Chapitre 1

- Mon nom est Gavriel.

Dis-je pour m'annoncer.

Un grand homme aux cheveux sel-poivre se tient derrière un bureau gris. Il ajuste ses lunettes rectangulaires d'un mouvement habituel, son regard indéchiffrable, pour le moment, s'est braqué dans le mien. Je le nomme l'Être. Cet Être est différent. Son aura dégage en permanence une senteur étrange, inqualifiable et pourtant ne pouvant passer inaperçue. C'est pourquoi je le nomme l'Être. Ni plus ni moins.

Il nota sur son calepin, probablement ce que je venais de dire à voix haute, d'une manière presque détachée. Pendant quelques secondes j'ai vu le haut de sa feuille, où il y est écrit en gras « Cabinet de Dumart, psychologue travaillant sur les maladies mentales, pour les grands et les petits ». Je tourne la fin de la phrase dans ma tête plusieurs fois, elle me rappelle une chanson dans une pub, je ne me souviens plus laquelle.

Contre toute attente, il me surprit en me demandant :

- Sais-tu qui est Gabriel dans la religion chrétienne ?

Mes yeux témoignent de ma surprise en papillonnant, puis je fronce mes sourcils en déclarant, mécontente d'avoir montrer ma surprise :

- Je ne crois pas en ces conneries l'E...

Je me tue subitement, encore plus énervé, mais trop tard, je vois déjà cette flamme curieuse s'allumer dans ses yeux brun clair. Je grimace, et regarde le sol recouvert d'un tapis gris. S'il veut savoir je ne vais pas l'aider à lui dire rapidement ce qu'il désire, il doit me forcer, je ne veux pas être facile, s'il veut me connaître il doit... Je veux en vérité rester encore avec lui, le revoir la prochaine fois, et le moyen que j'ai trouvé c'est d'être difficile à saisir, comme ça il est obligé de me voir une prochaine fois, pour percer la muraille. Ou parce que j'aime ce tapis ? Pourquoi d'ailleurs est-il gris et non rose ? Ou bleu ? Les couleurs sont importantes.

Je relève rapidement la tête vers lui, il m'a semblé qu'il a tiré la langue.

Heureusement pour moi, il semble essayer de lire la mauvaise page de mon esprit, il ne devine pas ce que je viens de penser, cela m'évite d'être embarrassé. Il veut savoir ce que j'allais dire avant de m'interrompre. Je soupire et roule des yeux. Je remarque ses doigts entrecroisés, des mains grande et un peu carré, serré entre elles sur le bureau, son buste légèrement incliné vers moi, demandant silencieusement la réponse à sa question muette. Finalement ma réponse sort d'entre mes lèvres sèches :

- L'Être... C'est ainsi que je vous nomme.

Ma voix finit en murmurant, comme si je révélais un secret. Il fronce les sourcils rapidement, mais sa flamme de curiosité est devenu un brasier, dont quelques flammes brillent d'amusement et de bonté, qui trahisse son sérieux visage. Il m'interroge :

- L'Être ?

- Ne me faites pas répéter, l'Être. C'est déjà assez bizarre... Pourquoi votre tapis est-il gris et non rose ?

Il semble surpris. Je venais de trouver une parfaite diversion. En tous cas, je contemple à nouveau le tapis qui semble si doux. Il toussote et mon regard se dirige vers lui, il m'interrompt dans ma contemplation.

- Le tapis ? Et bien car j'aime le gris... Toi tu préfères la couleur rose ?

- Oui... et non. Cela dépend. Je n'aime pas le rose sur Gabrielle par exemple, cela ne lui va pas bien. Gavriel pourtant aime le rose mais bon. Je préfère le bleu... non le turquoise ou le marron clair avec le brasier. Oui, ce sont mes deux couleurs préférées, et heureusement que Gavriel a les yeux un peu turquoise.

Alors que j'ai fini ma tirade, le brasier dans les yeux de l'Être a un peu faibli, dommage car ce sont ces yeux qui ont fait que j'aime la couleur marron clair avec un brasier. Enfin je crois, ou alors je me trompe encore et je viens de dire une bêtise.

Il note quelque chose dans son calepin, puis le pose de façon que je ne puisse pas lire ce qui est écrit, et concentre son regard vers moi. Quelque secondes passe, ou bien des minutes, ce que je sais c'est que j'en ai marre alors je demande un peu grinçante :

- Un problème ?

