Partie 1 : Chapitre 6Juste un jeu
Fàffnîrr ne put s'empêcher de jurer en entendant son amie. Quand elle énonçait les faits, tout paraissait toujours si simple.
— N'ayez crainte, Madame. Nous allons trouver cette créature et la défaire au plus vite, continua Ama.
— De plus, j'essaierai de voir, si jamais la maladie a un rapport avec le monstre, si je ne peux pas faire un remède pour vous tous, ajouta Az.
— Tu comptes faire comment ? grommela Fàffnîrr.
— En tant que Prêtre, je possède un talent passif qui me permet de créer des remèdes, mais la condition initiale est de posséder un échantillon de la maladie originelle.
Ne pouvant se retenir plus longtemps, Mathilde laissa de nouveau couler ses larmes. Fàffnîrr nota la coloration légèrement rougeâtre des pleurs de la femme et grimaça.
— Si vous voulez bien, nous reviendrons ce soir, après notre enquête, pour vous tenir au courant. Nous allons nous absenter pour nous préparer pour ce soir.
La maîtresse de maison hocha la tête et ils la laissèrent en compagnie de ses enfants qui vinrent la réconforter. Lorsqu'ils furent assez éloignés, l'Abarf se figea et soupira.
— Bon, je vais me déconnecter et on se retrouve à vingt-et-une heures comme convenu. D'accord ?
Az et Ama opinèrent et ils se déconnectèrent tous les trois en même temps.
Lorsque neuf heures sonna, ils apparurent en même temps sur la place de Bourg-Sentra. D'un commun signe de tête, ils prirent la direction des portes de la ville et en sortirent. Ils longèrent les murailles extérieures et se placèrent à peu près à l'endroit où se situait la maison de Mathilde. Aussitôt, Fàffnîrr remarqua des plumes similaires à celles qui décoraient la demeure. Il allait se pencher pour en ramasser une lorsqu'un cri retentit. Les trois amis se tournèrent vers l'ouest, direction d'où provenait le son tonitruant, et y foncèrent. Heureusement pour eux, Gillarg Stories ne possédait pas de système d'endurance et ils purent courir à pleine vitesse pendant trente minutes sans ressentir de fatigue. De temps en temps, ils entendaient un nouveau mugissement, les obligeant à corriger leur trajectoire. Ils finirent par tomber sur une caravane, ou plutôt ce qu'il en restait. En effet, les multiples carrioles avaient été réduites en débris de bois éparpillés partout tandis qu'une dizaine de gardes gisaient au cœur d'une flaque de sang. Cependant, aucune marchandise n'était apparente.
— Vous pensez que ce sont des bandits qui ont fait ça ? demanda Ama d'une petite voix.
— Non, c'est ce qu'on cherche qui a fait ça, grommela l'Abarf. Regardez !
Il pointait d'un doigt les mêmes plumes bariolées qu'ils avaient vues plus tôt, plantées dans les vestiges des véhicules.
— Ce qui est sûr, c'est qu'on a affaire à un monstre carnivore et plutôt gros, continua le Chasseur.
— Qu'est-ce qui te fait dire ça ? l'interrogea Az, toujours curieux d'en apprendre plus.
— Les carrioles étaient tractées par des chevaux. Or, je ne vois aucun de leurs cadavres. Si cette bestiole est capable de dévorer une monture sans en laisser une miette, on a intérêt à bien faire attention. De plus, les plumes nous indiquent que c'est un oiseau ou une créature possédant un plumage. Mais je ne connais aucun monstre vivant dans la plaine qui correspond à mes pistes.
Tandis que les garçons discutaient, la Gardienne ne put s'empêcher de regarder les alentours, s'éloignant un peu de la scène de massacre. Son regard avait capté un mouvement et elle n'avait pas pensé à prévenir les autres. Elle finit par voir un gros pissenlit en fleur qui se balançait doucement au gré du vent. Toute personne n'étant pas Ama aurait peut-être commis l'erreur de baisser sa garde, mais l'adolescente avait commencé à bien saisir le jeu. Elle recula de deux pas et bondit, levant au-dessus de sa tête son pavois qu'elle abattit sur la plante. Cette dernière poussa un cri de douleur et se métamorphosa en une espèce de lion végétal possédant des feuilles comme collerette.
Aussitôt, deux autres monstres sortirent des ombres et se jetèrent sur la Gardienne. Mais, poussée par l'adrénaline, Ama réagit à l'instinct. Profitant que son arme était solidement enfoncée dans le sol, écrasant la bête, la jeune femme, se tenant sur les mains, fit pivoter son corps et balaya ses deux opposants d'un coup de pied circulaire. Ensuite, d'une puissante impulsion des bras, elle bondit à nouveau tout en récupérant son bouclier. Elle se réceptionna juste devant Az et Fàffnîrr qui, en entendant le grabuge, s'étaient précipités à son secours. L'Abarf grommela dans sa barbe et Ama fut certaine de discerner les mots « Dalron », « enclume », « gamine » et « fou ». Elle n'eut pas besoin de beaucoup de temps supplémentaires pour comprendre que l'aîné du groupe se plaignait à son dieu d'elle et elle ne put s'empêcher de rire.
Pendant que les humains s'étaient regroupés, les wenzas, que l'on surnommait parfois les dandelions en référence au mot anglais désignant les pissenlits, s'étaient remis des attaques de la Gardienne et commençaient à encercler leurs proies. En plus des trois qui avaient affronté Ama, deux autres avaient émergé des ténèbres de la nuit. Le plus massif des cinq feula et ses compagnons bondirent. Mais leurs cibles étaient bien préparées.
Az leva son sceptre et, ne cherchant pas à faire dans la dentelle, l'abattit droit sur le museau délicat de son agresseur, le faisant choir à ses pieds. Le félin végétal voulut se redresser mais la voix de sa proie retentit.
— Première neige ! répéta deux fois l'orc.
Les deux sorts le percutèrent dans le dos et son corps se fana aussitôt. Satisfait, le Prêtre voulut venir en aide à ses amis mais il s'aperçut que ces derniers s'en sortaient plutôt bien. Fàffnîrr avait dégainé sa hache et contrait les assauts de son adversaire en répliquant à gros coups de lame tranchante.
