Partie 2 Chapitre 15 : Les Terres enneigées

Après l'assaut des bêtes enragées, une partie des villageois, Kuja et les aventurières se retrouvèrent tous dans la chaumière du maire. Cette dernière, possédant un vaste salon et de nombreux fauteuils, était d'ordinaire le lieu de rendez-vous des habitants de Morholt, notamment pour écouter les histoires contées par l'une des femmes du hameau, connue pour son talent d'oratrice. Seulement, aujourd'hui, la pièce était utilisée pour un conseil de guerre.

En effet, les membres de l'assemblée, à l'exception du dirigeant et des étrangères, voulaient pourchasser les marmottes survivantes pour les tuer, seul moyen d'éviter une nouvelle attaque, selon eux. Le Pao cherchait à calmer les ardeurs de ses compatriotes, mais ces derniers étaient pour la plupart des agriculteurs qui avaient vu leurs champs ravagés.

— Mes choux, mes pauvres choux, se lamentait l'un des fermiers.

— Si on ne fait rien, ces marmottes des neiges vont revenir et nous allons mourir de faim, criait le second.

— En plus, si nous les tuons, les chasseurs pourront préparer leur viande pour l'hiver prochain, ajoutait son voisin.

— Il faut venger mes choux ! s'exclama le premier en remplaçant sa tristesse par de la haine.

— Et puis, il faut penser aux enfants, renchérissait une mère. Si nous les laissons faire dans les champs, une fois qu'elles n'auront plus rien à manger, elles risquent de venir dans le village et pourraient attaquer les bambins.

Et tout cela dans une telle cacophonie qu'Elthir, Mei et Sanerte commençaient à sentir un mal de tête poindre. Kuja, installé face aux villageois en colère, les laissa cracher leur venin et, lorsqu'ils se rendirent compte que le dirigeant attendait, ils finirent par se taire.

— Tout d'abord, mes chers concitoyens, sachez que je comprends votre inquiétude. Cependant, je refuse que nous tuions ces animaux par pure vengeance. Il doit y avoir une raison pour qu'ils aient attaqué. C'est pourquoi j'aimerais que nos aventurières nouvellement arrivées enquêtent sur les raisons de cet assaut. Pendant qu'elles feront cela, j'aimerais que vous m'aidiez à déplacer les carcasses de celles déjà mortes. Il ne faudrait pas que le sang attire des prédateurs près de Morholt.

La solution proposée ne parut pas plaire à tout le monde, mais lorsque les récalcitrants croisèrent le regard posé du dirigeant, ils réfrénèrent leurs ardeurs et se mirent à prier silencieusement pour que l'enquête des joueuses se finisse rapidement.

Ces dernières attendirent que les villageois quittent la hutte avant de se tourner vers Kuja. Le Pao soupira, ses épaules se voûtant. Devant ses concitoyens, il avait fait comme si la situation était sous contrôle afin de ne pas les inquiéter plus qu'ils ne l'étaient déjà. Cependant, lorsqu'il était à l'abri de leurs regards, il ne put s'empêcher de perdre son calme de façade.

— Je suis désolé d'avoir parlé en votre nom sans vous avoir demandé votre permission, mais j'ai vraiment besoin que vous enquêtiez sur cette attaque, dit-il en se renfonçant dans son fauteuil.

— Ne vous en faites pas, monsieur Kuja, répondit Mei. Cependant, que souhaitez-vous que nous fassions exactement ?

— Pourriez-vous suivre leurs traces et enquêter sur les raisons de cet assaut ? D'habitude, les marmottes des neiges vivent de l'autre côté du lac, sur la terre ferme, et nous laissent en paix.

— Cela ne devrait pas poser de problème, s'exclama Sanerte en saisissant ses camarades par l'épaule. Allez, dépêchons-nous avant que la neige ne recouvre les empreintes.

Guidant Elthir et Mei dehors, la Nécromancienne prit la tête du trio. Tandis qu'elles se rendaient dans les plantations, elles purent voir que la plupart des villageois avaient commencé à suivre les directives de Kuja et, à l'aide de traîneaux plats mis bout à bout, ils déplaçaient les cadavres des marmottes en direction du lac Cryorite.

— Peut-être devrions-nous les escorter afin de les protéger ? proposa l'Assassine.

— Malheureusement, si nous faisons cela, la neige risque d'effacer les traces des pattes des survivantes, expliqua Sanerte non sans jeter un regard inquiet en direction des villageois.

— Ne t'en fais pas, Chérie. Je ne pense pas que des prédateurs s'approchent autant du village, conclut l'androïde en se penchant sur les empreintes.

Celles-ci se dirigeaient en direction de la berge est de l'étendue d'eau. Préférant rester discrètes, les deux elfes expliquèrent à la Mécatech qu'il était inutile qu'elle se métamorphose, ce qu'elle avait prévu de faire.

Le trio marcha donc dans la neige épaisse et, au bout d'une heure, elles finirent par apercevoir les marmottes des neiges. Sanerte se remémora ce qu'elle avait lu sur le comportement de celles-ci.

— Quelque chose cloche, murmura-t-elle à l'attention de ses amies. D'ordinaire, elles creusent des tunnels près des sapins car, après les choux des neiges, elles se nourrissent de pommes de pin. Or, ici, il n'y a ni présence de tunnels, ce qui signifie que leur migration de ce côté du lac est récente, ni sapin.

