𝟻𝟼. 𝙾𝚜𝚎 𝚝𝚒 𝚘𝚜𝚎 𝚔𝚎𝚛𝚔𝚞𝚜𝚑 𝚑𝚒𝚚.

Bonsoir, ça-va ? 🕰



(𝖣𝖾́𝗆𝖺𝗋𝗋𝖾𝗓 𝗅𝖺 𝗏𝗂𝖽𝖾𝗈 𝗉𝗈𝗎𝗋 𝗏𝗈𝗎𝗌 𝗉𝗅𝗈𝗇𝗀𝖾𝗓 𝖽𝖺𝗇𝗌 𝗅'𝖺𝗆𝖻𝗂𝖺𝗇𝖼𝖾)





"Il n'y a aucune chance, aucune destinée et aucun sort qui puissent entraver la fermeté d'une décision prise par une âme déterminée."
Ella Wheeler Wilcox





𝙰𝙲𝚃 𝟿.

👒 𝙹𝚄𝙸𝙽 / 𝙹𝚄𝙸𝙻𝙻𝙴𝚃.





𝟧𝟨. 𝖮𝗌𝖾 𝗍𝗂 𝗈𝗌𝖾 𝗄𝖾𝗋𝗄𝗎𝗌𝗁 𝗁𝗂𝗊.









Cassie.








Mes yeux se perdent sur la ville de Southwark qui s'agite autour de moi.

Assise à l'arrêt de bus, je vois les derniers rayons du soleil caresser les façades des immeubles d'un éclat orangé.

Je déteste ce quartier, mais aujourd'hui, je trouve l'atmosphère calme, presque détendue.

Des rires d'enfants résonnent au loin, les plus jeunes jouent au ballon dans les rues. On sent que l'été et les vacances se sont bien installés.

J'ai dû me faire violence pour sortir de chez moi, et arriver jusqu'ici... Immobile, mon téléphone dans mes mains, je fixe ma coque « I love Edward Cullen » en attendant patiemment que mon téléphone vibre de nouveau.

L'air de fin juin est assez agréable. Je suis en t-shirt, et jogging, et je n'ai pas réussi à faire autre chose qu'un chignon négligé. Si ma mère me voyait habillée comme ça, je ne sais même pas ce qu'elle pourrait penser de moi.

Mais mon esprit est ailleurs depuis plus d'un mois. À ce stade je me rappelle à peine du trajet que j'ai fait pour me retrouver ici, à cet arrêt.

Enfin, si, je le sais, mais c'est comme si tout ça m'avait dépassée.

Ce midi, Nelly m'a appelée.

C'était la première fois que j'entendais de nouveau sa voix.

Ça n'a pas duré longtemps. Je ne sais même pas si j'avais le droit de me sentir heureuse de lui parler une seconde fois.

Elle m'a annoncé que Lalita était sortie de la clinique...

Mais qu'elle était encore trop faible psychologiquement pour parler avec qui que ce soit. Elle m'a conseillé d'attendre avant de me précipiter chez elle. Et heureusement qu'elle me l'a dit, parce que sinon je me serais déjà retrouvée devant sa maison...

Nelly m'a annoncé que son père s'est fait interner. Elle ne pense pas pouvoir reprendre les cours.

Et pour le moment Cherry reste injoignable.

J'ai détruit leur vie à toute.

Chaque mot était comme un coup de poignard en plein ventre, et je n'ai rien pu faire, à part écouter et m'effondrer un peu plus sous le poids de ma culpabilité.

J'aurais voulu voir Callahan aujourd'hui, mais il n'est pas à Londres. J'ai à peine pu rester au téléphone avec lui, il m'a dit qu'il rentrerait plus tard dans la nuit, et qu'il passerait me voir directement.

Je l'attends impatiemment, mais pendant ce temps, Sadie m'a poussé à sortir de chez moi pour qu'on se voie.

Elle m'a proposé qu'on mange des sushis ensemble, et le temps d'un instant, ça m'a donné l'idée d'avoir un semblant d'échappatoire, et de respirer de nouveau.  

Je regarde autour de moi.

Cette rue... ce quartier... Tout ici me met mal à l'aise. C'est là que je venais pour récupérer la molly de Taylor. C'est ici que tout a commencé à s'effondrer. Je déteste être ici, chaque recoin me rappelle les erreurs que j'ai faites, les choix qui ont conduit à ce chaos.

Mais je suis là. J'attends. Parce que je n'ai pas d'autre choix. Je ne pouvais pas rester chez moi, seule avec mes pensées. C'était juste insupportable.

Le bruit des voitures et des bus qui passent me semble tellement lointain, étouffé par mes propres pensées qui me hantent. Je me sens encore comme un fantôme qui flotte entre le monde des morts et des vivants.

Je serre mes bras autour de moi, comme pour me protéger de la brise chaude, mais aussi pour essayer de contenir cette angoisse qui monte.

Je me dis que peut-être, en sortant, en voyant Sadie, je pourrais sentir quelque chose d'autre que ce poids.

Soudainement, une petite Ford grise dont le moteur gronde faiblement s'arrête devant moi. La voiture a l'air vieille, mais je ne sais pas pourquoi, je me fais la réflexion qu'elle dégage quelque chose d'assez familier et réconfortant.

Je reconnais tout de suite Sadie au volant, elle se penche sur son siège pour m'ouvrir la portière de l'intérieur, dès que je la vois, son sourire doux m'accueille. Je sens mes épaules se détendre juste un peu. Ses longs cheveux auburn tombent en cascade sur ses épaules. Elle est, comme toujours, impeccablement maquillée, ses lèvres brillent d'un gloss marron qui capte la lumière et cette fois-ci je me fais la promesse de lui demander sa routine teinte.

Elle porte un top blanc et un jean taille basse un peu déchiré par endroit.

— Monte Princesse, y'a un bus qui arrive juste derrière moi !

Sa voix me fait revenir sur terre. Je me lève précipitamment avant même de le réaliser. Mon téléphone glisse presque de mes mains et je le rattrape un peu au dernier moment avant de m'engouffrer dans sa voiture.

— Je déteste m'arrêter ici, il y a toujours un bus qui me colle au cul, me lance-t-elle en démarrant maladroitement à la seconde où je m'assois.

Je tourne la tête vers elle un peu surprise par son vocabulaire, mais j'avoue que ça m'arrache un léger sourire en coin.

— Je ne le savais pas, désolé.

Sadie secoue la tête, en tournant dans une rue, une petite musique aux accents afro résonne dans l'habitacle.

Sa voiture semble rugir à chaque accélération. Elle me jette un coup d'œil complice avant de m'indiquer les sièges arrière. Je vois un sachet en plastique avec une boîte de sushis.

— J'ai pris des makis, et ceux aux fromages, et des nems ? Ça te va ?

Je hoche la tête, un petit sourire aux lèvres malgré moi. Mon regard dérive autour de l'intérieur de la voiture. Le tableau de bord est usé par le temps, le bois vieilli, et un chapelet avec une croix rose pend du rétroviseur, doucement balancé par les mouvements de la voiture.

Dans la console centrale, je vois des objets sont un peu jetés là : du parfum, une brosse à cheveux, une crème pour les mains, un paquet de chewing-gum à la menthe.

— C'est la vieille Ford de ma mère.

Je relève rapidement la tête, Sadie a remarqué que je détaillais l'intérieur. Elle force légèrement sur l'embrayage en passant une vitesse, la voiture gémie un peu sous l'effort, mais elle se met à rire :

— Ok, j'avoue, c'est une vraie galère pour embrayer, mais j'y suis trop attachée pour la changer.

Encore une fois, je la vois lutter pour embrayer, la voiture tremble légèrement avant de reprendre sa route et à mon tour un petit rire m'échappe.

Sadie sourit, ses yeux sont pétillants comme si ça lui faisait plaisir d'entendre autre chose que des sons de détresse venant de moi.

— Ma mère l'a achetée quand j'étais toute petite, dit-elle avec une sorte de fierté. Elle venait de se séparer de mon père et elle avait besoin de quelque chose qui nous tiendrait, tu vois, un truc fiable pour toutes les galères qu'on vivait à l'époque. Cette bagnole, elle nous a sauvées tellement de fois.

Je l'écoute attentivement me raconter un peu comment cette voiture ne les a jamais lâchées et qu'elle les a toujours ramenées à la maison, même quand elle faisait des bruits bizarres ou qu'elle pensait qu'elle allait les lâcher.

En fixant son profil illuminé par la lumière du tableau de bord, je vois affection qu'elle a pour cette voiture, et je commence à comprendre pourquoi elle y est si attachée.

Je finis par hocher la tête. Les lumières de Londres continuent de défiler autour de nous, et je m'enfonce un peu plus dans le siège en essayant de laisser cette tranquillité que Sadie m'apporte m'envahir doucement.