De son côté, la Gardienne ne donnait pas l'impression de faiblir malgré ses deux adversaires. Les deux wenzas bondissaient toujours en décalé afin de surprendre l'humaine, mais celle-ci paraissait danser au milieu de leurs assauts infructueux. Elle venait d'ailleurs d'avoir une idée.
Elle planta son pavois dans le sol et, esquivant d'un bond l'attaque du lion qui avait contourné sa protection, elle atterrit sur l'arête de son arme. Derrière elle, le deuxième monstre se jeta sur elle, mais elle avait parfaitement anticipé son action. D'un salto arrière magnifiquement effectué, elle passa dans le dos de la bête encore en l'air et se saisit de sa tête. Profitant de l'élan de la créature, elle écrasa le museau végétal contre le bois de son arme, sonnant promptement l'animal. Ama, sachant parfaitement que l'autre félin était de l'autre côté de son pavois, frappa du plat de sa plante de pied le bouclier. Ce dernier percuta de plein fouet le wenza qui ne s'y attendait pas et ne put esquiver le second coup. En effet, juste après l'avoir propulsé, la Gardienne avait rattrapé sa protection et, tout en tournant sur elle-même, frappa la tempe de la bête qui s'écroula, le crâne fendu.
Voyant qu'il ne restait aucun de ses camarades debout, le plus gros des félins grogna et s'enfuit. Celui qu'avait assommé Ama fut achevé par l'Abarf, qui en profita pour récolter un pétale de sa collerette. Tandis qu'il la plaçait dans son almanach, Az s'approcha de son amie qui essuyait les fluides de son pavois.
— Si je peux me permettre, tu te battais comme une lionne, déclara le colosse bleu. Je ne t'avais pas vue faire de tels mouvements avant.
— Merci. En fait, j'ai profité du repas avec ma mère pour lui parler du jeu. Et en discutant, elle m'a parlé d'un vieil animé où l'une des protagonistes se battait avec un bouclier. Après manger, on a regardé quelques passages de cet animé et je me suis dit que je pouvais essayer de refaire ses coups.
— En tout cas, c'était pas mal du tout, la complimenta le Chasseur. En revanche, il faudrait qu'on reprenne nos recherches. Les wenzas n'ont pas suffi à faire passer mon almanach de niveau. Et ce n'est pas le gros qui s'est échappé qui est notre cible.
Ils patrouillèrent autour de la scène de crime mais, malheureusement, ils ne découvrirent rien de plus. Ils tendirent l'oreille mais aucun son ne leur parvint. Ils explorèrent la plaine un peu au hasard mais, ne sachant pas où chercher, ils finirent par abandonner et rentrèrent à Bourg-Sentra. Alors qu'ils passaient les portes, un homme s'approcha d'eux.
— Êtes-vous les chasseurs que Mathilde a engagés ? les questionna-t-il.
— Oui, répondit Fàffnîrr non sans lever un sourcil surpris.
— Je suis le mari de Mathilde, Jordan. Mathilde m'a demandé d'aller vous chercher.
— Pourquoi ? s'inquiéta Ama en sentant la tristesse dans la voix de l'individu.
— Asalia est... Asalia est partie...
Ses paroles moururent dans sa gorge et ses épaules s'affaissèrent. Aussitôt, la Gardienne se rua au domicile de Mathilde, suivie d'Az, tandis que Fàffnîrr essayait de réconforter comme il pouvait le pauvre homme.
Lorsque l'adolescente arriva sur le perron de la demeure, elle trouva les deux petits assis devant la porte, des larmes rouges coulant de leurs yeux. La jeune femme s'agenouilla pour être à leur niveau et les enfants se jetèrent dans ses bras. Leur peine toucha en plein cœur Ama qui se mit elle aussi à pleurer. Az la dépassa et pénétra dans la maison. À ce moment-là, pour l'humaine, tout fut flou. Elle entendit vaguement des cris provenant de la maison et sentit à peine Mathilde lorsque cette dernière la sépara de son fils et de sa fille pour la projeter par terre. Ce n'est que lorsque Az s'interposa entre elle et la mère de famille que son cerveau se reconnecta.
— Nous ne sommes pour rien dans la mort de votre mère, expliquait calmement le colosse. Nous avons cherché la source du mal mais nous n'avons rien trouvé.
— Alors que faites-vous là ? hurlait en retour la femme.
— Nous sommes rentrés pour trouver un moyen de retrouver la source. Et ce n'est pas en passant vos nerfs sur nous que vous allez faire revenir votre mère. Je sais que sa perte vous blesse terriblement mais, s'il vous plaît, pensez à vos enfants et ne vous montrez pas ainsi à leur vue, je vous en prie.
Les mots du Prêtre eurent un effet particulier sur Mathilde. Alors qu'elle était folle de chagrin quelques instants avant, sa peine reflua doucement et elle se rendit compte de ce qu'elle avait fait. Elle lança un regard triste à Ama qui le prit comme une excuse et prit les mains de ses enfants dans les siennes, les guidant à l'intérieur. Une minute après, tandis qu'Az aidait son amie à se remettre de ses émotions, Jordan arriva et, après les avoir salués, rentra chez lui. Fàffnîrr l'avait suivi et les trois amis restèrent plusieurs secondes devant la maison, silencieux. Ce fut Ama qui finit par briser le silence.
— Fàffnîrr, toi qui sais, les PNJs peuvent-ils mourir ou alors c'est juste pour la quête ? demanda l'adolescente d'une voix chevrotante.
— Malheureusement, Ama, les PNJs meurent vraiment dans ce jeu. Les développeurs ont voulu créer un monde réaliste où la mort existe. Même pour nous. Si jamais tes points de vie tombent à zéro, tu réapparaîtras à la dernière ville que tu as visitée. Cependant, si jamais tu meurs plus de trois fois en moins de vingt-quatre heures du monde réel, ton personnage est supprimé et tu dois recommencer depuis le niveau un.
— C'est... C'est horrible, murmura Ama.
