Partie 3 Chapitre 17 : Une véritable ménagerie


— Miaou !

Le miaulement du chat réveilla l'humain qui s'agaça.

— Ulthar ! Pas si tôt le matin, s'il te plaît ! grommela-t-il, tout en caressant le félin qui se frottait contre lui.

Ce dernier essaya bien de se rendormir, mais c'était impossible à cause de son animal de compagnie qui, ne le voyant pas se lever, commença à sortir ses petites griffes aiguisées et à le griffer. Un cri de douleur s'échappa des lèvres de l'humain qui voulut saisir Ulthar pour se venger, mais habile, ce dernier sauta en bas du lit.

Ne pouvant plus retrouver le sommeil, l'homme se leva et soupira. Il dépassa le maine coon âgé d'un an et lui mit des croquettes dans sa gamelle. Heureux, le félin dévora son petit-déjeuner tandis que son propriétaire rejoignait la salle de bain pour se désinfecter. Il alluma la lumière de la pièce et se contempla dans le miroir tandis que le produit tuait les microbes de sa plaie, le faisant à peine grimacer.

Un jeune homme d'une vingtaine d'années le regardait au travers de la surface réfléchissante. Ses cheveux courts encadraient sa tête, s'unissant à sa barbe épaisse pour encercler complètement un visage rond. Le reflet et l'original croisèrent leur regard et ils se sourirent mutuellement, la lueur espiègle dans leurs yeux marrons s'illuminant.

— Aujourd'hui, je reçois enfin mes affaires !

Il se dirigea rapidement vers la porte d'entrée de son appartement avant de se souvenir qu'il était torse nu, avec seulement un bas de pyjama. Il opéra un demi-tour, enfila des vêtements à la va-vite, puis retourna vers la sortie.

— Ne fais pas de bêtises, Ulthar ! Je ne serai pas long !

Le chat observa son maître fermer la porte, la tête penchée sur le côté en entendant son prénom. Le jeune homme mit ses écouteurs et, tandis que le livre audio lui racontait avec attention les détails d'une nouvelle de H. P. Lovecraft, il se rendit à la poste de Clermont-Ferrand. Après avoir attendu quelques minutes, il récupéra son colis et, après quelques courses, il rentra.

Esquivant habilement son animal de compagnie qui se ruait sur lui pour lui faire la fête, il posa son paquet sur la table et le déballa après avoir retiré l'étiquette indiquant « Lucas Lecomte ». Retirant rapidement les vêtements du paquet, il sortit avec joie son SARV.

— Maintenant que je t'ai enfin, je vais pouvoir jouer à Gillarg Stories.

Tout content de pouvoir profiter de Gillarg Stories, il joua un peu avec son chat afin de le fatiguer et, lorsque ce dernier alla se coucher dans son arbre à chat pour se reposer, le garçon ferma la porte de sa chambre après avoir vérifié que le félin ne manquait de rien. Il se jeta sur son lit qui grinça légèrement sous son poids et se connecta à la machine.

Cette dernière lui avait été retirée il y a de cela six mois, juste après qu'il ait acheté et téléchargé Gillarg Stories. En effet, à la suite de la mort de ses parents cinq ans auparavant, le jeune homme avait dû vivre quelques années avec son oncle, son tuteur légal. Ce dernier, peu scrupuleux, avait essayé d'obtenir à tout prix la richesse de son frère mais malheureusement pour lui, Lucas était un garçon malin qui s'intéressait à tout. Utilisant ses connaissances en droit, il avait rapidement pu empêcher son « protecteur » de toucher à son argent et avait essayé de rapidement fuir sa demeure. Seulement, Stéphane Lecomte, aussi rusé que son neveu, avait réussi à lui subtiliser une partie de ses affaires, dont son SARV, lors du déménagement effectué six mois auparavant. Usant de nouveau de la loi, le jeune homme de vingt ans avait réussi à récupérer ses biens et était heureux de voir que rien n'avait été abîmé.

Alors que beaucoup d'adolescents auraient cherché à obtenir une vengeance pour tout ce que leur parent leur avait fait, Lucas, lui, s'en moquait. Il avait déjà obtenu ce qu'il voulait, c'est-à-dire réparation, alors il ne voulait pas s'embêter plus que cela.

Le SARV allait l'endormir lorsqu'il décida tout de même de retirer son t-shirt.

— Avec la chaleur de l'été, je risque de me réveiller trempé, pesta-t-il intérieurement en activant un ventilateur à l'aide d'une télécommande.

Un dernier coup d'œil à son téléphone lui indiqua qu'il était 10 heures. Cela lui laissait au moins trois heures de jeu en perspective avant de devoir se réveiller pour s'occuper de son repas et de son chat turbulent.

