Partie 2 : Chapitre 14Prédateur ou proie


Sanerte ouvrit les yeux en se redressant. Elle s'empressa d'ouvrir sa messagerie pour prévenir ses amies, mais une voix à côté d'elle l'arrêta.

— Pas la peine, Sanerte. Nous t'attendions.

Surprise, la Nécromancienne sursauta et fit volte-face. À quelques mètres de l'endroit où réapparaissaient les joueurs morts, là où elle se trouvait, elle aperçut Mei et Elthir, assises sur un banc.

— Vous n'êtes pas reparties directement ? s'étonna la nouvellement ressuscitée.

— C'était mon intention, mais la boîte de conserve m'a retenue en me disant qu'elle avait un plan, grommela l'Assassine en croisant les bras devant elle. Et qu'elle refusait de me le dire tant que tu ne serais pas là, ajouta-t-elle sur un ton de reproche à l'androïde.

— Chérie, il va vraiment falloir que tu apprennes à calmer tes ardeurs. Tu es Assassine, pas Barbare. Pour l'instant, nous allons sortir de la ville, et lorsque nous roulerons, je vous expliquerai mon plan, d'accord ?

Tandis que le trio se dirigeait en dehors de la ville, Sanerte décrivit à ses camarades ce qu'elles avaient manqué, omettant volontairement de parler de son invocation. Si l'histoire parut suffire à Elthir, Mei semblait sceptique.

— Tu as vraiment réussi à survivre deux minutes complètes à l'aide de Mickey et Mélisande ? finit-elle par lâcher.

— Euh, oui, pourquoi ? répondit innocemment la Nécromancienne, gommant toute trace de panique dans sa voix.

— La Chérie n'a pas pu tenir plus de dix secondes et, contrairement à toi, elle a bénéficié de cinq secondes pendant lesquelles elle a pu agir comme elle le voulait, continua l'androïde tandis qu'elles passaient le portique d'entrée de Bourg-Sentra.

— Les attaques d'Elthir lui ont tout de même arraché de nombreux points de vie et mon Nuage nécrotique l'a pas mal affaibli après. Je pense que la chimère s'est relâchée en voyant qu'il ne restait que moi et elle a perdu du temps à se débarrasser de mes invocations. Bon, s'exclama-t-elle en changeant de sujet, c'est quoi ton plan ?

Au regard que lui lança Mei, Sanerte comprit que la conversation n'était pas terminée. Elle espérait secrètement que l'androïde n'irait pas se renseigner sur la classe Nécromancien car, si jamais elle comprenait que tous les adeptes de résurrection possédaient au moins trois morts-vivants avec eux, elle lui demanderait d'invoquer celui qu'elle dissimulait. Heureusement pour l'Hynine, sa camarade finit par cesser de l'observer avec méfiance et se métamorphosa en véhicule à deux roues. Les deux elfes l'enfourchèrent après qu'Elthir se soit attachée les cheveux et le trio reprit la route. Tandis qu'elle fonçait vers le lieu où elles avaient rencontré la chimère, Mei finit par leur expliquer son idée.

— La chimère est certes au niveau vingt mais elle est affaiblie car, d'ordinaire, c'est un monstre de niveau cinquante, expliqua-t-elle.

— En effet, confirma Sanerte, l'experte du groupe.

— D'après son nom, elle n'a pas dû manger beaucoup et c'est normal. Son lieu de vie est le sommet des montagnes grises et, en plus de se nourrir de chair, elle doit aussi ingérer des pierres précieuses qui sont la source de sa magie. Cela signifie donc qu'il ne doit pas lui rester beaucoup de sorts à lancer. Sanerte, pendant que tu étais seule, a-t-elle utilisé la magie ?

— Non. Elle s'est contentée de m'attaquer avec sa queue et ses griffes. De plus, elle semblait chercher à dévorer mes morts-vivants, mais je les détruisais avant qu'elle n'en ait le temps.

— Bien, cela confirme mon hypothèse. Elle doit être à bout de forces. Je ne sais pas pourquoi elle a fui son habitat naturel, mais suite à son combat contre nous, contre le wenza et contre le tyrannis, elle est désormais en mauvaise posture. Maintenant, nous allons tenter des assauts incessants mais continus. Je vais rester en moto et vous allez l'attaquer à distance. En la harcelant ainsi, nous prenons le moins de risques possibles et nous augmentons nos chances de réussir.

— C'est un peu lâche, fit remarquer Elthir.

— De la part d'une Assassine, j'en rigole, répondit la voix mécanique, sarcastique. Rappelle-toi que nous avons affaire à une créature blessée et affamée, ce qui veut dire qu'elle est bien plus dangereuse. Si jamais elle nous tue à nouveau, nous ne pourrons pas continuer à jouer aujourd'hui au risque de perdre nos personnages et notre progression.

— De plus, Viktor nous a promis une récompense supplémentaire si nous tuons la menace que représente cette chimère, ajouta Sanerte.

— Alors raison de plus pour suivre ce plan, conclut Mei en accélérant.

Lorsqu'elles aperçurent la silhouette du lion, les deux elfes se tinrent prêtes. En entendant le bruit de moteur, le monstre fit volte-face et le serpent gonfla ses joues, prêt à répandre son souffle toxique sur la route de ses assaillantes. Mais ces dernières s'y attendaient et, tandis que l'androïde esquivait le nuage toxique, ses camarades activaient leurs pouvoirs.

— Nuage nécrotique !

— Lancer !

Les deux attaques touchèrent le lion, qui rugit de douleur, réduisant ses points de vie à quarante pour cent. Il voulut contre-attaquer, mais déjà Mei éloignait ses alliées du monstre. Elle garda une certaine distance de sécurité avec leur cible, évitant les projectiles acides du reptile sans difficulté grâce aux indications de Sanerte.

Après trente secondes, délai nécessaire à Elthir pour pouvoir utiliser de nouveau sa compétence de jet, la Mécatech opéra un demi-tour et ses alliées lancèrent un nouvel assaut. De nouveau, la chimère voulut répliquer, mais en véritable as de la conduite, la moto s'éloignait déjà hors de sa portée. Le petit manège continua pendant de longues minutes, arrachant doucement mais sûrement chaque point de vie à la bête famélique.

Cette dernière, épuisée, finit par utiliser un sort pour se rendre invisible. Aussitôt, les filles inspectèrent les environs avec crainte, redoutant une nouvelle attaque qui pourrait leur être fatale. Cependant, comme rien ne vint après plusieurs minutes, elles se détendirent.

— Elle s'est échappée, finit par constater Sanerte. Comment on va faire pour la retrouver maintenant ?

— Elle ne pourra pas maintenir indéfiniment son sort d'invisibilité. Sachant que la moindre rencontre avec un carnivore imposant peut lui être fatale, elle a dû retourner à sa tanière, déduisit Mei.

— Si elle retourne dans les Montagnes Grises, nous ne pourrons jamais la pourchasser, se lamenta Elthir.

— Non, la coupa l'androïde. Chérie, réfléchis ! Si elle a quitté son habitat naturel, c'est qu'une menace l'a poussée à fuir. Donc, elle a dû se faire une nouvelle tanière.

— Et si nous sommes logiques, cette dernière doit se situer proche des Montagnes, car elle n'a pas dû s'éloigner totalement de son lieu de vie, poursuivit la Nécromancienne.

— Mais alors c'est où, sa tanière ? s'écria l'Hylisse, essayant de suivre le raisonnement de ses camarades.

— D'après ce que j'ai vu, la chèvre semblait assoiffée et le pelage du monstre était couvert de poussière, la stoppa Sanerte, sur le point de trouver la réponse. Donc, elle vit près d'un endroit où il n'y a pas d'eau.

