompreria.

— De même, enchérit Ban, gêné par l'étreinte.

— Dommage, j'avais envie de continuer maintenant... fit le Pao en perdant son sourire.

— Si tu veux, nous pouvons répartir les points de caractéristiques de notre montée de niveau, puis nous pouvons, si cela ne te dérange pas, Sémi, échanger sur nos différentes compétences et sorts afin de mieux savoir jouer en équipe, proposa le Parieur en se dégageant. Ensuite, nous nous déconnectons et nous nous retrouverons à 14h.

— Quel niveau ? s'étonna le plus jeune du groupe.

— Celui que nous avons gagné lorsque nous avons remis le traité de paix, expliqua le Roublard en faisant craquer son dos, surpris par la force de l'homme-oiseau.

— Non, cela ne me dérange pas que nous prenions quelques minutes pour passer nos niveaux ensemble, répondit tardivement la Quenaif.

— Bien ! Dans ce cas, Sylver, pourrais-tu nous indiquer tes statistiques et aussi tes compétences ? Je vais pouvoir vous aider à choisir la meilleure répartition de statistiques, demanda Ban.

Le Pao s'exécuta et le Parieur écouta attentivement ses explications.

— Donc, d'après ce que j'ai compris, ta compétence de race « Kung-fu de la roue » augmente les dommages que tu fais au corps à corps de cinq pourcents. De plus, d'après ce que tu m'as dit sur tes compétences « Reflets de la lune sur l'eau », « Lièvre agité » et la nouvelle « Bienfait écrasant », tu sembles te concentrer sur des attaques qui frappent les points vitaux. Je te conseille donc d'augmenter ta Chance et ta Force comme statistiques principales et de répartir quelques points en Endurance pour pouvoir tanker plus facilement au corps à corps. Plus tard, je te conseillerai de monter ton Esprit, mais pour l'instant, concentre-toi sur ces trois statistiques.

En remarquant le regard vitreux de Sylver, Ban sourit, amusé. Il réexpliqua plus doucement, guidant étape par étape le jeune homme qui finit par équilibrer ses statistiques. Ainsi, il finit à 14 points en Force et Chance et 12 points en Endurance. Le garçon remercia son mentor et ce dernier se tourna vers Sémi.

— Je suppose que tu n'as pas besoin de moi pour tes statistiques, demanda-t-il d'un ton assuré, connaissant d'avance la réponse.

— Au contraire, déclara la Quenaif, prenant pour une fois le Parieur au dépourvu. J'ai obtenu un nouveau sort appelé « Abrasion » qui me permet de réduire la Force et l'Endurance d'un ennemi pendant dix secondes. Cependant, cela dépend de ma Malice et je n'ai pas encore augmenté cette statistique. Je possède 14 points en Intelligence et en Sagesse, et j'en ai 12 en Dextérité pour augmenter les dégâts de mon arc. Que dois-je faire des deux points gagnés au niveau cinq ?

— Comment fonctionne ta compétence unique ? lui demanda l'humain aux yeux troublants.

— Elle me donne un bonus de +10 dans toutes mes statistiques et inverse ma Force et mon Intelligence ainsi que mon Endurance et ma Sagesse. Cela dure autant de temps que je veux, mais cela m'empêche d'utiliser des armes ou ma magie.

— Dans ce cas, continue de répartir tes points comme tu l'as déjà fait, finit par dire Ban après quelques instants de réflexion. Il y a peu de chances que ta classe te demande d'utiliser ta Malice en plus, donc tant pis pour ce sort.

— Comment peux-tu être sûr de ça ? l'interrogea Ompreria, surprise par l'assurance du Parieur.