— C'est la réalité, gamine. On ne peut échapper à la mort, quoiqu'on fasse, dit Fàffnîrr. On ferait mieux d'arrêter là pour aujourd'hui et d'aller dormir. La soirée a été riche en émotions. On se retrouve demain vers dix heures ?
Les deux adolescents hochèrent la tête en silence et ils se déconnectèrent.
Amayelle retira son casque de réalité virtuelle et le déposa sur son socle, ce dernier reposant sur la table de chevet de l'adolescente. Cette dernière se leva et descendit doucement les escaliers, se tenant à la rambarde. Des voix provenant du salon lui indiquèrent que sa mère regardait encore la télévision. Elle hésita mais se décida à aller la rejoindre.
Monica était affalée sur le canapé, ses pieds reposant sur un magnifique pouf en cuir. Elle haussa un sourcil en apercevant la silhouette de sa fille mais ne fit aucun commentaire. Elle savait déchiffrer à la perfection les expressions faciales de son adolescente. Elle mit en pause son programme et fit de la place à Amayelle. Cette dernière vint se lover contre sa mère et les deux femmes restèrent ainsi pendant plusieurs minutes, la plus âgée caressant tendrement les cheveux bruns de la plus jeune. Au bout d'un moment, la mère de famille se décida à rompre le silence.
— Qu'est-ce qui ne va pas, ma Puce ?
— Dans Gillarg Stories, on devait aider une famille, hoqueta l'adolescente. Mais on n'a pas réussi... La grand-mère est morte...
Entendant la voix de sa fille mourir dans sa gorge, Monica soupira. Elle savait ce qu'elle ne devait surtout pas dire. Elle ne devait en aucun cas dire que ce n'était qu'un jeu car elle connaissait bien Gillarg Stories. En effet, en tant que modèle, elle avait dû jouer dans des publicités qui en faisaient l'éloge. Et comme toujours, elle s'était intéressée au script et aux personnages qu'elle jouerait. La mère de famille avait donc découvert que les personnages pouvaient mourir. Monica prit quelques instants pour choisir ses mots et se lança.
— De quoi est morte cette dame ?
— D'une maladie...
— Peux-tu guérir cette maladie ?
— Non... Mais Az le peut.
— Comment ?
— Si on trouve l'origine de la maladie, il a dit qu'il pourrait faire un remède.
— Alors écoute-moi bien, Amayelle. Tu vas aller te coucher et bien dormir, d'accord ? Demain matin, je te ferai ton petit déjeuner avant de partir à l'agence. Toi, tu retourneras dans ce monde et tu aideras ce Az à faire un remède, pour que plus personne ne souffre de la perte d'un proche, tu m'entends ?
Les mots de Monica vinrent frapper de plein fouet le cœur de sa fille. Lorsqu'elle les entendit, les visages de la famille de Mathilde apparurent dans son esprit et elle sentit une bouffée d'adrénaline se propager dans tout son corps. Elle releva la tête et croisa le regard de sa mère. Cette dernière sourit en voyant le brasier qui dansait dans les prunelles noisette de son enfant. Elle déposa un baiser sur son front et prit alors une posture autoritaire.
— Très bien, soldat Amayelle. Maintenant que vous avez reçu vos ordres, allez immédiatement vous coucher pour vous reposer.
- Oui, sergent Maman ! répondit l'intéressée en se mettant au garde-à-vous.
Elle remonta quatre à quatre les marches, enjamba son chat roux en lui grattant affectueusement l'arrière d'une oreille et plongea dans son lit. Elle s'endormit rapidement en ne pouvant s'empêcher de sourire. Elle avait vraiment la meilleure maman du monde.
Le lendemain matin, Amayelle se leva à neuf heures et, après avoir englouti le petit-déjeuner concocté par sa mère et lavé la vaisselle, elle se recoucha sur son lit pour retourner sur Gillarg Stories. Comme à chaque connexion, elle ne put s'empêcher de grimacer en ressentant l'impression de chute que lui procurait l'exercice mental. Elle ouvrit les yeux sur la place principale de Bourg-Sentra. Elle remarqua qu'elle était en avance et se décida à explorer les alentours. Alors qu'elle se baladait tranquillement, elle se fit héler par un soldat.
— Excusez-moi, aventurière Ama, mais puis-je vous retenir quelques instants ? Nous aurions besoin d'aide.
— Bien sûr, en quoi puis-je vous être utile ?
— Ces derniers temps, il y a de plus en plus de monstres dans les environs et nous ne savons plus où donner de la tête. Pourriez-vous nous donner un coup de main en éliminant quelques groupes ?
Alors qu'elle allait accepter, une voix qu'elle reconnut instantanément retentit derrière elle.
— Votre machin sent l'arnaque à plein nez...
— Fàffnîrr, s'exclama Ama en se retournant vers son ami. Tu es déjà là ?
— Oui et je vois que j'ai bien fait de venir en avance. Bon, le soldat, elle est où l'arnaque dans ton plan ?
— Il n'y a pas d'arnaque, aventurier Fàffnîrr. Mais oui, en effet, les missions que je voulais vous proposer ne sont pas comme celles dont vous avez l'habitude.
— C'est-à-dire ? le pressa la Gardienne.
— Les groupes de monstres que vous affronterez seront toujours dirigés par un représentant de leur espèce nommé. Ce genre d'ennemi laisse très souvent un objet rare. Qui plus est, ces quêtes sont toujours récompensées par des primes.
— Très bien, on va voir si on en prend, conclut l'Abarf.
Ravi, le soldat leur fit signe de le suivre jusqu'à un panneau d'affichage. En chemin, Ama remarqua que Fàffnîrr pianotait dans les airs et comprit en apercevant Az les rejoindre. Elle lui expliqua ce qu'ils faisaient en résumant au mieux la conversation qu'ils avaient eue avec le milicien. Content de l'initiative prise par ses amis, le Prêtre n'ajouta rien. Ils avaient besoin de vaincre des monstres pour que l'almanach de l'Abarf évolue et leur permette de retrouver la bête à l'origine du mal dont souffrait Mathilde et sa famille. Alors, autant prendre des requêtes utiles aux autres.
