𝟶𝟷. 𝚈𝚘𝚞 𝚖𝚒𝚜𝚜𝚎𝚍 𝚖𝚎 ?

(𝖣𝖾́𝗆𝖺𝗋𝗋𝖾𝗓 𝗅𝖺 𝗏𝗂𝖽𝖾𝗈 𝗉𝗈𝗎𝗋 𝗏𝗈𝗎𝗌 𝗉𝗅𝗈𝗇𝗀𝖾𝗓 𝖽𝖺𝗇𝗌 𝗅'𝖺𝗆𝖻𝗂𝖺𝗇𝖼𝖾)






"Tout est mystère, et la clé d'un mystère est un autre mystère."
Ralph Waldo Emerson











𝟢𝟣. 𝖸𝗈𝗎 𝗆𝗂𝗌𝗌𝖾𝖽 𝗆𝖾 ?











Cassie.





Arrête ton cinéma, Cassie, maintenant ! Arrête !

Ce sont les mots que ma mère m'a hurlés il y a quatre ans de ça et qui, aujourd'hui, me reviennent comme une gifle en plein visage.

C'était sa seule réponse à mes supplications désespérées pour ne plus jamais retourner au lycée ; et ce, malgré mes yeux baignés de larmes tout en me traînant sur le sol à genoux devant elle.

Je ne pouvais pas y retourner...

Pas après ce que j'avais fait.

Tout ce que je lui demandais, c'était de me payer un professeur particulier pour faire l'école à la maison, au moins le temps d'une année. Ce n'était pas comme si maman n'en avait pas les moyens. Si elle avait voulu, elle aurait pu me libérer de ces nausées que j'avais à chaque pas que je faisais dans les couloirs jaunâtres de cet établissement, étranglé par cet uniforme bleu que je détestais par-dessus tout.

Il grattait, et j'avais l'impression que la jupe n'était plus assez longue, parce que ; "le cul de Cassie Bennett est plus gros que celui d'une star de porno !"

Les souvenirs me donnent mal au ventre.

Rester assise sur une chaise pendant des heures.

Avoir mal aux fesses.

Écouter les cours d'une oreille.

Mais surtout, les moqueries...

Et cette horrible sensation que tout le monde vous regarde. Que les bruits de couloirs sont tous à propos de vous. Que tout le monde sait ce que vous avez fait, que tout le monde vous trouve dégoûtante et vous juge dans votre dos. Les gens font ça, sans jamais considérer une seule seconde que toute cette histoire est en train de vous réduire en cendre vous aussi...

Pour une adolescente de quinze ans, mal dans sa peau, avec un appareil dentaire et des boutons, c'était bien plus qu'elle ne pouvait supporter.

Je cochais toutes les cases de la bizarre de service.

Et depuis cette putain de connerie, ça fait toujours quatre ans que je compte chaque minute passées en classe dans l'espoir que mon calvaire s'arrête enfin.

Je hais l'école, ça, c'est un fait avéré qu'on ne pourra jamais m'enlever.

Ma mère aurait pu m'aider. Mais j'ai bien fini par comprendre qu'elle préférait me voir vomir tous les matins en insistant bien sur mon « cinéma ». Elle s'assurait ainsi que tous les médias voyaient bien sa fille se pavaner — l'air malade — dans les couloirs d'un lycée huppé de Londres, plutôt que me tendre la main et arrêter mon calvaire.

Je me suis longtemps demandé quand est-ce que les sourires de ma mère avaient cessé d'être sincères ? Sûrement après la mort de papa. Après ça, ils n'étaient destinés qu'à orner des affiches électorales comme produit marketing. Ses yeux n'étaient plus rieurs, elle était juste devenue un sourire de façade, placardé sur des murs d'arrêts de bus bondé.

En même temps que l'élastique que j'ai toujours au poignet ne claque contre ma peau, un claquement de doigts devant mon nez me fait presque sursauter. Je tire sur le fil de l'écouteur que j'ai caché derrière mes cheveux lâchés, et ma musique — Possibility de Lykke Li — se coupe nette.

Je reviens sur terre et plonge dans les yeux noirs de Lalita qui m'a déjà l'air agacé. Ses lèvres gesticulent quelque chose. J'ai bien conscience qu'elle me parle mais il me faut quelques secondes pour entendre ce qu'elle me dit.

— ...et ça devient un supplice de te raconter des trucs, Cassie, tu m'écoutes ja-mais quand j'te parle.

Son insistance sur le « jamais » a failli me faire pouffer de rire.

Je m'esclaffe désolée.

— Qu'est-ce que tu me disais, demandé-je en enroulant mes écouteurs autour de mes doigts.