Ce dernier détail inquiétait beaucoup l'elfe à la peau sombre mais aussi l'androïde.

— Cela n'a pas de sens, grommela cette dernière. Aucun animal bien pensé ne quitterait son habitat naturel pour se diriger vers un lieu où il ne trouverait pas sa nourriture.

— Peut-être qu'ils ont décidé de changer d'alimentation ? s'exclama Elthir qui n'y connaissait rien.

— Chérie, parfois ta bêtise me sidère. Les animaux ne changent pas de régime alimentaire du jour au lendemain.

— Un bug alors ? se hasarda l'Assassine en essayant d'ignorer le ton sarcastique de sa camarade.

— Je ne pense pas, répondit Sanerte. Contournons-les et allons voir l'endroit où elles vivent habituellement.

Se faisant aussi discrètes que possible, les aventurières évitèrent soigneusement le troupeau de marmottes des neiges qui, visiblement, commençaient à creuser leur tanière. Il leur fallut trois heures de marche pour découvrir quelque chose sur la berge nord du lac. En effet, tandis qu'elle se plaignait de la neige qui ralentissait ses pas et gelait ses orteils, Sanerte sentit immédiatement la puissante odeur que le vent portait à son nez. Manquant de vomir tant l'effluve était infecte, elle se couvrit immédiatement la partie inférieure du visage et fit signe à ses camarades. Si Mei n'avait pas remarqué l'odeur à cause de son corps mécanique qui limitait son goût et son odorat, Elthir ne mit pas longtemps à se sentir elle aussi nauséeuse.

Les aventurières se rapprochèrent tant bien que mal de l'origine de la puanteur et se figèrent en découvrant le spectacle horrible qui les attendait. Devant un terrier gigantesque que les filles purent facilement attribuer aux marmottes des neiges, des croisements surprenants entre des loups et des renards, pour la majorité blessés, dévoraient des carcasses de petits herbivores.

— Des renices, souffla Sanerte qui se rappelait avoir lu un paragraphe sur ces animaux.

— Je comprends mieux la colère des marmottes, ajouta Mei en désignant les carcasses. Les renices ont dû les attaquer traîtreusement et ont profité de la surprise pour s'attaquer aux plus jeunes.

— Mais il y avait au moins une dizaine de bestioles qui ont attaqué le village, murmura Elthir. Et là, je ne vois que cinq charognards. Ça ne colle pas.

— Deux possibilités, expliqua la passionnée de livres. Soit le reste de la meute est en train de ramener des charognes dans leur propre tanière, soit un renice alpha est apparu.

— Un alpha ? demanda l'Hylisse.

— C'est un animal plus puissant que ceux de son espèce. Dans la plupart des villes du jeu, tu trouveras un panneau d'affichage demandant de chasser les membres alpha des espèces de la région car ils représentent de véritables fléaux pour l'environnement. Pour te donner une idée, un mini-boss équivaut au niveau d'un alpha. Sauf que ces derniers sont en liberté dans la nature, contrairement aux premiers qui sont cloîtrés dans leur donjon.

— Oublie ta première option, la coupa l'androïde qui examinait les traces dans la neige. S'ils avaient traîné des corps loin d'ici, on devrait voir des marques dans le sol. Or, il n'y a rien. C'est donc un alpha !

— Dans ce cas, il nous faut immédiatement prévenir Kuja. Sans son aval, nous ne pourrons pas chasser le renice alpha.

Et sur ces mots, la Nécromancienne sortit sa pierre de retour et l'activa en s'exclamant « Morholt ». Ses coéquipières firent de même et toutes se retrouvèrent devant le hameau. Visiblement, les villageois avaient terminé leurs labeurs et rentraient dans leurs chaumières tandis que les soleils se couchaient à l'horizon. Derrière les maisons, la cryométéorite se colorait de rouge sous l'effet de la lumière déclinante, lui donnant l'air d'abriter en son cœur des flammes dansantes. Si les filles n'avaient pas été aussi pressées, elles auraient certainement pu prendre un peu de temps pour contempler la beauté du paysage.

Elles pénétrèrent dans la demeure du Pao qui sursauta en les voyant débarquer.

— Vous voilà. Je commençais à m'inquiéter. Qu'avez-vous donc découvert ? demanda-t-il en distinguant leurs expressions sombres.

— Kuja, votre ville est en danger. Nous avons la certitude qu'un renice alpha est apparu, ce qui a causé le départ des marmottes des neiges, s'exclama Mei, insistant bien sur le mot « certitude ».

Le maire se figea en apprenant la nouvelle et manqua de perdre l'équilibre tandis que ses jambes cédaient. Elthir, vive, s'était précipitée à ses côtés pour le soutenir dès qu'elle l'avait vu trembler. Il la remercia et, s'appuyant sur elle, il alla s'asseoir dans son fauteuil.

— Que Mach me pardonne, mais bon dieu que se passe-t-il ? finit-il par dire, exaspéré.

Étonnée par son ton mais aussi par le fait qu'il avait juré sur le nom du dieu suprême du panthéon des hommes-oiseaux, Sanerte l'observa. Il ne semblait pas si étonné par la nouvelle qu'elle et ses camarades apportaient.

— Vous étiez déjà au courant ou je me trompe ? finit par demander la Nécromancienne, sa voix hésitante entre la question et le reproche.