Ils laissèrent leur aîné choisir trois quêtes et, une fois acceptées, ils le suivirent en dehors de la ville. Dès qu'ils eurent franchi les portes, une icône en forme de boussole apparut dans leur champ de vision.
— Qu'est-ce que c'est ? demanda la Gardienne en essayant de saisir l'objet immatériel.
— C'est une boussole d'or. Durant les primes, elle s'active pour nous indiquer le lieu où se déroulera le combat. L'avantage, c'est que seules les personnes ayant accepté la quête peuvent affronter nos cibles. Donc, aucun risque qu'on se les fasse piquer. Même si je pense que, vu notre niveau, pas grand monde ne s'attaquerait à ce genre d'ennemis.
— C'est une bonne chose à savoir malgré tout, commenta Az. Quelles cibles as-tu sélectionnées ?
— La première que j'ai choisie est un Béyang. C'est une espèce d'énorme mouton. Je ne connais pas grand-chose sur elle mais son niveau est le même que le nôtre alors ça ira. D'ailleurs, on arrive sur son territoire.
En effet, devant les trois joueurs, s'étendait une plaine verdoyante doucement balayée par une brise rafraîchissante. Des moutons à la toison épaisse paissaient paisiblement à quelques mètres d'eux, les ignorant parfaitement. Avec Fàffnîrr à sa tête, le petit groupe s'avança au milieu des bêtes inoffensives.
Soudain, un mugissement retentit, les faisant se figer sur place. À une dizaine de mètres d'eux, un Béyang, beaucoup plus grand que ses congénères, avait isolé un autre membre de son espèce. D'un violent coup de tête, le mouton colossal fit basculer sur le dos sa victime et commença à l'ensevelir sous sa masse de laine. Surpris, les aventuriers regardèrent la créature s'ébrouer à plusieurs reprises avant de reculer d'un bond lourd. Ama vit le second animal se remettre difficilement sur ses pattes et s'apprêta à questionner son ami pour l'interroger sur ce qu'il venait de se passer. Mais elle n'en eut pas le temps.
Alors que le petit Béyang commençait à faire un pas légèrement chancelant, deux pointes acérées sortirent de la toison du monstre colossal et pourfendirent sa proie en la perforant de part et d'autre de son corps. Cela stoppa net la Gardienne. Le sang de l'animal se répandit sur le sol, colorant l'herbe grasse de rouge. Alors qu'ils regardaient avec effarement la scène macabre, les trois joueurs virent apparaître une barre de vie en bas de leur champ de vision et la créature leur fit face. Tout en se mettant en garde, ils virent le nom de leur cible :
« Lance, Béyang mâle »
Ils n'eurent pas plus de temps car Lance bondit droit dans leur direction. Az et Fàffnîrr voulurent esquiver sa charge mais, de la même manière qu'il avait éliminé son congénère, le monstre fit sortir ses étranges pointes pour les frapper. Heureusement pour eux, Ama, en voyant ses camarades en mauvaise posture, réagit au quart de tour. Elle s'élança et frappa la tête du Béyang de toutes ses forces.
— Rebondlier !
Aussitôt, le mouton géant décolla du sol et alla rebondir à quelques mètres d'elle. Az se releva le premier et pointa le monstre encore à terre de son sceptre.
— Première neige !
Son sort fusa et percuta la toison épaisse de la bête sans lui infliger le moindre dégât. Surpris, le Prêtre ne sut pas comment réagir. De son côté, Fàffnîrr avait sorti son fusil.
— Balle anti-blindage !
Son tir frappa leur ennemi mais, de nouveau, ses points de vie ne descendirent pas d'un cran.
— Que Dalron me jette une enclume... Ce truc est immunisé aux attaques à distance !
— Donc on fait quoi ? s'écria l'adolescente.
— Occupe-le, je vais essayer quelque chose. Az, suis-moi !
Obéissant, le colosse s'exécuta et ils commencèrent à contourner Lance. Ce dernier, venant tout juste de se redresser, commença à taper le sol de son sabot. Vive, Ama courut dans le sens opposé à celui de ses amis et hurla.
— Cri !
Sa compétence fit mouche car le monstre se tourna vers elle et chargea. N'ayant pas le temps de réfléchir, la Gardienne réagit à l'instinct.
— Assaut percutant !
Les deux opposants se heurtèrent de plein fouet et se repoussèrent mutuellement. Leurs attaques ayant le même but, ils se retrouvèrent sonnés.
— Az ! Maintenant ! tonna la voix de l'Abarf.
— Poing de ronces !
Une main végétale creva l'herbe grasse et se saisit de la bête. Aussitôt, Fàffnîrr bondit au-dessus du Béyang, sa hache à la main.
— Abattage !
L'attaque circulaire du Chasseur arracha des mottes de laine à Lance, dévoilant sur l'un de ses flancs sa chair. Mais la créature reprit ses esprits et une pointe jaillit du reste de sa toison pour frapper son assaillant. Ce dernier chuta au sol tandis que la bête se redressait, taillant à l'aide de ses excroissances la main de ronces qui l'immobilisait.
— Hé ! Le mouton ! Ramène-toi !
La provocation d'Ama permit à Az de rapidement soigner Fàffnîrr qui se releva en grommelant, comme à son habitude.
— Comment on fait pour lui régler son compte ? demanda le Prêtre en soutenant son amie avec ses « Soins légers ».
— J'ai bien une idée mais il va nous falloir l'aide d'Ama. Si on arrivait à l'immobiliser quelques secondes, toi et moi, on pourrait lui régler son compte en frappant là où sa laine n'est plus présente. Mais pour ça, il faut qu'Ama puisse utiliser son « Assaut percutant ».
— On doit donc tenir encore cinq minutes, s'exclama le Rorce.
— Comme tu dis. Lance-moi une « Régénération » pour que je puisse tanker le temps que tu expliques à Ama le plan.
