Bonus 2 - Edan

Point de vue : Edan

Un grand choc sur tout mon côté gauche me réveille en sursaut. J'ouvre les yeux, à l'affût de ce qui m'a réveillé. Finalement, je me rends compte que je suis par terre.
Je suis donc tombé du lit.
C'est assez violent comme réveil, bien qu'efficace.

Je me retourne pour regarder Aurore dormir mais elle n'est pas dans le lit.
Mon sang ne fait qu'un tour et je me lève brusquement. J'étudie ce qui a changé. Je passe la pièce au peigne fin.
Il y a une boîte de conserve dans l'évier et une fourchette à côté.
Son côté du lit est parfaitement fait, la couverture est rabatue et pliée.

Elle ne s'est donc pas fait enlever, c'est déjà ça.

Il faut que je me détende putain !
Elle est grande, elle sait tout à fait ce qui est bon ou pas pour elle.
Sauf en ce qui concerne Jude.
Peut-être qu'elle est avec lui ?!
Oh merde. Faut pas que je pense à ces conneries.
Je viens juste de me réveiller, ça me rend parano.

Je secoue la tête et j'ouvre à mon tour une boîte de conserve. Je ne sais même pas ce que je mange, j'ai tellement faim que cela pourrait être totalement moisi, je ne le remarquerais même pas.
Après en avoir engloutie une, je ne sais pas vraiment quoi faire. J'aimerais bien voir Aurore arriver, là, maintenant.
Qu'elle vienne m'embrasser comme elle le fait si bien, qu'elle me touche les cheveux et qu'elle me regarde de ses yeux gris orage avec ce reflet bleu.
Mais peut-être que c'est ce qu'elle fait avec cet enculé de Jude.
Des images d'elle avec Jude sous la douche affluent dans mon cerveau.

Je presse mes paupières, comme si cela allait arrêter les images horripilantes que je vois.
Je sais qu'il ne s'est rien passé entre eux.
Je le sens.
Jude m'a dit ça pour me pousser à bout. Mais je voyais le regret dans ses yeux, la culpabilité aussi. J'ai toujours réussi à interpréter ce qu'il ressentait. Je savais qu'elles étaient ses émotions, ou presque. C'était mon meilleur ami a l'époque, il n'avait pas de secrets pour moi.

Nélo !
Oh, je dois aller voir Nélo !

Sans me poser plus de questions, je sors rapidement de la maison et je cours jusqu'au puit. Il fait beau aujourd'hui. Le ciel et bleu et le soleil qui chauffe la végétation alentour diffuse l'odeur de la forêt.
Je le retrouve assis au pied du puit contre les pierres, assoupi. Il a des traces noires sur son visage enfantin, et ses cheveux blonds sont tout aussi crasseux. Je ne comprendrai jamais ce gosse, j'ai l'impression qu'il se lave une fois par an.

- Hey Nélo ! Dis-je en lui donnant un petit coup de pied sur sa cuisse. Reveilles-toi gamin !

Il doit vraiment bien dormir car il n'a aucune réaction. Je m'accroupis alors près de lui et je le pousse pour le faire tomber d'un côté.
Lorsque sa tête heurte le sol, il ouvre ses grands yeux verts et se redresse dans un mouvement de panique.

- T'inquiètes pas gamin, c'est juste moi.

Il me regarde en fronçant les sourcils puis déclare nonchalamment :

- Ça va ?

Il a le culot de me demander ça de façon aussi détachée alors que ça fait plus d'une semaine qu'il ne m'a pas vu !
Je me mets debout et il fait la même chose. Je le trouve grand pour son âge, il doit faire la taille d'Aurore environ. Mais ça ne fait rien, il est toujours aussi petit à mes yeux.

- Ça va, je réponds simplement.

Il sourit de façon salace et je devine presque les mots qui vont sortir de sa bouche.

- Alors, t'as ramené ta jolie jument ?

Ses mots me fouètent violemment.