— La poussière était très claire, presque blanche, observa Mei.

— Si je compare les différents lieux d'attaque, elle provenait toujours de l'ouest des Montagnes Grises. Or, il me semble qu'il y a une carrière de... Mais bien sûr ! La carrière de craie ! C'est là-bas que se trouve sa nouvelle tanière !

— Elle doit espérer trouver des gemmes magiques dedans, et c'est suffisamment éloigné du sommet pour qu'elle ne se sente pas en danger. Bien joué, Sanerte ! la complimenta l'androïde en prenant la direction des pics escarpés.

L'elfe à la peau sombre rougit devant l'admiration que lui portait Elthir lorsqu'elle croisa son regard empli d'étoiles. Cette dernière, n'ayant pas compris le cheminement de pensées de ses camarades, trouvait que son amie adepte de résurrection ne partageait pas assez son opinion pourtant souvent pertinente. Elle se promit intérieurement de la consulter plus souvent.

Au bout d'une demi-heure à rouler aussi vite que son moteur en surchauffe le lui permettait, Mei finit par s'arrêter à deux kilomètres de la carrière.

— Désolée, mais j'ai trop forcé sur ma mécanique. Je ne vais pas pouvoir rouler avant demain, s'excusa-t-elle en reprenant son apparence humanoïde.

Les deux elfes la rassurèrent en lui disant que, sans elle, elles n'auraient jamais réussi à progresser aussi vite et que, comme le fit remarquer la brillante Hynine, si elle n'avait pas été présente, le trio n'aurait jamais pu harceler la chimère. Ce détail fit sourire la Mécatech, qui se reprit.

— Bien, maintenant, prenons garde, dit-elle à voix basse. La chimère doit déjà être revenue et nous serons sur son territoire. Alors méfiance.

— T'inquiète pas, boîte de conserve, répliqua Elthir en dégainant ses lames. Prudence est mon deuxième prénom depuis que je joue à ce jeu.

Et sur ces mots, elle prit la tête du groupe, se faufilant entre les herbes encore hautes. Lorsqu'elles furent à une centaine de mètres de leur destination, les filles se rendirent compte que la végétation se raréfiait jusqu'à disparaître complètement. Paniquée, Sanerte allait leur demander quoi faire lorsqu'elle vit ses deux alliées se mettre à ramper. Ennuyée, mais ne voulant pas ruiner le plan, la Nécromancienne les imita, même si elle grommela intérieurement lorsque, entrant dans la carrière, elle les vit en train de se rouler dans la craie pour se camoufler partiellement dans le décor d'albâtre. Une fois couvertes de poussière blanche, les jeunes femmes continuèrent à avancer jusqu'à atteindre le bord du précipice menant aux grottes.

Curieuse car c'était la première fois de sa vie qu'elle visitait un tel lieu, Mei détailla la zone qui s'étendait devant ses yeux. Profonde d'environ une trentaine de mètres, la brèche naturelle avait été aménagée afin que les ouvriers puissent descendre à l'aide de wagonnets mis sur rail. Comptant rapidement, l'androïde dénombra trois entrées de grottes capables d'accueillir la haute taille de la chimère, mais il y avait en tout une dizaine d'accès aux tunnels.

— Ça va nous prendre des heures de fouiller chaque tunnel, se lamenta Sanerte.

— Pas vraiment, s'amusa Elthir de l'impatience de son amie.

— Tu as une idée pour savoir quel est le bon chemin ? s'étonna Mei.

— Oui, c'est évident. Ce n'est aucun de ceux que l'on voit.

La réponse de l'Hylisse désempara complètement ses deux alliées.

— Tes plombs ont sauté ou quoi ? s'emporta l'androïde.

— Non, je suis encore complètement en possession de mes moyens. Tu te souviens de la première fois que nous l'avons rencontrée ?

— Elle était invisi... Mais oui, bien sûr, quelle idiote je fais, se flagella Sanerte en se tapant le front du plat de la main.

— Tu l'as dit toi-même, boîte de conserve, continua l'Assassine, fière de surprendre sa rivale. La chimère est blessée. Si elle s'est enfuie, elle ne va pas nous attendre sagement là où nous pouvons la trouver facilement. Vu ses blessures, je pense qu'elle se repose actuellement.

— Et les chimères n'ont pas besoin de faire dormir en même temps leurs différentes parties, la coupa la Nécromancienne. Donc, la chèvre peut très bien être réveillée et maintenir un sort d'illusion.

— Je comprends le raisonnement, mais comment vas-tu savoir où elle se cache ?

— Avec la bonne vieille méthode.

Elle leur fit signe de ne pas bouger et, s'accroupissant, elle commença à descendre la pente spiralée menant à la base de la crevasse. Lorsqu'elle arriva en bas, l'Hylisse se mit à longer les parois rocheuses, sa main caressant le mur. Elle fit le tour de la zone la plus basse puis remonta doucement le chemin qu'elle avait emprunté. Elle avançait en prenant garde à ne faire aucun bruit, réduisant sa respiration au strict minimum. Soudain, au contact de ses doigts, la surface solide s'effaça et, même si ses yeux lui montraient de la roche, sa peau, elle, lui indiquait qu'il n'y avait rien.

Se collant contre la paroi réelle, elle fit signe aux autres de descendre. Ces dernières descendirent sur une vingtaine de mètres et se mirent en position. Elthir passa la tête à travers le mur illusoire puis pénétra dans la zone dissimulée. Mei voulut la suivre, mais Sanerte la retint.

— Inutile de se sacrifier si c'est un piège, lui chuchota-t-elle à l'oreille.

Au bout de cinq minutes, une main passa le mur d'illusions, le pouce levé. La Nécromancienne laissa sa camarade avancer, non sans soupirer de soulagement. L'attente avait été un peu longue et elle s'était inquiétée pour son amie.

Une fois le sort passé, les filles s'arrêtèrent une seconde, en garde, au cas où la bête se serait tenue juste devant elles. Mais seul un tunnel les attendait. Elthir les regardait, ses armes rengainées. Elle s'approcha d'elles et leur souffla aussi bas que possible :

— La chimère est un peu plus loin, dans une grotte plus large. D'après ce que j'ai vu, elle ne s'est pas régénérée depuis tout à l'heure, ce qui fait qu'elle n'a que vingt pour cent de sa jauge de vie restante. Lorsque nous serons là-bas, attaquons-la d'abord à distance avant de nous jeter sur elle. Mei, surtout, n'utilise pas ton railgun.

Avisant les murs fragilisés du boyau rocheux, l'androïde hocha la tête, acceptant l'ordre sans discuter, et changea sa claymore en fusil à ions, maudissant le son que générait la transformation. Le trio tendit l'oreille, mais comme aucun bruit ne leur parvint, les filles en déduisirent que cela n'avait pas suffi pour réveiller la chimère famélique. Elles avancèrent sur la pointe des pieds et, au bout de quelques minutes où elles craignirent de voir leur proie débarquer à tout moment, le couloir naturel qu'elles empruntaient finit par déboucher sur une grotte. Au centre, reposant sur un tas de squelettes malodorants, la bête qu'elles traquaient dormait. Elles prirent attention à bien se coller contre les parois du tunnel afin de ne pas se faire voir des yeux scintillants de magie de la chèvre. Au signal de Mei, les trois aventurières attaquèrent, prenant complètement au dépourvu l'animal.

— Lancer !

— Nuage nécrotique ! Frappe osseuse !