Il ne me répond pas, se gratte le derrière de son crâne, visiblement gêné, avant de finalement se décider à me parler :

- J'essaye de comprendre, qui est Gavriel pour toi ?

Un ange passe.

- C'est moi... Je vous l'ai dit... Comme vous vous êtes l'Être, moi je me nomme Gavriel.

- Oh, je vois.

Il se frotte le menton avec sa grande main puis se rassois confortablement sur son fauteuil noir, ses yeux à nouveau lumineux.

- Qui est alors Gabrielle ?

C'est une bonne question. Qui est Gabrielle pour moi ? Une part de moi que j'aime moins je suppose. Ou celle qui est à l'extérieur, et l'extérieur n'est pas un monde pour moi. Pourtant dehors il y a Boucle d'Or, alors l'externe est moins sombre grâce à elle. Deux personnes, Gabrielle et Gavriel, sont dans le même corps matériel mais qui ont pourtant des différences notables.

Je souris me rappelant ma petite sœur essayant de m'appeler mais ayant déformé mon nom.

- Disons que je préfère être Gavriel que Gabrielle comme nom. Je sais bien que je suis Gabrielle, je suis aussi Gavriel c'est tout.

Il cligne rapidement des yeux, puis continue la conversation comme si de rien n'était.

- D'où vient ce prénom, Gavriel ? Que signifie-t-il pour...

- C'est Boucle d'Or. Je me souviens qu'un jour elle m'a appelée ainsi, et depuis je le garde précieusement. C'est comme ça, comme vous je vous nomme l'Être alors que ce n'est pas celui que vous pensez être vrai. C'est pas votre prénom et pourtant, en clair. Ou en sombre.

Il hoche la tête, signe de m'avoir plus ou moins suivie à travers la brume. Bernard écrit encore des phrases sur son calepin. Première fois que je le nomme ainsi dans ma tête. Je préfère l'appeler l'Être.

- Tu sais comment je me nomme... n'est ce pas ?

Je fronce les sourcils, je prends rapidement sa question comme offensante, je suis alors mécontente.

- Bien sûr, je ne suis pas bête, je sais lire quand même, vous êtes Bernard Dumart. C'est écrit sur votre plaque à l'entrée.

Il écarquille de nouveau les yeux. Me prend t-il pour une débile, vraiment ? Finalement il est comme les autres, c'est inutile de continuer de l'appeler l'Être, il ne le mérite pas. Quel déception.

Il tente de se rattraper, mais pour moi, il est déjà tombé.

- Je ne voulais pas vous offenser, c'est que j'essaie de comprendre... vous êtes mon patient et il est de mon devoir d'apprendre à vous connaître. Je vous pose plusieurs questions, certaine un peu stupide je vous l'accorde, mais c'est pour cueillir toute les fleurs des champs, les thèmes avec vous. Ma question était un peu décalée certes. Je voulais seulement savoir.

- Vous savez maintenant ce que je sais sur vous. D'autres questions de ce genre ?

Je réplique, cinglante.

Soudain j'entends un battement d'ail, et je me retourne rapidement vers la fenêtre pour voir ce que c'est. Seulement un pigeon qui est passé. Mais je remarque un petit moineau sur une branche couverte de bourgeons. Je souris un peu, pensant que ce serait super de voler comme les oiseaux. Oui, avoir des ailes pour voler haut et loin, loin du pays des hommes. Mon corps frémit à cette pensée triste et je baisse le regard vers le sol, je ne pourrais jamais avoir d'aile pour réaliser mon rêve. Voler. C'est si bon de regarder le ciel, les nuages emportés sans le moindre effort par le vent. Je soulève de nouveau ma tête pour que mon regard bleu s'accroche aux nuages derrière la fenêtre. C'est si bon de planer. Il faudra y retourner...

- Je veux vous dire une chose.