Je fais tout le temps ça. Mon attention dure le temps de quelques minutes avant que mon esprit ne se perde rapidement dans mes pensées. Entre mes angoisses, mes souvenirs et les mots de ma mère, ça fait bien quatre ans qu'on ne fait que de me répéter — reprocher — que je n'écoute rien.

En général, je dois vraiment me concentrer pour ne pas perdre le fil d'une discussion.

— Tu fais vraiment chier, Cas.

— J'étais perdue dans mes pensées, désolée...

— À quoi tu pensais ?

— J'étais en train de réfléchir à... à la vie... La vie, oui, répété-je comme pour me donner un peu plus de crédit.

J'entends les filles s'esclaffer, et le regard blasé que Lalita me lance me fait pincer les lèvres. Je n'ai aucune excuse.

— Putain, Cassie, je parle de quelque chose de sérieux !

— Oui, tu parlais du fait que ton oncle et ta tante étaient restés chez toi jusque tard dans la nuit hier et que tu en avais marre de leur hypocrisie... et aussi que tu n'allais plus jamais laver leur vaisselle... 

— Je te parlais de ça, sur le chemin vers la fac... ça fait 40 minutes que j'ai changé de sujet.

Et merde !

En voyant le regard blasé de Lalita, je me contente d'un sourire gêné en serrant les dents.

— So sorry, Lali'...

— C'est ça, bref ! Je disais que j'en ai marre de cette ville de merde. J'veux partir loin, d'ici et retrouver mi mamita au Mexique. Donc il faudra pas se louper au niveau des cours.

Ses mots me font déglutir...

Si seulement elles savaient un quart de ce que je cache...

Si elles savaient que quelques jours en arrière, j'étais à deux doigts de tout balancer, de les laisser derrière moi, sans une lettre d'adieu, sans un seul mot...

Une trahison que j'étais prête à commettre, guidée par ces angoisses constantes et les envies suffocantes d'échapper à ma propre vie...

— Mais, Lali', ça te fait pas peur de tout quitter ? lui demandé-je d'une petite voix légèrement tremblante.

Je suis consciente de ma propre hypocrisie... je connais déjà la réponse à cette question. Autrement je ne serais pas assise dans cette bibliothèque avec elles.

— Peur de quoi ? me répond-elle avec assurance. De vivre ma vie comme je le voudrais ? Je veux pas perdre cette chance, on mérite de faire ce qu'on veut, sans que personne ne nous juge.

— C'est juste que...

Je m'arrête, les mots se coincent dans ma gorge et meurent sur mes lèvres.

Je regarde autour de la table, croisant le regard de chacune de mes amies.

Lalita,

Cherry,

Nelly.

Prise de remords, des regrets m'envahissent, j'ai une sorte de sentiment d'infériorité qui me submerge.

C'est juste que quoi, Cassie ?

Tu n'as assez de courage pour être libre comme Lali, c'est ça ?

Toi tu aurais pris la fuite sans un mot...

Je secoue la tête pour chasser ces pensées en murmurant un "non rien, c'est stupide". Après avec tiré la manche de mon pull sur ma paume, je pose ma main froide sous ma joue. Mon index dessine des motifs invisibles sur la table, cherchant un échappatoire à cette conversation qui me rappelle à quel point mon cœur est lourd. 

Et faible.

— ...avec ça tu vois ? franchement, j'ai plus rien à perdre. J'emporte Gaby et Moises avec moi et je rentre. Et puis, si on remet les choses dans leur contexte...

Mon esprit divague déjà, j'ai à peine entendu son monologue et j'entends à peine la fin de sa plainte.

Ce n'est pas la première fois que ça l'énerve. Et je sais que ça ne sera pas la dernière. Mais être dans un établissement scolaire réveille chacune de mes anxiétés. Ma boule au ventre est constante et je regarde déjà ma montre pour compter les minutes.

C'est mal, mais à chaque fois, je me dis que Lalita a un trop grand cœur pour m'en vouloir trop longtemps.

Enfin, disons plutôt qu'elle fait une exception pour moi, et nos seize ans d'amitié.

J'en profite, je le reconnais... c'est mal... ça aussi, je le reconnais.

Et je me déteste un peu pour ça...

Parce que dit comme ça, Lalita c'est la grande gueule par excellence. Et la personnification même de la rancœur. Elle n'oubliera jamais ce que quelqu'un lui a fait, en bien ou en mal. Elle ne laisse pas non plus l'occasion à qui que ce soit de lui marcher dessus, homme et femme confondus. Quitte à ce que sa langue maternelle, l'espagnol, reprenne le dessus lorsqu'elle elle est en colère. Je la regarde parler aux filles et moi et à chaque fois je ne peux pas m'empêcher de penser qu'elle a son univers bien à elle. Entre ses épais cheveux noir de jais qui entourent son visage, ses sourcils qu'elle trace finement et ses looks dignes des icônes de mode qu'on voyait passer sur Tumblr pendant des heures dans sa chambre.