— Les Quenaifs sont une race qui est, avant tout, connue pour être bonne et généreuse. Ils vivent sur une île déserte et cohabitent avec les Gobjins, des sortes d'orcs miniatures qui, eux, sont connus comme étant malicieux et voleurs. Or, malgré la nature de leurs voisins, les Quenaifs continuent de vivre en paix avec eux, les aidant toujours même s'ils savent que les Gobjins leur ont fait du tort. À mon avis, je pense que ce sont surtout des pigeons, mais bon, ce n'est que mon avis. Donc, pour répondre à ta question, il me paraît improbable de voir un Quenaif jouer uniquement sur la statistique Malice, qui représente avant tout une émotion que les Quenaifs sont incapables de ressentir.

— Tu es déjà allé sur leur île ? lui demanda Sylver, des étoiles plein les yeux.

— En effet, mais malheureusement, nous n'avons pas le temps d'en discuter maintenant, répondit sur un ton désolé le Parieur. Mais promis, je te décrirai leur merveilleuse ville cet après-midi pendant que nous marcherons vers Terre Saine. As-tu des questions, Ompreria ?

— Pas vraiment. J'ai obtenu un nouveau sort appelé « Bombe à eau », qui est juste un sort de dommages en zone de type eau. Pour mes points, je sais que je dois augmenter ma Dextérité, mon Intelligence et ma Chance pour augmenter mes dommages au mieux.

— Parfait. Bon, je vous expliquerai mes compétences tout à l'heure car elles sont un peu complexes, et je ne pense pas pouvoir vous faire patienter plus longtemps, Sémi. En tout cas, bon appétit et à tout à l'heure.

Et sur ces mots, Ban se déconnecta. Les saluant, Sylver fit de même, et il ne resta plus que le Mebanide et sa camarade.

— Bon, au moins, il avait l'air sincère. De plus, il sait se montrer utile, alors profitons-en pour le moment, commenta Ompreria.

— En effet. Mais ne nous relâchons pas pour autant. Bon, j'y vais, répondit Saimhiramiss en se grattant derrière l'oreille. À tout à l'heure !

Et elle quitta à son tour le jeu.

Lorsqu'elle ouvrit les yeux, elle ne put s'empêcher de soupirer. Elle venait de se réveiller dans une salle fermée, dépourvue de fenêtre, possédant comme unique mobilier le fauteuil de relaxation sur lequel elle était couchée. Elle se leva, étira son corps endolori à cause de sa position allongée prolongée, et elle posa le SARV sur le rebord prévu à cet effet. La jeune femme se dirigea ensuite vers la porte où elle toqua. La lucarne s'ouvrit, révélant deux yeux noirs qui la fusillèrent du regard.

— Tes mains ! ordonna une voix féminine tandis qu'une autre ouverture dans la porte apparaissait.

Obéissante, la jeune femme se tourna, fit passer ses mains dans le trou, et un cliquetis retentit. Lorsqu'elle ressortit ses bras, une paire de menottes lui emprisonnait désormais les poignets. La porte s'ouvrit, et la gardienne pénitentiaire apparut dans l'encadrement.

— Madame Maes t'attend dans son bureau. Je t'y accompagne, puis tu iras manger dans ta cellule. C'est clair, matricule 1258 ?

— Oui, madame ! répondit calmement la prisonnière en suivant les pas de la femme.

Après quelques minutes à parcourir des couloirs de pierre grise tous plus monotones les uns que les autres, elles finirent par arriver devant une porte indiquant « Alma Maes, psychologue pénitentiaire ». La garde toqua au panneau de bois, et lorsqu'elle fut invitée à rentrer, elle ouvrit la porte et laissa passer sa prisonnière. Cette dernière soupira de soulagement lorsqu'on lui retira ses menottes, se massant les poignets pour faciliter la circulation sanguine. En face d'elle, derrière un bureau garni de cadres photos, une dame souriante l'attendait. Habillée d'une ravissante robe cocktail bleu marine, la psychologue portait ses cheveux bruns coupés au carré, encadrant son visage d'une masse volumineuse. Derrière ses lunettes à monture fine, ses pupilles marron s'illuminèrent en apercevant la nouvelle venue.

— Inaya, comment te sens-tu après ces quelques heures dans Gillarg Stories ?