- Ne parle pas d'elle comme ça, tu pourras le regretter, dis-je en lui donnant un coup sur le torse.

Je l'aime bien, mais faut pas qu'il pousse le bouchon trop loin, surtout quand il parle d'Aurore.

- T'aurais pu me ramener une fille aussi, t'es qu'un égoïste en fait !

- On m'aurait pris pour un pédophile si tu en voulais une de ton âge, lui rétorqué-je en souriant.

- Mauviette.

Je ne prends pas le temps de répondre, je tourne les talons et je me dirige vers l'église. J'ouvre ses grandes portes en bois et je vois Nélo se faufiler derrière moi. Ça m'amuse de voir qu'il m'aime bien. En attendant c'est tout aussi amusant que je l'aime bien.

Je monte en haut du clocher. Il a été un peu détruit par le temps et il ne reste plus rien des cloches. Le haut de la tour à disparu ce qui laisse une vue à ciel ouvert sur les montagnes en face et la forêt à perte de vue tout autour. Je vais m'asseoir contre le mur le plus haut. Le vertige n'est vraiment pas quelque chose de plaisant. Je ne pense pas vraiment avoir le véritable vertige. Ce n'est pas comme si j'étais tétanisé, mais la vue du vide me met mal à l'aise.

Nélo me rejoint quelques secondes plus tard.

- Putain t'as pas de pitié pour mon pauvre petit coeur, dit-il essoufflé.

- Mauviette, dis-je simplement.

Du coin de l'oeil, je le vois rouler des yeux puis il vient s'asseoir à côté de moi.

- Est-ce que t'as revu l'autre con ? Demande-t-il sans prendre de gants.

Je soupire. Je crois que c'est la personne la moins délicate du monde.

Pendant que j'étais ici, je me suis plus ou moins lié d'amitié avec lui. À vrai dire, je lui ai carrément exposé ma vie, alors autant dire qu'il a mon destin entre ses mains.

- Oui j'ai revu l'autre con, et devine quoi ?

Je le regarde mais il attend ma réponse.

- Il est même venu ici.

- Oh l'enfoiré ! Il perd pas de temps !

- Chut Nélo ! Putain t'as quinze ans, contrôles toi !

Le fait d'insulter Jude de la sorte me perturbe, surtout lorsque c'est quelqu'un d'autre que moi qui le fait. Les paroles qui sortent de la bouche de quelqu'un d'autre sont toujours plus choquantes que si nous les disions nous même, alors quand Nélo insulte ouvertement Jude, cela m'affecte plus que si c'était moi qui le faisait.
Je ne sais pas pourquoi mais dans un sens, je le respecte. C'était mon grand ami d'enfance et on a partagé des trucs fous ensemble. Ces souvenirs m'affectent plus que je ne veux l'avouer. Insulter Jude revient à insulter ces souvenirs, et je n'aime pas vraiment ça.

- D'après ce que je sais, tu te contrôlais beaucoup moins que moi au même âge.

Je soupire.

- Fais ce que je dis pas ce que je fais, compris ?

Il hoche la tête mais je sais qu'il ne va rien changer. Il est tellement borné !

- Je pourrais la voir quand ta chérie ? Demande-t-il après plusieurs minutes de silence.

- Elle s'appelle Aurore. Je sais pas, t'es un peu con, tu pourrais blesser son amour-propre avec les merdes que tu débites.

- Mouais ... Je passerai chez toi ce soir. T'inquiètes, je ferai en sorte que vous ne soyez pas occupés.

Je le pousse avec mon coude en esquissant un sourire.

- Ta gueule Nélo, c'est pas pour toi ces choses là.

Il rigole.

- Eh ! Te prends pas pour mon père, t'as que trois ans de plus que moi ! Dans une vie entière c'est rien, crois-moi !

- Mais qu'est-ce que t'en sais toi ? Tu sais même pas ce qu'est la vie, dis-je.