— Malheureusement, oui, répondit le maire en grimçant lorsqu'il saisit la nuance. Ou du moins, je savais que le village était en danger. Je suis un Constellationniste ainsi qu'un Astrologue. Je suis capable de lire dans les étoiles l'avenir et le passé même si cela reste souvent approximatif. J'avais remarqué que quelque chose menacerait bientôt Morholt mais j'ignorais que c'était la présence d'un alpha. C'est d'ailleurs pour cela que j'avais envoyé une lettre à Viktor en lui demandant s'il voulait bien me conseiller des aventuriers.

— Pourquoi ne nous avoir rien dit quand nous sommes arrivées ? le questionna Elthir.

— Je ne voulais pas que les villageois l'entendent, grommela le Pao. Je voulais attendre que vous soyez dans ma demeure pour vous en parler mais l'attaque nous a pris de court. Puis, ensuite, lorsque je vous ai demandé d'enquêter, je n'ai pas jugé bon de vous avertir car je me doutais que vous alliez trouver le danger par vous-mêmes.

— Nous aurions pu périr, renchérit Mei.

— Viktor m'avait dit dans sa lettre que vous étiez dignes de confiance. Cependant, je m'excuse de vous avoir manipulées. J'aurais dû vous expliquer la situation.

Kuja se releva et s'agenouilla.

— Malgré ma bêtise, accepteriez-vous tout de même de chasser cet alpha pour moi ?

Surprises par son geste, les aventurières se regardèrent. Elthir, voyant que ses alliées ne semblaient pas s'offusquer du mensonge de l'homme-paon, sourit.

— Du moment que vous ne nous mentez plus, nous acceptons.

— Du fond du cœur, je vous remercie. Je vais vous laisser vous reposer, la marche dans la neige a dû vous épuiser. Demain matin, je vous remettrai le droit de chasser l'alpha.

Mei voulut insister pour aller affronter la bête sur le champ, mais Sanerte fut plus rapide qu'elle. Elle avait remarqué que son corps la lançait et ne voulait pas combattre en étant diminuée, d'autant plus contre un monstre aussi puissant que celui qu'elles devaient vaincre. Aussi, elle salua poliment le dirigeant et força l'androïde à se diriger à l'étage où les attendaient des chambres individuelles.

— Pourquoi tiens-tu à ce que nous nous reposions ? grogna Mei.

— Je ne sais pas pourquoi mais mon corps est épuisé. Et même si ce n'est qu'un jeu, je ne veux pas mourir bêtement contre le renice. Alors, dormons, passons la nuit et demain matin dans le jeu, occupons-nous de lui au maximum de nos forces.

Elthir hocha la tête, en accord avec l'elfe à la peau sombre. Elle aussi sentait des courbatures dans ses jambes et elle souhaitait aussi se donner à fond demain, lors du combat. Elle laissa ses camarades et alla s'allonger dans le lit. Elle savait qu'au moment où elle fermerait les yeux, le jeu lui proposerait de passer la nuit comme dans un jeu classique.

Au début, lorsqu'elle avait appris que cette fonctionnalité existait dans un MMORPG comme Gillarg Stories, elle s'était demandé comment cela était possible et s'était renseignée. Les développeurs avaient expliqué, dans une interview, que le temps pouvait être passé dans le jeu tout simplement en dormant. En faisant cela, le SARV faisait dormir artificiellement le joueur et le réveillait le lendemain matin. Les nuits duraient environ cinq heures du jeu, ce qui équivalait en réalité à une heure et demie dans la vie réelle. C'était une perte de temps mais les créateurs de Gillarg Stories avaient expliqué que certaines choses n'étaient obtenables qu'en faisant cela. Ce fut donc sur cette pensée qu'Elthir s'endormit, espérant secrètement que quelque chose se passerait dans son sommeil.

Malheureusement, le lendemain, elle se réveilla comme si elle avait dormi paisiblement dans le monde réel. L'elfe quitta sa chambre en soupirant, triste de ne pas avoir vécu un événement particulier. Elle retrouva sur le perron Mei et Sanerte qui semblaient, tout comme elle, avoir espéré la même chose. Voyant qu'elles pensaient pareillement, les filles se sourirent et descendirent à la rencontre de Kuja. Ce dernier semblait déjà réveillé et leur tendit une feuille de papier.

— En tant que maire de Morholt, je déclare Elthir l'Assassine, Mei la Transmech et Sanerte la Nécromancienne autorisées à affronter le renice alpha.

Aussitôt, un onglet apparut devant les joueuses.

— Nouvelle quête acceptée. Venez à bout de Mal'Ice, le renice alpha.

Le trio se hâta de sortir de la chaumière et, ne voulant pas perdre de temps, l'androïde se changea en moto, portant ses camarades au nord du lac Cryorite. Cette fois-ci, voulant éviter le troupeau de marmottes des neiges, Mei roula sur la berge ouest, permettant à ses passagères d'admirer un nouveau paysage. En effet, elles purent voir le lever du soleil à travers la cryométéorite, créant un étrange entrelacement d'arcs-en-ciel dans la glace. Tandis qu'elles s'émerveillaient toutes les trois devant le spectacle, une fenêtre de dialogue se forma dans leur champ de vision.

— Pour avoir assisté à un spectacle digne d'une merveille naturelle, vous obtenez un bonus d'expérience.

Leurs corps s'illuminèrent et elles gagnèrent un niveau.

— J'ignorais que l'on pouvait gagner un niveau ainsi, s'exclama Mei lorsqu'elle fut revenue de sa surprise.

— Moi non plus, renchérit Sanerte.

