Partie 2 : Chapitre 13Sur les traces du roi de la chaîne alimentaire


Mei ouvrit les yeux dans sa chambre. La pénombre régnait autour d'elle, permettant à la jeune adolescente de s'acclimater à la vive luminosité qui l'attendait dehors. Lorsqu'elle fut certaine qu'elle supporterait la lueur extérieure, elle ouvrit les rideaux. Malgré sa précaution, elle fut tout de même éblouie par l'éclat qui inondait déjà la pièce. Une fois remise, elle contempla avec déception sa pièce de vie. Sa mère n'avait pas dû envoyer de domestiques pour nettoyer les restes de nourriture de la veille, et l'adolescente soupira de déception. Elle avait espéré que son comportement obligerait ses parents à s'intéresser à elle, mais comme à leur habitude, ils l'ignoraient dès lors qu'elle ramenait de bonnes notes et des trophées. Une envie de saisir les coupes témoignant de ses nombreuses victoires aux différents tournois de badminton, auxquels elle avait été traînée sans son consentement depuis son enfance, et de les fracasser contre le sol lui prit.

Malheureusement, elle possédait une capacité d'analyse largement supérieure à la moyenne, ce qui jouait souvent contre elle. Là où une adolescente se serait laissée guider par ses émotions, Mei calculait le pour et le contre de chacun de ses gestes si vite qu'elle se demandait parfois si elle n'avait pas un processeur à la place du cerveau.

— Ce serait idiot de briser les coupes. Premièrement, je les ai gagnées à la sueur de mon front. Deuxièmement, Mère et Père s'en moquent ; cela n'effacera pas mes exploits. Donc, inutile de le faire. De plus, je risquerais de me blesser, lui renvoyaient ses pensées dès qu'elle attrapa le premier trophée.

Résignée, elle sortit de sa chambre et salua sombrement une domestique qui s'inclina sur son passage. Parfois, il lui arrivait de se satisfaire des courbettes de son entourage, mais aujourd'hui, elle n'était pas d'humeur à profiter de la souffrance des autres. Elle devait parler à ses parents

Lorsqu'elle croisa Bao, le majordome de son père, elle l'apostropha.

— Bonjour, monsieur Bao. Mon père est-il dans son bureau ?

— Bien le bonjour, mademoiselle. Malheureusement, vous venez de manquer vos parents. Ces derniers ont un voyage d'affaires à effectuer au Canada et ne rentreront pas de la semaine. Mais je peux tout de même leur faire parvenir un message.

— Merci, mais je souhaitais les confronter en personne. Tant pis, j'essaierai une autre fois.

— Je sais que ce n'est pas à moi de le dire, mais vous savez que vos parents, malgré leurs absences répétées, ne cherchent que votre bonheur, mademoiselle. Soyez indulgente avec eux.

— Bao, s'exclama Mei en haussant le ton, comme vous l'avez dit, ce n'est pas à vous de me le dire. Alors tant que ces paroles ne sortiront pas de la bouche de mes parents, inutile de me faire la morale, je vous prie.

Elle avait prononcé ces mots sans aucune émotion, juste en les déclamant plus fort. Bao était habitué à ce comportement et ne put s'empêcher de soupirer.

Depuis que la société de Shun Chen, le grand-père de Mei, spécialisée dans le textile et notamment la production de coton chinois, avait fleuri au point d'atteindre l'international, son fils Tao et sa femme Fën ne s'occupaient presque plus de leur fille, désormais âgée de quatorze ans. Cette dernière, abandonnée à la charge des domestiques de la maison depuis ses cinq ans, s'était construite à l'aide des livres qui tapissaient les murs de sa chambre. Ses parents, pensant bien faire, lui avaient choisi un précepteur à domicile ainsi qu'un entraîneur personnel, l'empêchant de rencontrer d'autres enfants du même âge. Et depuis neuf ans maintenant, la jeune fille avait perdu son sourire innocent et s'était renfrognée au point de dissimuler ses émotions derrière un masque calculateur et inexpressif. Enfin, pour aggraver son malheur, Shun, son grand-père, avait fini par décéder dans un accident de voiture, ajoutant aux responsabilités de Tao et Fën celles propres aux PDG d'entreprises.