Excité, il confirma la connexion au SARV et son corps s'endormit immédiatement.

Surpris car c'était la première fois qu'il jouait, il se sentit tomber dans un espace blanc. Il perçut que sa chute se freinait et il posa délicatement le pied contre une surface invisible et solide.

— Bienvenue dans Gillarg Stories, dit une voix éthérée, résonnant autour de lui. Nous vous remercions d'avoir acheté notre jeu. La dernière mise à jour du 21 janvier 2076 a bien été téléchargée. Veuillez nous indiquer votre pseudonyme.

— Ompreria.

— Très bien, Ompreria. Pouvez-vous nous indiquer votre race ?

— Peux-tu me montrer les races animales s'il te plaît, jeu ?

Aussitôt, trois icônes apparurent devant lui. À sa gauche, il apercevait l'image d'un puissant lion, tandis qu'à sa droite, c'était celle d'un oiseau majestueux. Mais sa main se porta plutôt devant lui, en direction d'un dragon.

— Vous avez sélectionné la race des draconides, reprit la voix émanant de nulle part. Confirmez-vous votre choix ?

— Je confirme.

— Très bien, sélectionnez votre sous-race. Vous pouvez choisir entre les puissants Velcanides des volcans, les indestructibles Nyranides des montagnes noires, les discrets Dellanides de la banquise ou bien les mystérieux Mebanides.

Alors qu'il s'apprêtait à choisir les Dellanides pour profiter de leur compétence de race « Écailles adaptatives », qui permettait à son utilisateur de se cacher en s'immobilisant, sa curiosité le fit s'intéresser au dernier choix.

— Donne-moi les détails de la race Mebanide, s'il te plaît, jeu !

Répondant à sa demande, l'interface lui afficha un texte qu'il lut rapidement.

— Les Mebanides commencent le jeu avec deux points supplémentaires en Dextérité et en Intelligence. Leur compétence de race est le « Don de Méba », qui octroie à son possesseur des compétences et des sorts uniques supplémentaires en fonction de sa classe. Ils vivent sur une île couverte de brume, à l'exception de leur capitale appelée Mebazo, en référence à leur mère dragonne Meba. Le taux d'utilisation de la race des Mebanides est de 0,1 % chez les joueurs car, d'après les avis laissés, beaucoup trouvent que la compétence de race est trop aléatoire. C'est l'un des taux d'utilisation de race les plus bas du jeu.

Ces dernières données firent sourire Lucas. Comme d'habitude, il se sentait attiré par ce que les autres n'aimaient pas. Mais cela ne le dérangeait pas, bien au contraire. Il sélectionna donc cette sous-race et sentit alors son corps se modifier. Sa peau se couvrit d'écailles, lui donnant l'impression qu'il avait des démangeaisons partout sur son épiderme. Son crâne changea, s'étirant vers l'avant pour ressembler à la gueule d'un reptile et, tandis que l'adolescent grandissait, sa colonne vertébrale s'allongea pour former une queue venant contrebalancer son poids.

Le jeu annonça à Lucas qu'il allait l'envoyer dans le monde de Gillarg, le ramenant à la réalité après sa métamorphose. Il n'eut pas le temps de dire quoi que ce soit que le décor autour de lui se modifia, créant un dojo qui l'encercla. Alors qu'il pivotait sur lui-même pour admirer l'édifice nouvellement formé, il aperçut un vieil homme en tenue traditionnelle chinoise, les bras croisés dans son dos. Le sexagénaire sourit lorsqu'il croisa le regard du Mebanide et s'approcha de lui.

— Bien le bonjour, Monsieur Ompreria. Je suis Slort, le maître des classes.

Tandis qu'il prononçait ces mots, il claqua des doigts et un miroir apparut en face de l'homme-dragon qui put alors s'admirer. Il avait désormais l'air d'atteindre les deux mètres, lui qui bloquait pour son plus grand malheur quinze centimètres en dessous. Ses formes rondes avaient légèrement fondu et s'étaient raffermies pour former des muscles puissants, à l'exception de sa bedaine légèrement bombée. Ce détail le fit grimacer. Il aurait préféré la voir disparaître mais bon, sa transformation était déjà assez spectaculaire comme ça sans qu'il en rajoute. Ses écailles étaient d'un gris tirant vers le blanc et, alors que le jeune homme se rendait compte qu'il avait perdu ses cheveux et sa barbe, il découvrit une étrange ligne dorée autour de l'une de ses arcades. Ne sachant pas ce que c'était, il n'y prêta pas plus attention. Ses yeux dorés descendirent par réflexe sous sa ceinture et il grommela lorsqu'il se rendit compte qu'il n'y avait rien. C'était une étrange sensation mais il s'y habitua vite. Il continua pendant quelques instants à s'observer sous toutes les coutures, jouant avec sa queue pour comprendre comment elle fonctionnait.