Il n'a pas fallu plus d'une vingtaine de minutes, avant que nous arrivions dans un parking.

Sadie se faufile entre les voitures stationnées, en cherchant une place libre.

L'endroit est exigu, les véhicules sont serrés les uns contre les autres. Après quelques secondes de recherche, elle trouve enfin une place tout au fond. Au moment où elle commence sa manœuvre, l'espace me semble à peine suffisant pour sa Ford, mais finalement elle entre sans problème.

Alors qu'elle se gare, elle chantonne doucement la chanson qui passe à la radio, son doigt tapote légèrement le volant au rythme de la musique.

Juste avant d'éteindre le moteur, elle me lance avec un sourire en coin.

— Tu vois, la place 115 là-bas ? C'est la mienne normalement. Mais mon voisin me la pique tout le temps. Enfin, après comme il me monte toujours des packs d'eau et de lait gratuitement, j'avoue que je ne lui dis rien.

Je souris à sa réflexion.

Elle sort de la voiture et récupère les sushis à l'arrière, j'en fais de même. Une brise fraîche me frappe et je me rends vite compte que mon t-shirt ne risque pas de me couvrir une fois la nuit tombée. Je frissonne légèrement, en passant une main sur mes bras pour essayer de me réchauffer.

Sadie m'indique la sortie du parking :

— J'habite juste en face, me précise-t-elle en me tenant la porte de sortie.

Je hoche la tête et la suis. Nous traversons la petite rue sombre. Je lève les yeux vers le un vieux bâtiment. Les murs en brique rouge sont parsemés de graffitis un peu partout. À ce stade, les messages sont incompréhensibles.

Quand nous montons quelques marches pour atteindre la porte d'entrée. Je constate les bouteilles de bière et les mégots éparpillés près du hall. Je ne m'y attarde pas. Sadie se rapproche de l'espace des boîtes aux lettres pour récupérer son courrier, tandis que mon reflet sur le miroir brisé décuple mon état dépressif.

Je détourne les yeux en suivant Sadie qui a coincé une lettre entre ses lèvres pour en ouvrir une autre. Son visage me paraît anormalement sérieux, néanmoins je la suis dans les étages.

Ils donnent tous sur un petit balcon extérieur qui offre une vue sur la ville.

J'avoue que tout me semble triste, figé sous les lueurs blafardes des réverbères, à chaque fois je regarde au loin les silhouettes des dernières personnes se déplacer dans les rues.

L'intérieur de l'immeuble est aussi désuet. Entre les graffitis, les éclats de verre traînent parfois sur les marches, les rampes en fer rouillées.

Puis finalement arrivé au 3ième étage, Sadie tourne dans le couloir. Elle semble si absorbée par son courrier, que j'ai presque l'impression qu'elle m'a oublié.

— Sad' !

J'évite au dernier moment de me cogner contre elle lorsqu'elle se stoppe précipitamment pour se retourner en même temps que moi à l'entente de cette voix féminine.

Je reconnais la blonde que j'avais vue lors de mon pique-nique avec Callahan.

— Ah Nana ! Désolée, je sais, j'ai oublié de répondre à ton message !

— T'aime trop faire ça toi ! lui lance-t-elle en sortant de chez elle.

Je crois qu'elle s'appelle Nina. Je la détaille discrètement alors qu'elle s'approche de nous. Vêtus d'un simple cardigan qu'elle resserre autour de sa taille et qui lui arrive au niveau des cuisses, ses chaussons couinent un peu sur le sol.

Elle est angélique, mais ses sourcils épais et son regard marron perçant me donnent l'impression qu'elle doit probablement avoir un très fort caractère.

— Salut Cassie, ça-va, me dit-elle avec un sourire franc mais sérieux, comme par formalité, mais pour me montrer qu'elle ne m'a pas oublié.

— Oui, et toi, je murmure d'une voix que j'aurais aimée plus forte.

Elle hoche simplement la tête et comme par réflexe, elle resserre une seconde fois son cardigan sur son ventre avant de dire à Sadie :

— Rassure-moi, Sad', demain tu finis à quelle heure ?

— Je devrais être là vers 21 heures. Pourquoi ?

— Avant 21 heures ?

— Probablement, si Ross ne me fait pas chier.

— OK, soupire Nina de soulagement en hochant la tête.

— Pourquoi ? T'as l'air pâle un peu, ça-va ? s'inquiète Sadie en s'approchant un peu d'elle. 

— T'inquiète, c'est mon nouveau client, il veut absolument que je sois là demain, je risque de finir tard avec lui, et j'ai un peu peur que ma grand-mère soit seule. Tu pourrais rester avec elle ? Tu dors à la maison ?

Sadie acquiesce immédiatement, sans hésitation.

— Bien sûr, aucun problème. Je resterai. J'espère il t'apporte tes donuts habituel ton « client ».

— Boucle-la, j'en ai déjà marre de lui. J'ai hâte qu'on en finisse.

— Hm... c'est ça, se moque doucement Sadie, ce qui provoque l'exaspération de Nina qui lève les yeux au ciel.

— Bon, merci Sad', je rentre il fait un froid pas possible ! Tu dois être morte de froid.

Je me rends compte que Nina s'adresse à moi, lorsqu'elle me désigne d'un haussement de menton. Ma seule réaction c'est de dire non, alors qu'elle a totalement raison, je suis morte de froid.

— T'as le nez rouge, ajoute-t-elle en commençant à reculer. OK, Sad', demain tu viens quand tu peux ! S'il te plaît !

— Compte sur moi. Et j'ai des sushis, tu viens manger avec nous ?

— T'es un amour mais c'est mort, babouchka (grand-mère) veut qu'on se fasse un film.

Sadie lui sourit en hochant la tête.

Je ne saurais même pas comment expliquer, mais malgré leur échange simple, je sens à quel point elles sont proches.

Un peu comme des sœurs.

Leur complicité mutuelle me plonge immédiatement dans une profonde tristesse. Tout ce à quoi ça me renvoie, c'est aux Stardust qui ne sont plus rien que des poussières d'étoiles éparpillées partout dans ce ciel noir.

Nina me sourit encore une fois avant de rentrer chez elle.

— Viens, princesse.

La voix de Sadie me ramène encore à elle.

Je déglutis avec tristesse avant de la rejoindre devant sa porte. En cherchant ses clés dans son sac. Elle se fige soudainement, le temps d'une seconde.

Un peu perplexe, je la fixe avant de comprendre que c'est le sol qui accapare son attention. À mon tour je constate qu'une petite fleur de cerisier est posée sur le sol. Je fronce légèrement les sourcils tandis qu'elle se penche pour la ramasser.

Je la regarde, intriguée, mais je ne dis rien.

Finalement, elle ouvre sa porte, et la suit en silence dans son appartement.

La première chose que je vois à l'entrée, c'est un petit panier d'osier posé sur un tabouret en bois, dans lequel Sadie y dépose la fleur.

Je constate qu'il y a d'autres pétales fanés, comme si c'était une routine pour elle de recevoir ces fleurs de cerisier.

Je meurs d'envie de lui demander ce que ça représente mais je me tais alors que Sadie referme la porte derrière elle.

— Mets-toi à l'aise, me dit-elle en se débarrassant de son sac qu'elle accroche au porte-manteau. Enlève tes chaussures.

Je hoche la tête, un peu maladroite, et retire mes chaussures en les laissant près de la porte.

Une fois que je relève les yeux et que je détaille l'appartement, je suis happée par la singularité du lieu.

Le salon est éclairé par une suspension au plafond qui donne une lumière tamisée, presque mélancolique. Illuminant une petite table ronde sur laquelle Sadie pose le sachet des sushis, et récupère deux tasses de thé. Elle se dirige vers sa cuisine pour les mettre dans l'évier, mais je continue de détailler la pièce et avise le canapé vieilli en cuir marron, avec des coussins éparpillés. Juste en face, un poste de télévision modeste posé sur un meuble en bois verni. Un sourire étire mes lèvres en constatant la petite bibliothèque posée juste à côté, dans laquelle je reconnais quelques romances que j'ai déjà lues. 

On a peut-être un point en commun...

Mais finalement, je m'arrête sur ce qui m'a interpellé en entrant dans la pièce.

Alignés contre le mur, sous lequel trône des photos de famille de Sadie et ce que je suppose être sa mère, il a des machines et des produits médicaux. Partout où mes yeux se posent, il y a soit des masques à oxygène, des gants en latex, de la Ventoline, ou un tensiomètre.

Au finale, la pièce est presque clinique.

Je comprends rapidement que quelqu'un ici a besoin de soins. Je me demande si c'est Sadie qui a besoin d'autant de soin, et je me retiens de demander où est sa mère.