Perdu dans ses souvenirs, le majordome ne remarqua pas que l'adolescente s'était éloignée, se dirigeant vers la salle d'entraînement où l'attendait Maître Zhao, son entraîneur de badminton mais aussi son maître d'armes. En effet, dès que la demoiselle avait compris que, en tant que future héritière de la firme de son aïeul, elle serait une cible parfaite pour des kidnappeurs, elle avait demandé à ses parents de faire venir un coach capable de l'amener à gagner ses compétitions sportives, mais aussi à lui apprendre à défendre sa vie.

Lorsqu'elle ouvrit les portes menant à son maître, ce dernier fit volte-face et lui lança quelque chose. Peu surprise, Mei se saisit en plein vol du poignard et roula pour éviter un second. Respectueux, Zhao applaudit sobrement sa disciple, non sans lui adresser un franc sourire.

— Bien joué, gamine. Tu as fait de sacrés progrès depuis que je m'occupe de toi.

— Merci, Maître. Mais je ne suis pas encore à votre hauteur. Tant que ce ne sera pas le cas, je ne me considérerai pas comme une enfant douée.

Pour l'adolescente, son entraîneur était la seule personne qu'elle appréciait du fin fond de son cœur. Dans ce manoir où elle était placée sur un piédestal, il était le seul à la traiter comme une enfant normale et l'aidait parfois dans sa quête de reconnaissance. De plus, dernièrement, il lui fournissait de la street food qu'elle mangeait dans sa chambre, une ultime tentative pour attirer l'attention de ses parents.

Les deux combattants s'entraînèrent au maniement des armes pendant une bonne heure, passant du couteau de cuisine au katana en passant aussi par les armes à feu. En effet, ancien général de l'armée chinoise, Zhao était capable de se battre avec à peu près toutes les armes que l'on pouvait trouver, et Mei le talonnait de peu dans la plupart des disciplines. Ensuite, après une pause bien méritée, il prépara son élève pour son prochain tournoi de badminton, et enfin, ils terminèrent par une séance de méditation. Une fois cela terminé, l'adolescente salua son maître et, après avoir récupéré les courses qu'il lui avait apportées, elle se rendit dans sa chambre.

Tout en mangeant, elle regarda machinalement son calendrier.

— Dans quelques jours, ce sera mon anniversaire. Et comme d'habitude, ils ne seront pas là mais m'auront envoyé des cadeaux du pays où ils se trouvent. Quitte à, j'espère qu'ils auront choisi du sirop d'érable, pensa-t-elle tristement en mordant dans une brioche nature.

Le lendemain, après avoir suivi ses cours du matin et pris un nouveau repas seule sur son lit, elle se connecta à Gillarg Stories. Aussitôt, elle sentit son corps se modifier. La première fois, elle avait trouvé cela particulièrement désagréable lorsque son sang s'était changé en circuit électrique et que sa chair avait été remplacée par du métal. Désormais, elle voyait cette modification structurelle plus comme de simples chatouilles, tout juste bonnes à lui faire relever la commissure des lèvres. Elle avait choisi la race des Mécatechs uniquement pour avoir accès à la classe Transmech, seule classe du début de jeu permettant à son utilisateur de modifier une arme unique. Mei trouvait qu'ainsi, elle pourrait, pour la première fois de sa vie, créer quelque chose qui ne lui appartiendrait qu'à elle.

SH1-S4N-M31 se réceptionna souplement sur l'une des nombreuses places de la ville de Bourg-Sentra. Elle ouvrit immédiatement son menu et sourit en notant que Sanerte et Elthir étaient déjà connectées. L'androïde les contacta et elles décidèrent de se retrouver devant la mairie. Étant la plus éloignée du bâtiment, Mei fut la dernière à arriver et subit les railleries de l'Assassine. Si extérieurement elle s'offusquait de chaque attaque et lui rendait la pareille, intérieurement la Mécatech jubilait. Personne ne savait ni ne saurait qu'elle adorait se chamailler avec ses amies. Pour la première fois de sa vie, l'adolescente n'était pas approchée pour sa richesse ni pour son talent. Et si au début elle avait eu du mal à accepter l'elfe, aujourd'hui elle regrettait chaque moment passé loin d'elle.