En plus des sorts et du jet, une salve de projectiles d'énergie atteignit de plein fouet la chimère famélique qui se réveilla en sursaut. L'androïde, voyant la bête s'apprêter à bondir, sourit.

— Les chaînes innocentes !

— Amitié macabre !

Tandis que les liens retenaient le lion, la chèvre et le serpent, Mickey jaillit du sol à ses côtés et se mit à la ruer de coups. Malheureusement pour Elthir, le brouillard de Sanerte ne s'était pas encore dissipé, l'empêchant de se joindre au corps à corps avec le monstre. Cependant, Mei continua à tirer sur lui, lui arrachant point de vie par point de vie. Lorsqu'il se libéra de sa prison dorée, le monstre bondit immédiatement. Mais cette fois, Sanerte avait été prévoyante. Elle fit de nouveau apparaître sa main squelettique et se saisit de la queue reptilienne en plein vol, stoppant net la course de la chimère qui s'écrasa violemment au sol. Le choc fit trembler toute la grotte, mais prises dans le combat, les aventurières n'y firent pas attention.

Voyant la bête au sol, l'Assassine se jeta au corps à corps, enfin libérée de la menace du « Nuage nécrotique » et, comme lors de leur première tentative, donna tout d'un coup.

— Entaille ! Lame enduite !

Une fois les dommages sur la durée appliqués, elle sourit en se souvenant de sa mort. Prudente, elle ne bondit pas en arrière mais se jeta droit sur la tête de serpent qui ne s'y attendait pas.

— Sous Cape !

Disparaissant à sa vue, le reptile essaya bien de souffler son venin devant lui mais, vive, Elthir avait pris un virage en équerre, glissant sous le ventre de la chimère. Elle se saisit d'une corne de la chèvre au passage et, frappant en priant de toutes ses forces, planta sa lame dans le cou du ruminant. Une violente explosion retentit, lui indiquant qu'elle avait réussi à placer un coup critique. C'était ce qu'elle avait espéré. Elle avait remarqué qu'après une vingtaine d'attaques, elle faisait toujours un coup critique. Cela n'était pas toujours le cas mais la moyenne semblait s'avérer exacte et elle comptait désormais chacun de ses mouvements.

Voyant que sa camarade s'était malheureusement exposée de nouveau aux crochets du serpent avec son action, Mei décida de briller.

— Hurlement de l'alpha !

Aussitôt, les trois têtes tournèrent leur attention sur elle et elle en profita pour asséner un nouveau coup avec Lei. Elle maudissait le lieu du combat car, limitée dans ses mouvements, elle ne pouvait pas utiliser sa compétence « Vengeance de Lei » pour amoindrir les dommages qu'elle recevait. Cependant, lorsqu'elle vit la gueule du lion se gonfler, elle comprit qu'elle n'aurait pas le choix.

Elle activa sa compétence mais malheureusement pour elle, la chèvre, folle de rage suite à l'attaque d'Elthir, décida de ne plus se ménager. Tandis que le souffle de feu s'échappant de la gueule principale venait se fracasser contre la claymore de Mei, les flammes s'éclairèrent de bleu, mues par télékinésie. Elles se reformèrent pour créer un véritable torrent brûlant concentré qui plongea droit sur la Mécatech qui tirait au canon électromagnétique en même temps. Les deux énergies se percutèrent de plein fouet, créant une explosion qui secoua toute la caverne, projetant les combattantes à travers toute la zone. Heureusement pour tout le monde, la grotte tint bon et aucun pan de plafond ne s'écroula.

Sanerte, elle, se releva la première. Éloignée de la chimère car elle soutenait Mei à l'aide de sa « Frappe osseuse » qui agissait comme un bouclier contre les griffes du lion, elle avait été la moins touchée par la déflagration. Ses yeux essayèrent de percevoir la bête mais le nuage de poussière l'empêchait de discerner quoi que ce soit. Cependant, elle voyait bien que la jauge de vie du monstre indiquait encore dix pour cent.

— Bon sang, elle est immortelle ou quoi ? se dit-elle lorsqu'elle vit que l'androïde avait péri à la suite du choc entre les deux attaques et qu'Elthir n'avait plus qu'un tiers de ses points de vie.

Ne voulant pas abandonner, elle se décida à agir. Buvant rapidement une potion de mana, elle incanta.

— Amitié macabre !

Elthir, qui venait de se remettre de sa chute, vit simplement une ombre gigantesque s'élever à travers le brouillard de craie. Elle n'eut pas le temps de réagir que Sanerte la plaquait au sol, lui évitant d'être fauchée par le mouvement de l'apparition.

— Mais qu'est-ce que... balbutia l'Assassine.

— Cours ! hurla la Nécromancienne en la saisissant au poignet et en la tirant en dehors de la caverne.

L'invocation semblait furieuse et s'acharnait sur la chimère qui lui rendait coup pour coup. Cependant, leur affrontement était si violent que chaque assaut faisait trembler la voûte rocheuse qui finit par craquer. Les deux elfes, cavalant à toute vitesse vers la sortie, virent les fissures se répandre comme une traînée de poudre autour d'elles et ne réussirent à s'échapper qu'à la dernière seconde. Derrière elles, le tunnel s'effondra. Le souffle généré par la chute des roches propulsa les filles qui tombèrent dans la crevasse. Tout autour d'elles, les différents boyaux rocheux de la carrière s'effondraient, la multitude de chocs répétés les ayant aussi fragilisés.

Sanerte eut cependant tout juste le temps de se saisir d'Elthir avant de planter sa faux dans le mur rocheux. Cela freina légèrement leur chute, les laissant s'écraser au sol en roulant. Lorsqu'elles purent enfin reprendre leur respiration, la Nécromancienne se releva non sans mal et sourit à son amie.

— On a réussi. Maintenant, rejoignons...

Elthir n'eut pas le temps de réagir. Sortant du nuage de poussière, une patte griffue venait de faucher l'Hynine, qui arborait encore une expression rassurée. Son corps alla s'écraser contre le mur et le choc dispersa le brouillard, occultant la vue de l'Assassine. Cette dernière put voir son amie s'affaisser comme une poupée brisée avant de disparaître.

L'image du sourire innocent et des membres disloqués se grava dans l'esprit de l'elfe. Oubliant qu'elle était dans un jeu, elle sentit ses larmes monter aux yeux. Elle lança sa dague sur le monstre qui l'évita dans un ultime bond avant d'ouvrir sa gueule, se préparant à lâcher à tout instant son souffle de feu.

Mais Elthir avait remarqué que la bête était mourante. Sa queue de serpent pendait lamentablement derrière elle et elle ne possédait plus la tête de chèvre, certainement arrachée par la chose qui était apparue dans la caverne. N'ayant pas le temps de vérifier le montant restant de vie de son adversaire, l'Assassine tenta le tout pour le tout. C'était la deuxième fois qu'elle avait utilisé « Lancer », ce qui voulait dire que... Oui !

Elle sentit la chaleur infernale l'envahir et se jeta droit vers les flammes jaillissantes.

— Poussée de meurtre !

Pendant un instant qui lui parut durer une éternité, Elthir pensa qu'elle ne réussirait pas à atteindre le lion. Le feu brûlait ses dernières forces et elle crut percevoir la mort la saisir. Mais soudain, elle sentit l'une de ses lames pénétrer dans la chair de la chimère, lui arrachant un ultime rugissement qui fit trembler la carrière. Les deux combattantes s'écroulèrent, l'elfe atterrissant sur le cuir de la bête.