— Pour une fois, je sais quelque chose que vous ignorez, se félicita Elthir. Les créateurs de Gillarg Stories ont voulu récompenser les joueurs qui prenaient le temps d'admirer leur travail et ont dissimulé ce genre de bonus d'expérience un peu partout dans le jeu.

Elles discutèrent sur ce sujet durant le reste du trajet mais se turent dès qu'elles arrivèrent près de la nouvelle tanière des renices. Lorsqu'elles furent sur place, car Mei avait dû redevenir humaine avant d'atteindre leur destination pour que son moteur n'alerte pas les bêtes, les aventurières purent apercevoir leur cible, couchée au centre du cratère menant à la tanière.

Comme ses congénères qui l'entouraient, il possédait un pelage touffu aussi blanc que la neige. Son museau était un croisement parfait entre un renard et un loup. Il rappelait à l'androïde le loup à crinière, une espèce originaire de l'Amérique du Sud qu'elle avait étudiée en pensant qu'il était un hybride. Cependant, même si l'animal ressemblait à un goupil aux longues pattes, elle avait découvert qu'il était une race à part entière.

Cependant, la ressemblance avec les autres renices s'arrêtait là pour Mal'Ice. En effet, à la place de la queue touffue que l'on prêtait aux membres du genre Vulpes, il possédait une mâchoire gigantesque munie de crocs si grands qu'ils dépassaient de la gueule écumante et couverte de poils s'assombrissant sur la pointe. En plus de deux cornes semblant capables d'empaler tout gêneur, il possédait une sorte de crâne recouvrant sa face d'où s'échappait une curieuse langue violette bifide.

Tandis que les aventurières l'observaient, son étrange mâchoire supplémentaire se figea et se mit à humer l'air. La tête principale darda son regard perçant autour d'elle, cherchant à découvrir la source de l'étrange odeur que son homologue caudale percevait. Comprenant qu'elles allaient se faire repérer, Sanerte sourit.

— Amitié macabre !

Son incantation, quasiment soufflée tant elle avait fait attention à ne pas faire de bruits inutiles, s'activa de l'autre côté du Mal'Ice. Ce dernier tourna immédiatement sa gueule normale en direction de Mickey qui le chargea. Aussitôt, les autres renices sautèrent sur le mort-vivant, se lançant dans une bataille impossible pour le ressuscité. Cependant, pendant que tous les monstres s'affairaient à combattre le nouvel ennemi, les aventurières, elles, sortaient de leur cachette, prêtes à attaquer par surprise l'alpha.

Alors qu'elles se tenaient sur les bords du cratère, les joueuses s'apprêtaient à agir lorsque le Mal'Ice tressaillit. Aussitôt, il fit faire à sa queue un arc de cercle. Durant le geste, l'étrange gueule s'ouvrit, libérant une masse noire de ténèbres qui se compacta en cinq endroits différents, formant des sphères qui foncèrent en direction des combattantes. Elthir lança l'une de ses lames tout en se jetant à couvert pour échapper à l'assaut d'une des boules et Sanerte utilisa sa nouvelle compétence pour que sa faux puisse parer les deux attaques qui lui étaient destinées à sa place. Elle se savait suffisamment habile pour le faire elle-même, mais cela lui permettait d'incanter son « Nuage nécrotique ». Quant à Mei, elle sourit en voyant les deux projectiles d'ombre foncer dans sa direction.

— Vengeance de Lei !

Elle encaissa la violence du choc en se cramponnant à sa claymore plantée dans le sol et, tandis que cette dernière se métamorphosait, l'androïde fulminait. Pour une fois, elle allait pouvoir utiliser sa compétence sans avoir à risquer la vie de ses camarades. Le canon électro-magnétique se chargea en un instant et le rayon qui s'en échappa percuta le centre du cratère, le faisant littéralement exploser. Si cette attaque vaporisa les renices, le Mal'Ice jaillit d'entre les gravats soulevés par la déflagration, le poil légèrement roussi. Une expression malicieuse se dessina sur sa gueule. Cette fois-ci, de sa queue jaillit une traînée de flammes aussi sombres que les ténèbres et enveloppèrent les rochers encore en pleine ascension. Surprise, la Mécatech ne comprit pas ce que préparait la bête et ne put donc pas réagir à temps.

Le renice alpha poussa un rugissement si puissant qu'il projeta les projectiles enflammés droit sur le trio. Une partie de l'attaque percuta de plein fouet Sanerte et Mei qui hurlèrent de douleur, leurs points de vie dévorés par le feu malin. De son côté, Elthir vit une ouverture. En effet, plus agile que ses camarades, elle réussit à louvoyer entre les gravats et cueillit la bête bicéphale au moment où il allait retomber.

— Entaille ! Lame enduite !

Ses deux attaques touchèrent de plein fouet le monstre qui grogna à son tour à cause de la douleur. Le poison et l'hémorragie commencèrent à faire effet, l'affaiblissant doucement mais sûrement. Furieux, le Mal'Ice essaya de dévorer à l'aide de ses deux gueules l'impertinente qui venait de le faire souffrir, mais l'Assassine esquivait toutes ses attaques. Elle dansait littéralement, se baissant lorsque la queue tentait de la happer, reculant devant les crocs de la mâchoire principale, ses pieds ne cessant jamais d'être en mouvement. Dès qu'elle voyait une ouverture, elle en profitait, assénant un coup de dague.