— Excusez-moi, finit-il par dire à Slort lorsqu'il se rendit compte que le vieil homme l'attendait.

— Ne vous en faites pas, j'ai l'habitude. Il est normal pour les nouveaux joueurs de s'admirer une première fois avant de laisser le regard des autres vous juger. Avez-vous fini ?

— Oui, ne vous en faites pas, maître Slort. Je suis prêt à recevoir ma classe.

— Très bien. Puis-je vous demander si vous avez déjà fait votre choix ?

— En effet. Je souhaiterais choisir la classe Roublard.

Aussitôt, il se para d'habits sombres, d'une besace en bandoulière devant lui, barrée sur son torse, ainsi qu'une ceinture où pendait un revolver dans son étui.

— C'est un très bon choix, si je puis me permettre, le complimenta le maître des classes en s'inclinant. Je vous souhaite une belle aventure.

Et le dojo disparut.

Ompreria se retrouva soudainement sur une place qu'il reconnut. Il s'était renseigné du mieux qu'il avait pu et connaissait donc Initia, sa place et sa mairesse, Lyra. Cette dernière était devant son lieu de travail, discutant avec un trio d'aventuriers auxquels le Mebanide ne fit pas attention. Il attendit son tour qui vint rapidement et s'inclina devant l'humaine qui sourit, flattée par sa politesse.

— Bien le bonjour, gente damoiselle, s'exclama l'homme-dragon en tendant sa main griffue. Pourrais-je me rendre utile ?

— Eh bien, voilà un jeune homme bien au courant de la politesse, rougit Lyra en se laissant baiser la main. Quant à votre question, il s'avère que j'ai en effet du travail pour un volontaire comme vous. Une invasion de morts-vivants a lieu hebdomadairement. Pour l'en empêcher, il me faut des aventuriers prêts à trouver le Hollandais coulant, le vaisseau du capitaine Fli. Ce dernier m'en veut depuis que je lui ai mis un râteau et attaque donc ma ville dans l'espoir de me kidnapper. Je lui ai promis que s'il venait à bout des aventuriers, il pourrait m'enlever mais que, si jamais vous le battiez, il me laisserait tranquille pendant une semaine.

— Il est hors de question de laisser une demoiselle se faire enlever, s'exclama Ompreria, prenant un air outragé. Où puis-je trouver ce Fli ?

— Malheureusement, le lieu de sa cache change avec chaque attaque. Cependant, ses subordonnés doivent le savoir. Rendez-vous sur la plage des Damnés et affrontez trois zombies et trois esprits frappés. Cela devrait attirer la banshee Célavoile. Elle seule connaît l'emplacement du Hollandais coulant.

— Très bien ! Je m'en vais de ce pas occire cette Célavoile et vous libérer de la crainte de ce Fli ! dit solennellement l'homme-dragon en s'éloignant.

Lyra ne put s'empêcher de glousser en le voyant partir dans la mauvaise direction mais le clin d'œil de l'aventurier lui fit comprendre qu'il jouait la comédie, voulant simplement la faire décompresser. En effet, Ompreria avait remarqué que la mairesse semblait épuisée par son rôle et les différentes attaques que subissait sa ville. Alors, il avait voulu la faire rire.

Tandis qu'il marchait, il consulta son menu de compétences et de statistiques et détailla les premières.

— Visée ajustée : +5 à la Dextérité pour le prochain tir au pistolet. 3 min de recharge.

Balle ricochet : La prochaine balle rebondit deux fois après avoir touché une cible, infligeant 100 %, 50 % et enfin 25 % de votre Intelligence à chaque coup. 20 PM.

Piège facétieux : Inflige l'état Assommé à la cible pendant 2 secondes et 10 % de votre Intelligence en dommages. 1 min.

— Plutôt intéressant... pensa le joueur français en refermant les menus.

Ses pas le menèrent finalement à une grande étendue désertique rejoignant la mer. Cette dernière, paisible, venait recouvrir la plage délicatement, laissant une fine couche d'écume sur les grains de sable. Apercevant des silhouettes un peu plus loin, le Mebanide s'en approcha et vit alors trois zombies en train de harceler une petite forme couchée au sol.