Sadie revient de la cuisine, avec des couverts et quelques assiettes qu'elle pose avec soin sur la table du salon.

— Désolée, c'est le bordel, me dit-elle en désignant vaguement les masques et les gants en latex éparpillés sur la table basse.

Je secoue la tête pour lui signifier que c'est rien, et elle attrape rapidement quelques-uns des gants et les fourre dans une petite boîte qu'elle déplace sur une étagère.

— Ma mère est malade... Elle est partie à l'hôpital pour quelques jours, mais... elle a besoin de tout ça quand elle est à la maison.

Dans sa voix, j'ai ressenti toute sa tristesse. Mon cœur se serre à l'entente de cette nouvelle.

— Je... Je suis désolée, j'espère qu'elle ira mieux, et qu'elle rentrera en pleine forme, je murmure hésitante de la façon dont je pourrais la réconforter.

Sadie me lance un petit sourire, sincère mais un peu fatigué. Elle attrape un dernier masque qui traîne encore sur la table et le balance négligemment sur le canapé non loin.

— Viens assieds-toi, lance-t-elle en me désignant la chaise libre en face d'elle.

Je m'approche, et m'installer. Sadie commence à déballer les sushis et dispose les morceaux avec soin sur de petites assiettes.

Je prends mes baguettes et Sadie me dit en attrapant les siennes :

— Je suis pas une pro non plus, plaisante-t-elle en riant doucement, puis elle attrape un sushi avec difficulté avant de le faire tomber dans la sauce soja.

Un petit rire m'échappe malgré moi, et sur le coup, ça me fait vraiment du bien. Dans un sourire complice, elle récupère son sushi avec ses doigts et le mange avant de retenter l'expérience. Je commence à manger avec elle. Mais elle brise le silence en me demandant avec un regard préoccupé :

— Est-ce que tu as des nouvelles de tes amies ?

Je m'arrête, ma baguette au-dessus de mon assiette, le regard baissé. Je sens une boule dans ma gorge.

— Non... Pas vraiment. Enfin... si, mais je n'ai pas eu plus de contact que ça...

— C'est de la folie ce qui t'arrive, articule-t-elle en mangeant un sushi. T'as aucune idée de ce qui t'en veut à ce point ? 

Je secoue la tête, envahie par une plus grande tristesse encore.

— Parfois j'en veux au monde entier pour mes malheurs. Après le décès de mon père, ma mère est devenue complètement absorbée par sa carrière. Plus rien ne comptait pour elle, je me suis perdue moi-même dans des relations qui m'ont apporté que des emmerdes... Les seules sur qui je pouvais compter, j'ai exposé leur vie sur un tableau vert et aujourd'hui notre groupe est parti en éclat.

Je prends une pause, en fixant l'assiette devant moi, un peu perdue dans mes pensées et en réalisant ce que je viens de confier.

Je ne l'avais dit à personne d'autre que Callahan.

Sadie ne bouge pas, mais je sens son regard sur moi :

— Tu parles de Taylor... ? Pour tes relations qui t'ont apporté que des emmerdes ?

Je me souviens du jour où elle m'a surpris en train de faire une crise d'angoisse aux toilettes à cause de ce type. Elle m'a surprise deux fois au final. Je déglutis difficilement avant d'hocher la tête.

Elle pioche dans son assiette pour prendre un sushi :

— Ce mec est un névrosé, le genre de gosse de riche qui pourrait payer quelqu'un pour tuer, articule-t-elle très sérieusement ce qui me donne des frissons dans le dos. Tu ne penses pas que ce soit lui qui te cherche autant de problèmes ?

— J'y ai pensé mais... mon garde du corps s'est occupé de son cas, je ne pense pas que ce soit lui.

— Ton garde du corps, le motard ? me demande-t-elle avec un petit sourire complice en coin.

Je hoche la tête en sentant mes joues chauffer. Elle laisse un petit rire lui échapper mais ne me dit rien de plus. Je replace une mèche de mes cheveux derrière mon oreille, et ma langue se délie toute seule :

— C'est mon copain, depuis deux mois, avoué-je en m'empressant d'avaler un sushi.

— Vu comment il te regardait, ça m'étonne même que ça ne fasse que deux mois que vous avez officialisé.

Je relève les yeux vers elle surprise.

— Il me regarde comment ?

— Comme si vous étiez déjà marié.

Un rire franc m'échappe sans contrôle.

Je ne me souviens même pas d'un jour ou Callahan ne m'a pas appelé autrement que « sa femme ».

L'idée de le devenir est toujours aussi forte, mais j'ai l'horrible sensation que lui et moi ne pourrons pas être bien tant que ce stalker continuera à être dans ma vie ;

— Je voudrais juste que toutes ces histoires s'arrêtent, je reprends d'une voix légèrement brisée. J'ai juste envie de me vider la tête, être heureuse avec lui... Ça fait quatre ans... presque cinq en fait que ce stalker est entré dans ma vie, et qu'il me la pourrit... Il me suit, il sait tout de moi. J'ai l'impression qu'il est partout, mais je ne sais même pas qui c'est. C'est pas de l'amour ça... c'est une sorte d'obsession... malsaine pour ma personne, que je n'arrive pas à comprendre.

Sadie incline légèrement la tête en m'écoutant attentivement, son visage est sérieux et concentré.

— Comment ça a commencé ? demande-t-elle en prenant lentement un autre sushi.

Je soupire et prends une gorgée d'eau avant de continuer.

— J'ai... je... j'ai fait des n-nudes... pour Taylor...

Mes yeux se posent sur Sadie. Je crains de voir une expression de jugement traverser son visage. Mon cœur bat à tout rompre, et je sens mes mains légèrement trembler en reposant mon verre d'eau sur la table mais ses yeux, ne montrent ni choc ni désapprobation.

Elle reste là, toujours calme, concentrée sur moi avec la même attention qu'avant. Aucun changement dans son expression, aucune trace de mépris.

Je m'attendais presque à ce qu'elle s'écarte, qu'elle soit dégoûtée de moi ou qu'elle me fasse sentir encore plus mal. Mais au lieu de ça, elle continue de manger tranquillement, prenant un autre sushi, comme si ce que je venais de dire ne changeait rien à ses yeux.

Je respire un peu mieux, malgré l'angoisse oppressante qui m'a serré le ventre, et le courage que ça m'a pris de confier ça à quelqu'un d'autre que Callahan.

Je me redresse légèrement, mes mains glissent sur le bord de ma chaise. Je suis incapable de me détendre complètement.

— Taylor à fait tourner tes nudes, c'est ça ?

Je hoche la tête, mais en réalité je ne suis même pas sûre de ce qui s'est vraiment passé.

— Je crois... J'espère juste qu'on va bientôt le retrouver... j'ai l'impression qu'on se rapproche. J'espère juste qu'il arrivera à temps, avant qu'il fasse quelque chose d'irréparable...

— Putain, ça fait froid dans le dos.

Je relève rapidement les yeux vers Sadie :

— Je suis désolée, je ne voulais pas te faire peur, je me justifie rapidement pour pas la faire fuir.

— Oh, ne t'inquiète pas pour moi. J'en ai vu des tarés, me rassure-t-elle d'un geste de la main.

On se lance un sourire complice, puis un petit silence s'installe. Il est assez confortable, je ne me sens pas obligée de parler, et elle non plus.

À vrai dire je me sens vraiment réconfortée avec elle. D'habitude, mis à part avec les stardust, je cherche toujours à combler les vides, et je me sens vite accablée par la présence des autres, mais je sens vite qu'avec Sadie, c'est différent.

Je suis interrompue dans mes pensées en sentant mon téléphone vibrer dans ma poche. Je l'extirpe, et vois un message de Callahan.

« Burri im : tu rentres quand, microbe ? »

Un petit sourire m'échappe malgré moi. Je dépose mes baguettes pour lui répondre rapidement :

« Je ne sais pas encore, on mange avec Sadie. »

Quelques secondes plus tard, une nouvelle vibration.

« Burri im : Ne rentre pas seule. Je viens te chercher en fin de soirée. Envoie-moi l'adresse de ta copine. »

Je lève les yeux vers Sadie, hésitant un instant.

— Euh... Cal-, enfin mon copain, va venir me chercher plus tard, dis-je doucement. Est-ce que je pourrais avoir ton adresse pour lui donner ?

— Ah ! Mais je comptais te redéposer chez toi, si jamais.

— Je sais qu'il va me dire qu'il vient même si je lui dis ça...

Sadie sourit légèrement et acquiesce :

— C'est 66 Snowsfields, à Southwark. C'est l'immeuble juste en face du parking. Il ne pourra pas le rater.

— Merci, je lui envoie ça, dis-je en tapotant rapidement le message à Callahan.