Sanerte et Mei finirent par cesser d'être rongées par le feu malin de la bête et, après avoir bu des potions de soin, elles se jetèrent au secours de leur amie. Immédiatement, le combat tourna en faveur des jeunes femmes. Elles attaquèrent comme des furies, réduisant la jauge de vie du monstre à toute vitesse. Cependant, lorsque cette dernière atteignit trente-cinq pour cent, le Mal'Ice bondit dans les airs. Ne s'y attendant pas, les joueuses n'eurent pas le temps de réagir.

Profitant du répit que lui offrait son saut, le renice alpha poussa un rugissement double à l'aide de ses deux gueules et la chute de neige se fit plus dense, un blizzard couvrant bientôt le cratère. En moins de quelques secondes, Elthir ne put plus voir à plus d'un mètre d'elle et le vent mugissant couvrit les bruits de pas de la créature. Elle eut cependant tout juste le temps d'apercevoir une sphère de ténèbres apparaître devant elle. Elle voulut esquiver, anticipant le fait que la neige la ralentirait. Cependant, elle fut étonnée de se mouvoir normalement. Malheureusement, elle avait prévu trop de forces dans son saut et s'exposa complètement à une autre attaque. La boule d'ombre percuta son bras qui s'alourdissait immédiatement, la déséquilibrant.

De son autre main, elle projeta sa dague mais cette dernière ne sembla pas toucher sa cible, dissimulée derrière le rideau élémentaire. Mei était dans le même cas qu'elle. Elle tentait bien de balayer la zone avec ses tirs de fusil à ions mais le Mal'Ice semblait s'évaporer après chaque attaque. De plus, ne pouvant rien voir, elle subissait ses attaques en grimaçant.

Seule Sanerte semblait réussir à se prémunir de ces dernières. Sa faux tournoyait devant elle, elle réussissait à dévier les assauts, mais cela l'obligeait à se cantonner à la défense, la privant de tout moyen d'attaquer.

— Si je ne fais rien, nous n'aurons aucune chance de le vaincre, grommela intérieurement la Nécromancienne.

Une main l'agrippa alors par l'épaule. Surprise, la jeune femme manqua de subir un nouvel assaut de la part d'un projectile de feu malin. À côté d'elle, Mei se cramponnait à elle, bravant les éléments pour communiquer.

— Utilise ta troisième invocation ! cria l'androïde, sa voix couvrant tout juste le mugissement du vent.

— De quoi tu parles ? essaya de mentir Sanerte en déviant la mâchoire caudale du renice alpha.

— Ne te fous pas de moi ! Je sais que tu nous caches ton dernier mort-vivant et que c'est lui qui nous a aidés contre la chimère ! Je m'en moque des raisons pour lesquelles tu ne veux pas qu'on le voie mais si c'est juste ça, alors je te fais confiance. Je fermerai les yeux, me condamnant à une mort certaine mais tant pis.

Et sur ces mots, elle recula, la neige l'emportant. Prise au dépourvu, la Nécromancienne ne savait plus quoi faire. Elle voyait bien que les jauges de vie de ses amies étaient proches de zéro et qu'elle ne tarderait pas elle aussi à succomber. Mais l'idée d'invoquer cette chose la dégoûtait plus que tout au monde. Elle s'était refusée à l'utiliser à moins d'avoir pas le choix.

— Alors, pourquoi l'as-tu utilisée contre la chimère ou contre Neid ? lui souffla une petite voix dans son crâne.

— Je... Je n'avais pas le choix...

— Et là, tu as le choix ?

— Non... Mais il est si dangereux.

C'était cette ultime pensée qui la bloquait. Elle n'arrivait pas à contrôler cette invocation, peu importe ce qu'elle essayait. La seule chose qu'elle pouvait faire, c'était fuir en attendant qu'il soit détruit ou qu'elle meure.

— Si je l'invoque, il va nous tuer... à moins que... pensa-t-elle.

Son plan était idiot mais elle savait qu'elle n'avait désormais plus aucun choix. Elle activa sa « Danse des limbes », libérant ses mains tout en se protégeant.

— Viens à moi, toi que j'ai rejeté après t'avoir bafoué. Viens à moi, créature millénaire qui a eu le malheur de croiser ma route. Traverse les tabous que j'ai brisés le premier jour pour me rejoindre. Détruis les murs de la raison et viens. J'ai besoin de toi, de ta force antique, de ton amitié macabre. Viens à moi, Sanerte !

Ces derniers mots résonnèrent dans le blizzard et un déchirement retentit. Le sol du cratère se mit à trembler si fort que les trois aventurières s'écroulèrent tandis qu'un mur semblait les entourer. Complètement paniquée, Elthir, qui ne savait pas ce qu'il se passait, voulut hurler mais son cri se bloqua dans sa gorge lorsqu'elle discerna une immense ombre s'élever devant elle. Elle la reconnut immédiatement.

— C'est la chose qui a affaibli la chimère famélique, pensa-t-elle tandis que la silhouette poussa un rugissement si puissant qu'il dispersa le blizzard.

Aussitôt, les filles furent aveuglées par les rayons du soleil, les empêchant de discerner quoi que ce soit. Cependant, leurs oreilles leur retransmirent sans problème le combat qui opposait l'apparition et le Mal'Ice. Ce dernier poussa un hurlement mais bientôt, des craquements inquiétants retentirent, suivis d'un son que Mei identifia comme celui d'un liquide recouvrant le sol à quelques mètres d'elle. Se hasardant à ouvrir un œil, elle se figea.