Surpris dans un premier temps, le sang d'Ompreria ne fit qu'un tour. D'un geste vif, il saisit dans son sac en bandoulière un petit cube qu'il jeta sous les pieds du premier mort-vivant. Un « Clic ! » retentissant s'échappa de l'étrange mécanisme qui délivra alors une violente décharge électrique à la cible qui se figea. Voyant qu'un de ses agresseurs s'était immobilisé suite au « Piège facétieux » du Roublard, la petite silhouette se fraya un chemin entre ses jambes et, échappant aux deux autres zombies, elle rejoignit son sauveur.

Ne prêtant pas tout de suite attention à elle, le Mebanide tira à cinq reprises sur le premier adversaire, l'achevant. Il insuffla sa magie dans son pistolet et sourit en voyant les deux ressuscités côte à côte.

— Visée ajustée ! Balle ricochet !

Les deux pouvoirs se cumulèrent et la balle frappa le monstre de gauche, rebondit pour aller percuter le deuxième et revint achever le premier. Ompreria tira à nouveau mais son arme émit simplement un cliquettement.

— Attention, tu as un barillet de six balles ! Il faut que tu recharges ! lui indiqua une petite voix en contrebas.

Il sursauta et baissa la tête. Celle qu'il avait sauvée venait de lui donner ce conseil après avoir encoché une flèche dans son petit arc. Le projectile alla se ficher dans le crâne du zombie qui continuait de se rapprocher. Voyant que son arme n'était pas la meilleure, la petite forme encapuchonnée leva sa main et pointa le sol sous l'ennemi.

— Tentacule de cactus !

Aussitôt, la plante du désert poussa à pleine vitesse, percutant le monstre qui alla s'écraser plus loin, cette fois-ci retrouvant ses ancêtres. Abasourdi par l'efficacité de la petite silhouette, le Roublard regarda tour à tour le cadavre disparaissant du zombie et la petite forme qui venait de le détruire. Profitant du répit, cette dernière rejeta sa capuche en arrière et le Mebanide la détailla.

C'était une Quenaif, une femme-fennec. Elle mesurait environ soixante-dix centimètres et possédait deux grandes oreilles poilues qui s'agitèrent lorsqu'elle s'aperçut que l'homme-dragon l'observait. Possédant un pelage beige s'accordant à merveille avec la couleur du sable et des yeux bleus rappelant la couleur de l'onde, la dénommée « Saimirhamiss » le regardait en retour.

— Merci d'être venu à mon secours, Ompreria, le remercia-t-elle.

—Il n'y a pas de quoi. Un coup de main ?

— Non, je peux... commença la Quenaif en se figeant. Euh... Je veux dire oui, pourquoi pas. Cependant, appelle-moi Sémi, d'accord ? Ce sera plus simple pour communiquer.

— Pas de souci. Tu es aussi en train de faire la quête de Lyra ?

— En effet. J'en déduis donc que nous sommes à la recherche du même bateau. Vu que nous avons vaincu les zombis, il ne nous reste que les spectres. Tu en as vu en venant ici ?

— Non, malheureusement. Mais nous finirons bien par les trouver. Puis-je te poser une question un peu indiscrète ?

— Ça dépend, répondit Sémi, méfiante. L'homme s'amusa à observer les oreilles de la demoiselle se rabattre en arrière.

— Quelle classe as-tu choisie au début du jeu ?

— Oh ! J'ai choisi Enfant de la nature mais, vu ma race, le jeu m'a directement fait évoluer en Enfant du désert, expliqua la Quenaif, rassurée. Et toi ? Voleur, je me trompe ?

— Manqué ! s'exclama le Mebanide en lui tendant la main. Je suis un Roublard.

Au moment où la Quenaif saisissait sa main, elle reçut une petite décharge électrique qui lui fit hérisser le poil. Surprise, elle comprit en voyant le sourire amusé de son interlocuteur ainsi que le petit engin qu'il avait caché dans sa paume.

— Le roi de la rigolade ! grommela-t-elle.

Tandis qu'ils discutaient en prenant garde à ne pas se faire remarquer des morts-vivants, ils entendirent des voix s'élever derrière un rocher qui leur cachait la vue. D'un commun geste de la tête, ils se positionnèrent de part et d'autre de l'abri naturel et observèrent la source du raffut.

À quelques mètres d'eux, un homme-paon essayait de frapper trois fantômes portant des chaînes aux poignets avec ses poings, ses pieds et sa queue. Et derrière lui, un étrange petit bonhomme d'à peine trente centimètres piaillait en sautillant.

— Mais bon sang Sylver ! Arrête de danser et frappe-moi ces fantômes correctement ! Magne-toi ou c'est moi qui vais te cogner !