Je repose mon téléphone sur la table, mais avant même que je puisse reprendre mes baguettes, Sadie me regarde avec curiosité.

— Et avec tes copines, tu penses que c'est mort ?

Je sens mon corps se tendre à l'entente de sa question. Je ne suis même pas sûre de comment ça va se passer pour nous :

— Franchement, je ne sais pas trop... Après tout ce qui s'est passé, on a toutes pris nos distances... tu vois ? Et je ne sais pas comment faire pour renouer les liens.

Sadie hoche la tête, pensant à ce que je viens de dire. Puis, elle pose ses baguettes en expirant profondément, et me regarde droit dans les yeux :

— Cassie, écoute-moi bien, dit-elle en s'asseyant plus droite. Si tu attends que tout le monde vienne te chercher, tu vas attendre longtemps. Je sais que t'es passée par des trucs difficiles, mais je pense que là, c'est à toi de prendre les devants.

Je rougis légèrement sous son regard perçant. Son ton direct m'a intimidé je l'avoue. Je suis un peu prise de court, parce qu'en y repensant, c'est vrai que j'ai tendance à me laisser porter par les événements, et c'est assez difficile pour moi de prendre des décisions.

Je me mets à mordre l'intérieur de ma bouche en y repensant, et murmure un peu perdue :

— Oui... euh, peut-être que tu as raison. Mais je ne sais même pas par où commencer. Cherry n'est même plus en Angleterre. Je ne sais pas dans quel état psychologique est Lalita, et Nelly semble débordée...

— Moi je pense que tu devrais commencer par les réunir. Pas besoin de quelque chose de grandiose, juste un moment pour vous retrouver, et pour parler de tout ce qui s'est passé. Tu penses qu'elles t'en veulent peut-être, mais si ce sont de vraies des vraies amies, elles seront là, du moins elles comprendront. Et si elles sont pas là, bah... c'est que c'était pas de vraies amies, je suis désolée. C'est aussi simple que ça, ajoute-t-elle avec un haussement d'épaules.

Dit comme ça...

Ça me paraît si simple.

Mais est-ce vraiment la réalité ?

J'ai détruit la vie de ces filles... Je les ai déçues, je leur ai fait du mal à cause de ce putain de journal que je n'aurais jamais dû écrire !

— Mais peut-être qu'elles ne veulent plus de moi dans leurs vies...

— Tu penses trop. Elles t'en veulent peut-être un peu, c'est possible. Mais ce genre de truc, ça se règle en parlant. Tu peux pas rester là à te torturer l'esprit et attendre que tout se résolve tout seul. Parfois, il faut avoir le courage de mettre son orgueil de côté et d'aller chercher les gens. Et je pense vraiment qu'elles ont besoin de voir que tu es venue les chercher.

Je sens un petit frisson me parcourir.

C'est comme si elle me hurlait d'aller les chercher...

Cette simple phrase a mis à nu toutes mes insécurités et toutes les choses qui restaient bloquées, paralysées par l'idée que tout était trop compliqué, trop cassé pour être réparé.

Encore une fois, j'ai laissé la peur de l'échec m'empêcher d'avancer.

C'est à peine si j'ai pensé à simplement... aller vers elles. Des messages envoyés et jamais distribués ne seront jamais assez pour leur montrer que je tiens à elles.

Je baisse les yeux, en sentant mes mains trembler légèrement sur mes genoux.

Mon cœur bat un peu plus vite, il faut vraiment que je le fasse...

Sadie a raison. Elle a totalement raison.

L'émotion me prend, et l'espoir qui va avec embue légèrement mes yeux de larmes que je ravale assez vite.

Je sens le poids sur mes épaules s'alléger légèrement. Je crois que c'est tout ce que j'avais besoin d'entendre. Je lève les yeux vers elle, la gorge nouée.

— Je crois que tu as raison, je lui murmure.

Sadie me sourit en avalant son dernier sushi.

— Je suis sûre qu'elles aussi se sentent un peu perdues sans toi, mais elles n'osent pas faire le premier pas. Vous êtes toutes blessées dans cette histoire, et je crois que vous avez un peu trop toutes souffert en silence. Va vers elles. Dis-leur ce que tu ressens, ça va le faire !

— Merci, Sadie, soufflé-je. Ça m'a fait du bien de t'entendre me dire ça.

Elle me fait un clin d'œil avant d'avaler son verre d'eau :

— Et si elles te rejettent, je te ferai une place ici, dit-elle en riant. Et tu t'entendrais bien avec Nina, même si elle paraît aigrie au premier abord, c'est un ange !

Je hoche la tête, un sourire timide se dessine sur mes lèvres. Son accueil me touche profondément, et je me fais la promesse de ne jamais l'oublier.

La soirée continue avec un peu plus de rires, même si dans un coin de mon cœur je n'oublie pas que je vais devoir faire les efforts pour retrouver mes amies, je n'ai pas envie de perdre complètement espoir.

Pas maintenant.






Ghost.



Le ciel est noir maintenant.

Tout comme mes souvenirs.

Je me revois... tuer.

Le sang sur mes vêtements noirs commence à sécher, et ce sentiment de détachement qui me prend à chaque fois que je commets l'irréparable s'accroche à moi sans pitié. Je me sens monstre, je me sens Ghost, et je veux enlever ces sensations noires sur mon âme.

En étirant légèrement les muscles tendus de mon cou, je fouille dans ma poche pour extirper mes clés. Tout ce que je veux, c'est me doucher, foutre ces fringues à la poubelle.

Et la retrouver...

Ma migraine est en train de m'achever, la nuit s'annonce trop longue si je ne peux pas dormir avec elle ce soir. J'ai vraiment besoin de la sentir près de moi.

— Callahan.

Je relève instantanément la tête et me fige à l'entente de cette voix autoritaire qui résonne dans la rue.

Tout de suite j'ai la sensation que mon cœur chute dans mon estomac en constatant qu'en haut des escaliers qui mènent sur le perron de ma maison, il y a mon père. Son regard est dur, je vois la pointe d'inquiétude dans ses yeux, mais il n'est pas seul.

Il y a mon oncle... Agon.

Et ce n'est pas le pire.

Ça faisait plusieurs mois que je ne l'avais pas revu.

Bercen.

Un autre de mes oncles, accompagné de son fils, Valter.

Je fronce les sourcils.

Mon estomac se noue alors que je monte lentement les escaliers qui mènent à ma porte d'entrée où ils sont tous rassemblés.

Qu'est-ce qu'il se passe ?

Et si Bercen est là, c'est qu'il y a vraiment de quoi s'inquiéter. C'est pas bon pour moi du tout.

Bercen est un des lieutenants des exécuteurs de l'Ordre. Lui et son fils sont les pires sadiques que je connaisse. Ils n'ont aucune pitié, et sont soumis à l'Ordre à l'extrême... Leur silhouette imposante et leur regard glacial accompagnent le grincement des marches en bois de mes escaliers.

Mon regard jongle de mes oncles à mon père, avec un mauvais pressentiment qui grandit. Je sens la sueur froide sur ma nuque. Voir Valter devant ma porte, avec son visage à moitié brûlé me donne des frissons.

C'est mon cousin, mais je peux affirmer qu'il n'a rien d'humain, ni normal.

— Je peux savoir ce que me vaut cette réunion à l'improviste, tenté-je de dédramatiser en arrivant devant ma porte d'entrée pour insérer les clés.

— Fais-nous entrer, commande mon oncle Agon, ce qui me fait le toiser.

Je respire profondément, mais je sens mes sourcils se froncer d'eux-mêmes.

J'ai trop chaud, putain.

Une vague de tension monte en moi.

Où est-ce que j'ai merdé ?

Ma bague...

Putain, j'espère qu'Hira n'a pas ouvert sa gueule.

J'ai été trop négligent ces derniers temps, merde !

Ce n'est pas souvent que je ressens ça, mais là, avec Bercen et Valter devant moi, ça fait bien longtemps que j'ai pas eu un coup de chaud comme ça.

Mon instinct me hurle que quelque chose cloche et que je ne vais pas du tout aimer ce qui va se passer.

— Qu'est-ce qui se passe, Bab ? je demande à mon père, sans lâcher Bercen et Valter du regard.

Mon père ne me répond pas tout de suite mais m'incite à m'enfoncer dans mon appartement. Je retire mes chaussures par réflexe, personne d'autre ne fait de même :

— Vos chaus-

—Callahan, m'interpelle mon père sur un ton dur.

Je relève la tête, et dans son regard, je lis clairement l'avertissement. Mes petites plaisanteries, mon je m'en foustisme habituel... ça ne va pas passer cette fois.

Je me retiens d'ajouter une remarque, même si l'envie est bien là.

Le bruit de leurs semelles sur mon sol propre m'irrite à un point que je ne peux pas ignorer.