— C'est stupide, commentaient ses pensées. Tu ne la connais que depuis deux jours et tu la considères comme une amie alors que tu ne sais même pas si elle ne te plantera pas à un moment.

— Certes. Mais au moins, elle est là maintenant. Et je m'en moque si elle disparaît un jour. Ce que je veux, c'est profiter maintenant de sa présence, se répondit-elle mentalement, maudissant son esprit analytique.

Après que Sanerte eut réussi à calmer ses deux camarades, le trio pénétra dans la demeure de Viktor et fut surpris de le découvrir en train de faire les cent pas dans son bureau. Dès qu'il vit les trois aventurières, son visage gonflé par ses excès de nourriture s'illumina en un franc sourire.

— Mesdemoiselles, vous tombez à pic. Seriez-vous à la recherche d'un travail ?

— C'est exact, Viktor, répondit la Nécromancienne en s'inclinant. Y a-t-il un problème ? Vous semblez agité.

— En effet. La plus grosse crise que notre ville ait connue s'est produite hier soir et je ne savais plus quoi faire. Voulez-vous bien nous aider ?

— Pourrions-nous avoir les détails de cette mission ? s'enquit Mei.

— Oui, excusez-moi. Ce matin, un garde-chasse a retrouvé le tyrannis dans un état improbable. Il m'a demandé de contacter la ville de Cloruth en urgence afin qu'ils envoient les meilleurs membres du clan Sauvage pour soigner ce pauvre animal. Cependant, ce dont j'ai besoin de vous, c'est que vous retrouviez celui qui a fait ça. D'après un ami à moi qui est sur place, c'est un autre monstre qui a réussi à blesser le tyrannis. Si vous le retrouvez et le mettez hors d'état de nuire, je vous donnerai de l'argent mais aussi une lettre d'introduction à présenter au dirigeant de la ville de Morholt. Cela vous convient ?

Elthir, le regard vitreux, observa ses camarades qui semblaient réfléchir. Malheureusement pour elle, elle ne connaissait pas du tout le monstre dont parlait le maire mais, au vu de ce qu'il disait, elle comprenait vaguement que la situation était grave. Ce fut finalement Mei qui prit la parole.

— Interrompez-moi si je me trompe, Viktor, mais le tyrannis est un puissant monstre qui se situe au sommet de la chaîne alimentaire de la plaine entourant Bourg-Sentra. Si une bête, quelle qu'elle soit, est capable de terrasser un tel monstre, comment pourrions-nous, à notre niveau, vaincre un adversaire pareil ?

— Je comprends votre inquiétude. Cependant, d'après les dires de mon collègue, le tyrannis a réussi à blesser son agresseur suffisamment pour que ce dernier soit affaibli. Écoutez, je manque de temps. Je vous propose de rencontrer mon ami Mesidis sur place puis d'enquêter. Si jamais vous pensez que vous n'êtes pas capables de vaincre la bête, revenez et indiquez-nous simplement sa piste. Je trouverai alors des aventuriers capables de la défaire. La récompense reste la même et, si jamais vous vainquez le monstre, j'accepte de vous remettre, en plus de l'or et de la lettre, un équipement provenant de ma réserve personnelle. Cela vous convient ?

Mei écarquilla les yeux. Viktor était un PNJ connu pour être assoiffé de trésors en tout genre. Qu'il propose de lui-même de se défaire d'un objet de sa collection, même le plus faible d'entre eux, indiquait qu'il était vraiment désespéré. Ne trouvant rien à redire aux conditions énoncées, l'androïde accepta la proposition. Aussitôt, la fenêtre de dialogue leur indiquant qu'elles avaient accepté une nouvelle mission apparut devant les trois filles. Pressées par le ton inquiet du maire, elles le saluèrent et, une fois hors de la ville, la Mécatech se changea en moto et le trio fonça à l'endroit que leur avait indiqué Viktor.