Moi, je la trouve iconique.

— ... année les filles, affirme Lalita en faisant claquer le bout de ses ongles acryliques noirs aux motifs étoilés contre la table en nous regardant toutes les trois dans les yeux, ce qui me ramène un peu sur terre. On se met à fond pour être les majors de la promo.

— Tu dis ça, et tu vas tricher comme chaque année.

Le clap d'un petit miroir me fait tourner la tête à ma droite.

C'est Cherry qui vient de parler. Elle s'appelle Diana en réalité, mais ça fait bien des années qu'elle nous demande de l'appeler Cherry. Je ne me souviens même plus de la dernière fois que je l'ai appelé par son nom de naissance. Et je pense que c'était dans la cour de récréation quand nous étions encore à l'école primaire. Il faut le dire, Cherry a fait du rouge et des cerises toute sa personnalité. Cherry sans les lèvres rouges et glosées, sans sa teinture de cheveux bordeaux foncé et ses fulls faces pour lesquels elle se lève une heure en avance, ce n'est pas vraiment Cherry.

Je crois que j'adore son côté décomplexé, et ses mini-jupes qu'elle met même en plein hiver.

Elle porte des collants rembourrés pour celles qui voudraient savoir comment elle fait pour résister au froid.

C'est le cerveau du groupe. Elle m'a toujours dit que ses parents vietnamiens ne l'autoriseraient jamais à passer le pas de leur porte avec une note de moins de 95%, et jusqu'à présent, elle y est toujours parvenue.

— T'es une vraie garce Cherry, renchérit Lalita.

Je n'ai jamais pu dire le contraire.

Mais je crois que c'est pour ça qu'on l'aime bien. Cherry est sans filtre, et elle s'en fout de ce que les gens pensent d'elle.

Je l'admire beaucoup pour ça.

— Une garce qui dit la vérité, lui répond-elle en fouillant dans sa trousse de maquillage pour ressortir son gloss. Tu peux pas t'en empêcher. En tout cas, je ne vole aucun sujet cette année, c'est mort !

Cherry fait éclater la bulle de son chewing-gum à la cerise tellement fort, qu'une élève assise à quelques tablées de nous relève la tête dans notre direction en rouspétant doucement. Son regard est suffisamment noir pour que ça fasse réagir Lalita :

— Mais, qui est-ce que tu regardes comme ça, toi, t'es folle ou q...

— Lali', c'est bon ! Arrête.

Cette fois-ci, c'est Nelly qui est intervenue. Prise de gêne, elle recoiffe ses longues mèches brunes en une demi-queue de cheval. Ses nombreux bracelets en pierre qui roulent le long de ses bras s'entrechoquent entre eux. Nelly, elle sent toujours bon la vanille et absolument tout la dégoûte — surtout les chewing-gum de Cherry — Je crois que si elle ne dit pas le mot « dégoût » une fois dans la journée, elle meurt. Elle ne s'endormira jamais sans avoir fait sa skin care complète, et c'est pour ça qu'elle se maquille à peine parce que sa peau dorée est parfaite. Elle adore la gemmologie et à horreur des conflits et en tout genre. Quand Lalita explose, c'est elle qui arrive le mieux à la canaliser. C'est la plus douce d'entre nous — la maman du groupe — même si, en théorie, je suis tout aussi calme. Je ne pense pas avoir les épaules pour "calmer" Lalita et son tempérament de feu.

Je ne sais pas si j'aurais peur d'empirer la situation.

— T'as vu comment elle m'a regardé ou c'est moi qui suis folle !?

— T'es folle ma pauvre, commente Cherry en éclatant encore la bulle de son chewing-gum.

— On s'en fiche, poursuit Nelly, on est dans une bibliothèque et c'est nous qui faisons du bruit au cas où tu ne l'aurais pas remarqué. Et arrête avec ton chewing-gum, Cherry, ça me dégoûte !

Qu'est-ce que je disais : premier « ça me dégoûte » de la journée.

Comptez-les avec moi.

J'écoute à peine Nelly et Lalita se renvoyer la balle sur qui a raison. Ma paume soutient toujours mon visage. J'observe la cour de l'école à travers les fenêtres gothiques de la bibliothèque Bodleian — une des plus anciennes d'Europe et l'une des plus grandes bibliothèques universitaires du monde — mon regard se perd dans la cour de l'université d'Oxford.