Malheureusement, les attaques physiques du dénommé Sylver ne semblaient pas atteindre le corps intangible des esprits frappés qui déployaient leurs chaînes pour blesser le Pao qui ne pouvait qu'encaisser. Comprenant que seule la magie pouvait blesser les apparitions fantomatiques, Sémi et Ompreria décidèrent mutuellement d'intervenir.

— Balle ricochet !

— Tentacule de cactus !

Les deux sorts percutèrent le groupe d'esprits qui ne s'y attendaient pas. Les attaques vinrent à bout des spectres qui disparurent sans laisser de traces. Surpris, Sylver chercha les auteurs de son sauvetage et aperçut le duo hétéroclite qui se rapprochait. Il s'inclina devant eux et, tandis qu'il se redressait, le Mebanide l'observa avec attention.

Le Pao était immense par rapport à ses congénères. D'ordinaire, les hommes-oiseaux ne dépassaient pas 1m60 mais celui-ci culminait presque à la hauteur d'Ompreria. Son plumage, d'un étrange vert pomme tirant sur le doré sur le bout de ses plumes, était ébouriffé par endroits, notamment aux alentours des manches rouges de son habit de moine tâché de sang. Saimirhamiss lui lança un sort de soin appelé « Sable doux » qui fit pousser un piaillement de soulagement à l'humanoïde paon. Cela fit sourire de nouveau le Roublard qui, voyant que les autres hommes-animaux avaient des mimiques animales, se demandait si sa queue repousserait comme celle d'un lézard. Tout à sa réflexion, il ne remarqua pas tout de suite que les yeux noirs du combattant l'observaient.

— Excuse-moi, je n'ai pas fait attention. Tu disais ? bégaya le Mebanide.

— Je souhaitais simplement vous remercier, Monsieur Ompreria. Et vous aussi, Dame Saimirhamiss.

— Gamin, tu peux oublier les Dames pour moi, grommela la Quenaif. Appelle-moi juste Sémi et ça ira.

— Pareil pour moi, renchérit le Mebanide, peu habitué à ce genre d'appellation.

— Excusez-moi...

— Mais tu vas arrêter de t'excuser et de les remercier à tout bout de champ, Sylver !

Surpris, les deux sauveurs du Pao sursautèrent en apercevant l'étrange petit bonhomme qui avait sauté sur l'épaule de Sylver. Portant une salopette verte et un grand chapeau marron dissimulant une partie de son visage à l'exception d'un œil marron qui semblait brûler de rage, il ressemblait à un gnome.

— Lepre, tu devrais les remercier aussi, s'exclama l'homme-paon. Sans eux, nous n'aurions jamais pu vaincre ces monstres.

— Tu parles ! grogna le gnome. Si tu m'avais écouté, on aurait réussi à s'en débarrasser sans problème.

— Veuillez l'excuser, il est tout le temps bougon depuis que je l'ai invoqué, s'excusa le Pao.

— Attends ! Tu es un invocateur ? s'étrangla Sémi.

— Je suis un Invoqueur pour être précis, la corrigea poliment l'homme-paon.

— Mais pourquoi te battais-tu au corps à corps ? C'est le rôle de ton invocation de se battre. Toi, tu dois le soutenir à distance avec tes sorts.

— Désolé, mais je n'ai pas de sorts, à l'exception de l'invocation de Lepre. Je possède uniquement des compétences de combat au corps à corps et, vu que Lepre peut me donner des bonus, je me suis dit que ce serait mieux si c'était moi qui recevais les coups.

Abasourdie par l'explication de Sylver, la Quenaif se frappa le front de sa petite paume.

— Mon dieu, mais qu'est-ce que c'est que cette classe ? grommela-t-elle.

Ompreria, amusé, se tourna vers celui qu'il identifiait comme un jeune garçon dans le vrai monde, à cause de sa façon de parler. Il lui serra à nouveau la main et sourit en le voyant tomber dans le même piège que l'Enfant du désert.

— Tu dois toi aussi effectuer la quête de Lyra, dit-il après avoir repris son sérieux. Veux-tu faire équipe avec nous ?

— Hors de question que je fasse équipe avec cette andouille ! s'exclama vivement Sémi, ignorant l'expression blessée de celui dont elle parlait.

— Au cas où tu n'aurais pas fait attention, nous sommes tous les deux des combattants à distance, reprit le Roublard sur un ton calme et froid. Sylver, quant à lui, est un combattant de corps à corps soutenu par un Leprechaun, une créature du domaine de la terre qui, si je ne me trompe pas, est fabuleusement douée pour la défense. Me trompé-je, Lepre ?