Pendant que Mei fonçait à toute allure vers le sud, contournant les Montagnes grises par l'ouest, Elthir interrogea Sanerte sur le tyrannis. Cette dernière, grande connaisseuse du jeu puisqu'elle passait la plupart de son temps libre connectée à lire les documents présents dans les bibliothèques de chaque ville, lui expliqua ce qu'elle savait.

— Ah oui, j'avais oublié que tu n'étais pas venue avec nous hier matin à Bourg-Sentra. Le tyrannis est le monstre le plus puissant que l'on puisse trouver dans les plaines bordant la ville. Il ressemble à un tyrannosaure avec des faucilles à la place des bras. Nous l'avons aperçu de loin lorsque nous sommes arrivés sur cette île. Heureusement, Mei est suffisamment rapide pour le semer et nous étions trop loin pour qu'il nous affecte avec son rugissement paralysant. Il est le symbole de Bourg-Sentra.

— Je comprends mieux l'inquiétude de Viktor. Si quelque chose a réussi à blesser un tel monstre, cela signifie que la ville est en danger, commenta l'Assassine, inquiète.

— Il n'y a pas que cela, poursuivit Mei en évitant un buisson de fleurs qui lui semblait étrange. Si le tyrannis est vaincu, c'est toute la chaîne alimentaire qui va être affectée. Le super-prédateur l'ayant vaincu a peut-être des préférences alimentaires différentes du tyrannis et peut se mettre à décimer les troupeaux de béyangs, la principale source de viande de Bourg-Sentra.

— Cela reste une supposition, mais nous ne pouvons nous permettre d'attendre pour voir si nous avons tort ou non, reprit Sanerte en remerciant intérieurement Elthir de s'être attaché les cheveux en un chignon qui lui évitait de se faire fouetter par la coiffure de son amie. Mei, à droite, je crois que c'est l'homme que nous a désigné Viktor.

En effet, à une centaine de mètres vers l'ouest, une silhouette près d'un rocher semblait leur faire signe. Mei prit un virage serré et accéléra, avalant la distance à toute vitesse. Au fur et à mesure qu'elles s'approchaient, Elthir remarqua que ce qu'elle avait pris pour un rocher était en réalité le corps d'une bête. Supposant que c'était le tyrannis, l'Assassine le détailla lorsqu'elle descendit de la moto.

Comme l'avait décrit Sanerte, la bête ressemblait de loin à un tyrannosaure armé de faucilles, même si l'une d'entre elles semblait brisée en deux et pendait misérablement sur le ventre rebondi de la bête. Mais en regardant de plus près, l'Hylisse aperçut plusieurs détails qu'elle n'avait pas remarqués de loin. La créature, d'une coloration rappelant l'herbe fraîche et grasse, avait deux crochets de part et d'autre de sa puissante mâchoire. De plus, elle avait des sortes de points sous ses yeux. Lorsqu'elle s'approcha encore pour saluer l'homme qui les attendait, elle comprit que c'étaient de minuscules globes oculaires.

Réprimant un frisson de dégoût, Elthir reporta son attention sur la discussion que commençait Mei. Elle s'adressait à un humain, trentenaire d'apparence, petit mais athlétique. Il portait une tenue de camouflage qui le faisait se confondre avec les plantes de la prairie. Ses cheveux, longs, avaient été teints pour coller avec ses habits et seul le bleu de ses pupilles aurait pu le trahir s'il s'était couché au sol.

— Bonjour, sieur Mesidis, je présume, salua la Mécatech.

— Tout juste, damoiselle SH1-S4N-M31. Je suppose que Viktor vous envoie pour pister la bête qui a attaqué ce pauvre tyrannis.

Tout en parlant, il caressait tendrement l'animal blessé qui dormait paisiblement. Il prenait bien garde à éviter les sillons que les crocs ou les griffes de l'agresseur avaient laissés sur le corps du dinosaure.

Ce fut alors que ce qu'avait dit Mesidis frappa les jeunes femmes.