La susnommée s'avança sur le geste d'Alma et s'assit sur sa chaise, sa gardienne se tenant droite comme un « i » derrière elle.

— Honnêtement, madame Maes, je dois reconnaître que je suis époustouflée, répondit Inaya sur un ton calme et posé. Je m'excuse de ne pas vous avoir crue au premier abord, mais maintenant, je sais que Gillarg Stories est comme la réalité. J'ai été si surprise que certaines de mes mauvaises habitudes sont revenues à la charge.

— C'est normal, Inaya. C'est la première fois que tu visitais un monde numérique. Même si j'avoue que j'aurais préféré que tu sois un peu moins vindicative envers ce fameux Ban.

— Vous avez tout entendu ? lui demanda sa patiente.

— J'ai eu une retranscription plutôt fidèle de tes paroles ainsi que des siennes, même si je n'ai rien entendu à partir du moment où il a utilisé son contrat.

— Est-ce une défaillance de notre système d'observation ? demanda la matonne en braquant son regard glacial sur sa prisonnière.

— Non, ne vous en faites pas, madame Selias, répondit Alma. Le jeu a simplement dissimulé la vie privée du joueur à ceux que Ban n'avait pas mentionnés dans son contrat. Alors, détendez-vous, Inaya ne prévoit pas de s'échapper par l'intermédiaire du jeu.

— Surtout qu'à deux semaines de ma remise en liberté, ce serait bête de ma part de tenter quelque chose comme ça et de rallonger ma peine, expliqua calmement Inaya, sa voix dépourvue de toute moquerie.

La gardienne pénitentiaire chercha bien le sarcasme dans ses paroles, mais elle ne put détecter quelque chose qui n'existait pas, et elle ne pouvait abuser de son autorité devant quelqu'un d'autre, même si elle ne le faisait d'ordinaire jamais, même seule avec un prisonnier.

— En parlant de ta remise en liberté, s'exclama Alma, j'ai une bonne nouvelle pour toi, Inaya. J'ai pu rencontrer tes parents adoptifs et, après leur avoir expliqué ta situation, ils consentent à te laisser revoir ta petite sœur.

Cette déclaration mit un baume au cœur à la prisonnière, qui revit le sourire angélique de la petite Émilie Perdieu. L'enfant devait désormais avoir fini sa première année à l'école secondaire et, d'après les informations que les parents de la petite lui avaient données, elle avait réussi sa scolarité et s'apprêtait à passer dans la classe supérieure. Cependant, malgré l'image de la fille aux cheveux blonds coiffés en couettes et aux pupilles bleues s'affichant dans son esprit, Inaya attendit la suite de l'annonce.

— Cependant, ils m'ont posé plusieurs conditions. Tout d'abord, au début, ils veulent que tu ne voies Émilie que si elle est accompagnée d'eux et uniquement d'eux. De plus, ils ont demandé que tu aies un travail ainsi qu'un appartement qui te soit propre. Ils m'ont assuré qu'ils t'aideraient, mais que, si jamais tu n'y mettais pas du tien, ils te couperaient les vivres et t'empêcheraient de voir ta sœur.

— Avez-vous pu contacter Maître Janssens ? s'enquit la prisonnière.

— Oui, et elle est d'accord pour te reprendre à ton ancien poste de secrétaire, mais uniquement si tu réussis notre défi.

— Je ferai de mon mieux pour ne déclencher aucun problème d'ici la fin de mon incarcération, je vous le promets.

— Je le sais, Inaya. Madame Selias, pourriez-vous me faire un rapport sur l'attitude d'Inaya depuis la semaine dernière ?

— Aucun problème, madame Maes. Comme depuis deux mois, matricule 1258 n'a commis aucun incident. Elle s'est comportée de manière exemplaire et a même, à ma grande surprise, demandé poliment à participer à un match de football amical avec les autres détenus. Son équipe a perdu et, malgré cela, Inaya s'est montrée courtoise envers l'équipe adverse, y compris envers les hommes.