Le brouillard léger enrobe les anciens bâtiments de pierre et leurs façades ornées de lierre. D'ici, j'ai presque l'impression de sentir l'odeur humide de la mousse et du vieux bois. J'observe tous ces élèves marcher fièrement au sein d'Oxford.

On appartient tous à la même classe sociale, et qu'on en ait conscience ou non, nous sommes tous des privilégiés ici. 

Du coin de l'œil, je vois la fille qui était assise plus loin ranger ses affaires dans son tote-bag, le visage rougi sûrement par l'embarras. À sa place, je crois que je n'aurais pas voulu me fritter avec Lalita non plus.

Elle finit par disparaître, en même temps que je sens mon téléphone vibrer dans mon sac. Je sens le pli que font mes sourcils. Toutes mes amies sont avec moi, et en dehors d'elles je ne reçois de notification de personne, pas même de ma mère. Je préfère ignorer la petite pensée malsaine qui se coince dans ma tête et me fait déjà mal au ventre.

Disons que c'est sûrement un mail d'Uber Eats qui me propose des réductions de 25£.

Et on sait toutes que le code ne marchera pas.

— Oulà, on y va les filles. Le premier cours va commencer dans dix minutes !

La voix de Nelly me fait revenir sur terre. C'est à croire que je fais exprès de ne pas les écouter.

Je déteste le mois de septembre, les rentrées scolaires... Je donnerais tout pour être avec Sherlock sous ma couette devant Twilight ou Harry Potter.

— Attendez, j'ai presque fini de mettre mon gloss !

— Cherry, tu saoules, fais vite, souffle Lalita.

— Tu dis ça mais est-ce que tu sais comment on attrape les hommes les plus riches ?

Lalita lui lance un regard blasé.

— Non mais réponds-moi, continue-t-elle en repassant sur ses lèvres.

— Elle m'a saoulé, on y va, les filles.

— En mettant du miel sur tes lèvres, ma chérie ! s'écrit Cherry.

Lalita s'éloigne déjà. En se levant de sa chaise, Cherry à raclé le sol tellement fort qu'on a entendu de nombreux « chut » résonner dans la bibliothèque. J'avoue que j'ai ricané face à leur scène.

On a toutes les quatre choisi le cursus d'économie. Moi par dépit.

Non, par obligation plutôt.

J'aurais préféré la littérature ou encore la psychologie pourquoi pas.

Mais, comme ma mère le dit si bien : l'argent domine le monde, mieux vaut apprendre à le contrôler maintenant si je veux « suivre ses traces. »

— J'suis persuadée que le prof d'éco sera aussi moche que celui de l'année dernière, se plaint Cherry en brossant ses sourcils et en se regardant dans un petit miroir de poche en forme de cœur.

— Quoi, tu cherches un sugar daddy cette année, rit Nelly en s'accrochant au bras de Cherry.

— Je cherche de quoi baver entre ces murs qui puent les pieds de mon grand-père et la moisissure.

— Cherry, t'es dégueulasse !

Deuxième « dégoût » de la journée.

— Et toi t'es pas assez réaliste, Nel', on va rester ici cinq ans, il y a plutôt intérêt à ce qu'il y ait un peu d'action ici sachant que-

Ma trajectoire est stoppée net par un corps dur qui me rentre dedans. J'entends le claquement de l'écran de mon téléphone qui s'éclate au sol, des feuilles qui envolent à mes pieds. Je sens qu'on essaye de me rattraper mais mes fesses s'écrasent sur le marbre froid.

— Cassie, ça-va ? s'inquiètent les filles toutes en même temps.

— Regarde où tu marches putain ! s'écrit Lalita à la personne qui m'a cogné en s'approchant de moi comme pour me protéger.

— J't'avais pas vu, j'suis désolée ! Tu vas bien ?

Je relève la tête sur cette voix féminine.

Je sens mes sourcils se lever face à la beauté de cette fille. Elle se baisse pour ramasser mon téléphone, et celui de Nelly qui a essayé de me rattraper. Je les prends tous les deux en même temps que je me redresse :

— C'est rien, affirmé-je en secouant la tête, malgré le mal de fesses que je ressens dans l'immédiat.

Son sourire crispé me renvoie à son embarras. Quand elle se penche, je l'aide à ramasser ses feuilles. Elle me regarde un peu choquée comme si j'étais bizarre de vouloir l'aider. Elle porte un gilet gris over size, et un jean brut tout aussi XXL. Sa peau noire fait ressortir le piercing en or sur son nez. Mais le meilleur est sûrement sa teinture de cheveux entre le roux et l'auburn.