Je ravale ma frustration et avance vers ma cuisine.

Je passe mes mains poisseuses ou le sang s'est collé à ma peau sous l'eau de mon robinet.

Le liquide froid dévale mes doigts et je dois frotter pour qu'il emporte toutes les traces de cette putain de journée qui a viré au chaos.

Je me devais de le tuer...

En voyant les taches rougeâtres tourbillonner dans le siphon, j'essaye encore de lister ce qui me vaut la visite de Bercen et Valter en personne. Je sens leur présence juste derrière moi. Ils observent chacun de mes mouvements, chacune de mes hésitations.

Je cesse de faire couler l'eau et m'essuie les mains avec un torchon.

Pourquoi ils sont ici, putain ?

— Tu ne salues plus tes aînés, me questionnes froidement mon oncle, Agon qui s'est invité dans ma cuisine et allume la lumière tamisée.

Va te faire foutre, petit enfoiré.

Je serre les dents. Je sais qu'il joue avec moi, qu'il attend ma réaction.

Mais je ne lui donnerai pas ce plaisir ce soir. Pas maintenant.

Je me dirige d'abord vers le plus ancien, Bercen.

Je prends sa main dans la mienne, la serre fermement, et place ma paume libre sur mon cœur, comme le veut la tradition.

Je fais pareil pour Agon, mon père, et enfin Valter, mon cousin.

Quand je termine les salutations, je croise enfin le regard de Bercen. Ses yeux sont sombres, et surtout insondables. De toute façon, avec Seiji, on a toujours pensé que ce mec était impossible à percer à jour. Et je ne suis pas sûr d'avoir envie de savoir à quel point il est sadique.

J'en ai vu assez.

Mes bras se croisent sur mon torse pour cacher ma main nue, et je lance, mon cœur battant à cent à l'heure.

— Alors, c'est quoi le problème ?

Ma voix semble détendue, intérieurement ce n'est pas le cas.

Je sens le regard nerveux de mon père sur moi. Il reste silencieux. Il ne peut pas parler. Pas avant Bercen. Là, tout de suite, c'est la figure d'autorité la plus puissante parmi nous.

Mon oncle ne dit rien pendant un long moment, et me scrute comme s'il évaluait chacun de mes gestes et mes respirations. Il est grand, presque la même taille que moi. Son costume sombre lui donne une allume impeccable, mais il n'a pas besoin d'arme d'armes visibles pour paraître menaçant. Dans ses yeux, dans son silence, je vois l'ombre du tueur qui est prêt à me mettre une balle dans la tête à la moindre erreur.

Mon cousin, Valter marche nonchalamment dans ma cuisine, en inspectant chaque recoin, mon père semble nerveux, et Agon attend ma chute comme toujours.

Mais enfin, mon oncle prend la parole :

— Où en es-tu dans tes recherches sur Carl Caine ?

Je m'y attendais.

Le dossier Caine traîne depuis presque un an maintenant.

J'ai eu d'autres priorités avec Cassie, j'ai mis ce dossier de côté, mais je sais que ce n'est pas le genre d'excuse que Bercen veut entendre.

— J'avance, je réponds d'une voix posée. Tout est bien plus complexe que prévu.

Bercen plisse légèrement les yeux, ma réponse ne lui plaît pas. D'habitude, je suis efficace. Je le sais, il le sait. Mais là, ça traîne trop, et s'il est là, c'est que l'Ordre commence à perdre patience.

— Ça fait un an, Callahan. D'habitude, tu ne mets pas autant de temps pour résoudre ce genre de problème. Tu traînes. Pourquoi ?

Je me redresse légèrement, appuyé contre le plan de travail de ma cuisine. Chaque muscle de mon dos est tendu.

— Plus je creuse, plus j'entre dans un réseau bien plus vaste que ce qu'on pensait. Ça va me demander plus de temps que prévu de tout démanteler.

Agon s'avance un peu, son regard perçant et hautain me juge sans vergogne :

—  T'as plusieurs affaires en cours, et ça fait des mois qu'on n'a aucun rapport sur tes avancées. Le conseil commence à se poser des questions.

Je serre la mâchoire. Je deviens vraiment trop négligent...

— Peut-être parce que mes rapports ne te sont pas destinés, Agon, je lui réponds avec provocation.

Je sens l'impatience grandir en moi, et mon père me fait comprendre d'un regard de bien tenir ma langue devant Bercen. Mais Agon adore se mêler de ce qui ne le regarde pas, et là, c'est clairement le cas.

D'ailleurs je ne sais même pas ce qu'il fout chez moi.

Et il poursuit :

— C'est mon fils qui est mort il y a presque un an, et tu étais censé creuser le dossier. Alors-

— Agon.

La voix rauque de mon oncle, Bercen plonge toute cette cuisine dans un silence de mort.

Je sens un rire nerveux monter en moi, mais je le retiens. Je déglutis discrètement, malgré ma satisfaction à l'entendre fermer sa gueule, je sais que je suis le prochain sur la liste des membres à être intimidé par la menace de mon oncle.

— Où sont tes rapports, me questionne Bercen.

— Avec tout le respect, Bercen, jusqu'à ordre contraire, mes rapports, je les fais à Adrian, pas à toi, dis-je calmement.

Un frisson me parcourt le dos face à mon audace. Je sens mon père se tendre un peu plus, comme si chaque mot que je prononçais le mettait de plus en plus mal à l'aise. Il sait que je joue avec le feu, et que Bercen peut décider de me retirer du jeu en un claquement de doigts.

Je fixe mon oncle, je dois juste agir comme à mon habitude. Tout le monde au sein de l'Ordre sait que je suis le moins conciliant, et qu'il ne faut surtout pas me faire chier trop longtemps.

Néanmoins, je mentirais si je n'avouais pas que son regard noir me donne chaud au cul. Que ce soit lui, ou Valter, le truc qu'ils dégagent, ça m'a toujours fait le même effet.

Bercen laisse planer un silence entre nous. Il sait que j'ai raison pour Adrian, mais il n'aime pas qu'on lui rappelle les protocoles. Il finit par incliner légèrement la tête, son visage toujours impassible.

— Et la fille de Margaret Bennet ?

Je ne comprends pas tout de suite sa question. En revanche, je sens une tension monter en moi, mon cœur accélère légèrement. Je jette un rapide coup d'œil vers mon père pour évaluer la situation.

Est-ce que c'est chaud ? Est-ce qu'ils en savent trop ?

— Oui ? je réplique d'une voix contrôlée, qui paraît indifférente.

Je joue avec ma vie. Et je sens déjà la pression monter quand Bercen s'avance d'un pas. Ses mocassins claquent contre le sol de ma cuisine, et j'ai tout de suite l'impression qu'il envahit tout l'espace.

En un instant, la pièce semble rétrécir.

C'est une sorte de manipulation mentale qu'il fait tout le temps, et il le fait bien.

Je ne le lâche pas du regard malgré ses iris qui poignardent les miennes, je ne peux pas flancher devant lui :

— J'ai un problème, ta mission avec les Bennett te fait stagner dans tes enquêtes, Callahan. Le conseil commence à se demander ce qui se passe, me dit-il d'une voix froide.

Mon instinct me crie de ne rien dire, mais ma langue se délie malgré tout :

— Ah, on en est déjà au point où le conseil se réunit pour parler de moi sans que je sois au courant ? je lance, un sourire en coin qui n'a rien d'apaisé.

Bercen ne réagit pas tout de suite, et c'est ça qui est le plus inquiétant. Il prend son temps.

— Le conseil se réunit pour parler de qui il souhaite, Callahan, dit-il d'une voix aussi basse que dangereuse. Cela te pose-t-il un problème ?

Je sens mes muscles se tendre malgré moi. Je sens bien la menace sournoise, mais je ne lui donnerais pas la satisfaction de me voir hésiter. Je me redresse légèrement :

— Ça devrait m'inquiéter ? je réplique, toujours avec ce même ton indifférent.

— À toi de me le dire, réplique-t-il calmement.

Je sais que ce type est un serpent. Chaque mot est un test, et si je merde, il peut m'assassiner dans ma cuisine, et même mon père ne pourrait rien n'y faire :

— Je gère, je rétorque finalement. Le conseil n'a pas à s'inquiéter. J'ai toujours géré.

— Tu ferais bien de le prouver, et vite.

Le venin de sa voix me fait déglutir :

— C'est ton premier et dernier avertissement. Tu as jusqu'au mois de juillet pour apporter des réponses plus concrètes malgré le travail que tu fais chez les Bennett n'oublie pas que le contrat prend bientôt fin et que ton temps sera de nouveau uniquement consacré à l'Ordre. Ne laisse pas le reste de ton travail en suspens, autrement, tu passeras sous commission rogatoire.

Sous commission rogatoire ?