— Magnifique progrès. Je vois que ton aversion pour les hommes commence doucement à s'estomper, la félicita Alma. Bien, je pense qu'aujourd'hui, tu vas pouvoir jouer plus longtemps à Gillarg Stories. Disons de 14h à 18h, si vous êtes d'accord, madame Selias.

— Je donne mon autorisation, dit la matonne.

Inaya sourit en entendant cela et répondit ensuite aux questions de la psychologue pénitentiaire avec entrain. Lorsqu'elle eut fini, cette dernière la libéra, lui souhaitant un bon appétit. Précédée par la gardienne de prison, la jeune femme retrouva sa cellule individuelle où, quelques minutes après, on lui apporta sa nourriture. Tout en mangeant, la détenue fit un point sur sa vie.

Née dans le quartier historique du Vieux Caire, elle avait grandi dans la famille Hassan, où elle avait appris à voler pour survivre. En effet, elle avait vécu dans la pauvreté et dans la crainte de mourir de faim. Rapidement, elle s'était montrée douée pour les larcins, ce qui avait fini par attirer l'attention d'un groupe de trafiquants qui l'avait achetée à ses parents biologiques. Au début, ces derniers l'avaient forcée à travailler dans le trafic de drogue, mais montrant ses talents pour le vol, la petite fille âgée alors de six ans avait obtenu le droit de travailler uniquement sur le cambriolage des familles riches. Malgré la menace de la remplacer par les femmes du groupe, c'est-à-dire à la vente de drogue, si jamais elle avait échoué à un de ses larcins, la jeune fille n'avait pas failli, et bientôt, elle avait été connue comme le « Thu'ban », ou serpent en français. Malheureusement, alors qu'elle avait eu récemment neuf ans, elle avait été vue par une de ses cibles.

Se refusant à un destin de misère, Inaya avait tué le témoin en lui lançant une brique dans le crâne. Ce geste l'avait amenée à cesser de craindre les autres et lui avait appris qu'elle était capable de se défendre, même si c'était de la pire des manières. Trois ans plus tard, elle avait fui à la suite du meurtre d'un des membres du groupe, car ce dernier avait voulu profiter de ses charmes naissants.

Continuant à vivre de larcins tout en se dissimulant aux yeux des trafiquants, elle avait vieilli, devenant petit à petit une adolescente à la musculature sauvage et au corps recouvert de cicatrices suite à ses mésaventures avec les forces de l'ordre et leurs molosses. Maline, elle avait appris le français à l'aide de téléphones volés et de forfaits prépayés. Cela lui avait permis de cibler les touristes, se faisant passer pour une guide.

Seulement, à ses quatorze ans, elle avait fini par désirer une autre vie, son cœur bercé par ses leçons de langue sur un pays qui lui avait semblé merveilleux. Elle s'était introduite dans un avion à destination de la France mais, à la suite de problèmes météorologiques, elle avait fini en Belgique, pays où elle vivait désormais. Elle avait été alors rapidement prise en charge par les services de l'enfance, qui s'étaient rendu compte qu'elle n'était qu'une adolescente malnutrie et blessée, et, un an après son arrivée dans le pays, elle était adoptée par les Perdieu, les parents d'Émilie, qui avaient réclamé une grande sœur.

Malgré des débuts difficiles, Inaya avait finalement réussi à s'intégrer à la vie belge mais elle avait gardé certains réflexes de son passé. En effet, il lui était arrivé de perdre son calme lorsqu'elle se retrouvait en compagnie d'hommes, traumatisme dû à son passage chez les trafiquants, ou encore lorsqu'elle se sentait acculée. Dans ce cas, seules Émilie et Câline, le chat familial, parvenaient à la calmer. Cela avait failli, à plusieurs reprises, l'envoyer en prison. Voyant que la présence de leur fille biologique maintenait la sérénité de leur fille adoptive, les Perdieu avaient fini par les laisser ensemble, refusant de les séparer.