Franchement, en lui tendant ses feuilles, ma seule pensée c'est : elle est vraiment, vraiment ca-non et je donnerais tout pour qu'elle me maquille comme elle.

— M-merci, c'est cool de ta part, murmure-t-elle un peu déstabilisée.

On se redresse toutes les deux.

— Aller, on y va, me signale Lalita en m'emportant avec elle.

Je n'ai pas le temps de rajouter quoi que ce soit. Lalita est déjà en train de rouspéter dans sa barbe que les gens ne font vraiment pas attention. Sur le chemin, je rends le téléphone de Nelly en regardant l'écran, il est sur ses conversations et pas brisé je vois l'air de soulagement qui défile sur son visage. Tant mieux.

— C'est rien, Lali', la rassuré-je. Elle avait l'air perdue.

— Apparemment, commence Cherry en éclatant la bulle de son chewing-gum, cette fille a déjà failli se battre avec une autre élève le jour de la rentrée. Et on dit qu'elle vivrait dans les quartiers chauds de Londres, vers Southwark. Je me demande comment elle a pu se payer Oxford.

La première chose que je me dis c'est qu'elle a peut-être eu une bourse d'études.

Peu importe. Cherry à cette tendance à toujours être au courant de tout. Sur tout le monde. Sans exception. C'est le genre de copine qui trouverait votre crush en 15 minutes, même si vous n'avez qu'une seule photo ou juste un nom et que vous l'auriez croisé à Westfield London — le plus grand centre commercial de Londres — Parfois elle me fait peur avec ses capacités à dénicher tous les derniers potins...

En baissant les yeux sur mon téléphone. Je vois une petite fissure sur le coin inférieur droit. Ça me fait chier, ma mère va encore en faire des tonnes et rien que pour ça, je fais le choix de ne rien lui dire. Mais ce n'est rien face à la chute drastique de mon cœur dans mon estomac en voyant le numéro en +44 s'afficher dans mes notifications.

Ça faisait bien des mois que je n'avais pas eu le droit à ce numéro...

Quatre ans que je subis ça.

Mes mains se mettent à trembler en glissant mon index sur l'écran, le message s'étire et je lis les premières lignes :

+44... : je t'ai manqué ?

L'envie de vomir me fait supprimer la notification dans un élan désespéré. Les filles continuent à débattre sur le cas de la fille de tout à l'heure, Lalita me tire par le bras dans les couloirs à côté de Nelly qui lui répète que ça ne sert à rien de s'éterniser sur le sujet de cette fille. Je me concentre sur le claquement des talons de Cherry contre le marbre et le froid qui s'engouffre dans ces couloirs.

Aucune d'entre elles ne remarque pas la détresse sur mon visage. J'ai du mal à déglutir, je me sens fébrile. Mes yeux scannent les couloirs jusqu'à l'amphithéâtre.

À chaque élève qui passe, je me demande si ce n'est pas lui. Peut-être que c'est la blonde qui descend les escaliers. Où le type avec des lunettes qui me fixe avant de se rendre compte que je le regarde moi aussi. Quand il disparaît, ma tête pivote pour regarder de nouveau en face de moi.

Ça pourrait être n'importe qui, et je n'arrive toujours pas à mettre la main sur ce harceleur. J'ai tout essayé, j'ai changé de numéro, je l'ai bloqué, j'ai même répondu à un de ses appels durant lesquels il ne fait rien d'autre que respirer grossièrement. Je l'ai insulté en le menaçant d'aller voir la police avant de raccrocher, mais quelques minutes plus tard, je recevais un e-mail, avec des preuves de l'erreur que j'ai fait quatre ans en arrière avec, lui.

Le message était très clair : « Si tu parles de moi à qui que ce soit, toi et ta mère ferez la une de journaux à la première heure demain. »

En quatre ans, je n'ai jamais parlé de ce stalker à qui que ce soit.

Parfois je me demande même comment Cherry ne s'en est jamais rendu compte.

Et c'est une des choses qui me bouffe la vie comme une sale maladie dans les veines. Ce type m'a fait passer par des phases tellement noires que j'ai cru un moment qu'il allait gagner contre moi. J'ai vraiment pensé en finir. En dehors de ma mère, il est une des raisons principales qui me donne envie de fuir ce pays.

Et puis il avait subitement disparu pendant presque un an...

Je pensais que tout ça, c'était fini...

Je n'y pensais pratiquement plus.

Mais maintenant, il est de retour.