Il me fixe encore un instant, et je sens mon cœur s'emballer.

Mais mon calvaire n'est pas terminé lorsque je sens quelque chose de froid et piquant contre ma gorge.

Une lame. Fine, mais tranchante.

Je ne bouge plus. Mon souffle se coupe, et je tourne lentement les yeux sur ma gauche.

Valter.

Ce connard est là, juste à côté de moi, la lame pointée contre ma peau. Et elle appuie juste assez pour que je sente le danger. Pourtant, je sais qu'il lui suffirait d'un simple mouvement, un seul, pour me déchirer.

Je ne l'ai même pas vu bouger.

J'avise sa veste en cuir noir usée, son jean tout aussi noir, et cette moitié de visage brûlée, comme s'il sortait tout droit d'un cauchemar. Ses yeux sombres, vides de toute chaleur, me fixent avec ce plaisir sadique qu'il ne cache jamais. Valter aime ce jeu.

— Je ne vois pas ta Besa e Përjetshme, Callahan, murmure-t-il d'une voix froide, presque amusée.

Putain de merde !

Malgré mes bras croisés, il l'a vu en quelques secondes que je ne portais pas ma bague de promesse...

Bercen et Valter ont l'œil pour ce genre de faille. C'était déjà trop tard avant même que je pense à cacher mes mains.

Je jette un coup d'œil rapide à mon père. Il est tendu, figé. Je lis la peur dans ses yeux. Il sait ce que Valter peut faire, et tout son corps le trahit. Une main couvre sa bouche, l'autre est posée sur sa hanche, crispée. Il sait, comme moi, que Valter n'a qu'à exercer une pression infime pour trancher ma carotide, et me laisser saigner comme un porc dans ma propre cuisine.

— Elle est dans une de mes voitures, dis-je calmement, le regard planté dans celui de Valter. Pleine de sang. J'ai préféré la nettoyer avant de la remettre. Il y a une règle de l'Ordre qui interdit ça ?

Mon ton est posé, comme si je n'avais pas une lame à deux millimètres de ma jugulaire. Mais à l'intérieur, c'est le chaos total.

Je peux sentir ma gorge sèche, ma poitrine qui se resserre violemment.

Valter ne répond rien. Il me fixe d'un regard perçant. Je sens qu'il cherche le mensonge ou la vérité dans mes yeux. Il est très doué pour ça, pour sentir la peur, le doute...

Et en ce moment, je sais qu'il doute.

Je vois l'étincelle de suspicion dans ses yeux.

Le silence est insupportable. Bercen reste immobile, impassible, comme s'il attendait que son fils fasse un choix et peu importe lequel il ne l'arrêterait pas. La tension dans la pièce atteint son paroxysme.

Mon père semble retenir son souffle. Je l'ai rarement vu aussi blême.

Je ne bouge pas. Valter non plus.

Et après quelques secondes à me jauger, ses doigts crispés sur la poignée de son poignard, il finit par retirer lentement sa lame.

La pointe quitte ma gorge, et je peux enfin respirer. Je le fais discrètement et en silence mais ma libération est immédiate. Je sens l'air frais envahir mes poumons, et en même temps, je perçois le soulagement palpable de mon père.

En fixant mon cousin qui range sa lame avec un calme glacial, je comprends vite qu'il n'en a pas fini avec moi, pas encore. Il teste mes limites, et je sais qu'il attend que je fasse un faux pas pour me l'enfoncer cette lame dans la gorge.

Cette fois-ci, c'est passé, mais ça ne passera pas deux fois...

— Il est temps de partir, annonce Bercen en balayant la pièce du regard. Fin juillet, il y aura une réunion. Tu ferais mieux de venir avec de vrais rapports. Le conseil ne tolérera pas un autre retard. Compris ?

Même si je ne suis plus sous la menace de cette lame, ma tension ne s'est pas calmée... Je passe nerveusement une main sur ma mâchoire. Le regard insistant de Bercen m'incite à acquiescer, mais malgré mes traits impassibles, tout mon corps est en alerte. Je sais que ce n'est pas une simple mise en garde.

Je ferais mieux de leur livrer ce qu'ils attendent...

Personne ne rajoute rien. Le message est passé de toute façon. Je vois mon père me regarder avec crainte, mes deux oncles me tournent les talons et Valter leur emboîte le pas en jetant un dernier coup d'œil dans ma direction.

Son visage brûlé s'ancre dans ma mémoire.

Lorsque tout le monde quitte mon appartement, j'appuie mes paumes contre le plan de travail pour reprendre mon souffle.

L'étau se resserre sérieusement.

La vérité ? Je n'ai rien à leur donner. Rien sur Carl Caine, rien sur ces putains de 305 millions de livres sterling. Rien qui puisse justifier ces mois de travail sans résultats concrets. Et ils le savent. Bercen le sait. Valter le sait. Le conseil entier commence à le sentir.

Putain, ce fils de pute aurait pu me tuer sans hésiter, et personne n'aurait levé un doigt.

Le fait qu'il en ait décidé autrement cette fois-ci, c'est juste un sursis.

J'ai besoin de me vider l'esprit. De sortir de ce truc cauchemardesque.

J'ai besoin de ma dose de microbe.

Honnêtement, sa présence est la seule chose qui me permet de tenir ces derniers temps.

Quand je suis avec elle, tout ce bordel disparaît.

Je me redresse, me dirigeant vers la salle de bain, je prends une douche rapide, et je vais la récupérer chez sa copine.





Je coupe le moteur de la moto et la gare à moitié sur le trottoir.

Je viens tout juste de me faire menacer, et la première chose qui me semble logique de faire, c'est de la revoir.

Mais c'est plus fort que moi, et Cassie ne quitte toujours pas ma tête.

Je monte rapidement les marches de l'immeuble de sa nouvelle copine, Sadie, en fixant ma main dépourvue de ma besa e Përjetshme (bague de promesse).

Je lui ai fait une promesse, et mes codes et moi-même m'interdisons de revenir dessus.

Même si ça signifie crever un jour, je tiendrai ma parole. Je veux Cassie, et ça vaudra ma vie.

J'arrive au troisième étage. Rapidement, je retrouve le numéro de porte de Sadie Lynch, et toque trois grands coups dessus.

Quelques secondes s'écoulent, j'entends un peu d'agitation derrière la porte jusqu'à ce que le visage rond de Cassie m'apparaisse. Ses grands iris gris et bleus s'agrippent à moi comme si j'étais son plus précieux secret et pour rien au monde je ne veux perdre ce regard qu'elle a pur moi.

Ses lèvres me tentent déjà, je sens un petit sourire tirer mes lèvres, mais derrière elle, Sadie termine de balancer des emballages de sushi à la poubelle. Elle me salue brièvement, et j'en fais de même.

— Coucou Cal', tu as été retardé, me demande Cassie, ce qui me fait baisser la tête vers elle.

Je hoche doucement la tête, avant de lui dire :

— T'as toutes tes affaires ?

Elle acquiesce en sous-pesant ses clés et son téléphone dans sa main. Je remarque sa putain de coque « I love Edward Cullen », accompagné de sa gueule blafarde et son sourire à la con, mais je me retiens de faire un commentaire.

— Ok, on y va.

Cassie se tourne vers Sadie, avec une moue trop mignonne pour moi et ma santé mentale.

Je lui fais sa fête à la seconde où on est seul.

— On se voit plus tard, Sadie ? articule-t-elle d'une voix toute douce.

— Bien sûr, princesse. Rentre bien.

Sadie s'approche et la prend dans ses bras. Cassie répond à son étreinte en la remerciant discrètement.

Elles finissent par se séparer, et Cassie fait un petit signe de la main avec un sourire chaleureux aux lèvres.

À peine la porte refermée, je prends le visage de mon amour en coupe et je dépose mes lèvres dessus plusieurs fois. Ma frénésie provoque un rire franc et joyeux qui résonne dans les couloirs sombres.

L'impact de sa joie sur mon cœur me surprend moi-même, sans lâcher son visage, je la questionne :

— T'es heureuse là ? Non ?

Je vois que ça la prend au dépourvu, elle sait pas quoi me répondre. Le terme « heureux » c'était peut-être un peu trop fort. Elle me regarde, un peu perdue mais elle finit par me dire :

— Je l'aime beaucoup Sadie. Je sais pas pourquoi... ça m'a fait du bien de parler avec elle.

Je hausse un sourcil, amusé.

— Tant que tu l'aimes pas plus que moi. 

Cassie laisse échapper un petit rire cristallin alors qu'on descend les marches. Son rire, c'est comme une bouffée d'air, qui me détend un peu après l'épisode que j'ai vécu dans ma putain de cuisine.

— Tu dors à la maison ? je lui demande alors qu'on arrive dans le hall de l'immeuble.