Aussitôt, le corps de l'Assassine s'illumina et une ribambelle de fenêtres de dialogue apparut devant ses yeux. Elle soupira de soulagement en sentant ses forces revenir et prit quelques secondes pour se remettre de ses émotions. Lorsqu'elle eut réussi à ramener son rythme cardiaque à un battement régulier, elle se concentra sur ce qui gênait sa vue.

— Vous avez gagné un nouveau niveau. Niveau actuel : 12.

Le message se répétant, Elthir se décida à les fermer et à consulter directement sa fenêtre de statistiques. Lorsqu'elle vit qu'elle était niveau quinze, ses yeux s'écarquillèrent.

— Vous avez acquis une nouvelle compétence, lut-elle ensuite, une fois revenue de sa stupeur.

Elle ouvrit son menu de compétences.

— Fugue. Temps de recharge : 30 secondes. Effet : Permet de se libérer du corps à corps en échappant à coup sûr à une attaque.

Étonnée, elle commençait à réfléchir à l'utilisation de « Fugue » lorsqu'elle se rendit compte qu'elle avait encore des fenêtres de dialogue ouvertes.

— Pour avoir vaincu un monstre originellement de niveau au moins trois fois supérieur au vôtre sans avoir reçu l'aide de joueurs du niveau du monstre, vous obtenez une récompense de rang supérieur à celui prévu normalement. Vous obtenez l'ensemble de la tenue « Chimère famélique » ainsi que le titre « La tricéphale ».

Abasourdie, la jeune femme passa un peu de temps à s'équiper de sa nouvelle tenue. Lorsqu'elle eut fini de lire les effets de ses bonus tout juste acquis, elle siffla, impressionnée.

— Donc, si je résume, mon titre fait que, tant que j'ai mes trois meilleures statistiques égales, je gagne deux points dans ces statistiques. Quant à ma tenue, elle me permet de réduire mon temps de recharge de dix pourcents et de réduire l'Intelligence de la cible avec mes attaques, résuma-t-elle avant de s'intéresser à la dernière partie de sa panoplie.

En effet, en plus de sa coiffe et de son pantalon représentant respectivement les cornes et les sabots d'une chèvre, de sa veste rappelant la peau émaciée d'un lion et de sa tassette en écailles de serpent qui se terminait par une queue rappelant celle de la chimère, elle avait obtenu une bague.

« Bague tricéphale. Effet : Débloque le sort Souffle asséchant. Souffle asséchant. PM : 40. Effet : Inflige des dommages en cône devant vous tout en réduisant l'Endurance des cibles touchées. »

— Sanerte va encore se plaindre en voyant que ce sort touche aussi les alliés, s'amusa l'elfe avant d'activer sa pierre de téléportation, la ramenant à Bourg-Sentra.

Elle réapparut sur une des places de la ville et envoya un message à ses camarades. Si Mei ne lui avait rien dit, la Nécromancienne l'avait littéralement inondée de mails depuis qu'elle avait vaincu la chimère famélique. Elles se retrouvèrent toutes les trois devant la mairie.

Sanerte se jeta littéralement au cou d'Elthir en pleurant et en bénissant tous les dieux du jeu d'avoir ramené saine et sauve l'Assassine. De son côté, malgré sa réserve, l'androïde lui sourit et la félicita, ce qui stupéfia les deux elfes, trop habituées à l'entendre dire des vacheries. Une fois leurs émotions calmées, l'Hynine contempla la nouvelle tenue que portait son homologue à la peau claire. Elle la complimenta sur son style qu'elle qualifia de « sauvage mais chic » puis s'émerveilla des pouvoirs qu'elle avait gagnés.

— Quand tu as vaincu la chimère, nous avons aussi gagné des niveaux, ce qui fait que nous sommes aussi au niveau quinze, lui expliqua-t-elle une fois qu'elle eut fini.

— Avez-vous obtenu de nouvelles compétences ?

— Pour ma part, je peux désormais magiquement faire danser ma faux autour de moi, ce qui me permet de lancer des sorts tout en attaquant au corps à corps. Cela dure trente secondes et me demande deux minutes de recharge mais c'est quand même bien.

— Quant à moi, je peux renforcer ma prochaine attaque de lame afin d'ignorer une partie de l'Endurance adverse, ce qui fait que je fais plus de dommages, poursuivit Mei. Et comme Sanerte, j'ai deux minutes de recharge. Bon, allons raconter tes exploits à Viktor avant qu'il ne s'arrache les cheveux en craignant pour sa belle ville.

Elle pénétra dans la mairie, laissant sur place ses camarades qui se regardèrent avant de la suivre, encore choquées par la nouvelle attitude de l'androïde. Elles retrouvèrent Viktor qui, en les voyant revenir, bondit de sa chaise, l'envoyant tomber derrière lui.

— Tout va bien ? Vous avez réussi ? Ou dois-je appeler des renforts ? s'empressa-t-il de leur demander.

— Oui, tout va bien, rassurez-vous, Viktor, répondit Sanerte en s'inclinant. Et non, pas besoin de renforts.

— Cela veut dire que vous l'avez vaincue ?

— En effet, reprit Mei. Le tyrannis avait eu affaire à une chimère affamée et blessée. Nous avons trouvé, d'ailleurs, un wenza alpha qui avait lui aussi subi les assauts de la bête. Nous avons réussi à nous débarrasser du monstre dans la carrière de craie près des Montagnes grises.

— À ce sujet, intervint Elthir en grimaçant. L'affrontement a été violent et les galeries de la carrière se sont toutes effondrées.

— Ce n'est pas grave, demoiselle Assassine, répondit le maire en la rassurant. Les carrières pourront être reconstruites. Mais racontez-moi plutôt vos aventures.

Il avait dit cela en faisant un signe à un des scribes qui travaillait à ses côtés, lequel s'empressa de prendre note de ce que disaient les filles. Viktor fut impressionné par leur récit, s'émerveillant des détails que Sanerte donnait. Elle ne déformait jamais la vérité, rendant ses paroles encore plus convaincantes à l'aide des mimes qu'elle faisait des attaques de ses camarades. Cela fit sourire Mei et amusa beaucoup le dirigeant lorsqu'elle essaya d'imiter la moto.

Lorsqu'elles eurent terminé, tous les assistants du maire et ce dernier les applaudirent.

— Encore une fois, au nom de Bourg-Sentra et de ses habitants, je vous remercie du fond du cœur de nous avoir débarrassés de cette chimère famélique. Pour vous remercier, comme promis, je vous offre une lettre d'introduction à présenter au dirigeant de Morholt ainsi que cette somme de six cents pièces d'or.

Le montant de la récompense fit sursauter les joueuses qui ne s'y attendaient pas. De plus, une nouvelle fenêtre de dialogue s'ouvrit, leur indiquant qu'elles avaient toutes obtenu le titre « Héroïne de Bourg-Sentra ». Discrètement, Sanerte regarda l'effet de ce titre.

« Ce titre octroie à son porteur 10 % de récompenses supplémentaires des quêtes émanant de PNJ de Bourg-Sentra. »

Tombant des nues, la Nécromancienne dut cependant se concentrer sur ce que continuait de dire leur hôte.

— De plus, j'ai réfléchi à votre récompense supplémentaire et j'ai fait mon choix. Suivez-moi.

Les filles, curieuses, s'exécutèrent et accompagnèrent Viktor dans le couloir. Là, derrière une porte, elles découvrirent un escalier qui semblait s'enfoncer dans les ténèbres. Leur guide s'y engouffra, ne semblant pas gêné par l'obscurité. Une fois en bas des marches, les aventurières écarquillèrent les yeux. Elles avaient imaginé bien des choses sur la forme que prendrait la collection de l'homme opulent. Certains disaient que c'était un musée gardé par les Gardes eux-mêmes, d'autres supposaient que c'était une chambre forte demandant de répondre à une centaine de questions très précises sur la vie de son propriétaire. Mais ce qui attendait en réalité le trio était si banal que cela les choqua.