— C'est une femelle ? s'étrangla Sanerte.

— Pas vraiment. Les tyrannis sont des créatures hermaphrodites capables de parthénogenèse.

Lorsqu'il vit le regard perdu des deux elfes, l'homme sourit.

— Je voulais dire que les tyrannis sont des animaux à la fois mâles et femelles. De plus, ils sont capables de se reproduire seuls.

— C'est le cas des escargots, souligna Mei qui suivait la conversation sans difficulté.

En effet, elle avait des connaissances poussées en biologie, vu qu'elle devait hériter de l'entreprise familiale.

— Oh, donc je comprends d'autant plus l'urgence de la situation, répliqua Sanerte. Si ce tyrannis meurt...

— C'est l'unique survivante de son espèce, expliqua Mesidis. Après que les aventuriers soient arrivés sur notre île, les membres de cette race ont été chassés pour leur peau, leurs faucilles et leurs crocs. Heureusement, Viktor a réussi à faire voter une loi interdisant leur chasse mais nous sommes passés près de l'extinction. Je la surveille depuis un an désormais et lorsque j'ai vu qu'elle était enceinte, j'ai voulu prévenir Viktor. Malheureusement, c'est à ce moment-là qu'a eu lieu l'attaque. Lorsque j'ai réussi à retrouver la piste du combat, elle était déjà blessée et son assaillant, envolé. Depuis, je reste à ses côtés.

— Vous ne craignez pas que le monstre revienne ? s'inquiéta la Nécromancienne.

— Il n'y a aucune chance. Je suis un expert en survie et je suis capable de créer des illusions pour repousser les prédateurs. Quant au tyrannis, je lui administre des somnifères à heure fixe pour qu'elle ne se réveille pas. De plus, je crois que les renforts venant de Cloruth ne tarderont pas à arriver.

— Dans ce cas, nous allons commencer à enquêter sur l'agresseur. Avez-vous relevé quelque chose ? demanda Mei en prenant le commandement de l'équipe.

— Non. Vous trouverez les traces du combat par-là, leur indiqua Mesidis en désignant les Montagnes grises.

— Merci beaucoup. Prenez soin de vous, conclut l'androïde en le saluant et en s'éloignant dans la direction que l'homme leur avait indiquée.

Lorsqu'elles arrivèrent à l'endroit où avait eu lieu l'affrontement, la première chose qui saisit les deux elfes fut l'odeur. En effet, il régnait autour d'elles un parfum abominable rappelant un mélange entre les effluves d'une poubelle laissée dehors en pleine canicule estivale, un morceau de viande avariée et un laboratoire chimique. Entourant leur nez d'un morceau de tissu, les filles commencèrent à fouiller l'endroit où l'herbe avait été aplatie, sous les commentaires railleurs de Mei qui se moquait de leur odorat sensible.

Tandis qu'elle s'approchait du seul rocher présent aux alentours, Sanerte faillit glisser sur une surface molle. Elle se rattrapa sur la paroi rocheuse et allait regarder où elle avait mis les pieds lorsqu'elle sentit une vive douleur dévorer son talon. Elle poussa un gémissement de douleur. Alertées, ses camarades s'approchèrent et la trouvèrent en train de sautiller sur place, se tenant la jambe.

— Attention où vous marchez ! cria la Nécromancienne lorsqu'elle les vit.

Surprises, Mei et Elthir se figèrent et détaillèrent le sol. Ce fut alors qu'elles aperçurent une flaque d'un liquide verdâtre. Curieuse, l'Assassine s'accroupit devant et, avisant un caillou dépassant de la végétation aplatie, elle le jeta dans le fluide. Aussitôt qu'il entra en contact, la substance siffla et fit fondre le minerai comme un morceau de sel dans de l'eau chaude.

— Je ne sais pas ce que c'est, grommela l'Hynine tandis que la douleur dans son talon refluait, mais ça a bouffé ma chaussure et mon pied par la même occasion.

— Vu comment cela a rongé le caillou, je dirais de l'acide. Bien, cela nous permet d'éliminer pas mal de créatures, analysa l'androïde. Nous cherchons une créature grande, capable de cracher de l'acide et carnivore.

