Chapitre 6

Empruntant un accès réservé aux petites gens, Frédégonde gagna les cuisines par une allée couverte située dans l'aile gauche de la villa Brennacum.

Après s'être retirée de la chambre de son amant, elle avait papillonné dans le domaine sans chausses les orteils à l'air libre comme à son habitude. Certes la plante de ses pieds s'étaient durcies d'une corne craquelée et brunâtre pour le moins inesthétique eu égard aux autres jouvencelles de son âge dotées de magnifiques souliers. Cependant rien ne la ravissait mieux que le contact direct avec le sol : humide et terreux, poussiéreux ou rocailleux, parfois brûlant de l'éclat du soleil ou encore délicieusement glacé par le gel. Sans nul doute sa sensation préférée restait celles des racines de chêne à l'écorce légèrement fendillée dans l'humus imprégné d'une tiédeur automnale.

Dans les vastes cuisines, un affairement fiévreux semblait posséder les marmitons qui voletaient en tous sens autour du maître des lieux. Flanqué d'une petite toque noire, celui-ci les dépassait d'une bonne tête. Jehan était son nom.

Rare étant ceux qui l'appelaient ainsi lui préférant le sobriquet de Gran'Bouc. En cause les ravages des écrouelles, fistules purulentes, que l'homme avait traîné des années durant à la base du cou sur les ganglions lymphatiques. Ce dépôt de pituite, dû à l'humeur du cerveau, le faisait empester comme un bouc et les hommes avaient fui sa compagnie en raison de l'odeur pestilentielle.

Le pauvre bougre avait trouvé refuge auprès des bêtes nuit et jour. Bien braves qu'elles étaient de le supporter quoiqu'elles empuantissaient tout autant que lui. Il devint leur gardien et les choya comme si c'eût été ses propres enfants. A force, il avait appris à bien les connaître et, surtout, à déceler ce qui était bénéfique ou non pour assurer leur engraissement. Devenu le plus chevronné des éleveurs, le cheptel du domaine avait vu accroître les naissances.

Par la suite, il s'essaya à l'abattage. Très vite, son geste fût vif et précis que ce soit dans le dépeçage ou dans la découpe. Petit à petit son naturel allant pour la cuisine lui avait fait marier des herbes inédites aux viandes. Il avait également apporté des saveurs piquantes avant la salaison et le fumage des chairs. Un pur délice pour les papilles royales qui ne manquèrent pas de le faire nommer grand cuisinier une fois la scrofule éradiquée.

Un collier de cicatrices ornait encore sa gorge comme un rappel des ravages de la maladie affiché aux yeux de tous.

Frédégonde se dirigea vers lui en lorgnant sur les différents mets aux fumées délectables. Tous les yeux étaient braqués sur sa personne car elle irradiait de son impétueuse beauté. Certains regards se faisaient discrets, d'autres insistants ou plein de convoitises sur ses courbes d'une féminité absolue.

Gran'Bouc épousseta le banc et l'invita à s'asseoir. D'un signe de la tête il intima aux autres de se remettre à la besogne ce qu'ils firent sans tarder.

Une fois Frédégonde a ses aises, il posa devant elle une écuelle en bois rempli d'orge perlé encore fumant avec du pourpier braisé à la cervoise. Alors qu'elle allait se servir, il l'arrêta d'un geste de la main et prit place en face d'elle.

- Il est nécessaire que vous goûtiez à ma dernière confiserie pour vous ouvrir l'estomac ! Maurin, apportes-moi La Chaleureuse ! lança-t-il à son commis qui s'exécuta.

Posées sur des feuilles de vignes, les friandises en forme de carré étaient nappées de miel et de graine de carvi. Frédégonde en enfourna une dans sa bouche et la suçota avec délice.

- Je discerne des saveurs anisées qui me sont familières mais je ne saurai les nommer, avoua-t-elle.

- Je cultive depuis plusieurs lunes une plante rapportée de Burgondie qui se dit fenouil. Elle m'ouvre un nouveau champ de possible.

- Que  de surprise quand je viens vous voir ! Vous n'avez de cesse de créer et d'imaginer des mariages de saveurs.

Touché par la sollicitude de la jeune femme, il se leva d'un bond pour lui servir une coupe d'hypocras afin de cacher son trouble naissant. Pour maîtriser son ébranlement il décida de changer de sujet en lui tendant le vin aromatisé.

- Vos visites se sont faites rares ces derniers temps, ma chère amie. Il me tardait de vous revoir.

Frédégonde esquissa une moue dubitative.

- Mes occupations me prennent du temps...

- Le roi ? suggéra-t-il en haussant les sourcils.

- En effet, répondit-elle d'un large sourire surmonté de deux jolies fossettes.

- Je m'inquiète de vous savoir si proche de lui. Les puissants ont l'humeur fluctuante...

Entourant les mains de son ami avec chaleur, Frédégonde afficha un visage confiant :

- Ne vous tracassez pas. Je suis si délectable qu'il est difficile ensuite d'apprécier les autres, proclama-t-elle en gloussant.

- Soit. Mais prenez garde. Saviez-vous que la grosse reine a mis au monde une princesse ? Une petite Basine. Forte et vigoureuse semble-t-il. La grâce du Seigneur est avec notre roi.

Une lueur furtive traversa le regard de Frédégonde.

Un changement quasiment imperceptible que Gran'Bouc ne pût définir mais cela le mit profondément mal à l'aise.

Repoussant son repas sans y avoir touché, elle se remit sur pied avec élégance et s'avança vers lui en lui déposant un preste baiser sur la joue.

Pris au dépourvu, cette fois il ne put contenir son émerveillement.

- Je dois vous laisser mon ami. Veuillez excuser ma précipitation, je me dois d'honorer un entretien que vos délices m'ont fait oublié.

L'émerveillement fit place à la déception.

Même si elle n'en laissait rien paraître, il avait provoqué son départ en mentionnant Audovère et Chilpéric.

Quel idiot tu fais bougre d'imbécile !

Dès qu'elle eut le dos tourné, Gran'Bouc afficha une triste mine.

Frédégonde quitta les cuisines et s'engagea immédiatement dans la forêt jouxtant le domaine de la Villa Brennacum. Le sentier forestier dans lequel elle s'enfonça était jonché de petits éperons rocheux et d'orties touffus.

D'un pas déterminé, elle faisait ce trajet pour la seconde fois après s'être pourtant promise de ne plus jamais y revenir...

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