CHAPITRE XII : VOYAGE & RÉVEIL

Trois jours plus tard...

— Où suis-je ?

Ce fut la première question que Cellia se posa en se réveillant dans cette espèce de maison ancienne. Face à elle, une jeune femme luttait contre la douleur de l'accouchement. A force de transpirer, cette dernière semblait plus pâle qu'un cachet d'aspirine. Que faisait-elle au milieu de cette scène qui lui retournerait les entrailles en temps normal ? Elle n'en avait pas la réponse. A chaque fois qu'elle essayait de demander de l'aide, elle se voyait passer aux travers des gens. Cellia voulait partir, sortir de cette maison pour rejoindre sa vie mais ne savait pas comment s'y prendre. Aussitôt une voix s'éleva.

— Ton devoir, jeune Élhue, c'est de suivre attentivement tout ce qui se jouera devant toi. Seulement après, ton ancienne vie viendra te chercher.

Qui avait parlé ? Cellia regarda de part et d'autre de la pièce mais ne dut se résoudre à l'évidence. Elle soupira d'agacement puis se tourna vers la scène d'accouchement préhistorique, résignée. L'enfant sur le point de naître se nommait Loïck, futur guerrier de la légion des défensheurs comme ne cessait de répéter sa mère. Une lignée de gardes s'occupant des litiges et des batailles entre le monde d'en haut et celui d'en bas. Loïck naquit d'une seule poussée au moment où une éclipse se formait dans le ciel de midi.

Malheureusement, la jeune mère ne put pas profiter de la présence de son robuste garçon. Elle mourut le sourire aux lèvres, en assurant aux servantes demeurées à son chevet qu'il s'agissait de l'enfant de la prophétie. Sa mission d'élue s'achevait ainsi. Les portes du paradis l'attendait grandement ouvertes et elle était immensément heureuse d'avoir pu servir les déesses de lumières.

Le jeune garçon fut emmené, parmi les autres bébés qui se trouvaient dans l'immense crèche du palais royal. À la différence des autres enfants, Loïck mangeait peu, mais grandissait vite. Face à son excroissance, il fut confié au chef de la légion des défensheurs. À l'adolescence, Loïck était bâti comme une armoire à glace et maniait l'épée avec une dextérité remarquable. Tous, reconnaissaient d'un commun accord qu'il était un guerrier redoutable jusqu'à ce qu'une tragédie se produise. Cet homme robuste, plus beau que tous les fantasmes du monde, tomba amoureux d'une des déesses de lumière et se retrouva berné par une sorcière. Pour avoir commis l'acte répugnant qui a conduit l'une des déesses à la mort, Loïck fut banni de sa contrée et partit en exil. Il voyagea de ville en ville, pendant trois cent soixante et cinq jours. Son cœur vibrait d'une rage sourde qui le rendait dangereux pour lui-même. Il finit par arriver là où il devait. Une forêt laiteuse qui avait la particularité de retranscrire les émotions de ses visiteurs. Désormais, de la cendre s'échappait des feuilles des arbres aux côtés d'une fumée pestilentielle, mais cela ne l'arrêta pas. Loïck poursuivit son chemin, en traînant son bagage, dans la poussière. Il marchait, d'un pas décidé, jusqu'à l'oasis qui était située au fin fond d'une clairière, camouflée par des arbustes aux feuillages touffus. À destination, Loïck s'agenouilla. Il supplia les déesses de lui accorder leur pardon bien avant de retira ses vêtements.

Bizarrement, dans cette eau dépourvue d'existence marine, il était possible de respirer. À peine Loïck fut-il au centre, que quatres tourbillons jaillirent du sol noirâtre, pour lui enserrer les membres. Des pics de douleurs commencèrent à pleuvoir sur sa peau et l'eau qui vibrait désormais se teinta en rouge. Presque aussitôt, Cellia et Loïck basculèrent du côté opposé où les tourbillons qui retenaient Loïck se changèrent en chaînes d'acier.