Mon anxiété grossit dans mon ventre, je me sens blanche. Je commence à faire claquer mon élastique contre mon poignet. Mais Cherry ouvre la porte de l'amphi. Elle s'arrête net au point où nous allions presque toutes lui rentrer dedans. Lorsqu'elle se retourne subitement, elle s'exclame excitée :

— Giflez-moi !

— Quoi, qu'est-ce qu'il y a ? demande Lalita.

Cherry se met à sautiller, ses talons claquent contre le sol. Elle a un sourire aussi large que sa joie apparente :

— Il est trop sexy les fiiilles ! Et presque jeune ! On va l'avoir notre divertissement de l'annéeee !

Sa réflexion nous fait rire toutes les quatre, le "presque jeune" encore plus. J'en oublie un instant mes angoisses, et nous ne sommes pas les seules à rire, je crois que le professeur cache un léger sourire en coin. Son air sérieux revient vite au galop et en s'éclaircissant la voix il nous informe :

— Mesdemoiselles, le cour va commencer.

Je jette un coup d'œil et je mentirais si je n'avouais pas que pour un professeur d'économie, il est vraiment pas mal. Brun, svelte il a l'air bien bâti, je lui donne une quarantaine d'années, pas plus. Assis derrière l'estrade, je suis sûr qu'il est grand. Il retrousse lentement les manches de sa chemise et en entrant dans l'amphi, j'ai presque l'impression qu'il le fait exprès.

En tout cas, j'ai presque cru le voir glisser son regard sur les jambes laiteuses de Cherry.

Je dis bien que j'ai presque cru...

— Bonjour monsieur, lui sourit Cherry avec un large sourire.

— Bonjour mademoiselle...

— Tran ! C'est vietnamien.

Le professeur murmure un "je tâcherais de m'en souvenir" et l'excitation de Cherry se déverse sur nous. On se met « toute » à rire — sauf Lalita — en tenant Cherry par les bras pour débattre de ce qui vient de se passer.

— Oh, vous avez entendu sa voix ! s'exclame-t-elle.

— T'en fais trop là, Cherry, se plaint Lalita.

Nelly se met à rire, et je m'esclaffe. Nous grimpons quelques marches pour nous asseoir sur une rangée libre, en même temps que le prof ne se lève de sa chaise.

J'avais raison, il est assez grand.

— Bonjour à tous. Le cours peut donc commencer, je suis monsieur...

Il prend une craie, et commence à inscrire son nom sur le tableau. Je m'affale sur ma chaise en bout de rangée, ma chute de tout à l'heure m'a quand même fait sacrément mal aux fesses. Je fouille dans mon sac pour en sortir mon MAC, et le crissement de la craie me fait serrer des dents, je lève la tête :

« Monsieur McMiller. » est inscrit en grand. Il trace un trait sous son nom.

McMiller, fantasme Cherry en le regardant avec amour sa paume sous sa tête. Faites-moi des gosses par pitié...

Un léger rire m'échappe, Nelly secoue la tête désespérée, et Lalita lève les yeux au ciel. J'ouvre l'application Word.

— Comme vous l'avez probablement déjà deviné, je suis monsieur McMiller, votre professeur d'économie, précise-t-il en tapotant sa craie contre le tableau.

Sa voix grave résonne dans l'amphithéâtre, chaque mot soigneusement choisi et prononcé avec une certaine autorité.

OK, je l'admets, il est sexy et « presque » jeune.

— Je dois au moins connaître le nom de son parfum avant la fin de l'année, continue Cherry.

— T'es insupportable, se plaint Lalita.

— Mais tu me saoules, qu'est-ce que t'as toi, t'es aigrie depuis ce matin ?

— ...je suis récemment arrivé à l'université d'Oxford après avoir enseigné un an en Australie et...

— Tu parles trop.

— ...mes cours sont basés sur beaucoup de méthodologie, pour ça je...

— Salope, réplique Cherry, meurt dans ton aigreur tu m'fais chier !

— Arrête de mâcher ton chewing-gum comme une sale vache dans mes oreilles !

S'il y a bien une chose que Cherry et Lalita vont faire chaque jour : c'est se faire la guerre.

— Taisez-vous toutes les deux vous attirez l'attention de tout le monde ! se plaint Nelly.

Et ça fait des années que ça dure. Je crois que si elles ne le font pas, c'est que justement il y a un problème. Elles se chamaillent tout le temps, sur notre groupe WhatsApp, dans la rue, lors de nos pyjamas party. Tout le temps, n'est pas un mot assez fort.

Je n'ai jamais vraiment compris d'où ça venait. C'est souvent à cause de Lalita, et Cherry n'a pas l'air de vouloir arrêter non plus. Parfois j'ai l'impression qu'elles ont signé un pacte entre elles que ni moi ni Nelly ne comprenons vraiment. Enfin... si, mais je crois qu'on fait toutes semblant de ne pas voir ce qui se passe vraiment entre elles.