En effet, l'escalier avait débouché sur une salle normale, vide à l'exception d'un piédestal sur lequel avait été déposé un sac un peu miteux. Surprises, les filles se figèrent à l'entrée de la pièce tandis que le dirigeant de Bourg-Sentra s'approchait de la besace.

— Comme beaucoup avant vous, vous êtes prises au dépourvu dès que vous voyez ma collection, s'amusa-t-il en desserrant délicatement les lacets qui fermaient le sachet. Mais vous apprendrez que même les Gardes sont de piètres protecteurs à côté de cet artefact.

Il disait ces mots sur un ton empli de désinvolture, fait qui surprit Sanerte. D'habitude, personne n'évoquait les Gardes du jeu de peur que ces derniers se manifestent. Voir le maire en parler comme si ce n'étaient que des pions fit naître une interrogation dans le cerveau de la Nécromancienne. Mais elle n'eut pas le temps de la développer plus longtemps que Viktor la prenait à nouveau au dépourvu.

L'homme venait de plonger le bras dans la besace pourtant pas plus grande qu'une bourse.

— Une bourse dimensionnelle capable de contenir toute la collection du maire est un artefact en soi, souffla l'Hynine à ses amies qui ne connaissaient pas beaucoup les différentes reliques du jeu.

Le geste s'accompagna d'un grommellement de sa part car il semblait ne pas trouver ce qu'il souhaitait. Au bout de quelques secondes, il dut réussir, car il extirpa son bras de la poche. Il ne tenait rien dans sa main, ce qui désempara encore les aventurières. Elles allaient ouvrir la bouche pour questionner l'homme lorsque le sac éructa un cylindre dans leur direction. Elthir, la plus agile du groupe, eut tout juste le temps de le rattraper.

— Je vous présente la Carte Animée, s'exclama fièrement Viktor. C'est la seule carte représentant tous les continents mais aussi qui s'actualise en même temps que toutes les autres cartes du monde, ce qui signifie que, désormais, vous n'aurez plus jamais à demander à un cartographe quoique ce soit. Vous pouvez lui demander de préparer un trajet pour vous mais aussi de vous détailler la zone qui vous entoure. Enfin, elle est capable de détecter les lieux secrets et pourra parfois vous indiquer comment atteindre ces zones. J'espère que ce cadeau vous plaît, héroïnes.

Sans voix, Sanerte, Elthir et Mei ne purent qu'acquiescer, l'émotion nouant leurs gorges. C'était un splendide présent qui allait leur permettre de progresser sans mal dans le jeu tout en leur évitant de se perdre ou de gaspiller de l'argent dans des cartes. Le petit groupe retourna dans le hall d'entrée de la mairie et, après avoir remercié encore et encore le dirigeant pour sa bonté, les filles sortirent du bâtiment. En silence, elles quittèrent la ville et ne s'arrêtèrent de marcher que lorsqu'elles eurent mis une certaine distance entre la ville et elles.

Ce fut Sanerte qui parla la première, après qu'elles se furent assises sur un tronc abattu par la foudre, d'après les traces de carbone sur la souche.

— Malheureusement, il va falloir que je me déconnecte. Mais avant, j'aimerais, si cela ne vous gêne pas, que l'on planifie ensemble ce que l'on fera demain. Ça vous va ?

Les deux rivales hochèrent la tête en même temps et Mei enchaîna.

— Viktor nous a remis une lettre d'introduction à remettre au dirigeant de la ville de Morholt. Ne devrait-on pas nous y rendre ?

— En effet, répondit la Nécromancienne. Cependant, je ne savais pas si vous ne souhaitiez pas plutôt que nous allions à Cloruth car c'est là-bas que nous pourrons débloquer nos classes de métiers. Ou alors, nous aurions pu aller dans les marais bordant la partie est de l'île. Pour ma part, peu m'importe.

— Autant nous rendre à Morholt, poursuivit Elthir. Les métiers peuvent attendre et les marais, très peu pour moi.

— Pour une fois, je suis d'accord avec la Chérie.

— Donc c'est décidé. Demain, réunissons-nous devant la porte nord de Bourg-Sentra. Nous en profiterons pour essayer la Carte Animée. À demain !

Et sur ces mots, elle se déconnecta.

La jeune femme ouvrit doucement les yeux. Un remue-ménage semblait se produire dans la pièce contiguë à la sienne et elle soupira, plus soulagée qu'inquiète. Déposant son SARV sur la table de chevet, l'adolescente approchant de la vingtaine s'étira dans son lit et se leva. Elle quitta la chambre qu'elle partageait d'ordinaire avec sa sœur Sienna et se rendit dans le salon où un accueil tonitruant l'attendait.

Dès qu'ils l'aperçurent, ses six frères arrêtèrent de jouer puis se jetèrent sur elle.

— Julia, Michaël ne veut pas me prêter son jouet, s'écria l'un d'eux.

— C'est pas vrai, Julia, Tony ment. En plus, il a déjà piqué celui d'Ignacio, rétorqua le dénommé Michaël.

— Ce n'est pas grave, déclara Ignacio en prenant dans ses bras le plus jeune de la fratrie, le petit Emilio.

— Julia, tu savais que les dauphins pouvaient voir grâce au son ? demanda Alvaro, le plus vieux des garçons, tandis qu'un autre enfant se tenait à sa jambe pour tenir l'équilibre.

Julia sourit. Deuxième enfant de la famille Castillo, elle adorait tous ses frères et sœurs sans distinction. Cependant, il lui arrivait parfois de regretter que ses parents ne soient autant... productifs, c'était le mot. En effet, Carlos Castillo, son père, et Kate Castillo, sa mère, avaient déjà fait neuf enfants et ne semblaient pas vouloir s'arrêter car Kate attendait des jumelles.

Dans l'ordre, il y avait Sienna, l'aînée de 23 ans qui avait quitté le domicile familial un mois plus tôt, après avoir décroché son diplôme de médecin ; Julia, alias Sanerte, qui attendait désormais la rentrée pour poursuivre ses études de comptable ; Alvaro, âgé de 15 ans, qui se passionnait pour les livres ; Ignacio, le plus savant de la famille du haut de ses 14 ans ; Tony et Michaël, les jumeaux de 6 ans ; Hector, qui, malgré ses trois ans, commençait tout juste à accepter de se séparer de ses parents ; Emilio, le petit de deux ans qui se comportait étonnamment de manière sage, ce qui était étrange car aucun de ses aînés n'avait montré un tel calme dans sa jeunesse ; et enfin, Lily, la benjamine qui, du haut de ses huit mois, montrait déjà une attitude autoritaire envers sa famille qui se pliait à tous ses caprices, au grand désarroi de la mère.

Julia se saisit de la petite dernière qui essayait de les rejoindre dans son trotteur et alla s'asseoir dans le canapé, l'enfant sur les genoux. Elle écouta les doléances de ses frères, calma les jumeaux qui, malgré leur capacité à toujours s'entendre pour faire des bêtises, étaient incapables de vivre ensemble dans la tranquillité. L'adolescente les soupçonnait de faire semblant mais, sans preuve, elle refusait de donner un avis. Une fois que Lily se fut endormie, l'aînée rejoignit Alvaro et Ignacio qui adoraient reconstruire le monde avec leurs idées innovantes et participa au dernier débat en vigueur : les dauphins, si proches de l'homme, pourraient-ils un jour devenir l'espèce dominante de la planète ?