— Non, grommela l'intéressé en baissant son chapeau pour dissimuler sa gêne devant le compliment. Et crois pas que je t'aime bien parce que tu dis ça ! reprit-il pour se donner contenance.

— Dis comme ça, tu marques un point, répondit la Quenaif. Désolée, gamin, je n'aurais pas dû te traiter d'imbécile.

— Techniquement, tu l'as traité d'andouille, enchérit Lepre.

— Ce n'est pas grave, dit simplement Sylver. Vous êtes déjà pardonnée, Dame Sémi.

— J'ai dit quoi sur l'appellation ? grogna la petite femme-fennec tandis que le garçon s'excusait de sa méprise et que son invocation ricanait.

— Bien ! Maintenant que tout le monde est d'accord, allons faire cette quête ! s'exclama Ompreria, prenant par la même occasion la tête de l'équipe nouvellement formée.

Tandis que le trio discutait, aucun de ses membres ne fit attention à la silhouette qui se dissimulait derrière un rocher.

— Intéressante ménagerie que voilà. Voyons voir s'ils sont dignes de moi, murmura l'ombre en se laissant tomber en arrière dans un buisson, se cachant à la vue des hommes-animaux lorsqu'ils s'approchèrent.

Ompreria aux commandes, l'équipe revint sur ses pas et attendit, espérant l'arrivée du monstre qui devait désormais se manifester. Quelle ne fut pas la surprise de ses membres lorsque la banshee Célavoile apparut, levant ses deux mains en signe universel de paix.

— Je vous en prie, ne m'attaquez pas ! Je ne suis qu'un simple pion ! se défendit le spectre représentant une jeune femme magnifique. J'étais amoureuse de lui, du plus profond de mon cœur, et lorsqu'il a jeté son dévolu sur Lyra, j'ai voulu me débarrasser d'elle pour qu'il me regarde. Malheureusement, il s'en est rendu compte avant et m'a maudite, me transformant en banshee. Mais je vous jure que je regrette mes idées noires et je veux à tout prix me faire pardonner. D'après Fli, le seul moyen que je redevienne humaine, c'est d'aller m'excuser sincèrement auprès de Lyra.

Alors que Sylver et Ompreria baissaient leurs armes, attristés par l'histoire du revenant, Sémi grimaça.

— Pourquoi est-ce que votre bourreau vous aurait donné la solution à votre problème ? demanda-t-elle d'un ton se voulant neutre.

— Il me pensait trop hautaine pour que je me rabaisse à m'excuser, répondit sans sourciller la banshee. Et il avait raison. Il m'a fallu six mois pour ranger mon égo et pour me montrer à des joueurs pour leur demander de m'escorter auprès de Dame Lyra afin que je lui présente mes excuses.

Si les garçons ne remarquèrent pas l'erreur, la Quenaif, elle, sauta sur l'occasion. Ne réfléchissant pas, elle tendit la main sous Célavoile et incanta à toute vitesse :

— Tentacule de cactus !

Le végétal perça le sable fin et fouetta le monstre qui, aussitôt, se métamorphosa. L'illusion de la belle femme disparut, dévoilant à la place le spectre d'une vieille dame. À la place de sa bouche, elle possédait une mâchoire plus proche de la baudroie ainsi qu'un étrange appendice rappelant une lanterne. Surpris, Ompreria n'eut pas le temps de réagir qu'elle crachait une sorte de sphère. Lorsqu'elle éclata, une décharge sonore se manifesta, faisant exploser le sol et déchirant les restes du sort de Saimirhamiss. Mais Sylver, lui, ne réfléchissait pas et se battait bien plus à l'aide de ses réflexes qu'à l'aide de son cerveau.

Ainsi, lorsqu'il avait vu son alliée incanter, il avait demandé à Lepre d'invoquer un mur de terre entre eux et Célavoile. Ce fut donc la protection rocheuse qui subit la déflagration, se brisant sur le coup.

— Merci, gamin ! répliqua Sémi. Et toi, le lézard, réveille-toi, on va avoir besoin de tes balles !

Reprenant ses esprits, le Mebanide grogna envers la petite fennec qu'il était un homme-dragon mais s'apprêta à tirer.

— Balle ricochet !

Son projectile fusa droit sur le spectre et le percuta une première fois. Malheureusement, comme il n'y avait aucun autre adversaire, la munition s'éloigna.

— C'est bête mais je n'ai pas le choix, avait pensé Ompreria. Seule la magie peut toucher les spectres et, avec Sylver hors course, il va falloir que je ne tire qu'avec ce sort.

Mais l'homme-paon était imprévisible. Dès que le tir avait fusé, il avait bondi sur le chemin du rebond de la balle.

