Chapitre premier

Dans quelques instants ça sera mon tour. Tous les autres étaient passés et j'étais le dernier dans le couloir à encore patienter.
Je fixais mes deux valises à mes pieds avec cette récurrente sensation d'avoir oublié quelque chose. Quelque chose dont je n'arrivais pas à me souvenir. Tant pis. Quel qu'en soit l'objet, ils pourront le garder afin de ne pas m'oublier.

Tant que moi je les oublie.

La porte du bureau s'ouvrit enfin et madame Loren m'appela. Je pris mes affaires, heureux de pouvoir dégourdir mes jambes et la suivis.
L'odeur agressive et habituelle de désinfectant me fouetta le nez lorsque j'entrai dans la sombre pièce. En revanche, des tulipes avaient remplacé les roses des étagères murales et le bureau, habituellement si bien rangé, était encombré de liasses de papiers administratifs.

-Asseyez-vous, me demanda-t-elle fermement une fois qu'elle l'eût fait.

Je m'assis dans l'un des deux fauteuils moelleux en face de son bureau et attendis. Toutes les fois où je m'étais retrouvé dans cet endroit s'étaient concluent pas une sanction, justifiée ou non.
Vous voyez ce qu'est une tortionnaire ? Et bah Madame Loren remplissait tous les critères psychiques mais en pire. Elle passait régulièrement son temps à chercher de nouvelles méthodes pour nous faire souffrir et nous humilier et arrivait toujours à trouver un mobile justifiant ses actes. C'était sûrement pour ça qu'elle n'était pas mariée. Qui voudrait s'unir pour la vie avec un démon ?
Je me souviens un jour, nous nous sommes retrouvés consignés dans les toilettes afin qu'on cure à la main les cuvettes des WC, pour la seule et bonne raison qu'un pensionnaire ne l'avait pas salué sur son passage.
En réalité elle avait eu une rupture difficile et nous avons été les candidats idéaux pour subir sa colère. Cette sorcière avait été dure avec tous les pensionnaires de ce fichu centre. Mais elle a été plus dure avec moi en particulier. Parce que je lui faisais penser à sa sœur. Sa sœur qui s'était fait assassiner.

Sa sœur qui était aussi ma mère.

Madame Loren me dévisagea pendant un court moment qui me sembla être une éternité.
Puis elle se mit à parler.

-Vous arrivez au terme de votre 6ème année dans notre établissement, commença-t-elle, et vous avez brillamment obtenu votre baccalauréat scientifique ainsi que votre examen d'aptitude de santé. Vos résultats sont corrects et votre état mental s'est considérablement amélioré. Comme vous le savez déjà, au Conseil vous avez été jugé apte à étudier dans le supérieur en dehors de notre institut.

Un sourire traversa mon visage. Je le savais déjà, mais ça me faisait toujours plaisir de le réentendre.

- Vous avez été accepté à l'Université Paris Diderot, continua-t-elle en cherchant quelque chose dans une pile. Vous serez dans la section maths et informatique. C'est une section compliquée alors ne relâchez pas vos efforts. Ah ! Voilà !

La directrice saisit puis me tendit une pochette.

-Voici vos dossiers incluant votre certificat de radiation. - elle joignit ses mains -.À partir de cet instant vous ne faîtes plus partie de notre établissement.

-Merci, dis-je en prenant les documents que je mis aussitôt dans mon sac à dos.

Madame Loren se leva.

-Je suppose que vous connaissez la sortie, nul besoin de vous raccompagner monsieur Delmer.

-Humm...je pense que je saurais me débrouiller.

Je rassemble mes affaires et me dirige vers la porte.
Elle aurait été désagréable jusqu'au bout celle-là. Même pas un gentil "bonne continuation" ou même un petit sourire d'au revoir. C'était trop lui demander. Mais bon, un serpent reste un serpent. Avez-vous déjà vu alligator faire un câlin ?

-Je suis sincèrement désolée Alex...

Je m'arrête net dans ma lancée.
Est-ce vraiment la voix de la directrice prononçant ces mots d'excuse que je venais d'entendre ? C'était impossible à croire.
Je pivote alors sur moi-même. Madame Lauren me regardait d'un air abattu. Des larmes coulaient sur ses joues et ses épaules si strictes habituellement étaient relâchées.
Je n'en croyais pas mes yeux.

-Je... je suis désolée de ne pas avoir été là pour te soutenir, continua-t-elle, c'était trop dure pour moi, je tenais énormément à ma sœur et te voir...

Elle rajusta son chignon et prit une longue respiration. La situation aurait pu être comique si la phrase suivante était restée dans sa bouche.

-Je voyais plus en toi ton père que ta mère...

Je la toisa du regard et je sentis mes mains commencer à trembler. Une colère incontrôlée montait petit à petit en moi comme une bouffée d'adrénaline.

<<Je voyais plus en toi ton père que ta mère...>>

Sans plus attendre, je fis volte-face et quitte les lieux avant que la situation ne dégénère. Mais sa dernière phrase commençait déjà à tourner en boucle dans ma tête tel une mauvaise mélodie.
<<Je voyais plus en toi ton père que ta mère...>>
Je ne sut même pas quand j'atteignis la sortie du bâtiment tant mon esprit était obnubilé par ses paroles.

À présent, je comprenais mieux son acharnement vis à vis de moi.
Elle voyait plus en moi mon père que ma mère.

Ce même père qui devant moi, avait assassiné sauvagement ma mère.

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