Chapitre huitième

Je retrouve mon appartement deux heures plus tard. La nuit était quasi tombée. Pourtant il n'était que dix-sept heures.
Jeanne n'était pas là. Elle révisait son partiel à la bibliothèque universitaire. Sa première année de médecine était périlleuse et afin d'être à jour, elle multipliait les retours tardifs.

Je pris une bière et m'assis dans le canapé, l'esprit fatigué de trop penser. Il y avait beaucoup de zones d'ombres dans le récit de mon père, comme le fait qu'il n'avait absolument pas dévoilé où il se trouvait au moment du meurtre. S'il n'était vraiment pas sur le lieu du crime, où se trouvait-il alors ? Jamais il était passé en retard me chercher pour qu'on passe le weekend.
Si ce soir il n'était pas venu, ça veut dire qu'il avait été retenu.

Par qui ? Par quoi ?

Mon téléphone vibra, m'annonçant l'arrivée d'un nouveau message.

C'était Jeanne.

Minetta nous invite ce soir pour 21h au Clautide&Co pour fêter une bonne nouvelle. Ne m'attend pas, je n'aurais pas le temps de passer à l'appart. On se retrouve là-bas.

J'envoie rapidement un "ok", puis ferme les yeux en imaginant comment aurait été ma vie si tout avait été normal six ans plutôt. Mon père serait venu me chercher. On aurait passé le week-end ensemble. Ensuite je serais revenu chez ma mère et continuer une vie habituelle en Bretagne.
Mais je n'aurais pas connu Jeanne, Minetta ou encore Buldog. Je n'aurai pas eu ces pouvoirs.
Je ne serais pas non plus ici à me morfondre sur mon sort.

L'avenir est insondable, dis-je en sombrant dans un sommeil léger.

***

Je me réveil une dizaine de minutes avant le rendez-vous au resto. Rapidement, j'enfile une chemise blanche puis un manteau et sortis.

Il faisait totalement nuit. La température actuelle ne blaguait pas. La route était dégagée et les touristes déambulaient toujours, même à cette période peu attrayante de l'année.
Je frémis. Non pas à cause du froid. Mais la dernière où ces conditions étaient réunies, j'avais pris trois mois de coma à l'hopital.

Le restaurant en question se trouvait au bout du boulevard Voltaire, à moins de huit cents mètres de l'appart. C'était un petit restaurant quatre étoiles chaleureux et spacieux.

Depuis quand Minetta à le budget pour se payer ce genre de viré ?

Je pousse la porte et entre. L'ex dame de ménage s'y trouvait déjà avec les jumelles à une table de six.

- Alex ! S'exclama-t-elle en me voyant. Mon petit chou !

Ma mère de substitution se leva et vint me serrer dans ses bras. Elle sentait l'eau de Cologne.

- Tu es de bonne humeur, fis-je remarquer.

-toujours quand je te vois bien ! Vas-y, assiets toi !

Une des jumelles se décala et je m'assis entre elles.

Deux hommes en smoking noir entrèrent, suivis aussitôt de Greg qui vint s'installer avec nous, ses joues potelées rougies par le froid.

Un grand sourire béat était dessiné sur son visage.

-je ne suis pas trop en retard ? Demanda-t-il inquiet.

-non pas trop, répondit Minetta, mais dis-moi, que font ces traces de rouges à lèvres sur ta joue ?

Bulldog écarquilla les yeux puis rougit tellement que les traces en question disparurent.

-ce... ce n'est rien dit-il timidement.

Toute la table éclata de rire, moi le premier.

c'est qui ta gonzesse ? Demandai-je une larme aux yeux.

Greg nous toisa mal à l'aise. Puis en fermant les yeux :

-p'tite boulangère, elle n'est pas très loin d'ici.

-et tu nous a rien dit ? Nargua l'une des jumelles. Elle fonce sur les inconnus elle aussi ?

Les rires repartirent de plus belle.

- bon, fit Greg pour changer de sujet, et si tu nous disais Alex pourquoi tu nous as invité ?

Je cesse de rire et je le toise d'un air moqueur.

-qu'est-ce que tu racontes, lançai-je, c'est Minetta qui nous a invité.

Cette dernière m'observa sans comprendre.

- je ne pense pas, réfuta-t-elle. Ce sont les jumelles.

Les deux sœurs s'échangèrent des regards de surprise.

-nous croyions que c'était Greg, fit celle à ma gauche.

Un silence de mort tomba sur la table.

-c'est quoi cette blague s'exclama bulldog. Où est Jeanne ? C'est elle qui m'a envoyé l'invitation.

- à nous aussi, ajouta l'une des jumelles.

