55.

De retour à l'accueil, j'ai de nouveau affaire à la grosse dame peu aimable. Elle lève la tête d'un air blasé pour me scruter avec condescendance.

- Que puis-je faire pour vous ? Demande-t-elle en soupirant.

Ne sachant pas trop ce que je veux, je lâche sans avoir vraiment réfléchi :

- J'aimerais postuler ici pour un emploi.

Elle me regarde avec des yeux toujours aussi scrutateurs.

- Nous ne recherchons personne.

- Je sais, mais si je vous dis qui je suis, je pense que vous seriez d'accord.

- Je sais qui vous êtes ma chère.

-Je veux juste un emploi. J'ai besoin de m'occuper et je veux aider le Monde, déclaré-je presque suppliante.

Je sais que ce ne sera pas facile de l'amadouer, mais j'y suis presque. Je ne pensais pas que jouer la comédie allait autant m'amuser d'ailleurs.

-Je pense que l'on pourrait avoir besoin de moi. Je suis venue ici presque tous les jours depuis mon arrivée dans votre ville, et j'estime que je peux au moins avoir un poste dans les locaux.

Son regard mauvais n'a pas quitté son viage. Sans me quitter des yeux, elle fait rouler sa chaise sur le sol pour aller attraper le combiné du téléphone. Elle tape sur les touches puis relève la tête pour me regarder de nouveau.

- Oui, une jeune fille cherche un emploi ... Petite, maigre, elle ne vous servira à rien dans l'armée.

Je baisse les yeux, je ne sais même pas dans quel domaine je veux travailler. C'était peut-être une mauvaise décision, prise à la va vite et pas réfléchie du tout. Mais c'est ce que je veux.
Je veux réparer tout ce que j'ai pu engendrer.

Je n'ai pas suivi la conversation que tenait l'hotesse au bout du fil, et je sors de mes pensées seulement quand elle m'interpelle.

- Deuxième étage, première porte à droite !

Je fais un rapide signe de tête avant de me précipiter de nouveau dans l'ascensseur.
Je frappe à la porte et on vient m'ouvrir. La femme qui me fixe m'est inconnue mais elle ouvre de grands yeux en me laissant entrer.

- C'est vous qui voulez un emploi ?!

Elle ferme la porte et se dirige vers son bureau pendant que je m'assois sur la chaise.

- Oui ...

- Et qu'est-ce que vous voulez faire ?

- Je veux un emploi, je pense que je peux vous aider ... J'aimerais le faire en tout cas.

Elle prend un crayon et une feuille.

- Soldat ? Comptable ? Secrétaire ? Hôtesse d'accueil ? Conseillère ? Directrice ? Je ne vais pas choisir à votre place.

- Je ne connais pas la hiérarchie des Conseils. Je veux simplement travailler auprès du Conseiller. Dans son équipe.

Elle me toise avec circonspection.

- Il est évident que vous aurez le poste, mais vous devez d'abord tout savoir sur notre Monde.

J'hoche la tête. C'est vrai que je ne sais presque rien. Le passé m'est inconnu et le futur reste flou.

- Il n'y a pas de problèmes, dis-je. Je ferai ce qu'il y a à faire.

Elle hoche alors la tête en souriant.

- Madame Boileau, mais vous pourrez m'appeler Katherine.

Je souris à mon tour.

- Aurore, enchantée.

Puis nous nous serrons la main.

***


- Vous devez avant tout connaître les locaux, dit Katherine en courant presque devant moi. Mais je pense que vous vous êtes déjà bien familiarisée avec.

J'hoche la tête même si elle ne peut pas me voir.

- Le Conseiller attend votre candidature en tant que Directrice depuis longtemps. Il a dû voir en vous une personne de confiance avec des objectifs à mettre en valeur. Votre histoire vous a sûrement permis d'apprendre beaucoup de choses, non seulement sur vous, mais aussi sur notre société.

En effet.
Je la suis dans les couloirs, mais je ne sais toujours pas où nous allons. Les talons de Katherine claquent sur le sol, et ses hanches se balancent rapidement.
Elle ouvre finalement une porte, au bout du couloir. La pièce est grande mais plongée dans le noir à cause des volets fermés.

- Ce sera ici que tu devras passer tes matinées pendant six mois environ. C'est mieux d'être ici que dans l'université de la ville. On t'apprendra tout, tu reverras les grandes lignes de l'histoire et la quasi-totalité de ce qu'il se passe en ce moment.

