Chapitre septième

Quatre.

C'était le nombre de fois où j'avais mis en déroute des malfaiteurs depuis l'assassinat de la jeune femme, il y a deux semaines.

Onze.

Le total de ces bandits, malchanceux de m'avoir croisé.

Trois.

Trois fois où j'aurais dû mourir si je n'avais pas eu ces pouvoirs.

Ces pouvoirs que je repoussais tant, et que maintenant j'affectionne.

Je saisis le quotidien sur le siège à côté de moi et entrepris de le feuilleter. Dans la rubrique des faits divers, un titre dominait largement les autres : << Des voleurs se font tabasser par un mystérieux justicier encagoulé >>. L'article dédié prenait la moitié de la page.

Je souris. La rumeur s'était répandue comme une traînée de poudre dans toute l'Ile-de-France. Mes interventions furtives avaient été remarquées par des habitants de la capitale.

Et par Jeanne aussi.

Elle avait fini par le découvrir en faisant le lien entre mes absences et les voleurs en mauvais état. Peu avant, j'avais pourtant changé d'avis et décidé de ne pas la mêler à tout ça, ces escapades étant trop risquées pour une personne normale.

Arrivé à la gare de Poissy, le RER s'arrêta et je descendis. L'air frais me fit du bien et me donna une bouffée de courage. J'en aurais besoin dans la prochaine demi-heure.

Puisque j'allais revoir mon père.

Ma demande de visite avait abouti en à peine dix jours. En fouillant dans mes dossiers remis par Sainte Espérance, j'avais découvert que mon père avait été transféré ici, il y a trois ans pour je ne sais quelle raison.
Cela avait un avantage et son lot d'inconvénients. Aujourd'hui j'économisais pas mal de sous : me rendre en Normandie aurait été tout sauf gratuit. Cependant savoir le meurtrier officiel de ma mère à quelques kilomètres de chez moi me mettait mal à l'aise.

J'avais l'impression d'être le prochain sur sa liste.

***

La prison était imposante et composée de deux parties distinctes. Une ancienne dont l'architecture historique est agréable à regarder. Nul doute que les détenus ne résident pas là. Ils logent sûrement dans la partie certes plus moderne, mais tellement moins accueillantes, surplombée de miradors.

Dès mon entrée dans la bâtisse, un agent vint à ma rencontre et m'indiqua la zone d'enregistrement et d'identification. Ensuite, une jeune femme blonde en uniforme de police me pris en charge.

- suivez-moi, me dit-elle froidement.

Là, je dépose mes affaires dans un casier puis elle me fit passer une succession de portiques et de portes métalliques. Les couloirs que l'on traverse par la suite étaient ternes et sombres. Une multitude de caméras les surveillaient.

- elle est très sécurisée cette prison, dis-je d'un air désinvolte.

- c'est parce que ce n'est pas une prison comme les autres, me répondit ma guide. Nous sommes dans une maison centrale. On y enferme que des individus condamnés à plus de dix ans de réclusion criminelle.

Nous traversâmes un couloir plus chaleureux que les autres avant de recommencer avec ceux aux couleurs morbides et moroses.

- et quels genres de crimes peuvent envoyer quelqu'un dans une maison centrale ?

Étant donné que mon père était enfermé ici, j'avais une idée approximative de sa réponse.

- tous des crimes graves. Ils sont deux-cents trente à pulluler entre ces murs. Il y environ cent cinquante meurtriers, une trentaine de braqueurs, autant de violeurs, des trafiquants de drogues et quelques terroristes.

-vous travaillez ici ?

- non dieu merci. Je suis en stage quelques temps avant de prendre fonction dans une gendarmerie de Paris.

Contrairement à tout à l'heure, nous croisons à présent d'autre pénitenciers et le nombres de portes métalliques s'était multiplié.
Ma guide perçue mon étonnement.

- nous approchons des parloirs, explique-t-elle, c'est pour cette raison qu'il y a davantage de sécurité. Afin d'empêcher toute tentative de fuite des détenus.

Je pâlie. La tête à tête avec mon père était pour peu.