Elle me regarde, hésitante, et me dit :

— J'ai vraiment rien pour me changer.

Je lève un sourcil pour la provoquer : 

— Tu vas pas faire comme si tu pouvais pas mettre mes t-shirts. Ou sinon... toute nue, ça m'irait très bien.

— Ne commence même pas ! 

Je ris, incapable de me retenir.

C'est tellement facile de la faire chier, et elle tombe à chaque fois dans le panneau.

On arrive enfin dans la rue, je passe ma main sur sa nuque, pour la guider vers ma moto.

— Je pense que je vais aller voir les filles une par une, me dit-elle soudainement.

Je la regarde attentivement.

— Je me dis que j'en ai peut-être pas fait assez... je veux vraiment tout arranger.

Je hoche la tête.

— Elles apprécieront l'initiative. Fais-le, microbe. 

Cassie me sourit légèrement, et acquiesce à son tour.

En même temps que je lui mette son casque, je lui demande doucement :

— Je sais qu'il est tard, mais j'ai envie de marcher un peu. Ça te dit ?

Elle acquiesce rapidement :

— Je crois que ça me ferait du bien à moi aussi.

— On va près de la cathédrale Saint-Paul ? je lui propose. C'est à 15 minutes d'ici.

— Parfait !

Je baisse la visière de son casque avec un sourire en coin, et je lui passe ma petite veste. Étant donné que la nuit est tombée, les températures ont légèrement baissé. Elle l'enfile rapidement.

On grimpe sur la moto, et comme d'habitude, même rituel. Je tapote sa cuisse, et elle enroule ses bras autour de mon torse. Sa tête vient se poser contre mon dos, et la sensation d'explosion que mon cœur ressent à chaque fois surgit encore.

Je démarre doucement.

Porté par le dynamisme de ma moto... je ressens quelque chose d'étrange ce soir.

Le vent chaud de cette fin de juin s'écrase contre moi, mais au lieu de m'apaiser, il me laisse une impression de vide.

Malgré l'heure tardive, les rues ne sont pas complètement désertes. Les lumières des lampadaires se reflètent sur le bitume, je me faufile entre les immeubles anciens aux briques rouges. J'avise les taxis londoniens et les bus à deux étages qui transportent les derniers passagers.

J'ai peur...

Cette espèce de parenthèse avec Cassie, va bientôt voler en éclats, je le sens. Demain, on sera en juillet. À la fin du mois, je devrai rendre des comptes, des gros. Et ensuite, mon contrat sera terminé. Je sais même pas ce que je ferai après.

Sentir ses bras serrés autour de mon torse comme ça... ça m'enfonce encore plus dans cette peur.

J'ai l'impression que je vais la détruire avec ma vie, que tout ça, c'est juste un rêve qui va virer au cauchemar. Et ça, ça me ronge de l'intérieur. Parce que je lui ai fait une promesse, et je me sens incapable de ne pas l'honorer.

Perdu dans mes pensées, je réalise qu'on arrive dans la rue de Saint-Paul après quelques minutes.

Je freine doucement et ralentis sur une rue en voyant une place pour garer ma moto.

Je coupe le moteur, et on descend tous les deux.

À cette heure, les touristes continuent de flâner dans les rues. 

En enlevant mon casque, je vois que microbe fourre son téléphone et ses clés dans les poches de ma veste que je lui ai donnée. Je glisse mon caque sur mon bras, elle fait de même et me tend sa main.

Bien sûr, je la prends

Mais ça ne me suffit pas, je préfère passer mon bras autour de ses épaules. Je la tire un peu vers moi, juste pour la sentir plus proche. Et, sans réfléchir, je dépose des bisous sur sa joue.

J'ai juste besoin de contact.

De son contact.

Elle lève la tête vers moi, et dans ses yeux, ces putain de yeux bleu-gris, je me perds à chaque fois.

Il y a des millions de regards, mais aucun comme le sien.

— Ça va ? me demande doucement.

Je commence à avancer avec elle dans la rue, en longeant l'allée qui mène vers l'entrée de la cathédrale.

— J'avais vraiment besoin de te voir, aujourd'hui.

Elle rigole, en pensant que c'est juste une autre de mes plaisanteries :

— Oh, je t'ai manqué ?

Mon petit sourire en coin est vite supprimé par le sérieux qui me prend.

— Honnêtement... ça commence à me peser de ne pas t'avoir tout le temps près de moi.

Je sens sa surprise. Elle me connaît, elle sait que j'ai tendance à tout prendre à la légère. Mais là, c'est un peu différent. Elle se tourne vers moi, me prend dans ses bras, et on reste comme ça en me fixant un peu inquiète. Longtemps.

Et putain... j'ai une sorte d'angoisse qui me prend.

Sans vraiment y réfléchir, je pose mes lèvres sur le haut de son crâne, mais ça ne fait que creuser ce vide que je ressens, j'ai l'impression de la perdre, alors qu'elle est là, juste devant moi :

— On est presque tout le temps ensemble, tu sais, rit-elle doucement, comme pour me rassurer.

Je secoue la tête en me joignant à sa petite blague :

— Mais toi, j'ai compris. Tu me vois une heure et ça te suffit, c'est ça ?

Elle explose de rire, secoue la tête en disant non. Son rire fait fondre légèrement le stresse que j'ai en moi :

— Arrête de tout le temps raconter n'importe quoi, Cal', se moque-t-elle un peu.

Je glisse ses cheveux derrière son oreille, mes doigts traînent sur sa peau, et je prends son visage en coupe, mes mains encadrent ses joues.

Je ne devrais pas... et pourtant, à chaque fois que je la regarde, je sais que je pourrais tuer les miens pour cette fille...

— Ose ti ose kerkush hiq... je murmure, la gorge un peu serrée.

Je ne lui laisse pas le temps de me demander ce que ça signifie, je lui dis tout de suite :

— Ça veut dire, toi ou personne d'autre.

L'orage de ses yeux me chamboule encore, comme si c'était la première fois qu'elle me regardait, et à ma grande surprise, elle me chuchote avec un sourire adorable :

— Ose ti ose kerkush hiq.

Je le sais déjà... ses mots font sens.

C'est elle, c'est moi, et il n'y a pas d'autre choix.

Et à chaque fois qu'elle me parle albanais, c'en est presque ridicule, mais je me rends compte que je retombe amoureux.

Je suis tellement foutu...

— À quel point tu me suivrais... si je te le demandais ?

Les mots m'échappent avant même que j'aie le temps de les retenir.

Maintenant que c'est dit, j'ai besoin de connaître la réponse à cette question que je voulais lui poser depuis bien longtemps. Je la sens hésiter, elle fronce les sourcils, cherche à comprendre ce que je veux dire et s'écarte légèrement, comme si elle essayait de lire dans mon esprit.

— Qu'est-ce que tu veux dire ? 

Je secoue la tête, même moi je sais pas trop où je vais avec ça.

— Je sais pas... Si je te demandais de... fuir avec moi, tu me suivrais ?

Son regard change, cette fois-ci, je vois bien un éclat espiègle qui traverse ses yeux, et elle répond en riant :

— Bien sûr ! À la Bonnie and Clyde, baby !

Je hausse les sourcils, surpris. Ce n'est pas la réaction à laquelle je m'attendais, mais ça me fait sourire malgré moi. Je dis rien sur le moment, juste un sourire un peu perplexe qui reste accroché à mes lèvres. Au fond, je sais que ma question est égoïste, qu'elle est même dangereuse et idiote.

Tu ne peux pas lui demander ça...

Et tu n'aurais jamais dû tomber amoureux d'elle.

Pas dans cette vie.

Je suis attiré par des rires d'enfants plus loin. En relevant la tête, je constate qu'un couple avec leurs deux gosses descend les marches qui mènent à la cathédrale.

Sans réfléchir, je lui prends la main, et je nous guide vers l'entrée de l'église.

Elle me suit, et on entre dans cathédrale de Saint-Paul.

La bâtisse est si impressionnante, que c'est le genre d'endroit qui force au silence et à l'admiration.

La grandeur du lieu nous enveloppe aussitôt, et instinctivement, on lève la tête vers les arches dorées. Les immenses colonnes soutiennent un plafond voûté, décoré de fresques qui racontent des histoires que je rêverais de connaître.

La lumière traverse les vitraux colorés, et peint le sol de marbre de ses reflets. J'avise les chandeliers qui scintillent doucement, et les bancs disposés en ligne parfaite.

Un apaisement me submerge en voyant l'autel au fond. Il trône sous une coupole ornée d'or et de vitraux. On dirait que toute la cathédrale est tournée vers lui, comme si c'était le cœur l'endroit.

Le silence qui nous entoure est presque sacré, entrecoupé seulement par les murmures discrets des quelques personnes venues se recueillir.