J'acquiesce silencieusement. La salle n'est pas très grande, mais une dizaine de bureaux sont disposés face au mur de gauche ou est accroché un tableau.

Je vais aller à l'école, je vais enfin tout comprendre.

- Tu ne seras pas seule, la plupart des Sauvages viendront car ils veulent tous s'intégrer dans notre société, ils veulent être au courant de tout. Mais t'es vous seront plus poussés.

- Qu'est-ce que je ferai l'après-midi ?

- Tu travailleras avec moi, dit-elle rayonnante.

Je plisse les yeux.

- Vous êtes Directrice ?

- Pas exactement, mais le Conseiller ne peut pas se passer de moi.

Elle me ait un clin d'oeil puis sort de la salle. Tout en la suivant à la trace, je me rends compte qu'ils pourraient en effet être en couple. Je ne m'imagine pas monsieur Russot avec une femme, mais bon.
Nous retournons dans son bureau.

- Tu intégreras l'équipe directrice si tu passes un concours et que tu le réussi. Il y a normalement cinq Directeurs, mais avec toi ça fera six. Je pense que personne ne s'opposera à ça ...

Elle prend un tas de feuilles qu'elle rempli à une vitesse folle.
Je reste eux minutes à la regarder faire, puis elle lève enfin la tête :

- Vous commencez demain. A huit jusqu'à midi, ce sera tous les jours sauf le week-end et vous aurez votre lundi après-midi de libre.

Elle ponctue sa phrase d'un sourire amical, puis elle se lève et je sors de son bureau.

Et je sors enfin du Centre dans lequel je vais passer presque toutes mes matinées pendant plus de six mois.

***

Lorsque j'arrive à mon appartement, je me débarasse tout de suite de mes chaussures, mon jean collant et mes autres habits pour me glisser dans un bain chaud.
Je n'ai même pas pris le temps d'appeler Anouk. Il faut que je la tienne au courant, j'ai besoin d'elle et de ses précieux conseils pour ne pas paraître totalement niaise en communauté. Katherine ne m'a pas fait de recommandations spéciales, mais je n'avais qu'à regardé les employer pour me tendre compte que je ne pourrais jamais me présenter en tenue décontractée. Je dois être simple mais tout de même distinguée.

On sonne à la porte avant que je n'aie eu le temps de sortir de l'eau. Je me dépêche d'attraper un peignoir et je cours encore mouillée dans l'appartement.

- Oui ? Demandé-je sans ouvrir la porte.

- Aurore ?

Mon sang se glace.

- C'est Edan ...

Je n'arrive pas à articuler pour faire sortir les mots de la bouche.
Sa voix n'est pas normale, elle tremble.

- Qu'est-ce qu'il se passe ?

- Ouvre moi.

- Je ne peux pas.

- Tu es avec lui ?

Je mets quelques secondes avant de comprendre qu'il parle de Jude.

- Non ! Non, non ... pas du tout ...

- Je dois te parler ...

- J'arrive dans cinq minutes Edan. Ne bouge pas.

Je me précipite dans ma chambre.
Entendre Edan sans être préparée me fait un choc. Il sera toujours le premier et il est encore trop tôt pour que j'aie totalement oublié la fougue de notre relation. Ses bras autour de mon corps, ses lèvres sur les miennes. Je ressens encore tous ces souvenirs dans ma chair, comme un tatouage invisible qui laisse son empreinte indélébile en moi. Je ne regrette rien, même si je sais que je l'aime. Mais je n'arrive plus à le voir comme je le voyais au début de notre relation.
Je mets un pantalon de jogging et le premier tee-shirt que j'attrape puis je me dirige en courant vers la porte d'entrée que j'ouvre violemment.

Il est assit contre sa porte, les yeux rouges mais peu gonflés. Il a pleuré, mais cela fait suffisamment longtemps pour que ce ne soit pas flagrant.

- Hey, dis-je. Désolée, je sortais de la douche, il fallait que je m'habille.

Il se lève et me regarde de toute sa hauteur. L'obscurité du couloir m'empêche de capturer ses yeux bleus.

- Entre, dis-je.

Il obéit et s'engouffre dans mon appartement.
Je referme la porte doucement, soudainement prise d'une gêne rt d'une honte terrible. Comment peut-il encore me supporter ?
C'est comme si je l'avais trompé !

Je n'ose donc pas relever la tête quand il commence à parler.

- Je suis désolé de te déranger, mais j'avais besoin de te parler.

Je le regarde furtivement avant de l'inviter à s'asseoir sur un canapé. Je prends place sur l'autre canapé.