Az s'exécuta et l'Abarf se jeta dans la mêlée. La Gardienne recula pour reprendre son souffle tandis que son ami à la peau bleue s'approchait d'elle pour lui expliquer ce qu'ils comptaient faire. Elle approuva le plan et retourna aider son aîné qui continuait de mettre à mal la laine touffue de la bête. Ils tinrent le coup pendant les cinq minutes et, après que la jeune femme eut indiqué qu'elle était prête, ils se lancèrent de toutes leurs forces dans un ultime assaut.
— Cri !
Aussitôt, Lance se tourna vers Ama qui recula pour prendre un peu d'élan. Le monstre racla le sol de son sabot avant de la charger. Profitant de la distance qui les séparait, l'aventurière bondit vers la créature et, à la dernière seconde, se jeta sous la bête dans une glissade parfaitement exécutée, son bouclier levé face au poitrail de la bête.
— Rebondlier !
Le Béyang s'envola d'un coup, propulsé par la compétence de son ennemie. Il commença à cesser de s'élever et fut surpris par une ombre qui le dépassa. Cependant, voyant le sol se rapprocher, son esprit se concentra sur sa survie et il fit jaillir ses excroissances pour qu'elles se plantent avant lui dans le sol afin de lui éviter de se blesser. Lance allait rentrer ses pointes lorsque quelque chose le percuta de plein fouet dans son dos, brisant l'une de ses côtes externes. Lui et le projectile atterrirent lourdement sur le sol et ils restèrent couchés quelques secondes pour retrouver leurs esprits. Mais les assaillants de la bête n'allaient pas gâcher une telle occasion.
Après avoir propulsé Ama dans les airs avec son « Poing de ronces », Az avait rejoint Fàffnîrr et avait attendu que son amie utilise sa compétence « Assaut percutant » pour clouer leur cible. Malheureusement, ils n'avaient pas prévu que le choc rompe l'une des deux excroissances.
— Première neige !
— Tir précis !
Les deux projectiles percutèrent la bête, mais cette dernière se releva, non sans difficultés. Ils échappèrent de peu à la charge du Béyang en se jetant du côté où sa pointe avait été brisée et commencèrent à foncer vers Ama. Cette dernière avait l'air d'avoir une idée en tête car elle venait de retirer la côte plantée dans le sol.
— Les gars, tenez-moi ça, s'il vous plaît ! Si on n'y arrive pas avec ça, alors c'est qu'on ne peut pas vaincre ce monstre !
Surpris, les deux garçons mirent un peu de temps à s'exécuter. Lorsqu'ils eurent placé l'os effilé avec sa pointe dirigée vers Lance, Fàffnîrr comprit ce que voulait tenter la jeune femme et sourit.
— Visée magique !
Il redressa légèrement l'objet tandis que le Béyang les chargeait. Lorsqu'il ne fut plus qu'à un mètre, Ama plaça son pavois contre la base de l'excroissance.
— Rebondlier !
La côte fusa, transperçant le crâne du mouton géant, le tuant sur le coup. Il s'écroula et s'arrêta tout juste devant le trio, qui ne put s'empêcher de pousser un soupir de soulagement. L'Abarf commença à dépecer la bête, plaçant des lambeaux de chair et de laine dans son almanach. De leur côté, ses amis sourirent en observant la notification leur indiquant qu'ils avaient pris un niveau. Le combat avait été rude, mais il en avait valu la peine. Ils consultèrent leurs statistiques et le Prêtre monta son Intelligence à 18 tandis que la Gardienne choisit, comme à son habitude, d'augmenter son Endurance à 20. Lorsqu'il eut fini de dépecer Lance, Fàffnîrr se décida à répartir ses points entre la Force et la Dextérité, les passant toutes les deux à 18. Ama allait lui poser une question, mais l'aîné du groupe la coupa.
— Malheureusement, ce monstre n'a toujours pas suffi à faire monter mon almanach de niveau. Mais j'ai obtenu ceci.
Et sur ces mots, il leur montra un os étrange. En effet, ce dernier était d'une couleur noire et formait un angle biscornu.
— Cet objet ne pourrait pas monter ton almanach ? demanda Az.
— Non, c'est un composant de création et ma compétence ne peut analyser que les matériaux non utilisables. En tout cas, on va mettre ça de côté pour plus tard, on risque d'en avoir besoin.
— On fait quoi maintenant ? s'exclama Ama qui paraissait angoissée.
Chaque minute qui défilait rapprochait la famille de Mathilde d'une mort certaine. La pauvre adolescente ne supportait pas de les imaginer pleurant du sang tout en perdant petit à petit la vie.
— T'inquiète pas, gamine, intervint Fàffnîrr pour la calmer. Si tu succombes à la panique, tu vas nous faire perdre du temps. On va retourner en ville, empocher la prime de ce monstre, se reposer un peu pour regagner nos points de vie et notre mana et ensuite, on enchaîne avec d'autres quêtes. Je pense que d'ici ce soir du vrai monde, on aura réussi à faire évoluer mon almanach.
Ama hocha la tête, autant pour donner son accord sur le plan que pour chasser les doutes qui la taraudaient.
Le Chasseur avait eu raison car ils réussirent à faire monter sa compétence d'un niveau à dix-huit heures dans la réalité. Ils avaient ainsi atteint le niveau 10, leur permettant d'augmenter leurs statistiques. Ainsi, l'adolescente cumulait désormais 23 points en Chance et 16 en Esprit. De plus, elle avait appris une nouvelle compétence nommée « Égide » qui lui permettait de créer un mur d'énergie devant elle, permettant à elle et à un de ses amis de s'abriter derrière pour se protéger d'une attaque magique adverse. De son côté, Az avait choisi d'augmenter sa puissance et possédait maintenant 22 points en Sagesse et en Intelligence ainsi que la compétence « Panacée légère », lui donnant enfin la capacité de guérir les altérations d'état comme l'empoisonnement ou encore la paralysie. Il grommela un peu lorsqu'il obtint cette compétence car il venait tout juste d'affronter un Quàne, un étrange croisement entre un serpent et une hermine qui les avait malmenés en leur injectant, morsure après morsure, un poison extrêmement désagréable. Quant à Fàffnîrr, il avait eu un choix lors de sa montée de niveau. Curieux, ses amis s'étaient penchés au-dessus de ses épaules pour lire le menu qui était apparu devant lui.
