Chapitre 7
Sa robe toute maculée de terre, de feuilles et de débris végétaux formait une bouillasse de plus en plus pesante après de longues heures de marche. La pluie s'abattait sur Frédégonde avec une telle intensité que cela en était presque douloureux. Au-dessus de sa tête ruisselante, un amas de nuages vespéraux rendait le jour aussi sombre que la nuit.
Ses pieds nus s'enfonçaient dans la vase faisant jaillir la boue qui lui éclaboussait les jambes jusqu'à mi-hauteur. Il lui fallait déployer de plus en plus d'énergie pour avancer. Ce chemin, qu'elle avait emprunté une seule et unique fois au cours de son existence, ne lui était absolument pas étranger, bien au contraire.
Il m'appelle, il m'attire à lui ...
Quand elle atteignit la rive en forme de patte d'oie, la rivière qui auparavant déversait une eau claire et poissonneuse s'était gorgée de bourbe et de gadoue aux insondables profondeurs. Des branches entières arrachées à leur lignage flottaient à la dérive avec pour compagnons de fortune quelques cadavres d'ablettes et de brèmes emportés par le courant. La terre laissait sourdre à divers endroit des ravines qui venaient gonfler le lit déjà débordant de cette rivière en souffrance.
A contrecœur Frédégonde s'immergea toute entière dans ce marécage aqueux qui la frigorifia sur-le-champ.
A peine se rendit-elle compte de son erreur que la puissance de l'onde l'entraîna par le fond. Battant des bras et des jambes pour remonter, elle parvint à percer les flots pour reprendre son souffle avant d'être à nouveau ensevelie. Des forces supérieures aux siennes gagnaient progressivement la bataille. Elle devait se rendre à l'évidence : l'issue allait lui être fatale.
Contre toutes attentes, une vague la projeta sur le bord. C'était son unique chance. Griffant les graviers pour se cramponner, elle enfonça ses doigts à s'en retourner les ongles. La douleur lui semblait sourde et lointaine puisque sa vie en dépendait.
Elle rampa enfin hors de l'eau dans un dernier sursaut de bravoure et s'allongea en expectorant le surplus avalé.
Au loin elle discerna une silhouette qui s'approchait pas à pas.
Sous le déluge, l'homme portait une capeline identique à celle de leur dernière rencontre masquant en partie son visage. Arrivé à sa hauteur il la détailla silencieusement.
Frédégonde avait replié ses bras sur sa poitrine. Son sang perlait à l'extrémité de ses doigts serpentant jusqu'à ses paumes. Faisant preuve de courage elle lui déclama avec une certaine aigreur :
- Que Dieu m'en soit témoin, vous aviez juré que l'enfant serait malingre ! Il n'en est rien ! Elle se porte comme un charme, replète et rondouillarde à l'image de sa ribaude de mère !
- Un grand pouvoir réclame un grand sacrifice Frédégonde, rétorqua l'homme d'une voix sans la moindre nuance de tons. Offrez-moi ce que j'exige et vos vœux seront exaucés.
Les larmes lui montèrent aux yeux mais elle était trop fière pour les laisser couler.
- Savez-vous ce que vous mandez ? Et combien cela me coûte ?
Il marqua un temps avant d'ajouter :
- Libre à vous de consentir ou non.
Sous sa cape oblongue qui le recouvrait jusqu'aux genoux, l'homme était vêtu d'un justaucorps en cuir mégissé. Des brides se croisaient sur son torse au niveau de son sternum. Contre sa hanche dardait le pommeau triangulaire d'une épée. Ses mains allongées et fines, presque juvéniles, juraient avec le reste de son apparence, massive et austère.
Le visage de Chilpéric se dessina dans l'esprit de Frédégonde : sa bouche charnue, son nez aquilin, ses yeux à l'éclat ambré.
Je me donne tout entière afin que vous, mon amour, accédiez à votre rêve...
Plongeant son regard dans celui de l'homme, Frédégonde prit une profonde inspiration et opina du chef marquant ainsi son accord. Les lèvres quasiment inexistantes de l'autre se muèrent en un sourire carnassier.
- Ton enveloppe charnelle m'appartient et tout ce qu'elle engendrera avec. Les fruits de ton union féconde avec le roi seront ma possession exclusive. Quand je réclamerai, et ce jour viendra Frédégonde, vous en payerez le prix ! clamât-il durement.
Cette fois, elle ne put contenir une larme qui roula sur sa joue.
Ainsi eu lieu le pacte qui lia à jamais Frédégonde au Chevalier Noir.
Et qui scella le destin de tous.
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