Je ne lâche pas la main de microbe en avançant le long du couloir qui mène près de l'autel. Je choisis le premier banc vide face à l'autel. Et malgré le regard curieux de Cassie sur moi, elle ne dit rien. Et pour une fois, moi non plus.

Mon regard se perd sur le sanctuaire devant moi. Un fidèle prie en silence, agenouillé.

Mes coudes sont posés sur mes genoux, les mains jointes devant ma bouche.

Mais je ne sais plus comment demander à Dieu de m'aider.

Je n'ai que le silence de mes crimes qui laissent le sang couler sur moi et mes péchés.

Je me sens bien petit, entouré par cette chapelle.

— C'est impressionnant...

Sa voix chuchotante et douce brise le silence. Je tourne la tête vers elle et, sans hésiter, je glisse mon bras autour du sien pour la rapprocher un peu plus de moi, avec un petit sourire en coin.

Je reporte mon regard vers l'autel, et sur un peu plus sérieux cette fois je lui redemande :

— Est-ce que tu étais sérieuse tout à l'heure ? 

Elle fronce les sourcils, clairement confuse.

— Sérieuse à propos de quoi ?

Je la fixe et répète :

—  À la Bonnie and Clyde ? Tu me suivrais... ?

Son regard se plante dans le mien, et à cet instant, c'est comme s'il n'y avait plus rien d'autre autour. Le monde disparaît, juste elle et moi, et cette question qui reste en suspens. Mon cœur palpite brutalement tout d'un coup :

— Cal... pourquoi est-ce que tu me demandes ça ?

Sa voix est douce, mais je sens qu'elle est un peu inquiète. Elle rabat une mèche de mes cheveux qui barrait mon front. Je me force à garder mon calme, même si une part de moi est nerveuse.

— J'ai vraiment besoin de savoir ça.

— Pourquoi tu aurais besoin de fuir quoi que ce soit ? Je ne comprends pas. Est-ce que tout va bien ?

Je laisse échapper un petit rire nerveux, même si je fais tout pour que ça ait l'air détendu.

— Ça va, zëmer. Mais, je sais pas, si je braque une banque, tu me suivrais ?

Je lui lance un sourire taquin en coin, mais cette fois-ci, c'est elle qui reste sérieuse.

— Tu ne ferais pas ça.

Je sens presqu'elle me pose presque la question.

— Imaginons... je réplique hésitant.

J'ai l'impression que ma voix est de moins en moins forte.

Je veux la vraie réponse de son cœur...

Elle plisse les yeux, et là, je la vois réfléchir.

— Est-ce que tu essaies de me dire que t'as besoin d'argent ? Parce que je ne te l'ai jamais dit, mais tu as oublié ta montre Audemars dans une de tes vestes et-

— Cassie, je l'interromps, plus sérieux. Garde la montre, je n'ai pas besoin d'argent. J'ai besoin de savoir... 

Elle se tait, et je la regarde prendre le temps d'y réfléchir. Je vois bien que ma question la trouble, que ça lui fait pas mal tourner la tête.

Elle n'est pas sûre, et je sens qu'elle commence à se demander si je suis pas en train de lui cacher des problèmes plus graves, néanmoins, elle essaie de me comprendre.

— Je t'aiderais... si tu avais des problèmes.

Je souris, mais poursuis :

— Oui, ça je le sais déjà, mon amour. Je te demande, si le monde entier se retourne contre moi, et que tu as le choix... est-ce que tu me choisirais moi... ou le monde ? 

Je ne la lâche pas du regard en attendant sa réponse. Mais au fond, une partie de moi redoute ce qu'elle pourrait dire.

Parce que cette question, c'est pas juste une hypothèse.

Depuis quelques mois, c'est une vraie peur, un truc qui me bouffe de l'intérieur.

Cassie me fixe aussi, ses yeux sont emplis d'émotions, elle a bien compris que j'étais sérieux.

Le moment est tellement intime que je sens une boule se former dans ma gorge.

J'ai presque honte de lui poser cette question, mais je suis à un point où je ne peux plus faire marche arrière. Si je veux vivre avec elle, si je veux la protéger et m'assurer qu'on surmonte tout ensemble, je dois savoir jusqu'où elle irait.

Son silence me tue, elle est perplexe, mais je vois autant la confusion... que l'amour profond qu'elle ressent pour moi.

Elle a cette putain de façon de me consumer avec ses yeux. Ce truc dévorant qui m'aspire dans son petit monde bleu et triste que j'adore égayer.

Je sais qu'elle m'aime.

Au point de se marier avec moi, nous donner des enfants.

Mais prendre le risque de mourir pour moi...

Je n'en suis pas encore totalement sûr...

Et je sais que je suis égoïste de vouloir le savoir.

Juste pour vivre une seconde, une minute, une heure, une journée, une semaine, un mois, une année, une éternité à ses côtés.

Mon cœur bat trop vite. Parce que moi je sens que je l'aime à en redouter ce qu'elle pourrait répondre.

Et pourtant, je dois entendre sa vérité.

Puis sa douce voix brise encore le silence de la cathédrale :

— Quand je pourrissais dans mon lit... Tu m'as dit que j'avais le droit de tomber, et que tu ne me lâcherais pas.

Ces mots me frappent de plein fouet. Mon cœur s'emballe entre angoisse et espoir.

Je prie pour de l'espoir.

— Callahan, moi aussi, je te prends avec toutes tes cicatrices, et ça sera toujours toi et moi contre ce monde. Je te choisirais toi... tu le sais... 

Je la regarde en sentant mes yeux s'écarquiller légèrement, je sens chaque battement de mon cœur dans ma poitrine.

— Tu m'as fait beaucoup de promesses, et je te fais confiance pour chacune d'entre elles. Le bonheur que tu m'as donné en à peine un an a recollé des années de souffrances... J'apprends et je me guéris avec toi. Je ne sais pas ce que tu entends par là, mais tu m'as donné ton cœur et je t'ai confié le mien, ce n'est pas pour t'abandonner.

C'est tout ce que j'avais besoin d'entendre.

Ses mots me traversent, me pénètrent jusqu'à l'âme. Elle ne se rend pas compte d'à quel point elle est devenue mon obsession. Mon désir sombre et intense de l'avoir tout près de moi, de la protéger à n'importe quel prix grandit dangereusement.

Tout ce que je souhaite, c'est de créer un monde où il n'y a qu'elle et moi, un endroit où personne d'autre ne peut l'atteindre, où elle n'aurait jamais besoin de douter, jamais besoin de souffrir.

Je veux être celui qui bannit chaque ombre qui ose effleurer son cœur.

Quand je la regarde, je sais qu'elle ressent toute mon intensité, elle arrive à peine à garder ses yeux trop longtemps dans les miens, et ses yeux deviennent rouges. Je ne sais même pas si je pourrais un jour lui décrire vraiment la façon dont elle me consume.

Ce monde peut brûler, je le reconstruirais comme elle le voudrait, juste pour elle.

Elle dit vrai, elle m'a confié son cœur, fragile et pourtant si fort.

Je m'approche légèrement de son visage, et lui murmure ma vérité :

— Ose ti ose kerkush hiq.

Elle répète, doucement, presque comme un serment :

— Toi, ou personne d'autre.

Je hoche la tête, sentant mes émotions me submerger.

— Je t'en fais la promesse. 

— Je te crois.

Et quand elle dépose doucement son visage sur mon épaule, tout semble se calmer.

Ensemble, on regarde la cathédrale en silence, bercés par la grandeur du lieu.

Ose ti ose kerkush hiq.














Bonsoir bonsoir, bonsoir ! 🎃

Ça-va ? ☕️





Est-ce qu'on peut juste faire un aparté pour Valentina ? Juste, un grand merci, pour celles qui me soutiennent sans faille depuis le début, merci d'avoir été au rendez-vous pour Valentina, ❤️ !

(J'ai trop mal à la tête, je peux pas trop parler MDR, mais je tenais juste à remercier, mes anciennes et nouvelles lectrices qui ont été là, et qui m'ont encouragées ! ❤️)


IT'S TIIIME TO TAKE THE TEA : ☕️, je veux tout entendre, vos impressions, vos ressentis, vos théories, vos retours pour ce chapitre ? Dites-moi tout !

Ça sent la fin de Ghost la... À tout casser, il reste, aller, 4/5 chapitres ? Pas plus... Mais ça va très bien se passer 😇 !


(Et again, non je n'abandonne pas Ghost, pitié !)

Ça se voit que j'ai mal à la tête MDR.




BYE 🏍💨🪐 !



Stardust 🍓


𝚂𝚎𝚎 𝚢𝚘𝚞 𝚜𝚘𝚘𝚗 🕰...



xo, Azra. ✿



IG: azra.reed

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