— Pour votre montée de niveau, vous devez choisir une spécialisation. Vous pouvez devenir un grand chasseur ou bien un mercenaire polyvalent.
L'Abarf n'avait pas vraiment eu l'air d'hésiter et avait sélectionné la spécialité Chasseur, ce qui lui avait donné la compétence « Traquer ». Il avait ensuite réparti ses points de statistiques et avait monté sa Force et sa Dextérité à 20 tandis que son Intelligence était à 14. Voyant le regard interrogatif de ses camarades, il soupira.
— Que Dalron me jette une enclume... Vous n'étiez même pas au courant pour les spécialités ? Faut vraiment tout vous expliquer. Pour faire simple, à un niveau donné, toute classe doit faire des choix d'orientation afin de se spécialiser voire même d'évoluer. Le niveau de choix est habituellement au niveau 30, mais j'ai forcé légèrement ce choix grâce à ma répartition de statistiques et ma compétence « Almanach ».
— C'est-à-dire ? le questionna le Prêtre.
— En choisissant d'obtenir la compétence almanach au début du jeu, en faisant une quête particulière, j'ai réduit le palier. Puis, en répartissant de manière équivalente mes points entre deux caractéristiques, j'ai encore diminué les exigences du choix. C'est une astuce que j'ai découverte dans un livre.
— Et pourquoi tu ne nous l'as pas dit ? s'indigna Ama.
— Tout simplement parce que ça ne servirait à rien. Pour toi, il est primordial que tu montes aussi ta Chance, en plus de ton Endurance et de ton Esprit. Quant à Az, je ne lui aurais pas spécialement conseillé de rapidement faire sa spécialisation car il faudrait qu'il possède plus de sorts afin de mieux savoir ce qu'il souhaite choisir. Tu comprends ?
— Vu comme ça, ça paraît en effet compréhensible, commenta le Rorce.
— Mais on n'a pas le temps de parler de ça, s'écria l'Humaine. On doit à tout prix retrouver le monstre qui rend malade Mathilde et sa famille. Ça fait presque trois jours du jeu que la mère de Mathilde est... morte. Si on ne se dépêche pas, ils vont eux aussi...
Sa voix mourut dans sa gorge et Az vint placer sa main sur son épaule pour essayer de lui transmettre un peu de chaleur pour la réconforter.
— Je comprends ton empressement mais tu sais comme moi que le monstre a tendance à sortir la nuit. Or, actuellement, il fait jour. On va devoir attendre un peu avant de nous lancer à sa poursuite. On va d'abord aller en ville, récupérer les primes, puis on passera acheter des potions de soins et de mana. On se déconnectera et, ensuite, on reviendra à 20h pour traquer le monstre. Ça vous va ?
Ses deux amis opinèrent, non sans grimacer pour la Gardienne.
Lorsqu'ils se reconnectèrent à l'heure convenue, Ama était au bord de la crise de nerfs. Chaque seconde qu'ils perdaient rapprochait Mathilde et sa famille de la mort. Elle savait, au fond d'elle, que ce n'étaient que des personnages de jeu mais le fait qu'ils disparaissent sans être connus de tous la rendait folle.
Voyant son angoisse grandissante, Fàffnîrr se hâta de sortir la plume qu'Ama lui avait remise plus tôt et la plaça dans son almanach. Devant ses yeux, le menu de sa compétence apparut et la silhouette d'une créature se dessina. Malheureusement, même au niveau 3, il n'apprit rien de plus sur leur cible. Cependant, il s'en moquait. La seule chose dont il avait besoin, c'était de débloquer l'entrée du monstre dans son almanach. Ainsi, il pouvait activer sa compétence « Traquer ». Il s'exécuta et sourit en voyant apparaître une flèche noire dans son champ de vision. Il fit signe à ses camarades de le suivre et il commença à courir, les menant là où son pouvoir les guidait.
Après une heure de course, la compétence les amena dans un coin reculé de la plaine bordant Bourg-Sentra, proche des montagnes où le groupe avait manqué de mourir avec Layme. Devant eux, un amas de branchages et de terre formait un bol grossièrement façonné, d'où s'échappaient parfois des ossements tachés de sang noirci et sec. Et, au centre de l'édifice primitif, se tenait un oiseau géant marron. Ou, plus précisément, au cuir dénué de plumes d'un châtain brun sombre à l'exception de son ventre, de sa queue et de l'intérieur de ses ailes. À ces endroits, la bête arborait de splendides plumes bariolées à la base rouge qui s'éclaircissaient jusqu'à la pointe où elles se finissaient en un bleu clair. Ses petits yeux roses, cerclés d'écailles rougeâtres formant un masque se rapprochant du loup, étaient injectés de malveillance. Ces derniers se posèrent sur les joueurs et il se redressa, faisant ondoyer ses rémiges pour se faire plus imposant.
Aussitôt, Ama vit apparaître une barre de vie, surmontée du nom de la bête.
« Skyarno famélique, niv 12 »
Aveuglée par l'angoisse et la peur, Ama se précipita droit sur le monstre qui recula son cou en arrière pour échapper au coup d'égide que voulait placer la Gardienne. Emportée par son élan, cette dernière n'eut pas le temps de se protéger que l'oiseau abattit son bec. Le choc propulsa la demoiselle qui dut planter son pavois dans le sol afin de ne pas être emportée trop loin. Tandis qu'elle reprenait son souffle, elle aperçut Fàffnîrr qui venait de tirer sur le Skyarno, lui occasionnant quelques dommages et attirant par la même son attention. Une boule de lumière vint soulager la douleur qu'Ama ressentait et elle remercia d'un signe de tête Az. Elle allait se jeter à nouveau dans la bataille lorsque l'oiseau s'éleva dans les airs. Surpris, le groupe se figea, prêt à esquiver une charge. Cependant, ce n'était pas ce qu'avait prévu l'oiseau.