-j'espère que tu as déposé la totalité de tes affaires métalliques continua-t-elle. Tu vas bientôt traverser un portique ultra-sensible capable de détecter une épingle au fond d'une poche.

Je hoche la tête en guise d'approbation.

Le portique en question était plus énorme que les précédents. Un agent assis derrière un écran me fit signe de passer au détecteur.

Je m'engage alors sous le système.

Et il devint fou.

Les pénitenciers non loin s'arrêtèrent dans leur besogne et me toisèrent d'un regard soupçonneux. Ma guide glissa instinctivement une main à son arme.

- Que se passe-t-il ? Demandai-je surpris.

- C'est à toi de me le dire, envoya-t-elle sèchement. Je croyais que tu n'avais plus d'objet...

- je pense que le portique bug, coupa l'agent derrière l'écran, je n'ai jamais vu ce genre de chose de ma vie.

La policière blonde s'approcha de lui. Je lui emboîte aussitôt le pas.

En voyant son écran je fus stupéfait.

L'image instantanée prise lors de mon passage sous le portique montrait un objet métallique... humain. En fait, c'était moi qui avait été détecté comme étant métallique.

-il y a un petit problème technique, annonça finalement ma guide. Accompagnez le tout de même voir son proche.

Un pénitencier dans la salle me fit signe de venir, ce que je fis sans me faire répéter. Il m'emmena dans une pièce où se trouvait une porte à battant blindée que deux de ses collègues ouvrirent.

La salle suivante ressemblait à un vestiaire de piscine où se trouvait plusieurs tables rondes en bois. J'étais seul. Du moins en apparence : la vitre sans tain sur le côté gauche montrait clairement que notre échange sera surveillé.
Je m'assis et joignis deux mains tremblantes d'anxiété, incapable de les contrôler.

- arrivé du détenu 213, fit une voix dans le haut-parleur.

Il eut un bruit de déverrouillage et les portes à l'opposé de la salle s'ouvrirent. Un homme, chaînes aux mains et aux pieds apparus, les bras tenus par deux pénitenciers. Ces derniers le firent avancer sans ménage jusqu'à la table, malgré sa démarche lente et difficile.

Il s'assit.

Les deux pénitenciers s'éloignèrent de quelques mètres afin de respecter notre intimité.

L'homme en face de moi était très amaigri. Il portait une chemise qui aurait pu être blanche autrefois ainsi qu'un jeans bleu. Ses ongles étaient sales, et des rides de fatigue creusaient son visage, dévoilant davantage son menton carré. Sa chevelure brune en bataille était parsemée de quelques cheveux poivre-sel.

- Alex... murmura-t-il.

Mon père était méconnaissable. Lui si énergique et charismatique il y a six ans, semblait souffrir à présent de mille maux. Quelques cicatrices étaient visibles sur ses pommettes saillantes.

- mon fils...

Des larmes lui montèrent aux yeux. Il tenta de me toucher mais je retire les mains de dégoût.

C'est alors qu'une profonde peine emplie son visage. Je crains de n'avoir jamais eu autant de pitié pour un homme.

- je n'ai pas tué ta mère, me dit-il tristement. Malgré notre divorce, je l'aimais trop pour commetre ce crime, je ne pouvais pas lui faire du mal...

Je ne répondis pas.

- ça ne pouvait pas être moi le jour du meurtre, je n'étais pas présent quand cela était arrivé...

Toujours rien.

-ils m'ont piégé ! Ils voulaient son pouvoir et j'étais un obstacle pour eux, je ne...

-qui ils ?

Ses épaules se détendirent légèrement, satisfait d'avoir réussi à me faire parler.

Mais ce fut à son tour de se murer dans le silence.

-qui ils ? Répétai-je.

Mon père ne broncha pas.

-j'ai fini la visite.

Je fis signe aux pénitenciers de venir le chercher.

- non attends.

Ses mâchoires se détendirent et il ferma les yeux.

Je souris. Mon bluffe avait fonctionné.