Autour d'elle et de ses amies, le squelette enroulé représentant un immense mille-pattes se tenait immobile. Déglutissant devant les morceaux de chair putréfiée présents par endroits sur les os de la créature, l'androïde se força à relever la tête et faillit fermer les yeux immédiatement.

S'élevant au-dessus d'elle, la tête de la scolopendre était penchée au-dessus d'elles. Mais, à l'endroit où auraient dû se tenir les yeux de la bête, il y avait le corps d'une jeune femme que la Mécatech reconnut immédiatement.

Nécrosée en partie, dévoilant parfois sa chair ou encore ses os, Sanerte la dévisageait. Une partie de ses cheveux avait chuté, laissant paraître un crâne couvert de croûtes à l'exception d'une zone tuméfiée. À la place de ses bras, elle possédait des manches en bois pourri qui étaient reliées aux chélicères du scolopendre, telles deux faux aussi tranchantes que des lames. Enfin, au centre de son buste, un immense trou, parfaitement concentrique. Lorsqu'elle croisa le regard de la créature, Mei comprit enfin pourquoi son amie n'avait jamais révélé son dernier mort-vivant. Et elle se jura de lui demander pardon.

À ses côtés, la Nécromancienne, la vraie, se releva.

— Elthir, peux-tu me promettre de ne pas ouvrir les yeux, s'il te plaît ?

— Euh... Oui, je crois, dit timidement l'Assassine qui se couvrit par instinct les paupières avec ses mains. Pourquoi ?

— Merci. Désolée pour ce qui va arriver mais je n'ai pas le choix.

Surprise par le ton de la jeune femme, Mei tourna la tête dans sa direction. Elle eut tout juste le temps de faire ce geste que le monstre qui se tenait au-dessus d'elles rugit et se jeta sur elles. Cependant, Sanerte ne lui laissa pas le temps d'agir.

De sa main experte, elle fit dessiner à sa faux un arc de cercle et s'ôta la vie, disparaissant immédiatement. Aussitôt, l'invocation fit de même, à moins d'un mètre des têtes de Mei et d'Elthir. Cette dernière, ne comprenant pas ce qu'il s'était passé, essaya de tendre l'oreille tout en gardant les yeux fermés.

— Sanerte, que se passe-t-il ? C'était quoi ce cri ? Pourquoi ne veux-tu pas que j'ouvre les yeux ?

— Tu peux les ouvrir maintenant, Elthir. dit Mei en essayant de ne pas trahir ses émotions.

L'Assassine s'exécuta et chercha du regard l'Hynine.

— Où est... Attends une seconde, je rêve ou tu m'as appelée Elthir ? s'étonna l'Assassine.

— Oui, tu as rêvé, Chérie, se reprit l'androïde. Maintenant, allons rejoindre Sanerte. Ce que tu as entendu, c'était le cri du renice alpha qui a lancé une attaque terrifiante. J'étais terrorisée et, en voyant ma réaction, Sanerte a préféré te préserver et s'est sacrifiée pour le vaincre. Mais désormais, c'est fini.

Et sur ces mots, elle se métamorphosa en moto. Un peu curieuse, Elthir essaya de lui demander plus de détails mais l'androïde se faisait avare en descriptions, se contentant simplement de dire que c'était digne d'un cauchemar. Alors qu'elle allait enfourcher son amie, l'Hylisse remarqua une fourrure par terre. Reconnaissant celle du Mal'Ice, elle la récupéra et elles rentrèrent à Morholt.

— Je suppose qu'elle a besoin d'un peu de temps pour se remettre de l'apparition, se dit intérieurement l'elfe lorsque ses pensées se demandèrent pourquoi elles n'avaient pas utilisé leurs pierres de rappel.

Lorsqu'elles arrivèrent au hameau, elles se dirigèrent immédiatement vers la demeure de Kuja qui les attendait sur le perron.

— Votre amie m'a déjà tout raconté, dit-il avec bienveillance en les faisant entrer. Elle est partie voir notre cordonnier pour se faire faire des bottes adaptées au froid.

— Merci de votre accueil, Kuja, répondit poliment Elthir. Maintenant que nous avons vaincu les renices et leur alpha, votre village devrait pouvoir cesser de craindre pour sa paix.

— Je n'en suis pas si sûre, malheureusement, rétorqua Mei. Nous n'avons pas élucidé la principale question.

— Laquelle ? demanda une voix qui les fit sursauter.

— Sanerte ! s'exclama Elthir en se jetant dans ses bras. Tu vas bien ? Tu t'es remise du cauchemar du Mal'Ice ?

Surprise par la question, l'elfe à la peau sombre allait faire une réflexion lorsqu'elle croisa le regard de Mei. Cette dernière lui fit un clin d'œil et elle comprit.

— Oui, je m'en suis remise. Merci de t'inquiéter pour moi. Mais j'avoue que c'est plutôt le froid qui va finir par me nuire. Je suis allée demander de l'équipement plus chaud et j'avoue que j'aime bien.

Elle montra ses bottines rembourrées en fourrure de marmotte des neiges.

— Si tu as si froid que ça, prends la fourrure du Mal'Ice et demande un autre équipement, lui proposa Elthir. En plus, elle te revient de droit car, après tout, c'est toi qui l'as vaincu.

— Merci, j'irai tout à l'heure. Pour l'instant, j'aimerais savoir de quoi vous parliez.