Grâce au choix de ses parents mais aussi grâce à des rendez-vous avec une psychologue, l'Égyptienne avait fini par se calmer et, à dix-neuf ans, elle avait pu obtenir un travail de secrétaire chez Maître Janssens, une avocate qui avait suivi son dossier depuis son arrivée en Belgique. Alors que tout semblait aller pour le mieux, Inaya était rentrée chez elle un soir et avait découvert sa petite sœur en train de pleurer. Elle avait appris que Câline était morte, renversée par le voisin qui s'était moqué de l'enfant et avait menti pour camoufler son crime.

Lorsque les Perdieu étaient rentrés chez eux ce jour-là, ils avaient découvert des voitures de police devant leur domicile ainsi qu'une ambulance emmenant leur voisin. Ce dernier, le bras fracturé, le corps couvert d'entailles et le pied transpercé d'un couteau, avait hurlé qu'Inaya était devenue folle et avait tenté de le tuer. Abasourdis, les parents s'étaient rués chez eux, les forces de l'ordre sur leurs talons. Ils avaient ainsi découvert leur fille adoptive dans la chambre de sa petite sœur endormie, lui caressant tendrement les cheveux. Elle avait quelques coupures sur le corps et un œil poché.

L'Égyptienne avait avoué son crime aux policiers, arguant cependant que c'était l'homme qui avait commencé le combat lorsqu'elle s'était rendue chez lui pour lui demander d'avouer le meurtre de son chat.

Cependant, lors du procès, le voisin avait fait remarquer les cicatrices de la jeune femme et, utilisant cet argument pour briser sa patience, il l'avait poussée à se jeter sur lui. Devant cet acte ainsi que ses antécédents, elle avait été incarcérée pour une année.

Depuis, elle avait vécu en prison, luttant pour survivre parmi les nombreux hommes qui l'avaient insultée à de multiples reprises, lui faisant perdre ses moyens. Cependant, après dix mois d'emprisonnement, elle avait reçu une lettre d'Émilie, qui, interdite de visite par ses parents, lui avait dit qu'elle l'attendrait à sa sortie. Ces mots avaient alors métamorphosé la jeune femme qui était devenue calme, encaissant les insultes et prenant sur elle. Elle avait rencontré la psychologue de la prison, et, avec son aide, avait reconstruit son esprit brisé pour le préparer au monde extérieur. Enfin, voyant qu'elle avait fait d'énormes efforts, Alma avait demandé au directeur de la prison de mettre à disposition de l'Égyptienne un SARV lui permettant de s'adapter à la vie en communauté par l'intermédiaire de Gillarg Stories.

Aujourd'hui avait été son premier essai et, d'après ce qu'elle avait compris de son entretien avec la psychologue, elle devait encore faire quelques efforts et elle pourrait enfin revoir sa petite sœur.

— Patience, Émilie, je serai bientôt à tes côtés.

Elle avait à peine fini de manger qu'une nouvelle gardienne de prison venait la chercher pour l'emmener dans la salle de jeu. Silencieuse, Inaya se laissa menotter et suivit sa guide sans rechigner. La jeune femme fut surprise de remarquer que, pour la première fois de sa vie, elle était un peu excitée à l'idée de revoir quelqu'un d'autre que sa petite sœur. En effet, elle ne pouvait s'empêcher d'apprécier la naïveté de Sylver, qui lui rappelait celle d'Émilie, et la nonchalance d'Ompreria. Même Ban lui avait presque manqué durant sa pause dans le monde réel. La prisonnière et sa gardienne arrivèrent à destination et cette dernière libéra les poignets de la détenue qui ne put s'empêcher de sourire.

— Eh bien, tu as l'air contente, matricule 1258, s'exclama la matonne. Que t'arrive-t-il ?

— Je ne sais pas trèsbien, madame. Je pense que, pour la première fois de ma vie, je m'amuse avecd'autres personnes, dit Inaya en pénétrant dans la salle où l'attendait leSARV.

Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top