Il me fait tomber de mon nuage pour atterrir durement sur Terre, il baisse de plus en plus dans mon estime ce Bernard. Je le regarde méprisante, et lui tint son regard sur moi. Puis il se secoue un peu, sourit doucement et ajoute :

- J'aime le gris car il représente beaucoup de choses pour moi. J''aime la pluie et les nuages gris quand il pleut, quand l'on mélange la couleur blanche et la couleur noir en peinture cela donne du gris, et puis le plus important pour moi... J'avais une sœur qui s'habillait non pas en noir, comme le cliché des adolescents un peu perdus et rebelle, mais en gris. C'était sa manière à elle de montrer aux autres qu'elle était ce qu'elle était. Certes le gris est un peu passe partout et un peu fade, mais elle expliquait que c'était ainsi qu'elle pouvait comprendre le chemin au milieu de la brume. Une jeune femme au milieu de la vie, au milieu des cotés sombres et lumineux, étant sur le chemin de pavés gris.

Mon esprit s'était figé. Gris comme les nuages lorsqu'ils pleurent. Gris en peinture, unissant le blanc et le noir. Gris pour sa sœur.

Je souris sincèrement, et lui dit alors :

- Elle a raison. J'espère qu'elle a continué de penser ainsi. C'est difficile de rester soi-même. Plutôt je vous disais que j'aime le turquoise et le marron avec une touche de lumière... ce n'est pas vrai, j'aime le turquoise mais ce n'est pas ma couleur préférée, tout comme le marron n'est pas non plus une de mes couleurs préféré. Non. C'est l'azur comme le ciel et mon autre couleur préférée est ... Un peu étrange. L'or comme les belles boucles de ma petite sœur. C'est étrange car c'est simplement pour cette raison que j'aime l'or... et aussi quand les yeux de ma sœur pétille s'illuminent et reflètent une lumière dorée !

Mon sourire devient plus large. Oh oui que j'aime le sourire de ses yeux.

- Je suis content pour vous. Je crois comprendre que votre sœur est très importante pour vous. Comme la mienne. Comment s'appelle-t-elle? Aime-t-elle les nuages ?

Son regard perd toute lumière quand je lui pose mes questions. Un éclair de compréhension me traverse. Mes yeux s'emplissent de larmes, la pauvre. J'ai soudain peur pour ma sœur.

- Je suis sincèrement désolé. Si vous ne voulez pas en parler je comprendrais. Mais maintenant que je pense à la mort, j'ai peur pour ma petite feuille d'or... Je...

Je déteste avoir peur. Elle me paralyse et je ne peux plus bouger pour protéger ma sœur. J'ai des frissons rien que d'y penser. Non. Oh non s'il vous plaît, ma petite feuille d'or est encore en vie, je ne dois pas m'inquiéter. J'essuie une larme, et je m'excuse. L'Être... le psy voit-il que je tremble ? Il voit tout.

Il me tend le paquet de mouchoir doux, et me regarde un brin inquiet. Il m'interroge enfin :

- Tout va bien ? Vous semblez plus affecté alors que vous ne la connaissez pas. Vous voulez m'en parler ?

Je le regarde après avoir fini de lancer ma boule de fluide visqueux dans la poubelle. Je ne veux pas lui dire ma peur. Il pourrait en profiter. De ma faiblesse. Alors je lui dis une semi vérité.

- Je n'aime pas trop la mort, cela me rappelle le petit oiseau que j'avais sauvé une fois mais qui n'a pas survécu. Je sais bien que ce n'est pas mais vraiment pas agréable de continuer à vivre en ayant perdu un être.

Il hoche simplement la tête. Son regard ne s'est pas rallumé depuis. Pour changer un peu l'atmosphère, je lance la conversation sur un autre thème. Collectionne t-il les crayons ou les mines de crayon ? Et d'autres questions un peu du même genre jusqu'à la fin de l'heure. Je suis contente car je lui ai rendu son sourire quelquefois. Sa lumière s'était rallumée, faiblement mais présente. Il semblerait que j'ai réussi à lui faire changer les idées, et par la même occasion moi aussi. Un merci et un au revoir plus tard, j'étais sur la rue grise, près d'une voiture rouge. J'attendais. Mais pas longtemps car la pluie arriva enfin, me délivrant d'un poids.

La tête vers le ciel accueillant les gouttes d'eau fraîche, j'entendis soudain un klaxon.

Je soupirais frustré, et me mis en marche. Tant pis, il y avait quelque chose d'important qui m'attendait.

Ma petite feuille d'or. Mon rayon de soleil.

Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top