-idem, fit Minetta.

Ils se tournèrent alors vers moi.

-pareil, dis-je aussi, mais elle devait nous rejoindre.

Nouveau silence.

Minetta se leva et rangea lentement ses affaires.

- si c'est une blague, dis-lui qu'elle n'est pas drôle, je n'aime pas que l'on me fasse perdre mon temps.

L'ex dame de ménage se dirigea vers la sortie du restaurant d'un pas rapide et énervé.

Après quelques regards d'hésitation, les jumelles se levèrent a leur tour et s'en allèrent, me laissant seul avec Greg.

-ce n'est pas dans le genre de Jeanne de faire des blagues de ce style là, fit remarquer ce dernier.

-de faire des blagues tout court, rectifiai-je en me levant. Faut que je sorte pour l'appeler.

-passe ton appel dans les toillettes. Tu seras plus tranquille et il y aura moins de bruit.

-pas faux, avouai-je en tournant les talons.

Je traverse un petit couloir mal éclairé et pousse la porte des W.C. Puis je me cale devant les robinets avant de composé le numéro de Jeanne.
Ça sonne. Mais personne ne décroche jusqu'au répondeur.
Je l'appelle une seconde fois. Puis une troisième avec impatience.

Réponds.. espérai-je.

Rien. Toujours rien.

Au moment où je compose le numéro pour la quatrième fois, les deux hommes en smoking sortirent des toilettes et vinrent se laver les mains de part et d'autres autour de moi. L'un d'eux m'observait de manière insistante.

-quoi ? Lui envoyai-je.

Son poing s'écrasa dans ma figure et des larmes de douleur me montèrent aux yeux. L'autre m'asséna son coude dans la tempe et je m'écroule au sol, la vue chancelante.

Le plus petit de mes agresseurs sortit de sous sa veste une barre de fer.

- vous êtes quel enfoiré encore ? demandai-je à moitié sonné.

Il s'accroupit près de moi, un rictus au coin des lèvres.

- Tu n'aurais pas dû revoir ton père, dit-il. À cause de ça, ton amie meurt lentement dans son appart.

Il leva son arme. Puis l'abattit sur mon crâne.

Ses yeux s'écarquillèrent lorsque le métal passa sans résistance à travers mon être.

Ce fut la dernière chose qu'il vit.

Le tranchant de ma main fendit l'air et lui défonce la trachée. Le corps parcouru de convultions et crachant du sang, le tueur à gaz s'étala au sol.

Son comparse bondit alors. Je fis une roulade pour l'éviter puis me relève.

À présent nous étions face à face, cherchant la moindre faille dans la posture de l'autre, nous jaugeant intensément du regard. Cependant dans les yeux de mon adversaire brillait une lueur de crainte, ayant assisté au sort de son acolyte.

Je fonce sur lui.

Il para mon attaque d'un revers et balança son poing dans mon abdomen. J'eus le couple soufflé et il enchaîna avec une droite qui n'aboutit pas. Je lui envoie mon coude dans la poitrine puis dans la pomette. Il tanta une riposte ce qui me permis de saisir son bras. De là, je le fit passer par dessus mon dos et de mes jambes lui attrape la tête.

D'un coup sec je lui brise la nuque.

Son corps se relâcha aussitôt sous mon étreinte et je me relève, les membres meurtris. Un filet de sang coulait de ma tempe.

Je venais de tuer deux hommes.

Mais pas le temps de se lamenter.

Jeanne était en danger.

Sans plus tarder, je sortis des toilettes saccagées et traversa le restaurant encore rempli de clients.

Greg avait disparu. Sûrement parti après m'être engagé dans le couloir des toilettes.

Un vent glacial me fouetta le visage lorsque je sortis.
Mais je me mis à courir. Je courais aussi vite que je le pouvais, bousculant sans ménage les gens sur mon passage. La douleur à la tempe me lançai sérieusement et menaçait de me faire perdre conscience mais il fallait tenir.

Jeanne ne devait pas mourir à cause de moi.

Quatre à quatre, je grimpe les escaliers puis arrive essoufflé devant le péron de mon appartement.

La porte était entrouverte. Les acolytes des hommes du restaurant se trouvaient sûrement encore à l'intérieur.

Je retins ma respiration et passe silencieusement à travers la porte.

Ce que je vis me fit froid dans le dos.

Ma meilleure amie était inconsciente et ligotée à une chaise. Elle se vidait lentement de son sang, touchée à la cuisse.

Absorbé par l'état de Jeanne, je ne perçus pas le mouvement du revolver dans la pénombre.

Je n'eus pas le temps d'activer mon pouvoir.

La balle me heurta de plein fouet.

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