Après une heure à se chamailler oralement avec ses frères, Julia accueillit l'arrivée de ses parents avec plaisir. Tous les deux avocats à Sydney, Carlos et Kate s'aimaient comme au premier jour. Il n'était pas rare de les voir aller au cinéma comme deux adolescents amoureux. Cependant, ils mettaient un point d'honneur à s'occuper de leurs enfants avec la plus grande bienveillance jamais vue, d'après Sienna, la sœur aînée de l'Australienne. Cette dernière détailla ses parents.

Son père, d'origine argentine, était grand, élancé, la peau légèrement mate. Il portait ses longs cheveux noirs en queue de cheval, faisant ressortir sa mâchoire carrée et sa barbe courte mais drue. De son côté, sa femme était bien plus petite, atteignant à peine les 1m60. Aimant beaucoup la cuisine, et notamment la manger, elle possédait des joues rebondies qui lui donnaient un charme de poupée. Cela dissimulait le fait qu'elle approchait les cinquante ans, détail que découvraient parfois ses clients avec étonnement. Coiffant ses cheveux caramel comme son mari, elle possédait des yeux si sombres que parfois, Julia ne distinguait pas sa pupille dans ses iris, ce qui contrastait beaucoup avec ceux de son mari, rappelant la mer tant le bleu qui les composait était profond.

Lorsqu'ils la virent, ils l'embrassèrent joyeusement et, après avoir fait de même avec tous les membres de leur famille, ils se dirigèrent en cuisine où la jeune femme les aida à préparer le repas du soir. Comme d'habitude, les Castillo passèrent la soirée dans la bonne humeur et, même si Kate s'ennuyait du vide qu'avait laissé sa fille aînée, rien ne vint rompre le charme.

Le lendemain, Julia salua ses parents et s'occupa de ses plus jeunes frères tandis qu'Alvaro et Ignacio allaient s'amuser avec leurs amis. C'était le deal qu'elle avait passé avec eux lorsqu'elle s'était achetée Gillarg Stories. Elle les laissait profiter de leurs vacances d'été le matin tandis qu'elle avait le droit de jouer les après-midis. Ils avaient accepté sans se plaindre et depuis, se tenaient à leur parole sans difficultés. Le midi, elle fit manger les enfants avec les restes de la veille, sa mère en préparant toujours trop, et, une fois les plus petits à la sieste, elle retourna dans sa chambre.

Elle ne put s'empêcher, comme à son habitude depuis maintenant un mois, de sentir son cœur se serrer en voyant le lit de sa grande sœur. Elle savait qu'un jour, elle devrait elle aussi se séparer de sa famille, mais elle repoussait autant que possible le départ.

Elle se coucha sur son matelas et plaça le SARV sur sa tempe. Alors qu'elle allait appuyer pour se connecter, elle grommela intérieurement.

— J'espère que Mei aura oublié ses interrogations à propos de mon mort-vivant.

Elle activa le dispositif de réalité virtuelle et se plongea avec joie dans Gillarg Stories. Elle sentit son corps se métamorphoser, ses oreilles s'allonger, sa peau s'obscurcir et sa taille s'étoffer.

Elle savait qu'elle était en avance car les autres se connectaient aux alentours de 15h du monde réel, ce qui lui laissait trois bonnes heures dans le jeu devant elle. Comme à son habitude, elle se rendit à la bibliothèque. Elle aimait beaucoup le style d'écriture des auteurs de Gillarg Stories et, surtout, elle appréciait le fait que, du moment qu'elle était connectée, elle pouvait se souvenir de tout ce qu'elle avait lu. Cela était dû à l'un de ses titres, celui nommé « Souris de bibliothèque » qui, même sans être équipé, lui octroyait ce merveilleux bonus. Couplé à l'accessoire « Lunettes du rat » qu'elle avait achetées dès le début du jeu et qui lui permettaient de lire les ouvrages deux fois plus vite que normalement, elle pouvait acquérir toutes les connaissances du jeu bien plus simplement que les autres joueurs qui ne connaissaient pas cette information. Elle prenait d'ailleurs soin de toujours se cacher lorsqu'elle lisait, au cas où d'autres lecteurs auraient eu l'idée saugrenue de l'imiter. À Bourg-Sentra, elle avait opté pour un recoin perdu derrière l'étagère dédiée à l'économie où deux fauteuils avaient été installés en vis-à-vis.

Après s'être assurée de son isolement, elle commença donc à dévorer tous les livres concernant Morholt. Le petit hameau était situé à la périphérie du lac des Terres Enneigées, au nord de Bourg-Sentra. Au centre de l'étendue d'eau, un immense glacier s'élevait vers les cieux.

— D'après certains archéologues, expliquait l'ouvrage que lisait Sanerte, ce glacier serait en réalité une cryométéorite, voire, d'après sa grande taille, une mégacryométéorite. Elle se serait écrasée bien avant l'apparition des êtres vivants et, en fondant doucement au fur et à mesure que le temps passait, elle avait fini par former ce que l'on appelle aujourd'hui le lac Cryorite. C'est sur les berges de ce dernier qu'aurait choisi le fondateur de Morholt pour établir les prémices de son village.

Absorbée par sa lecture, l'Hynine ne fit pas attention à ce qu'il se passait autour d'elle. Aussi, lorsqu'une main se posa sur son épaule, elle se retint de justesse de pousser un hurlement de terreur. Elle se redressa dans son fauteuil et détailla l'individu qui venait de la déranger. Derrière elle se tenait une elfe aux longs cheveux roses. Ayant remarqué que Sanerte avait eu la peur de sa vie, la nouvelle venue semblait peinée.

— Veuillez m'excuser de vous avoir fait peur, mais je souhaitais vous demander si je pouvais m'asseoir sur ce fauteuil, demanda-t-elle en désignant l'assise en face de la Nécromancienne.

Un peu désemparée car elle se pensait la seule à connaître ce recoin, l'Hynine accepta tout de même.

— Oui, ne vous en faites pas, je n'attends personne.

— Merci, Damoiselle Sanerte, répondit l'elfe en prenant place.

Tandis qu'elle s'asseyait, un grand remue-ménage se fit entendre dans l'entrée de la bibliothèque. Cela ne sembla pas surprendre la nouvelle venue et l'Hynine était trop occupée à la détailler pour prêter attention à ce genre de distraction.

C'était une Hyterra, se souvint la Nécromancienne, une elfe provenant du continent ouest. De ce qu'avait lu la jeune femme, c'était un peuple qui descendait des Hyrests, les hauts elfes vivant dans leur cité flottante, et qui ne cherchait pas la guerre. Après avoir aidé le peuple des Surarfs, les nains vivant dans la forêt d'érable, face aux Xyls, les lynx bipèdes paranoïaques, ils s'étaient installés au creux d'un immense cerisier en fleurs qui faisait la jonction entre la Forêt Rose et la plaine Sans-Traître. Passionnés par la magie comme leurs semblables, ils possédaient tous une immunité aux sorts affectant le corps ou l'esprit, ce qui se traduisait en jeu par une annulation totale des effets secondaires des sorts. Il n'était donc pas rare de croiser des joueurs ayant choisi cette race.