— Comment sais-tu pour la taille et le régime alimentaire ? s'étonna l'Hylisse en versant une potion de soin sur le pied de son amie blessée.

Cette dernière soupira de soulagement mais râla que sa botte restait fichue.

— L'herbe est aplatie de manière uniforme, ce qui signifie que le prédateur était aussi lourd que le tyrannis. Or, je ne connais pas de créatures de petites tailles aussi denses. Et pour le fait qu'il soit carnivore, c'est une évidence car aucun herbivore ne s'attaquerait sciemment au tyrannis, qui, je rappelle, représente le sommet de la chaîne alimentaire, argumenta Mei.

Satisfaite de son petit effet, l'androïde fit volte-face et recommença à fouiller la scène de combat. Au bout de plusieurs minutes de recherche, Elthir se releva en grommelant. À force de fouiller le sol en étant courbée, son dos la lançait. Elle s'étira un peu, faisant craquer ses os.

Pensive, elle contemplait la plaine qui s'étendait autour d'elles lorsque ses yeux se posèrent sur un buisson qu'elle reconnut. C'était le même que celui qu'avait évité Mei tandis qu'elle et Sanerte discutaient avant que le trio ne rencontre Mesidis. Elle s'en souvenait bien car elle avait remarqué qu'il manquait deux pétales au sommet de la fleur principale. Aussi, lorsqu'elle nota la même absence sur le végétal, elle se mit en garde.

Étonnée de son geste, sa camarade elfe s'approcha d'elle.

— Qu'est-ce que tu fais ?

— Tu vois le buisson à une dizaine de mètres devant nous ?

— Oui, pourquoi ?

— Je suis persuadée qu'il n'était pas là lorsque nous sommes arrivées. Je peux même jurer l'avoir vu lorsque Mei roulait tout à l'heure.

— Dans ce cas, il va nous falloir combattre, fit calmement la Nécromancienne en dégainant sa nouvelle faux. Ce n'est pas un végétal mais un animal. On les appelle les wenzas ou dandelions. Ce sont des lions qui se camouflent en fleurs. S'il y en a un devant nous, c'est que d'autres doivent être dans le coin. Faites attention à vous, cria-t-elle en chargeant le bosquet.

Ce dernier s'ébroua et bondit, abandonnant son camouflage pour se révéler. Encore une fois, Elthir se fit la remarque que Sanerte était une grande connaisseuse de l'univers car, malgré toutes les vidéos qu'elle avait pu voir, elle n'avait jamais vu ces félins aux allures de pissenlit en fleur.

De son côté, Mei vit des hautes herbes sortir trois autres wenzas et décida d'activer sa nouvelle compétence.

— Hurlement de l'alpha !

Aussitôt, tous les fauves se jetèrent sur elle. Mais elle était prête. D'un seul coup de Lei, son arme, elle faucha ses ennemis et les acheva en changeant sa lame en fusil et en tirant une salve de projectiles d'énergie sur eux. Sanerte, quant à elle, venait d'achever son adversaire sans trop de difficultés. Tandis que l'elfe à la peau sombre se jetait sur l'androïde pour la complimenter sur sa capacité de combat et que cette dernière s'esquivait à la dernière minute, laissant s'écraser la Nécromancienne au sol, Elthir réfléchissait. Quelque chose n'allait pas.

— D'après ce que m'a dit Sanerte, j'en déduis que ces monstres chassent en meute. Or, là, ils avaient l'air étonnamment pressés. Avaient-ils faim ou...

Au moment où l'idée émergea dans son cerveau, un grognement retentit derrière elle. L'Assassine fit volte-face et déglutit. Juché sur le rocher où sa camarade s'était appuyée, un nouveau wenza, bien plus grand que les précédents, se tenait face à elle. Ses flancs étaient couverts de griffures et une partie de sa collerette végétale avait été arrachée.