Une fois sûr que ses ennemis le regardaient bien, le monstre déroula sa queue pour former un sublime éventail qui se mit aussitôt à luire. Pris au dépourvu, Ama, Fàffnîrr et Az n'eurent pas le temps de fermer les yeux qu'ils furent aveuglés pendant quelques secondes. Le Rorce voulut lancer son sort « Panacée douce » afin de retirer l'altération d'état « Aveuglé » mais le monstre poussa un cri étrange, déstabilisant le guérisseur qui ne put donc achever son action. Lorsqu'ils récupérèrent la vue, les joueurs cherchèrent du regard leur assaillant mais ils n'eurent pas le temps de se repositionner.
Az fut percuté de plein fouet par un violent coup de bec, le catapultant au niveau du nid du Skyarno. Voyant son ami en mauvaise posture, Ama utilisa sa compétence « Assaut percutant » pour repousser à son tour le monstre, permettant au soigneur de se guérir tandis que Fàffnîrr tirait pour essayer d'éloigner la bête. Ce dernier finit par s'élever à nouveau dans les airs et commença à voler en cercle au-dessus d'eux, leur laissant quelques instants de répit. Ils se rejoignirent près du nid, seul élément offrant un couvert dans cette vaste plaine.
— Que Dalron me jette une enclume ! grommela l'Abarf. Mais qu'est-ce que cette bestiole fout là ?
— Il me semblait que ces volatiles ne vivaient que dans les montagnes, pensa à voix haute Az. Quelque chose a dû le déranger dans son habitat naturel et l'a fait fuir jusqu'ici dans la plaine. En revanche, il y a une chose qui m'échappe.
— Quoi donc ? demanda Ama en guettant le ciel.
— Je note qu'il est capable d'interrompre le lancement d'un sort, me faisant perdre des points de mana. Il peut nous aveugler, mais je ne comprends pas comment il a pu infliger des dommages à Fàffnîrr.
Surprise, Ama consulta la barre de vie de son camarade et fut étonnée de remarquer qu'elle était à 90 %. Pourtant, le Chasseur n'avait encore subi aucune attaque. Ce dernier grommela de manière inextinguible tout en continuant à tenir en joue le volatile qui continuait de voler en cercle.
— Bon, il va nous falloir un plan, finit-il par dire à voix haute. Une idée ?
— Malheureusement, tant qu'il vole, je ne sers à rien, expliqua la Gardienne. Je peux peut-être le provoquer avec « Cri ».
— Tu risques d'attirer bien d'autres fléaux sur notre position, commenta le Rorce. Je vais plutôt essayer de le faire tomber en gelant ses ailes avec ma « Première neige ».
— D'accord. Et que fait-on une fois qu'il est au sol ? bougonna le nain en effectuant un tir de semonce, car l'oiseau géant commençait à piquer.
— J'ai peut-être une idée, mais je peux demander quelque chose d'abord ?
— Dépêche-toi, gamine. Je ne pourrai pas le garder à distance plus longtemps.
— Est-ce que tous les monstres du jeu ont une attaque secrète comme le boss du donjon sylvestre ?
Cette question, pourtant simple et anodine, laissa interdit Fàffnîrr qui fut rappelé à la réalité par un cri poussé par leur ennemi.
— Pas tous, mais les monstres de type boss en ont au moins une. Pourquoi demandes-tu ça ? répliqua-t-il.
— J'ai une idée, mais pour ça, il faudrait que son attaque secrète soit un sort.
— Développe rapidement, gamine.
— Si c'est un sort, je peux nous en protéger avec mon Égide, tu sais, le sort que j'ai gagné au niveau 10 ? Après ce genre d'attaques, j'ai l'impression que les monstres baissent leur garde. Si c'est pareil pour lui, mon idée serait de l'écraser entre mon Assaut percutant et le Poing de ronces d'Az pour lui infliger un max de dommages avant que tu ne l'achèves avec ton tir explosif ou je ne sais plus comment il s'appelle. Vous en pensez quoi ?
— Bon plan, mais si ce n'est pas une attaque magique, ton plan ne fonctionnera pas, s'inquiéta le Rorce.
— Pas le choix, le voilà. On essaie ça ! conclut Fàffnîrr en les jetant au sol.
En effet, le Skyarno venait d'éviter son tir et piquait dans leur direction. Heureusement, grâce à l'intervention de leur camarade, Az et Ama purent éviter les serres de leur ennemi. Emporté par son élan, ce dernier dut se réceptionner tant bien que mal au sol et fit volte-face.
Quelle ne fut pas la surprise du volatile de voir une hache et un pavois prendre sa tête en étau. Les deux armes le percutèrent en même temps, lui infligeant l'état Sonné pour quelques secondes. Le volatile s'ébroua, cherchant à blesser ses adversaires, mais ces derniers avaient déjà reculé. Lorsqu'il reprit ses esprits, une vive douleur lui ôta un morceau de cuir sur son aile droite, lui arrachant un piaillement de douleur. Agacé, il déploya ses ailes et utilisa son attaque de roue, créant de nouveau une vive lueur qui obligea les joueurs à cacher leurs yeux pour éviter l'état « Aveuglé ». Cependant, ils ne purent éviter son nouvel assaut. Fàffnîrr ressentit une vive douleur provenant de son flanc, le faisant grogner. Essayant de se défendre malgré tout, l'Abarf tenta de donner des coups de hache autour de lui mais sa lame ne toucha jamais sa cible. Il finit par ouvrir les yeux et se rendit compte que le volatile s'en prenait désormais à sa camarade. Cette dernière s'était réfugiée derrière son bouclier et encaissait les coups, attendant que ses amis viennent à son aide.
Aussitôt, une nouvelle salve de neige percuta l'oiseau qui détourna son attention de sa proie, suffisamment pour qu'elle puisse se mettre hors de portée du bec acéré de la bête. Ils s'alternèrent ainsi afin d'épuiser l'ennemi. Lorsque la barre de vie du monstre indiqua 50 %, ce dernier s'éleva alors dans les airs. Comme l'avait prévu Ama, le Skyarno lança une attaque qu'ils n'avaient encore jamais vue. Tournoyant sur lui-même dans les airs, l'oiseau créa une véritable tornade de vent dans laquelle certaines des plumes de l'oiseau furent prises. Surpris, les joueurs s'accrochèrent pour ne pas être emportés par le cyclone.