Une fois qu'elle se fut souvenue de cela, Sanerte se concentra sur l'Hyterra en face d'elle. Portant une puissante armure ainsi qu'un bouclier recouvert de bandelettes dans son dos, elle était ravissante. En plus de ses cheveux roses, elle possédait de magnifiques prunelles violettes, qui donnaient à son regard un je-ne-sais-quoi d'hypnotique. Ce fut alors que la lectrice se rendit compte qu'à l'exception du pseudonyme de celle qui lui faisait face, elle ne pouvait ni voir son titre, ni son niveau. Curieuse, elle se décida à utiliser la compétence inhérente à sa race, « l'Œil perfide ». Cette capacité permettait aux Hynines de pouvoir accéder aux statistiques mais aussi à l'inventaire de ceux qu'ils observaient. Cependant, il y avait un temps de recharge plutôt long, ce qui évitait aux autres joueurs de se sentir constamment mal à l'aise en présence des elfes sombres.

— Œil perfide !

Aussitôt, une violente douleur jaillit dans son œil droit qu'elle dut fermer tant elle souffrait. Surprise de la voir se plier en deux en posant ses mains sur sa paupière, la dénommée Danaé se précipita à ses côtés.

— Vous vous sentez bien, Damoiselle ?

— Oui, ça va. Excusez-moi, j'ai voulu voir votre niveau en utilisant ma compétence de race mais je ne sais pas pourquoi, je n'ai rien pu voir. De plus, j'ai ressenti une vive souffrance dans mon œil.

— Cela est ma faute, pardonnez-moi, expliqua posément l'Hyterra. Je possède des informations que je préfère conserver secrètes et j'utilise donc une compétence que j'oppose aux petits curieux. En vous voyant, j'aurais dû vous mettre en garde mais cela m'est sorti de l'esprit.

— Ce n'est rien. C'est moi qui aurais dû vous demander plutôt que de tenter de vous espionner en catimini.

Une fois la douleur calmée, Sanerte put souffler un peu. Rassurée de voir que son interlocutrice semblait aller mieux, Danaé reprit la parole.

— Si ce n'est que mon niveau que vous voulez savoir, je peux vous l'indiquer. Je suis au niveau deux cents.

Surprise, la bibliophile sursauta à nouveau.

— Excusez-moi, je ne savais pas, Madame.

— Vous savez, je suis une joueuse normale, au même titre que vous, alors si vous voulez bien, nous pourrions laisser tomber la politesse et nous tutoyer. Qu'en dites-vous ?

— Si cela ne vous dérange pas, j'accepte.

— Très bien. Désolée d'avoir fait irruption dans ton coin mais je cherchais un endroit où je pourrais me reposer tranquillement.

— Cet endroit de la bibliothèque est parfait pour cela, affirma Sanerte.

— Tu prépares un voyage en direction de Morholt ? demanda Danaé en montrant les livres que lisait la jeune elfe à la peau sombre.

— Oui, en effet.

— Si tu souhaites te renseigner au mieux, je te conseille de lire cet ouvrage. Il est plus complet que les autres et aborde la plupart des choses que tu dois savoir pour te rendre là-bas.

Elle avait dit cela en extirpant de la pile d'ouvrages celui intitulé « Écosystème enneigé : Que faire dans la neige ? ». Reconnaissante, la Nécromancienne rangea celui qu'elle était en train de lire et ouvrit celui que lui avait indiqué Danaé. Elle parcourut le sommaire et remercia grandement la joueuse d'élite après avoir remarqué que, en effet, l'encyclopédie semblait complète sur tous les sujets importants.

— Tu aimes lire, Sanerte ?

— J'adore ! Je pourrais passer ma vie dans la bibliothèque juste pour découvrir l'histoire de Gillarg.

— Dans ce cas, je te conseille de te rendre à Rapvia, la ville de naissance de la plupart des Hibs, ajouta l'elfe aux cheveux roses en gloussant devant les étoiles qu'elle discernait dans le regard de la débutante.

— Merci encore du conseil, Danaé. Malheureusement, je ne peux pas te rendre la pareille. Je pense que tu connais tout du jeu.

— Malgré ce que beaucoup pensent, non, je ne connais pas l'entièreté de ce jeu. Preuve en est, j'ignorais cet emplacement de la bibliothèque que je consulte pourtant une fois par semaine. Bon, il semblerait que ma pause soit terminée, dit-elle en apercevant une fenêtre de dialogue apparaître devant elle. Ce fut un plaisir de te rencontrer, Sanerte. Je suis pressée mais si jamais je te recroise, ce serait un plaisir de discuter avec toi. Bon courage dans les Terres enneigées !

— Au revoir, Danaé. Au plaisir de te revoir ! la salua l'Hynine.

Elle dévora « Écosystème enneigé : Que faire dans la neige ? » et finit juste à temps l'épaisse encyclopédie au moment où elle reçut un message de Mei. Se hâtant de ranger les livres, elle sortit de la bibliothèque et fut surprise du nombre de joueurs présents devant l'édifice. D'ordinaire, il était rare de voir autant de personnes réunies au même endroit. Lorsqu'elle apparut sur le perron du temple de la connaissance, deux hommes lézards qu'elle identifia comme des Velcanides, descendants de la dragonne du feu Velca, s'approchèrent d'elle.

— Excuse-nous, Sanerte, mais n'aurais-tu pas aperçu une Hyterra du nom de Danaé dans les environs ? commença le premier, un dénommé Siart de niveau quatre-vingts.

— Malheureusement, non. Pourquoi donc ? s'enquit l'Hynine en gommant toute trace de mensonge dans sa voix.

— Eh bien, pour avoir son autographe, bourrique ! grommela l'autre Draconide en s'éloignant.

— Excuse mon compagnon, mais il était si heureux de pouvoir rencontrer l'une des fondatrices de la guilde Avatar qu'il en devient grossier. En tout cas, bonne journée à toi ! la salua poliment Siart en suivant son camarade.

Sanerte n'en revenait pas. Elle avait bien compris que Danaé était une joueuse d'élite, mais elle ignorait complètement qu'elle faisait partie de la meilleure guilde du jeu, d'autant plus qu'elle était l'une des fondatrices. On disait des joueurs appartenant au groupe Avatar qu'ils étaient les personnes les plus puissantes de Gillarg Stories. D'après une interview qu'elle avait visionnée dans la vraie vie, leur chef de guilde, Razer, était le détenteur de la première place du mode Joueur contre Joueur.

Légèrement émerveillée d'avoir pu tutoyer une telle célébrité, la Nécromancienne manqua de peu ses amies qui l'attendaient à la sortie nord de Bourg-Sentra. D'abord amusées par son comportement, Mei et Elthir faillirent perdre leur mâchoire quand elles découvrirent la raison de son absence.

— Tu as rencontré Danaé, la Danaé de Avatar ? chuchota l'Assassine en s'assurant que personne ne les entendait tandis que le trio marchait en direction du nord. Les filles avaient choisi de ne pas trop pousser le moteur de Mei à bout, au cas où elles en auraient besoin en urgence, et avaient décidé de faire une partie du trajet à pied.

— Oui, cette Danaé-là.

— Et tu ne l'as pas reconnue ? s'étonna l'androïde.

— Non, je n'ai pas fait attention. Il faut dire qu'à part Razer, je ne connais pas les membres d'Avatar.

— Ils sont neuf, récita Elthir qui suivait l'actualité de Gillarg Stories comme une groupie se renseignerait sur un groupe de K-pop. Il y a Razer, le chef, qui a fondé la guilde avec Danaé et Zhù Míng, l'historien connu pour avoir découvert les ruines du plus ancien donjon du jeu. Ensuite, il y a Genosawa, le stratège qui a vaincu le meilleur joueur d'échec de l'histoire, Grath, celui que l'on surnomme le Fou car, d'après les ragots, il tue tous ceux qui croisent sa route. Personnellement, je n'y crois pas car Avatar a bonne réputation. Après, leur médecin, Dame Althass, est connue car elle est étrangement en colère contre ses patients. Il paraît que, dans les événements où elle a participé, les joueurs qu'elle soignait revenaient au combat en pleurant qu'ils ne voulaient plus être blessés. Je ne connais pas bien Andrew et il me semble que la semaine dernière, ils ont recruté deux nouveaux membres, Bahasan et Melinda.