Alors qu'elle allait se jeter sur lui pour l'abattre, le monstre poussa un rugissement si puissant qu'elle dut se couvrir les oreilles et, profitant de son immobilité, il bondit au-dessus d'elle et s'échappa en boitant. Cette démarche stoppa net Mei et Sanerte qui s'apprêtaient à le poursuivre.

— Mince alors, s'exclama la Mécatech. C'est bien la première fois que je vois un tel monstre dans un état aussi pitoyable. Vous pensez à ce que je pense ?

— Oui. Je suis certaine que si on remonte la piste de ce wenza dans l'autre sens, nous allons découvrir le responsable de ses blessures ainsi que celles du tyrannis, déduisit Sanerte.

— Dépêchons-nous avant que l'agresseur ne s'éloigne trop ! conclut Elthir en sautant par-dessus le rocher qui les séparait du chemin qu'avait emprunté l'animal blessé.

Ses camarades la suivirent, prenant garde à se déplacer en parallèle de la piste du wenza afin d'éviter les traces d'acide qui avaient coulé de ses plaies. De plus, elles pouvaient progresser en se dissimulant dans les herbes hautes en s'accroupissant lorsqu'il semblait à l'une d'entre elles percevoir une silhouette ou un son indiquant la présence d'un quelconque assaillant. Cependant, à l'exception des jeux de leur imagination, rien n'apparut durant la première heure. Elles finirent par découvrir un nouveau coin d'herbes aplaties et commencèrent de nouveau à chercher une piste.

Tandis que ses amies se concentraient sur l'intérieur du cercle dessiné dans la prairie par le wenza et son assaillant, Sanerte fronça les narines. Dans la zone que Mesilis leur avait indiquée, l'odeur était forte mais supportable. Mais ici, l'elfe à la peau sombre suffoquait tant le parfum infect remplissait son nez. Elle voulut secouer la main devant elle pour espérer dissiper l'effluve toxique, lorsque ses doigts disparurent. Surprise, la Nécromancienne tendit la main et écarquilla les yeux quand celle-ci s'évapora jusqu'à son poignet. Elle bougea son membre et comprit qu'elle avait affaire à une illusion.

— Un grand monstre... Carnivore... Qui crache de l'acide... Capable de créer des illusions... se remémora-t-elle en essayant de croiser les informations avec ses propres connaissances.

Ce fut alors que son cerveau fit le rapprochement. Tentant de ne pas paniquer, elle recula tout doucement, priant pour qu'elle se trompe. Mei vit le comportement de sa camarade et alerta discrètement Elthir. Cette dernière dégaina aussitôt ses dagues et s'approcha de Sanerte.

— Tu as trouvé quelque chose ? murmura-t-elle en voyant son regard horrifié.

— Les filles, nous devons impérativement fuir cet endroit. Ce monstre est bien trop puissant pour notre niveau, déclara Sanerte.

— Tu sais qui est l'agresseur ? s'étonna Mei, qui se pensait plus intelligente que l'Hynine.

— Oui. C'est une...

Malheureusement pour elle, l'air devant elles se tordit et l'illusion se dissipa, révélant son auteur. À l'endroit où Sanerte avait discerné le mur d'invisibilité se tenait désormais un immense lion, mesurant près de trois mètres de haut. Son corps, couvert de marques de griffures et de morsures, semblait rongé par la faim tant il était maigre. Sous le cuir terne et émacié qui autrefois devait être ferme et chatoyant, les aventurières pouvaient désormais discerner les os de l'animal. Sur son flanc droit, retombant mollement en tirant une langue asséchée, une tête de chèvre agonisait, roulant ses yeux dans son orbite comme seule preuve de sa volonté de vivre. Derrière les poils de sa crinière dont on reconnaissait par endroits l'ancienne noblesse, une forme étirée semblait onduler erratiquement. Lorsqu'un sifflement s'échappa de la silhouette en arrière, le trio put l'identifier comme un serpent. Et ce fut à ce moment que le jeu fit apparaître dans le champ de vision des joueuses le nom et la jauge de vie de la bête.