- Toi non plus, rétorque-t-il.

En effet, moi non plus.

- Pourquoi tu voulais me voir ?

- Je sais pas, je réponds. Ta sale petite gueule me manquait.

- Toi aussi, avoue-t-il.

Je rigole.

- Ça en avait pas l'air ! Remarqué-je.

Il hausse les épaules en continuant de regarder les montagnes.
Par ici, le massif n'est pas élevé et cela n'a pas vraiment l'air de montagnes. Juste de grandes collines. Il n'y a même pas de neiges éternelles. Mais ces collines sont suffisamment hautes pour nous empêcher de voir l'horizon.

Nélo pousse de gros soupirs à côté de moi, intrigué je le regarde en fronçant les sourcils.

- Je me fais chier, dit-il soudain. J'ai une vie de merde non ? Je suis né dans la poussière de ce village et je suis destiné à le gouverner jusqu'à ma mort.

Je secoue la tête. Il ne sait pas à quel point il est chanceux dans un sens. Mais je comprends.
Nous ne sommes jamais pleinement satisfaits que ce que nous avons.

- Dis pas ça gamin. T'as la belle vie. Tu pourras choisir une femme avec qui tu seras toute ta vie et tu feras des enfants avec elle. Tu vivras dans la plus belle baraque de ce trou et tu seras respecté par tout le monde.

- Toutes les filles du village de mon âge sont mes cousines, Edan.

Il dit ça avec un tel sérieux que cela suggère que c'est évident. Je rigole. Ce n'est pas drôle pour lui, mais la situation est tellement risible que je ne pouvais pas m'en empêcher.

- Putain tu as décidément une vie de merde alors ! M'exclamé-je entre deux fous rires.

Il semble que cela est contagieux car Nélo rigole avec moi.
Je ne veux pas qu'il croit qu'il a une vie de merde. Il a tout pour être heureux, il est juste trop jeune pour le savoir.

Je lui donne une tape dans le dos.

- Tu vas survivre, crois-moi. Et puis t'as le temps ! D'autres jolies jeunes files vont arriver !

Il secoue la tête mais je sais que j'ai réussi à calmer ses pensées négatives.

- Tu penses qu'ils vont nous trouver ? Demande-t-il alors.

Je prends une grande inspiration.

- Je n'en sais foutrement rien.

Et c'est vrai.
Je n'ai aucune idée de ce que concocte le Gouvernement.
Il me regarde, comme si j'avais dit une connerie ou comme s'il ne me croyait pas. Puis il soupire et secoue la tête.

- Qu'est-ce que t'as bonhomme ? Demandé-je conscient que quelque chose le tracasse.

- Rien, répond-il.

Je fronce les sourcils.
On me l'a fait pas à moi. J'attends qu'il dise de lui même ce qu'il se passe dans sa tête de caboche.

- Grand-père est malade, avoue-t-il.

Oh.
Je ne m'y attendais pas.
Nélo est le petit fils d'Alphonse.

- Ouais je sais, c'est fou. Je passe beaucoup de temps avec lui parce qu'il sait qu'il n'en a pas pour très longtemps, il s'affaiblit vite. Alors il me dit tout ce que je suis censé savoir. Et c'est perturbant.

Il laisse reposer sa tête sur le mur derrière nous et il regarde le ciel.
Il a l'air tellement innocent.

- Je suis désolé, dis-je finalement.

- Moi aussi.

Je détourne le regard de son visage triste. Il est vraiment affecté par ça.
Je regarde les collines et la forêt qui s'étale à perte de vue. J'aimerais rester ici toute la journée comme nous le faisions avant, mais je dois retrouver Aurore.

Je me lève et Nélo ne prend même pas la peine de me regarder partir. Arrivé aux escaliers, je croise quand même son regard et je porte ma main à ma tête, comme le faisait les anciens militaires. Il sourit faiblement et imite mon geste. Puis je descends les marches pour retourner à la maison.

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