— Je faisais référence à la question qu'on aurait dû se poser dès le début, expliqua Mei en revenant là où elle en était avant d'être interrompue. Pourquoi donc les marmottes des neiges nous ont-elles attaquées ?

— Parce que les renices les ont chassées de leur territoire, non ? répondit la Nécromancienne en prenant place dans un fauteuil près de la cheminée.

— En effet. Maintenant, pourquoi les renices ont-ils attaqué les marmottes ?

— Euh... Parce qu'ils avaient faim ? se hasarda l'Assassine en s'asseyant à son tour.

— Je ne pense pas, expliqua Kuja, qui semblait comprendre où voulait en venir l'androïde. Les renices sont à l'origine des charognards. En cas de famine, ils se seraient plutôt attaqués aux maclaces, les singes vivant près des cavernes des renices. Ils sont des proies plutôt simples à abattre.

— Peut-être que la présence du Mal'Ice leur a donné un courage insoupçonné ? essaya de nouveau l'elfe des glaces.

— Chérie, si tu ne sais pas, tais-toi ! s'emporta Mei. Les renices étaient en train de faire de la grotte des marmottes une nouvelle tanière ! De plus, ils étaient couverts de blessures !

— Ce qui veut dire qu'ils fuyaient eux aussi quelque chose ! s'écria Kuja. Mais je ne connais pas d'autres prédateurs capables d'apeurer un renice alpha.

— Monsieur Kuja, y a-t-il un donjon proche du lieu de vie des renices ?

— C'est exact.

— Alors nous avons certainement affaire à un « Dungeon Break », grommela l'androïde.

— Un « Don Juan Bec » ? répéta maladroitement Elthir.

— Un « Dungeon Break », la reprit Sanerte en gloussant. C'est un phénomène dont on ne connaît pas les raisons d'existence. Tout ce que l'on sait, c'est que lorsque cela arrive, le boss du donjon s'échappe de son domaine et apparaît dans le monde ouvert. Il devient démesurément puissant et commence à détruire tout ce qu'il trouve sur son chemin. Le premier « Dungeon Break » de l'histoire de Gillarg Stories a eu lieu un mois après le début du jeu dans un donjon près de Korag, la capitale des Korages, les orcs sauvages. Un donjon de niveau 70 s'est brisé et son boss a ravagé la ville de Korag, tuant une grande partie des orcs sauvages. Les joueurs ont dû se rassembler pour affronter Gom'ka, le boss du donjon qui était passé au niveau 120. Heureusement, l'arrivée de puissantes guildes a permis de juguler ses actions et ils ont fini par le terrasser.

— C'est terrifiant, murmura l'Assassine en portant sa main à ses lèvres, choquée.

— Heureusement, on peut facilement empêcher les « Dungeon Break » en réalisant le donjon lorsque ce dernier commence à se fragiliser, continua la Nécromancienne. D'après vos indications, Monsieur Kuja, je dirai que c'est le donjon « L'ombre du Glacier » qui est sur le point de se briser. Nous avons de la chance, il est de notre niveau.

— Donc, on peut empêcher cette catastrophe d'arriver ? s'exclama Elthir, de l'espoir dans les yeux.

— Exactement, répondit Mei. Sanerte et moi, nous allons faire faire l'équipement avec la fourrure du Mal'Ice, Elthir, tu t'occupes d'aller acheter quelques potions.

L'Hylisse hocha la tête et s'exécuta. De son côté, Sanerte soupira. Elle s'était doutée qu'elle devrait discuter avec la Mécatech. En silence, elles sortirent toutes les deux de la demeure du maire et, une fois leur commande passée chez le cordonnier-couturier, elles s'assirent sur le perron de sa porte. Au bout de quelques secondes, les deux filles se tournèrent.

— Désolées ! s'exclamèrent-elles en même temps.

Amusées, elles se sourirent et Sanerte laissa la parole à son amie.

— Je voulais m'excuser de t'avoir obligée à utiliser ton invocation. Je n'aurais pas dû...

— Ce n'est pas ta faute. C'est plutôt à moi de m'excuser de vous avoir caché son existence. Si je vous avais prévenues, nous n'en aurions pas été réduites à l'utiliser ainsi.

Un silence suivit sa déclaration. Il fallut un peu de temps à l'androïde pour trouver le courage de poser la question qui la taraudait.

— Qu'est-ce que c'est ?

Sanerte soupira, rassemblant à son tour ses forces pour pouvoir donner la vérité qu'elle refusait de prononcer depuis maintenant deux semaines.

— Quand nous nous sommes rencontrées, il faut que tu saches que cela faisait déjà plus d'une semaine que je possédais le jeu. Je m'amusais à parcourir le village d'Initia pour découvrir le monde et le jeu. Puis, le troisième jour où j'ai joué, j'ai décidé de faire la quête de départ des Nécromanciennes. Elle est unique à notre classe et nous permet de créer nos premiers morts-vivants. Le jeu m'a téléportée dans une crypte dont j'ignore l'emplacement. Au plafond, il y avait un squelette immense de scolopendre et face à moi, il y avait plusieurs cadavres. Dans un premier temps, j'ai choisi Mickey puis j'ai dû affronter un monstre pour m'entraîner à l'utiliser. Puis ce fut au tour de Mélisande. Mais, durant l'entraînement, je suis morte. Vu que c'est une sorte de tutoriel, je n'ai pas reçu de malus de cette mort mais je ne sais pas pourquoi, mon cadavre n'a pas disparu. Lorsque j'ai dû choisir mon troisième mort-vivant, mon regard s'est porté sur mon corps sans vie et, je ne sais pas pourquoi, j'ai voulu essayer de le ranimer. Le jeu m'a alors envoyé une alerte. Cela me disait que j'essayais de briser un tabou et que je devrais l'assumer. Curieuse, je n'ai pas su résister à la tentation et j'ai accepté. Aussitôt, la crypte s'est écroulée et je me suis réveillée sur la place d'Initia. J'ai donc choisi de faire la quête de Lyra et j'ai voulu essayer ma dernière invocation. Lorsque je l'ai fait, il y avait un autre joueur près de moi.