— Lepre ! Peau de pierre ! cria-t-il à l'intention de son invocation.

— Ne me donne pas d'ordre ! râla le leprechaun en s'exécutant.

Les poings du garçon se couvrirent de roche et il frappa le sort, le faisant ricocher droit sur Célavoile qui ne s'y attendait pas. En réalité, personne ne s'y était attendu, l'action impensable de l'Invoqueur avait surpris tout le monde, y compris l'ombre qui se terrait dans les buissons.

— Intéressant... se dit cette dernière en jouant avec une pièce entre ses doigts.

La silhouette profitait du spectacle, observant le trio lutter contre la banshee et fut surprise par les mouvements de l'homme-paon, l'ingéniosité du Roublard mais aussi par la versatilité de l'Enfant du désert. En effet, Sémi lançait ses sorts de soin et de dommages aux meilleurs timings, attendant une opportunité en projetant parcimonieusement ses flèches qu'elle enroulait de sorts afin de ne jamais tomber à court de projectiles tout en blessant l'ennemi. Et surtout, ce qui stupéfia l'ombre, ce fut lorsqu'il vit la petite fennec courir au corps à corps, esquiver les griffes du spectre, ramasser une partie de ses flèches et s'éloigner sans avoir subi le moindre dommage.

— Ça par exemple, ce sont des mouvements bien fluides pour une simple magicienne. Cela signifie donc... pensa l'ombre en souriant.

Alors que le Mebanide et la Quenaif se retrouvaient à court de PM, les empêchant d'utiliser de la magie, la banshee comprit qu'elle n'avait plus rien à craindre et se jeta droit sur le Pao qui se trouvait le plus proche d'elle. Ce dernier allait bondir quand une voix s'éleva de son dos.

— Frappe-cela et achève-la !

Un petit projectile apparut alors devant ses yeux et, n'étant que réflexe, le Pao tendit sa paume devant lui, percutant l'objet venant des cieux. Ce dernier partit si vite qu'il disloqua littéralement Célavoile qui ne comprit jamais ce qu'il lui était arrivé. N'ayant pas vu ce qu'il s'était exactement passé, Sémi s'énerva.

— Je croyais que tu n'avais pas de sorts !

— C'est en effet le cas, répondit simplement le jeune homme en cherchant du regard le possesseur de la voix qui venait de l'aider.

— Et ça, c'était quoi ? demanda Ompreria, suspicieux.

— Un simple jeton provenant de ma fortune.

Surpris, les trois hommes-animaux sursautèrent et pivotèrent en même temps en direction de la forêt d'où émergeait un humain. Habillé dans une tenue qui avait dû coûter cher autrefois mais qui aujourd'hui était abîmée, l'homme d'une trentaine d'années les regardait, ajustant ses lunettes mi-teintées qui leur permettaient de croiser ses yeux verts, foncés par le verre coloré. Voyant que son entrée avait été remarquée, l'inconnu sourit, dévoilant des dents si blanches qu'elles semblaient briller, et, en ôtant son chapeau, improvisa une révérence.

— Bien le bonjour, je me nomme Ban. Si cela ne vous gêne pas, j'aimerais rejoindre votre petite troupe.

— Bonjour, Monsieur Ban, s'exclama Sylver, enjoué. Merci pour votre aide.

— Mais de rien, jeune homme.

— Je reconnais qu'on vous en doit une, renchérit Ompreria. À toi aussi, Sémi. D'ailleurs, comment as-tu su que la banshee mentait ?

— C'était évident, soupira la Quenaif, dissimulant du mieux qu'elle le pouvait le sarcasme dans sa voix. La banshee a dit que cela faisait six mois qu'elle était transformée. Or, Lyra a dit qu'elle était la cible de Fli depuis l'arrivée des aventuriers, c'est-à-dire dès le début du jeu.

— Qu'est-ce qui ne va pas dans ces informations ? s'enquit le Pao, ne comprenant pas où voulait en venir son alliée.

— Le jeu est sorti il y a six mois. Mais le temps dans le jeu passe trois fois plus vite que dans le monde réel, expliqua patiemment la Quenaif, qui semblait s'assagir désormais lorsqu'elle s'adressait à l'Invoqueur. Donc cela aurait dû faire un an et demi.

— Eh bien, merveilleuse déduction, demoiselle Quenaif, la complimenta Ban en applaudissant.

— Sympa les compliments. Mais ça ne nous fera pas oublier votre filature, le coupa le Roublard en croisant les bras.

— Pardon ? s'exclama Saimhiramiss, une expression de colère apparaissant sur son visage.