— Chérie, tu as oublié de dire qu'ils étaient surtout connus comme étant les seuls possesseurs d'une classe extrêmement rare. De plus, leurs nouvelles recrues l'ont été car ils ont découvert cette classe. Visiblement, c'est le ticket d'entrée dans cette guilde.

Tandis qu'elles discutaient joyeusement, elles tombèrent sur quelques monstres emblématiques de la plaine bordant Bourg-Sentra. Au bout d'une heure de jeu à affronter les monstres et à marcher, Mei décida qu'elle pouvait se métamorphoser sans risquer de faire souffrir son moteur. Durant le voyage, Sanerte en profita pour raconter ce qu'elle avait appris dans le livre conseillé par Danaé.

Morholt était dirigé par un Pao, un homme paon, du nom de Kuja. Cela fit sourire Elthir qui se dit que les développeurs n'avaient pas beaucoup d'idées pour les prénoms car, en japonais, paon se disait « kujaku ». Le hameau était habité par quelques dizaines de personnes et dépendait exclusivement de la pêche. Ce détail interrogea Mei.

— Ils pêchent dans le lac Cryorite ?

— En effet. Ils se nourrissent presque uniquement de Grachet, des poissons obèses qui se développent vite grâce aux nutriments contenus dans la météorite.

— Je me demande comment les poissons ont pu se développer dans ce lac, réfléchit à haute voix l'androïde.

— Grâce au Grand Cataclysme ! La météorite est tombée avant le Raz-de-Marée qui a failli emporter la civilisation des elfes, expliqua Sanerte à Elthir qui ne s'était pas trop renseigné sur l'histoire du monde.Lorsque l'eau est redescendue, dévoilant les continents, la météorite était encore présente. Les poissons vivant proches d'elle se sont retrouvés piégés dans le lac.

— Je n'avais pas vu les choses ainsi, dit Mei. Et les monstres ?

— La grande majorité vit sur le lac, qui est en partie gelé, ou a élu domicile sur les bords de la météorite. Il faut voir cette dernière comme une sorte de montagne de glace, remplie de tunnels et de cavernes.

Tout en progressant vers le nord, en direction de la cryométéorite qu'elles avaient pu discerner dès qu'elles furent suffisamment éloignées de Bourg-Sentra, les filles se rendirent compte que la température diminuait. Bientôt, l'herbe grasse et la douce brise furent remplacées par une fine pellicule de neige qui s'envolait sur le passage de la moto et un vent frais. Ce dernier, certainement doux lorsque l'on était à pied, semblait fouetter les elfes à cause de la vitesse et ces dernières finirent par grelotter de froid. Heureusement pour les passagères de Mei, elles virent bientôt le village de Morholt. Il semblait constitué d'une vingtaine de chaumières en bois, leurs toits d'ardoise recouverts par la neige. Quelques sapins s'élevaient entre elles, donnant un peu de relief au hameau accueillant. Le trio dépassa des plantations de choux des neiges, seul légume capable de pousser malgré la température glaciale du lieu.

Lorsque Mei fit descendre ses camarades de son dos, des enfants s'approchèrent d'elle pour s'émerveiller lorsqu'elle reprit son apparence humanoïde. Ils l'applaudirent et se dispersèrent lorsque leurs parents revinrent les chercher. Enfin, un Pao s'approcha des aventurières, portant dans ses bras des capes rembourrées. Comme les représentants de sa race, il n'était pas bien grand, à peine 1m50 de haut. Cependant, l'immense queue qui retombait derrière lui semblait bien longue. Comme les plumes de son corps, cette dernière était colorée d'un gris s'approchant du vert. Il portait un petit bouc sous son bec étonnamment expressif. En effet, il souriait sans difficulté, si bien que l'Assassine se demanda si tous les oiseaux étaient capables de telles expressions faciales ou si c'était inhérent aux hommes-oiseaux de Gillarg Stories. Elle se promit intérieurement de se renseigner sur Internet quand elle se déconnecterait.

— Eh bien, voyageuses, vous ne craignez pas d'attraper froid, dit le nouveau venu en leur tendant les vêtements chauds. Je me présente, je suis le maire de Morholt, Kuja. Qu'est-ce qui vous amène dans les Terres enneigées ?

— Bonjour, monsieur Kuja, s'exclama Elthir. Tout d'abord, laissez-moi vous remercier pour ces capes. Je ne pensais pas que le froid serait si mordant.

— Le glacier dégage constamment une puissante aura de froid qui déclenche une chute de neige continue, expliqua l'homme-paon. Cependant, nous avons la chance que celle-ci soit douce. Cela nous permet de vivre confortablement, même si les adorateurs de la chaleur fuient notre petite bourgade comme la peste.

— C'est bien dommage. Votre village est splendide, le complimenta Sanerte. Pour répondre à votre question, nous sommes envoyées par Viktor, qui nous a remis une lettre pour vous.

Mei sortit la lettre de son inventaire et la tendit au maire qui la lut. Lorsqu'il eut fini, il la rangea dans la longue manche de sa tenue rembourrée et les invita à le suivre.

— Viktor me fait savoir que vous avez été d'une grande aide pour Bourg-Sentra, expliqua-t-il en marchant, ses pattes griffues dans ses manches comme le ferait un moine asiatique. Malheureusement, Morholt vit peu d'événements intéressants pour des aventurières aussi chevronnées que vous. Mais je peux tout de même vous conseiller quelques lieux à explorer.

Alors que le trio et son guide tournaient à l'angle d'une des chaumières d'où s'échappait une fine colonne de fumée, un cri les fit sursauter. Au loin, provenant des plantations de choux, des fermiers semblaient courir en direction des habitations, paniqués. Plus vives que le maire, les aventurières dégainèrent leurs armes et bondirent en direction du raffut.

Lorsqu'elles arrivèrent sur place, elles furent surprises de découvrir, ravageant les champs, des marmottes blanches de la taille d'un petit ours. Certains agriculteurs, cherchant à protéger leur nourriture, essayaient de les intimider à l'aide de leurs fourches et de leurs bêches. Mais les bêtes, peu apeurées, se contentaient de creuser entre les rangées de légumes pour déterrer ces derniers et les dévorer. Comprenant que si les animaux continuaient à ravager les productions agricoles de la ville, les habitants risquaient de subir une famine, les joueuses ne firent pas dans la dentelle.

Elthir se jeta sur la première marmotte qui se trouvait sur son passage tandis que ses amies attaquaient à distance, l'une avec ses sorts et l'autre avec son fusil. Après quelques minutes de lutte acharnée contre les herbivores fous de rage, le trio réussit à mettre en déroute les assaillants ayant survécu à leurs attaques. Kuja venait d'arriver, ayant été retardé car il aidait les parents à retrouver leur marmaille éparpillée dans tout le village.

— Que diable s'est-il passé ici ? croassa-t-il, épouvanté en voyant le champ ravagé.

— Pardonnez-moi, monsieur Kuja, mais, sans vouloir vous manquer de respect, votre village n'est pas si tranquille que ça, répondit Sanerte.

— Que voulez-vous dire ? demanda le maire.

— Qu'à moins que les invasions de marmottes géantes ne soient un événement commun à Morholt, il semblerait que le village ait un problème, conclut Mei. 

Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top