Sa voix mourut dans sa gorge. Elle prit quelques instants pour reprendre son souffle.

— Déjà, quand j'ai vu qu'elle s'appelait comme moi, j'ai eu un doute mais je me suis dit que ce n'était qu'un jeu. Je l'ai invoquée. Je l'ai instantanément regretté. Elle a jailli du sol, emportant le Pas Lourd que je visais et s'est ensuite jetée sur l'autre joueur. Ce dernier ne s'y attendait pas, pas plus que moi. J'ai essayé de la révoquer mais je n'avais plus aucun contrôle. Elle s'est tournée vers moi et là, elle a parlé...

La scène était ancrée dans ses souvenirs. Elle revit le mort-vivant qui lui ressemblait fonçant vers elle en hurlant :

— TOI ! FOLLE ! POURQUOI M'AS-TU RAMENÉE ?

— Lorsque je suis réapparue à Initia, reprit-elle, le joueur que j'avais accidentellement tué m'a dénoncée aux Gardes et ces derniers ont simplement dit que je payais déjà pour avoir brisé un tabou. J'étais bouleversée, tous les joueurs me fuyaient comme la peste. Ils pensaient que j'étais une sorte de bug qui allait les détruire. J'ai voulu supprimer mon personnage mais impossible. Dès que j'essaie, cela me dit simplement : « Assume tes choix ». Je n'ai pas osé jouer pendant plusieurs jours puis je me suis décidée à revenir. Je me suis isolée et j'ai essayé de la contrôler. Mais c'était impossible. Alors, je me suis promis de ne plus jamais l'utiliser. Lorsque vous êtes arrivées, j'étais terrifiée à l'idée que vous découvriez la vérité sur ce monstre que j'ai créé.

Et elle éclata en sanglots. Désemparée car n'ayant jamais vécu une telle situation auparavant, Mei lui tapota maladroitement le dos avant de la prendre dans ses bras. Instinctivement, elle se mit à la bercer doucement. Il fallut quelques minutes à Sanerte pour se calmer.

— Si cela peut te rassurer, je ne compte pas t'abandonner.

Les mots de l'androïde surprirent l'elfe à la peau sombre qui hoqueta.

— Je m'en moque que tu aies brisé un tabou ou que ton invocation soit folle. Moi, je sais ce que j'ai vu. Même si nous sommes dans un jeu vidéo, la mort est terrifiante car nous vivons ce que nos avatars vivent. Or, toi, devant cette créature qui te terrifie, tu n'as pas hésité une seule seconde à sacrifier ta vie pour nous sauver. Et rien que pour ça, je ne t'abandonnerai pas.

Dans son esprit tortueux, Mei entendit ses pensées rationaliser mais elle les envoya voler en éclats.

— Je me moque de ce que je peux bien essayer d'analyser ! Elle est mon amie et elle s'est sacrifiée pour moi. Alors, ferme-la, cerveau débile ! pesta-t-elle intérieurement.

Dans ses bras, Sanerte la regardait, ne sachant plus quoi dire.

— Est-ce que tu comptes en parler à Elthir ?

— Je vais certainement devoir le faire mais je suppose que cela risque de la choquer.

— Je te soutiendrai.

— Pourquoi je n'ai pas été invitée à la câlin partie ? s'étonna la voix de la concernée.

Les bras chargés de potions, Elthir venait de débarquer. Amusée par sa réflexion, Sanerte voulut rire mais, la gorge encore nouée par les pleurs, elle manqua de s'étouffer. Il lui fallut quelques instants pour reprendre contenance et, s'appuyant sur Mei pour se relever, elle décida de raconter son histoire à l'Assassine après que cette dernière leur eut donné leurs potions.

Lorsqu'elle apprit la vérité sur le sacrifice de son amie, la joueuse japonaise baissa la tête, trahie. Ses amies lui avaient menti. Elle sentit monter en elle une envie de leur crier dessus mais son amour pour elles prit le dessus.

— Je comprends. J'aurais fait pareil, voire pire.

Elle s'approcha de Sanerte et la prit dans ses bras.

— Je ne t'abandonnerai pas. Je ne sais pas si tu y arriveras un jour, mais je ferai en sorte que tu parviennes à contrôler ce mort-vivant, soit que tu le détruises. En échange, je ne veux plus aucun mensonge de votre part à toutes les deux, d'accord ?

L'Hynine et la Mécatech se regardèrent et sourirent.

— C'est d'accord.

— Bien. Le couturier doit en avoir fini avec ton équipement, Sanerte. Allons le chercher et allons faire sa fête à ce « Dungeon Break ».

Après avoir récupéré les« Gants molletonnés » pour la Nécromancienne, le trio prit la route de lacryométéorite, leur groupe plus soudé que jamais.

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