Mon regard est rivé sur l'écran de mon MAC. Sur mon document Word, j'ai écrit :


« E C O N O M I E – Mr. McMiller. »


Mon curseur continue de clignoter et je le fixe en tapotant mes touches sans rien écrire.

J'entends à peine le prof partager le programme de l'année, et Cherry et Lalita ne s'arrêtent toujours pas malgré les supplications de Nelly qui est assise entre les deux.

Mais mon souffle se coupe net lorsque mon sac vibre soudainement contre ma cuisse. Mes pensées sont interrompues et une nouvelle bouffée d'anxiété m'envahit. Je fouille rapidement en soufflant à l'idée que mon sac soit toujours aussi bordélique. Je bute contre mon portefeuille, mon injecteur d'épinéphrine, mes clés, des tickets de caisses qui doivent dater de l'année dernière. Tout et n'importe quoi.

Je m'arrête quand je sens les contours familiers de mon téléphone.

Ma déglutition se fait difficile... En sortant, l'écran s'illumine, révélant encore ce numéro inconnu qui me glace le sang :

+44 : "toi tu m'as beaucoup manqué, Cassie."

La surprise et la panique me font claquer violemment mon téléphone face contre le bureau, le bruit métallique résonne dans l'amphithéâtre.

Un silence mortuaire tombe dans la pièce. Mr.McMiller s'arrête de parler et l'attention de plusieurs étudiants autour de moi, y compris celle du professeur sont tournés vers moi. Mes joues s'enflamment d'embarras, j'ai l'impression que mon cœur bat dans ma gorge et mon esprit est embrouillé.

Ce n'est pas possible !

— D-désolée... bafouillé-je en rangeant mon téléphone dans mon sac.

Monsieur McMiller, bien que légèrement distrait, reprend son discours, "Comme je le disais, l'économie est une discipline qui..."

Je n'écoute déjà plus rien. Mes mains tremblent et j'essaie de reprendre mon souffle, de calmer le tumulte dans ma poitrine.

— Tu veux vraiment casser ton téléphone aujourd'hui ou quoi, me questionne Lalita en m'observant septique, moi et ma main dans mon sac.

— Cassie t'es toute blanche, ça-va ?

Les paroles de Nelly s'immiscent dans mon crâne comme une douce mélodie. Je hoche la tête avec un sourire crispé mais en réalité, je me sens transpirer. Je vois bien leur regard inquiet, mais je n'ai pas encore eu le courage de leur avouer quoi que ce soit. J'ai trop peur qu'il finisse par s'en prendre à elles, qu'il dévoile mes secrets et les leurs à la presse et que je déçoive ma mère et ruine sa carrière.

C'est trop risqué... Cassie tu ferais mieux de te taire...

Je fais semblant de taper rapidement le cours. Mais les paroles de monsieur McMiller se transforment en un bourdonnement lointain alors que je me sens consumée par la tourmente de mes propres émotions.

Ces messages, ces menaces... Je m'efforce de rester concentrée, mais je me sens submergée. Je redoute la prochaine vibration qui me rappelle désormais que quelque part dans cette ville en a après moi...

Je sens que cette année risque de très mal se passer...

Prise d'une bourrasque d'angoisse, je récupère mon sac que je glisse sur mon épaule :

— Cassie ? Qu'est-ce que tu fais, me questionne Lalita en fronçant les sourcils.

— Je crois que j'ai mes règles, je reviens.

Ma voix est sortie comme un souffle. Je vois le regard interrogateur des filles mais je ne suis pas en mesure de préciser plus. Poussée hors de ma chaise, je dévale rapidement les marches des escaliers de l'amphithéâtre. Monsieur McMiller continue son cours sans me prêter aucune attention.

À peine ai-je poussé la porte, que je me mets à courir de toutes mes forces vers les toilettes les plus proches.

Je ne veux pas revivre ce harcèlement ! Je pensais que c'était fini ! Pourquoi il est revenu ! Pourquoi maintenant ! Qu'est-ce qu'il me veut à la fin !

La violence avec la porte des toilettes claque contre le mur, me fait grimacer moi aussi. Je n'ai pas contrôlé ma force. Mais je m'arrête dans mon ascension en reconnaissant la fille de tout à l'heure.

Je reste bloquée sur son visage pendant quelques secondes. Je ne sais toujours pas si c'est à cause de sa beauté, ou cette fois-ci, parce que ses yeux sont embués de larmes qu'elle s'empresse d'essuyer. Elle renifle rapidement, se lave les mains comme si de rien n'était et fait mine de prendre des mouchoirs dans le distributeur pour se les essuyer.