— Vous m'aviez remarqué ? s'étonna le nouveau venu, surpris.

— J'avais un doute mais tu viens de te trahir tout seul, dit le Mebanide avec un sourire carnassier. Je me suis dit que si vous veniez d'arriver, vous auriez dû être essoufflé après avoir couru pour rejoindre la source du chahut. Ou alors, vous auriez dû attaquer la banshee directement, sans passer par l'intermédiaire de Sylver.

— Malheureusement, j'étais mal positionné pour vaincre Célavoile, se défendit l'homme en voyant le visage de la Quenaif. Et je me suis dit que, au vu des mouvements du gamin, il serait plus sûr de lui faire confiance.

— Et pourquoi donc vous nous suiviez ? l'interrogea le Roublard.

— Je voulais simplement voir s'il serait intéressant de faire équipe avec vous pour vaincre le capitaine Fli et son équipage.

— Je pense qu'on pourra se passer de vous, grogna la Quenaif. Je ne compte pas faire confiance à quelqu'un qui m'a espionnée et qui m'a regardée me battre sans bouger le petit doigt.

— De même, renchérit Ompreria.

— Pour ma défense, si la situation vous avait échappé, je serais intervenu, expliqua Ban. De plus, je suis au regret de vous annoncer que vous n'avez pas vraiment le choix. Le donjon du Hollandais volant ne peut se faire qu'à quatre. Et les invocations ne comptent pas, ajouta-t-il en voyant la fennec lancer un regard en direction de Sylver.

— Ce n'est pas grave, répliqua cette dernière. Nous trouverons un autre joueur.

— Malheureusement, je peux vous assurer que cela ne va pas être possible. Je faisais le guet hier soir devant le donjon et je n'ai vu personne. Vous êtes les premiers que je croise depuis hier dans le monde réel.

Malgré sa méfiance, Ompreria dut finir par accepter l'aide de Ban.

— Je suis désolé mais nous ne pouvons pas laisser le capitaine Fli continuer à attaquer sans cesse Initia, avait-il dit à Saimhiramiss qui refusait la présence de l'inconnu. Et dis-toi que c'est juste pour le donjon. Après, nous pourrons toujours nous séparer si tu préfères. Enfin, sache que, comme toi, je ne lui fais pas confiance. Alors, nous ne serons pas trop de deux pour le surveiller.

Réfléchissant au pour et au contre de la situation, la Quenaif finit par grommeler son accord mais elle se promit intérieurement de surveiller attentivement le nouveau venu. Voyant qu'il était accepté mais ne soupçonnant en rien le plan des deux aînés du trio, Ban lança un sourire à ses nouveaux compagnons.

— Je n'ai pas eu le temps de me présenter plus en détails. Je suis Ban, un humain de la classe Parieur et de niveau 4. En parlant de niveau, je vous conseille d'aller voir Lyra pour récupérer votre récompense. Comme je connais l'emplacement du navire, cela écourtera la quête de recherche en suivant les indications laissées par la banshee, dit-il en déroulant un parchemin énigmatique qui était apparu après la mort de Célavoile.

Écoutant ses conseils, les trois hommes-animaux se rendirent à Initia. Ils retrouvèrent la mairesse dans son bureau de fonction, luttant contre la paperasse. Ils lui expliquèrent qu'ils avaient découvert l'emplacement du Hollandais coulant. Lyra les félicita et ils gagnèrent plusieurs niveaux, les propulsant directement au même niveau que le Parieur. Une fois la quête leur demandant de vaincre Fli acceptée, le quatuor suivit Ban jusqu'à la plage où, contre toute attente, l'humain commença à se déshabiller.

— Personnellement, je préfère nager en caleçon plutôt qu'habillé. L'épave est après un petit tunnel sous-marin, non loin d'ici, confia-t-il en s'amusant de l'air étonné affiché par ses compagnons.

Ils l'imitèrent tous les trois et, après avoir rangé leurs équipements dans leur inventaire, ils plongèrent. Sémi, trop petite pour lutter contre les lames de fond, commença à se faire emporter par les courants marins mais Ban semblait avoir anticipé cela. Il l'attrapa, la faisant s'accrocher à ses épaules noueuses, et les guida ensuite vers l'accès au donjon, portant la Quenaif avec aisance. Rapidement, il leur indiqua du doigt une grotte. Ils s'en approchèrent et Ompreria sursauta en voyant une fenêtre de dialogue s'ouvrir devant eux.

— Souhaitez-vous pénétrer le donjon « Le Hollandais coulant » avec votre équipe ?

Ils acceptèrent et les quatre joueurs disparurent.

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