- Je t'écoute.

Nous nous regardons plusieurs secondes et cela me fait mal de le voir ainsi. Il me semble tellement étranger, mais tellement lié à moi que je ne sais pas quoi dire. Ni comment agir. Ni quoi faire.

- Je sais pas si c'était une bonne idée de venir, avoue-t-il. Je peux repartir.

Il s'apprête à se lever mais je coupe son mouvement en disant :

- Non reste, ça fait du bien de te voir ...

Je le vois presque esquisser un sourire.

- C'est délicat ...

- Ferme les yeux si ça peut t'aider ...

Il s'exécute. Le silence plane. Je tends sa respiration se calmer et finalement il inspire pour dire :

- Je crois que j'avais besoin de venir pour plusieurs choses. Tout d'abord, je veux parler de nous, c'est bizarre, mais j'ai besoin de savoir pourquoi et de te dire comment on est arrivé là. Il faut que ça sorte sinon j'aurais l'impression de laisser quelque chose d'inachevé derrière moi ... Je sais que nous en avons déjà parlé, mais ... Je ne sais pas. C'est surement un prétexte inventé par mon cerveau pour te revoir.

J'hoche la tête pour montrer mon accord, mais il ne me voit pas. Je me sens mal à l'aise et terriblement triste pour lui.

- Et je voulais aussi te parler de ... de ce que j'ai découvert il n'y a pas longtemps ... et il fait que tu le saches, parce que je ne peux pas garder ça plus longtemps.

Je ne le coupe pas, je pense que c'est mieux que l'on se dise les choses telles qu'elles sont.

- J'ai passé les meilleurs mois de ma vie avec toi, tu sais plus de choses sur moi que toutes les autres personnes que je connais réunies. Tu as juste rendu ma vue plus paisible. C'était une délivrance de sortir de l'orphelinat. Je me sentais étouffé, pris en cage comme un poulet qu'on allait mettre à l'abattoir. Je voyais tous ces gens qui semblaient heureux alors que j'étais rongé par la colère et l'incompréhension. Jude vivait bien. Il a toujours bien vécu. C'est le bon vivant à l'état pur, optimiste, joyeux, souriant et paisible. Il me disait presque chaque jour que j'étais obsédé, malade ou pas bien dans ma tête. Je le savais mais je ne voulais pas me l'avouer. Tu m'as fait oublier que j'étais un enfant indésiré et abandonné par sa mère. Être loin de Jude me faisait du bien parce qu'il ne me lançait plus sa joie à la figure. Et c'est pour ça que je lui en veux autant : il est heureux le con.

Il fait une pause, et j'ai donc un peu de temps pour assimiler ce qu'il vient de dire. Mais il reprend son monologue rapidement.

- Ce n'est pas contre toi car tu as fait de moi le plus heureux des hommes, mais je suis insatisfait. J'en veux plus, toujours plus. Et je pensais qu'être libre allait me combler encore plus et que je serais encore plus heureux. Alors je suis parti rejoindre les Sauvages. J'ai demandé à Jude de veiller sur toi, pas de venir habiter chez nous. Mais je ne savais pas qu'il allait être ton prochain partenaire. Il fallait que ce soit lui, évidemment ... Puis je suis revenu car je n'étais pas heureux sans toi. Sauf que tu avais Jude qui t'a donné ce qu'il te manquait pour être comblée, pour être rayonnante. Mais ton bonheur dépendant non seulement de moi, mais aussi de Jude. Et j'ai compris ça trop tard.

Il pousse un profond soupire.

- Je sentais au fur et à mesure que tu t'éloignait et quand nous sommes arrivés ici, j'ai compris que je t'avais définitivement perdu. Alors excuse moi d'avoir abandonné, tu mérites qu'on se batte pour toi alors que je n'ai rien fait, j'ai lâché prise.

Un blanc flotte pendant plusieurs minutes. Je ne dis rien et Edan garde ses yeux fermés.
Je ne sais pas à quoi il pense, mais je n'ai rien à rajouter à ce qu'il a dit. Ce n'est oas exactement comme je l'ai ressenti, mais il est proche de la vérité. Et puis cela ne changera rien, nous sommes tous les deux d'accord.

- Merci Edan, déclaré-je pour briser le silence.

Je mer en ds compte que ma voix est presque tremblante alors je me racle la gorge.

- De rien, Aurore.

Je ne veux pas lui demander ce qu'il voulait me dire d'autre, je sens qu'il hésité, qu'il est tiraillé.
Finalement, il lâche de but en blanc :

- J'ai retrouvé ma mère.