L'endroit effrayant dans lequel ils venaient d'atterrir s'étendait sur plusieurs kilomètres. Il y avait du feu, des cascades de larves, énormément de cendres et le gaz toxique qui s'échappait du sol craquelé par endroit, vous piquait méchamment la peau. Les poumons en feu, Cellia transpirait à grosses gouttes. À peine venait-elle de réaliser qu'elle n'était plus sous sa forme astrale, des chaînes jaillissaient du sol pour la prendre pour cible. Le temps d'analyser son environnement pour trouver une issue, Cellia ne pouvait plus bouger. Déjà, les chaînes noirâtres lui enserraient les chevilles et un frisson la glaça, lorsqu'elle sentit une présence.

Ces aberrations totalement inhumaines transpiraient souffrance et douleur. Dissimulées par des capuches, elles se déplaçaient sur des ossatures de chevaux. Elles avaient été attirées par l'odeur de chair fraîche que propageait l'atmosphère. Il fallait fuir, pourtant Cellia en était incapable. Ces nouveaux liens l'entravaient et lui lacéraient la peau à chacune de ses tentatives.
Les aberrations descendirent de leurs étriers malfaisants. Le rire terrifiant qui s'échappa de leurs faces squelettiques fit se dresser les cheveux de Cellia sur son crâne. A l'unisson, Cellia les vit approcher, elles brandissaient leurs fourchettes géantes. Elle ferma immédiatement les yeux, en attente du choc. Son cœur vibrait dans sa poitrine, tandis que ses jambes tremblaient. Sa gorge s'assécha et ses cheveux mouillés par la transpiration s'amplirent de poussière. Cellia les sentait, elles s'étaient proches. Le bruit provoqué par leurs lames qui s'entrechoquaient lui fit davantage serrer les paupières. Comme la brûlure d'une substance corrosive, l'action des lames sur sa peau se propagea jusqu'au bout de ses ongles, en lui arrachant un cri.

Cellia hurlait. Elle se tortillait de douleur, pendant que des larmes glissaient sur ses joues. Malgré ses plaintes, les bêtes immondes continuaient de lui asséner des coups et ricanaient sinistrement. Soudainement, elles balancèrent leurs armes sur la tonne de charbons brûlants. Elles volaient maintenant percuter la chair déjà à vif, en extirpant une espèce d'ombre noirâtre qui semblait délicieuse à leur palais. Les cris déchirèrent la gorge de Cellia, ils lui brûlèrent la bouche.

— Princesse ?

Une silhouette apparut dans son champ de vision, mais Cellia dû forcer sa tête à se relever. Elle essayait de voir au delà des larmes qui lui brouillaient la vue. La forme qui flottait au dessus des flammes se rapprocha. Ce visage, cette chevelure. Cellia secoua la tête en croyant rêver. Lorsqu'elle fut à sa hauteur, elle aggripa le bras de sa fille. Les chaînes d'acier usés fondirent et les aberrations prirent immédiatement la fuite. Cellia contemplait sa mère, bouche bée. Elle voulait lui parler mais sa gorge restait nouée.

— L'heure n'est guère  propice au questionnement. Il faut que tu partes. Le rituel de purification s'achève ici et maintenant.

— Je ne peux pas le laisser ici. Il faut qu'on l'aide, répondit Cellia en pointant Loïck du doigt.

— Il n'est pas vraiment là. Tu ne t'en es pas encore rendue compte ? Tous les événements auxquels tu viens d'assister se sont déjà passés. Aller, va t'en maintenant. Réveille toi dans ta réalité.


                        

— Docteur Burk, vous êtes d'urgence demandés, en soin intensif.

Lorsque Burk entendit l'hôtesse cracher cette information dans le haut parleur du hall en se répétant, il se précipita dans le premier ascenseur.

— Quel est le diagnostic ?