- je n'en ai aucune idée, commença-t-il. Tout ce que je sais, c'est qu'ils ont commencé à m'envoyer des lettres me demandant de convaincre ta mère de les rejoindre. Et comme je refusais, ils m'ont menacé de m'enlever tout ce que j'aimais : ma liberté, mon métier, - (puis après une pause) - toi... J'ai prévenu ta mère, je lui ai dit qu'elle était en danger, mais elle ne voulait rien entendre. Elle en avait marre de fuir et voulait faire face à ses problèmes.

Ma respiration était saccadée. Il y avait trop d'informations d'un coup. Surtout qu'aucune d'elle n'était claire.

-tu dois me faire confiance Alex, me supplia-t-il, regardes !

Il leva ses mains enchainées.

- aucun détenu n'est entravé de cette manière. Dès mon arrivé ici, ils m'ont placé dans une cellule disciplinaire isolée de toute présence humaine, où l'on enferme des criminelles dangereuses, ne respectant pas le règlement de la prison. Pourtant je n'ai rien fait. Les conditions y sont pires que dans les cellules habituelles et je suis privé de tout. J'ai juste le droit à de la lecture. Je ne sais pas qui sont ces gens, mais ils sont très puissants. Ils tirent les ficelles et essayent de me faire disparaître. Au début, j'avais vingt-et-un ans de prison à faire. Maintenant j'en suis à vingt-sept. Chaque année je vois ma peine augmenter sans raison. En réalité, c'est une perpétuité déguisée. Ils veulent me faire disparaître Alex, ils veulent me faire disparaître ... crois moi, je n'ai pas tué... Déborah.

Sa voix trembla légèrement lorsqu'il prononça le prénom de ma mère. Je déglutis. C'était trop à encaisser.

- je te crois, dis-je malgré moi.

Mon père m'observa un instant, surpris que ces mots lui soit destiné.

Puis fondit en larmes. Son corps fut traversé de spams et de sanglots. Il semblait perdu. Ça devait faire tellement longtemps qu'une personne ait prit la peine de l'écouter... alors le croire... c'était devenu inimaginable...

Il se calma un peu, puis essuya ses larmes et le mucus avec ses manches.

- quand tu parlais de pouvoirs, relançais-je ému, tu parlais de pouvoirs de ce genre-là ?

Je lui tendis la main comme pour toucher la sienne. Il voulut la prendre mais ses doigts passèrent à travers.

- tu as le même pouvoir que ta mère, murmura-il en écarquillant les yeux.

Je retire ma main sous le regard réprobateur des pénitenciers. Ils étaient trop loin pour avoir réellement saisit ce qui venait de se passer.

- fait attention Alex, continua-t-il, il ne faut jamais qu'il découvre ton pouvoir. Jamais. Ça a mené à la mort de ta mère. Je ne veux pas que ça t'arrive à toi aussi...

Son regard transpirait de crainte et d'amour paternel qui avait subsisté toutes ces années.

Les deux pénitenciers s'approchèrent et lui saisirent les bras.

-c'est fini, informa l'un d'entre eux.

Ils le libèrent et le trainèrent quasiment jusqu'à la porte.

- jamais ! Il ne faut jamais qu'il découvre !

Puis ils disparurent dans le couloir et les portes se refermèrent.

Je me lève à mon tour et sortis, l'esprit chamboulé après cette discussion. Le pénitencier de toute à l'heure m'attendait juste derrière les porte.

- pari combien qu'il t'a sorti qu'il était innocent, jura-il d'un air moqueur, ils disent tous ça !

- le problème, c'est que le fantôme de ma mère le pense aussi.

Il m'observa sans comprendre. Je l'ignore copieusement.

À nouveau, le portique fit hurler son alarme mais ils me laissèrent passer sans m'importuner.

De toute façon j'étais ailleurs. Je venais de me souvenir d'un détail qui m'avait toujours interloqué.

Ma mère déboula dans le salon avec une expression de terreur, suivi de près par mon père fou de rage... Je ne sus jamais comment, ni pourquoi, mais des objets se levèrent et foncèrent vers mon père...

Je ne sais toujours pas le comment, mais je savais à présent le pourquoi.

Elle avait des pouvoirs.

Et c'est à cause d'eux qu'elle s'est fait tuer.

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