J'avance vers le lavabo à côté d'elle, incertaine de ce que je dois faire, lui parler ? La laisser tranquille ? L'eau ruisselle sur mes mains et je l'observe à travers le miroir, mais elle fuit mon regard.

Et puis finalement, elle me contourne pour s'en aller, j'en oublie presque la raison de ma venue ici et ma voix murmure :

— Euh... ça va... ?

Elle s'arrête et se tourne vers moi. Sa confusion voyage sur les traits de son visage. Elle ne s'attendait pas à ce que je lui parle :

Finalement, un mouvement de tête positif répond à ma question.

Je sais qu'elle ment, mais elle ne s'éternise pas et me tourne déjà le dos pour partir, sa main pousse la porte des toilettes et dans un dernier élan je lui annonce :

— Je m'appelle Cassie.

Encore une fois, la surprise sur ses traits me confirme qu'elle n'a pas l'air d'être souvent abordée. Du moins, pas gentiment, on aurait dit qu'elle se méfie de moi :

Elle semble hésiter, mais finalement ses lèvres teintées de gloss murmurent :

— Sadie.

Je ne peux pas m'empêcher de lui sourire. Elle fait de même, même si son sourire est assez crispé. Je ne lui en veux pas. Je ne sais même pas ce qui m'a pris.

Un soupir m'échappe, et je me tourne vers le miroir et son reflet me renvoie une fille que je ne veux plus voir souffrir comme ça. J'ai presque oublié pourquoi je suis venue ici. Je sors mon téléphone de mon sac, et je relis ce message en boucle :

+44 : "toi tu m'as beaucoup manqué, Cassie."

J'hésite à envoyer ma réponse. J'ai envie de lui dire d'aller se faire foutre, et qu'il rend ma vie infernale ! Mais je suis effrayée par les conséquences que ça pourrait engendrer.

La porte claque, de nouveau, et se referme violemment. Un homme est dans les toilettes.

Et je sais très bien qui c'est quand il nous enferme à l'intérieur en tournant le verrou de la porte principale, me condamnant avec lui.

Puis, je tombe sur deux iris marron, des cheveux blond cendrés, qui ont hantés toutes mes années de lycée, et probablement cette année également !

Je m'entends murmurer un "non". Cette fois-ci je recule. J'ai comme la sensation qu'on m'a mis un violent coup de poing dans mon ventre. Cette sensation de peur étreignante me coupe le souffle.

Il ne manquait plus que ça !

Qu'il revienne pour moi.








Bonsoir bonsoir, bonsoir ! 🎃

It's starday 🪐

Ça-va ? ☕️






Alright, c'est party pour ce premiiiier chapitre de GHOST ! (Juste : Merci à Angy, Elsa, Solène, Sevde de prendre le temps de me lire et de me conseiller, love you guys ! (Et oui Sevde je me suis inspirée de toi pour le chewing-gum 😔))

SO ! *gif lunettes de soleil* (J'ai essayer le tutoriel, la vérité ça a pas marché, j'ai pas le canal Instagram, je peux pas mettre de gif, je me sens trop victimisée par les plateformes 😤)


TEA TIME : ☕️, je veux tout entendre, vos impressions, vos ressentis, vos théories, vos retours pour ce premier chapitre ? Dites-moi tout !


En tout cas moi, j'ai K I F F É écrire ce chapitre, omg ! 😭 (le chapitre qui va suivre encore plus 😏...) Franchement l'état dans lequel GHOST me met c'est pas normal en fait. (Jusqu'à quand je suis dehors je suis pressée de rentrer pour continuer à écrire svp 🫠... I'm obsessed) Je suis trop contente d'écrire enfin cette histoire et impatiente que vous la découvriez encore plus !

D'ailleurs, again, vos édits, vos posts, vos messages qui font déjà vivre l'histoire c'est vraiment de la folie ! (N'oubliez pas de m'identifier pour que je vois et je suis désolée si parfois je réponds pas, c'est que j'ai pas j'ai pas vu ! )😭 

Don't forget : si vous voulez débattre de Ghost, j'ai mon Discord "KUNAFA Coffee Time" ! 


En tout cas, babies, on se retrouve très vite pour la suite ! 🪐





Stardust 🍓

(Commençons une tradition: Dites-moi bonne-nuit avec votre emojis, moi c'est la fraise comme d'hab !)








𝚂𝚎𝚎 𝚢𝚘𝚞 𝚜𝚘𝚘𝚗  🕰...




xo, Azra. ✿



IG: azra.reed


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