— Nous pensons qu'elle revit son traumatisme. Regardez le moniteur, son corps est serein mais son cœur bat trop vite, remarqua le jeune homme, aux cheveux coupés courts.

— Comment arrêter cette crise dans ce cas ?

— Nous lui avons déjà administrés du magnésium associé à de la taurine, mais comme vous le constatez, la démarche a été inutile, déclara de nouveau, le jeune docteur, en enfonçant les mains dans ses poches.

Subitement, des tremblements anormaux assaillirent le corps de Cellia. Tous les appareils se mirent à biper et le spectrogramme du moniteur se changea en ligne droite.

— Putain ! Qu'est-ce qui se passe encore ? Rumina Burk, en se précipitant sur sa patiente. Une crise cardiaque ! Cria-t-il à la volée, en voyant le corps recommencer à convulser sur le lit. Nous sommes en train de la perdre !

— Vite ! Un milligramme d'épi, on se dépêche, cracha le docteur à lunette, en s'adressant à personne en particulier.

Cela n'eut aucun effet sur la patiente. Son corps raidit dans les airs retomba mollement sur le lit.

— Massage cardiaque et électrochocs, annonça le jeune docteur, en révélant la poitrine de la patiente, un, deux, trois, on dégage ! Encore ! un, deux, trois !On dégage. Un, deux, trois...

— Docteur, elle est morte, réalisa l'infirmière qui avait préparé les injection dans l'angle.

— Non ! Il n'en est pas question, renchérit Burk furieux en la foudroyant du regard. Je le refuse ! De l'adrénaline, apportez moi de l'adrénaline, ordonna-t-il, en observant le spectre de l'histogramme.

— Mais docteur, elle...

— De l'adrénaline, j'ai dit, putain ! Hurla-t-il de nouveau, ce qui eut le mérite de faire reculer ces deux collègues.

Une main tremblante lui tendit la seringue et Burk comprit qu'il n'hésiterait pas une seconde à aller jusqu'au bout. Son rôle, c'était de sauver des vies. Ainsi, il refusait de perdre cette jeune fille si stupidement. Il planta la seringue dans son cœur puis laissa le remède emplir l'organe. Il fallait impérativement que cela marche. Dans la chambre, les machines continuaient à biper sans que Cellia ne réagisse.

— Aller, murmura Burk à voix basse pour lui-même, réveille toi. Il faut que tu te réveilles.

Burk entama un dernier massage cardiaque avant de réutiliser les électrochocs. Serrant les dents, il retira brutalement ses gants avant de les jeter dans la corbeille et demander.

— Heure du décès ?

— Vingt deux heures et...

— Attendez !

Qui avait parlé ? On ne le savait plus. Burk savait juste qu'à ce moment précis, tous s'étaient tournés vers les appareils. Le spectre de l'histogramme s'était remis à bouger. Faiblement, il poursuivit sous leurs regards ébahis, sa timide course jusqu'à se stabiliser. Dans le même temps, ils virent les poumons de la jeune fille se gorger d'oxygène avant qu'elle n'ouvre les yeux.

— Où, où suis-je, murmura Cellia la voix rouillée.

— Vous êtes à l'hôpital mademoiselle, déclara Burk stupéfait.

— Qu'est-ce, qu'est ce qui m'est arrivée ?

— Vous avez eu un accident.

— Un quoi ?

— Un accident, répondit le jeune docteur, en remontant le masque à oxygène sur son nez. Maintenant, reposez vous.

Note de l'auteure :
Dans ce chapitre, nous avons eu droit à quelques détails sur l'origine des Enchantress. Cellia a subi la purification céleste qui avait été annoncé dans le chapitre intitulé : la ruelle crasseuse, en parcourant le passé de celui avec qui elle ne faisait plus qu'un. Dans le chapitre suivant, on aura le retour de Cellia dans la réalité et ses retrouvailles avec sa famille et ses ami(e)s.

Bonne lecture ! N'hésitez surtout pas à voter et poser vos questions ou autres.

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