« Chimère famélique. Niveau : 20. PV : 50 % »

Mei, sortant de sa stupeur grâce à son puissant esprit analytique, eut juste le temps de pousser ses camarades en arrière que le serpent ouvrait grand sa gueule. Aussitôt, un nuage verdâtre s'échappa d'entre ses crochets brisés et frappa de plein fouet la Mécatech. Cette dernière hurla de douleur tandis que le métal de sa peau se faisait lentement ronger par l'acide volatile.

Vive, Sanerte fit tournoyer sa faux pour dissiper le brouillard toxique, mais la tête de chèvre ne lui laissa pas le temps d'agir. Ses yeux fous s'illuminèrent d'une aura bleutée tandis qu'elle poussait un faible bêlement. Aussitôt, la chimère disparut de la vue des filles. Comprenant que la bête était sur le point d'attaquer, les deux elfes réagirent en conséquence.

— Sous Cape !

— Frappe osseuse ! Amitié macabre !

Tandis que l'Hylisse disparaissait dans les herbes hautes, son homologue à la peau sombre invoquait Mickey et son poing squelettique pour protéger Mei et elle-même. Elle fit bien car, à peine les deux sorts activés, un crachat venant de sa droite frappa la main créée. Cette dernière disparut aussitôt, permettant aux deux joueuses de se jeter sur l'endroit d'où venait le projectile, fauchant avec leurs armes une zone suffisamment grande pour être sûres de toucher la chimère. Malheureusement, les joueuses avaient en face d'elles une créature vicieuse.

Leurs lames tranchèrent le vide tandis que, rompant l'illusion, le monstre réapparut dans leur dos, seule sa queue au-dessus d'elles lui permettait de les attaquer depuis la droite. Prises au dépourvu, Mei et Sanerte ne purent esquiver le coup de patte violent de la créature. Si la Nécromancienne tint bon, l'androïde, déjà blessée, vit ses points de vie atteindre zéro. Tandis que son corps disparaissait, elle eut juste le temps de lancer un sort.

— Les chaînes innocentes !

À peine avait-elle eu le temps de dire cela qu'elle se désagrégea complètement. Heureusement, les liens d'or qui avaient autrefois servi à retenir Molsas Hund apparurent et immobilisèrent le lion, la chèvre et le serpent. Le monstre rugit mais il ne pouvait plus bouger. De plus, ainsi sanglée, la tête du ruminant ne pouvait plus respirer, l'empêchant tout bonnement de lancer le moindre sort. Folle de rage, la chimère voulut rugir de frustration, mais une violente explosion retentit sur son flanc exposé.

Elthir venait de réapparaître et d'effectuer un coup critique lors de sa première attaque. Sachant parfaitement qu'elle n'avait que quelques instants durant lesquels elle devrait tout donner, elle ne lésina pas sur les moyens employés.

— Lame enduite ! Entaille !

Durant le délai de cinq secondes que lui offrait le sort de sa défunte camarade, elle réussit à placer une dizaine de coups, tandis que son alliée encore vivante avait lancé deux sorts tout en reculant pour ne pas subir trop de dommages, et que son invocation avait frappé trois fois la bête. Satisfaite, l'Assassine s'apprêtait à bondir en arrière mais elle ne fut pas assez rapide. La mâchoire reptilienne se saisit d'elle, injectant son venin par ses crocs ébréchés dans son corps, puis l'envoya devant la chimère famélique qui se rua sur elle.

Elthir eut tout juste le temps de lancer sa dague, qui créa une nouvelle estafilade sur le cuir meurtri de la bête, avant de périr, dévorée. Il ne restait plus que Sanerte qui grommela.

— Amitié macabre ! Nuage nécrotique !

Consommant la totalité de ses points de magie, la Nécromancienne invoqua Mélisande ainsi que son ultime revenant et projeta droit sur son ennemi un brouillard noir rappelant celui verdâtre du serpent. Malheureusement, bien que son assaut ait grignoté quelques points de vie au monstre, ce dernier ne lui laissa aucune chance. Même s'il eut plus de mal avec le dernier d'entre eux, l'assaillant du tyrannis et du wenza se débarrassa des morts-vivants et, d'un ultime coup de patte, faucha la vie de l'elfe à la peau sombre.

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