Alors que l'élément atteignait sa puissance maximale, le monstre stoppa net sa rotation et déploya ses ailes et sa roue, produisant une formidable lueur. Apercevant le début de la luminosité nocive, Ama s'apprêta à lancer son sort « Égide » lorsque son adversaire poussa un cri. Perturbée dans sa concentration, la Gardienne ne réussit pas à finir son incantation et subit de plein fouet l'éclat. La douleur fut fulgurante. Aveuglée, la jeune femme vomit un goût de fer qu'elle reconnut immédiatement comme du sang. Surprise, elle ne comprenait pas pourquoi la lumière lui faisait si mal et ne put retenir un soupir de soulagement lorsqu'elle ressentit le sort de soin de son ami. Or, lorsqu'elle recouvrit la vue, elle se figea.
Seule encore debout, elle faisait face au Skyarno dont le cou était arqué en arrière, prêt à s'abattre. La flamme dans sa poitrine éclata d'une nouvelle ardeur.
— Courage !
Sa compétence lui permit tout juste d'éviter le coup fatal de l'ennemi. Ce fut alors qu'elle remarqua deux choses. Premièrement, ses points de vie n'étaient pas remontés malgré le sort de soin d'Az. Deuxièmement, Fàffnîrr tirait tant bien que mal Az à l'abri. N'ayant pas plus de temps pour réfléchir, Ama décida de gagner du temps. Emplissant ses poumons d'air, elle hurla de toutes ses forces :
— Ramenez-vous tous, autant que vous êtes !
Sa compétence « Cri » se propagea alors autour d'elle, frappant de plein fouet le Skyarno mais aussi plusieurs animaux se promenant dans les alentours, attirés par les bruits de lutte. Aussitôt, un wenza immense bondit sur elle mais il fut percuté par le volatile. Profitant que les deux monstres se battaient, Ama rejoignit ses camarades qui reprenaient leur souffle tout en buvant des potions de soins derrière le nid du monstre.
— Prends une potion, gamine, grommela Fàffnîrr en lui tendant une fiole remplie d'un liquide rouge.
— Merci. Qu'est-ce qu'il s'est passé ? Je n'ai pas eu le temps de lancer mon sort...
— Je crois que j'ai compris, expliqua Az en se massant le torse. Lorsqu'il émet de la lumière, ce monstre lance un sort qui nous aveugle mais qui, en plus, provoque l'état Saignement. C'est pour ça que Fàffnîrr avait perdu des points de vie tout à l'heure. De plus, après nous avoir aveuglés, il en profite pour nous attaquer. Le problème, c'est que je ne vois pas comment le parer. En plus, il peut à tout moment nous stopper dans l'incantation de nos sorts.
— Mon sort ne fonctionnera pas vu que son attaque est un mélange entre un sort et une attaque physique, soupira la Gardienne.
— Il peut peut-être fonctionner mais ça va être difficile de bien se synchroniser, dit pensivement Fàffnîrr. Ton sort ne bloque que les autres sorts, c'est bien ça, gamine ?
— Euh oui pourquoi ?
— Alors on va en tirer profit et nous débarrasser une bonne fois pour toutes de ce maudit volatile.
Ils écoutèrent son plan mais ils n'eurent pas le temps d'en entendre la fin. Une ombre bondit au-dessus d'eux et ils virent le wenza fuir. Aussitôt, un raclement au-dessus d'eux les mit sur leur garde. Ils roulèrent chacun de leur côté, évitant ainsi le coup de bec de l'ennemi. Épuisé par sa bataille contre le félin végétal, le Skyarno avait mauvaise mine. Il arborait de nombreux stigmates de griffes sur son corps et semblait sur le point de s'écrouler à tout moment. Ama vérifia rapidement sa jauge de vie et sourit en voyant qu'il ne lui en restait que 10 %. Az, de son côté, commença à incanter son sort « Première neige » mais le volatile l'interrompit à l'aide de son piaillement. Aussitôt, Fàffnîrr utilisa sa « Balle anti-blindage » mais l'oiseau décolla afin d'éviter le tir. Profitant de sa position aérienne, il commença à lancer son attaque finale.
Mais le petit groupe avait anticipé ce geste et se regroupa en adoptant une étrange formation. En effet, Az était en première ligne tandis que Ama avait planté son pavois dans le sol et que Fàffnîrr s'accrochait à elle. Lorsque le vent se leva, la Gardienne lança son sort Égide. Devant ses yeux ébahis, elle vit apparaître devant elle des briques d'un bleu translucide formant un mur d'énergie. Aussitôt, Az le bombarda avec son sort « Première neige », le recouvrant ainsi d'une couche de neige. Puis, il ferma les yeux, attendant calmement.
Il sentit le vent cesser et aperçut, derrière ses paupières fermées, l'éclat douloureux qui lui infligea l'état Saignement. Ignorant la douleur, il se concentra sur son ouïe.
— Maintenant ! cria la voix rauque de Fàffnîrr dans son dos.
Dans un réflexe presque surhumain pour sa taille, le Rorce roula sur le côté, évitant la charge du Skyarno. Ce dernier percuta le mur d'énergie gelé de plein fouet et, stoppé net dans son vol, commença à s'écrouler. Mais ses adversaires ne lui laissèrent aucun répit.
Sautant au-dessus du mur, la Gardienne prit appui sur le Chasseur qui l'avait accompagnée et se propulsa à l'aide de son « Assaut percutant » tandis que le Prêtre lança son sort « Poing de ronces ». La frappe végétale venant du sol et la charge venant du haut prirent en étau l'oiseau géant qui perdit la quasi-totalité de sa vie, ne lui épargnant qu'un unique pourcentage de vie. Mais Fàffnîrr ne lui laissa pas le temps de croire qu'il allait survivre. À peine avait-il atteint le sol que l'Abarf avait mis le Skyarno en joue qui tentait de se relever. Une dernière détonation retentit.
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