J'ouvre de grand yeux et je couvre ma bouche de ma main. Edan à toujours les yeux fermés.

- Elle est morte il y a cinq ans environ.

Sa voix se met de nouveau à trembler.

- C'était un espionne pour Utopia. Pendant une mission à Rarya, elle est tombée enceinte du père de Jude. Mais elle avait unja une vie ici, un homme et des enfants. Alors elle a prolongé sa mission en prétextant qu'elle n'arrivait pas à avoir les informations nécessaires. Puis elle a accouché et elle est revenue ici. Elle m'a abandonné dans cette merde de ville alors qu'elle pouvait m'offrir un foyer avec des parents.

Je ferme les yeux pour éviter de pleurer. Ses émotions sont si fortes et puissantes que j'en ressens toutes les variations.
Edan et sa mère.

Je l'entends se lever alors je me lève aussi dans un sursaut. Je n'ai pas envie qu'il parte maintenant, ce serait trop brutal.

- Je suis désolée Edan.

- Ne le sois pas.

Nous nous regardons et j'admire ses yeux bleus, ses lèvres, son nez. Je sais que squand il franchira la porte, tout aura changé, une page se sera tournée. Et je ne veux pas lui dire adieu.

- Tu sais qui sont tes frères ou soeurs.

Il secoue la tête puis chuchote :

- Je n'ai qu'une soeur, et je ne veux pas savoir qui.

J'hoche la tête. Je prie pour qu'il ne sorte pas, mais il prononce finalement les mots qui vont nous séparer pour de bon :

- Adieu Aurore.

Il se retourne, ouvre la porte, et s'en va. Je n'ai même pas eu le temps de répondre.

Et je me croule sur le canapé, en pleure, consciente que j'ai aussi perdue la personne qui m'a rendue le plus heureuse.
Consciente qu'Edan ne sera plus jamais mien. Consciente qu'il ne me reste que des souvenirs.

Mais j'ai besoin de cette rupture officielle pour passer à autre chose.

Demain, je serai célibataire, j'irai travailler. Je vais me reconstruire et je vais vivre comme si je venais juste de quitter l'orphelinat.

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Voilà, ceci est le dernier chapitre de Géniteurs. Je posterai l'épilogue le 25 Décembre au matin, ce sera comme votre cadeau de Noël :)

C'était les explications d'Edan et le début de la nouvelle vie d'Aurore.

J'aime ce chapitre car j'ai l'impression qu'il fait bien son job de dernier chapitre.
Je ne sais pas si vous avez remarqué, mais j'ai commencé cette fiction en faisant réveiller Aurore car elle allait passer des tests, et ce chapitre sonne la fin de cette période. Je vous au raconté l'histoire d'une fille qui a grandit et qui continuera de le faire.
Dites moi ce que vous en pensez :)

Je suis un peu triste ... Je ne me rends pas compte que ça y est, c'est terminé ... plus d'intrigue, plus de nouveaux personnages. Juste la fin ...
Ça fait trop discours de fin et tout, mais soyez sûrs que je ne vais pas vous laisser en plan après avoir posté l'épilogue. Il y aura une FAQ sur Géniteurs. Vous pourrez me poser des questions sur Géniteurs (toutes sortes de questions, du temps que je mets à écrire un chapitre, jusqu'au choix des prénoms en passant par la couverture (qui est moche soyons honnêtes)).

Mais dans ce chapitre (ou dans l'épilogue) j'aimerais vraiment avoir votre avis entier sur mon livre. Je sais que c'est dégueulasse de vous demander ça, mais je veux savoir ce que mon livre vous a apporté, s'ils vous a fait comprendre des trucs, ou si vous avez simplement lu.
Alors s'il vous plaît, prenez cinq minutes pour écrire quelque chose sur mon livre, votre analyse en quelque sorte :)
J'aimerais aussi que vous mettiez en commentaire votre phrase favorite. Celle que vous avez retenu, qui vous a tapé dans l'oeil. Ça peut être plus qu'une phrase hein ;)

Je vous en demande peut-être trop, mais je serai vraiment reconnaissante si vous le faite sérieusement. Je serai touchée et je serai heureuse de vous avoir apporté un peu plus que simple histoire à lire mais une morale.

Merci à tous, à toi qui lit ceci et qui a eu L courage de lire les 55 chapitres qui composent ce livre.

Merci du fond du coeur, merci infiniment.
Bisous et bonne soirée ♡

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