48.
Le retour à Utopia se fait dans un brouillard constant et épais. Il semble m'accompagner partout où je vais ces temps-ci, et devenir de plus en plus opaque. Mais ma lassitude est constamment contrée par mon envie irrépressible de sauver Rarya et ses habitants.
Au final, je ne sais même pas si la mission s'est bien passée. J'ai la sensation que les soldats auraient voulu sauver plus de monde. L'image de ces corps étalés dans cette grande pièce me donne encore la nausée.
Mais je dois me ressaisir. Pour Louise.
Pour elle, je dois relever la tête.
Je prends deux profondes inspirations et je me fixe sur mon but.
Autour de moi, les soldats ferment les yeux. Cela doit bien faire plus d'une heure que je fixe le sol blanc de l'avion et ma nuque se fait raide.
- On arrive dans combien de temps ? Je demande au soldat à ma gauche.
Il jette un coup d'œil à sa montre.
- Dans dix minutes environ, me répond-il.
Je fais un hochement de tête pour le remercier, puis je retourne dans la contemplation du sol.
Quand l'avion atterrit enfin sur le toit du Conseil de la Paix et que nous descendons de l'appareil, le colonel vient à notre rencontre :
- On se rejoint tous dans la salle de réunion pour faire le bilan de la mission. Maintenant.
Son ton ne suggère aucune protestation et nous sommes tous obligés de secouer la tête en signe d'approuvement.
Je suis le troupeau pour me rendre dans la même salle que d'habitude.
Le Conseiller est déjà là et au vu de son visage, il n'est pas là pour nous annoncer que des bonnes nouvelles. Comme nous sommes un nombre assez important, il n'y a pas de chaises pour tout le monde et je fais partie de ceux qui restent debout. Je ne vois pas Jude, mais je sens malgré tout sa présence. L'horloge accrochée sur le mur affiche dix-sept heures. Daniel Russot qui est le Conseiller de la Paix se lève et arbore une expression solennel.
- S'il vous plaît, dit-il pour calmer le brouhaha.
Tout le monde se tait.
- Merci. J'ai été tenu au courant de la mission et de son déroulement. Trois Sauvages ont été sauvé aujourd'hui. Nous aurions voulu sauver plus de monde, mais malheureusement, le Gouvernement a attaqué trop fortement. Pour cela, nous devons à tout prix réagir. Nous devons sauver Rarya. J'ai donc décidé de mettre en place une seconde mission qui aura pour but d'infiltrer Rarya pour défaire le gouvernement en place et ainsi sauver la ville.
Cette révélation laisse tout le monde pantois, mais elle a le don de réveiller une flamme en moi.
- Vous n'êtes pas tous concernés par cette révélation car nous engagerons des espions qui devront transmettre des informations jusqu'ici. Les soldats n'interviendront qu'après, quand nous aurons suffisamment d'informations pour attaquer Rarya sans risques majeurs. J'appelle alors à votre courage, et à votre soutien. Cette mission devra s'écouler sur plusieurs semaines. La patience sera primordiale et le sang-froid nécessaire. Le plan n'est pas encore au point, mais nous travaillons activement dessus. Un communiqué se fera entendre ce soir et l'identité des participants sera divulguée. Cette mission sauvera des milliers de personnes, prenez compte de son importance.
Le Conseiller quitte la pièce en laissant derrière lui une tension palpable. Une mission pour sauver Rarya va avoir lieu, et je veux être sûre d'y participer.
***
Je sais qu'une conférence de presse est diffusée à la télévision pour tenir Utopia au courant de l'issue de notre mission, et je devrais surement la regarder. Mais Edan vient juste de m'appeler pour me dire qu'il passera d'ici dix minutes.
Je décide de prendre une rapide douche. Je voudrais rester des heures sous l'eau mais le temps presse. J'enfile ensuite un jean tout simple ainsi qu'un gros pull chaud. Je ne veux pas risquer de m'habiller trop bien. Je redoute le moment où je vais ouvrir la porte. Mes sourcils se froncent déjà à cette idée. La froideur qu'il a montré à mon égard l'autre jour n'a pas quitté mon esprit, et le ton neutre avec lequel il s'est adressé à moi au téléphone me laisse tout aussi amère.
Quand la sonnerie retentit dans mon appartement, je sursaute. Je me lève et me dirige vers la porte. Edan se tient droit et le regard fixé dans le mien. Je n'y vois rien.
- Salut, dit-il.
- Salut, je réponds en ouvrant la porte pour le laisser entrer.
Il m'évite soigneusement et se place au centre de la pièce, les mains dans les poches et le regard fuyant. Ma colère augmente en intensité et je croise mes bras sur ma poitrine.
- Tu voulais me dire quelque chose ? Je demande alors.
- Je viens prendre de tes nouvelles. Je sais que tu as été à la mission aujourd'hui et je voudrais savoir comment tu vas.
- Bien.
Je regrette pendant un instant mon ton sec.
- Super alors.
Nous nous regardons pendant un long moment, et je ne détecte rien. Son attitude paraît totalement détachée et nonchalante.
- Je sais que tu es en colère Aurore.
Je me retiens de dire quoi que ce soit.
- Je sais que tu m'en veux pour beaucoup de choses et que tu l'as réalisé il y a peu de temps. Et je pense que tu l'as caché à toi même car tu culpabilisait de m'en vouloir. Et je suis venu te dire que je suis désolé.
Je tourne la tête pour ne pas croiser ses yeux. Il a le don pour mettre les mots sur ce que je ressens, et cela me touche profondément. Mais je ne peux pas me permettre de me jeter dans ses bras.
- Je suis désolée aussi, dis-je.
Le silence s'installe, et une gêne apparaît. Je me sens comme étouffée par sa présence, et je sais que cela n'a rien de bon.
- Je ne sais pas quoi faire Edan. Je suis perdue.
- Alors ne fais rien. Pas pour l'instant. Laisse toi le temps de réfléchir et écoute ton cœur.
Son ton est neutre, mais tout de même confiant. Il a réfléchit à cette conversation. Et tout porte à croire qu'il aussi réfléchit à l'issue de ma réflexion.
- Bon je vais devoir y aller, mais si tu as besoin de moi, tu sais où je suis ...
Sur cette phrase, il me contourne encore une fois et sors de mon appartement sans d'autres mots. Pas même un "bonsoir", ou encore un "je t'aime". Mais après tout, je ne l'ai pas fait non plus.
Une distance se créer en Edan et moi. Une distance qui se creuse de plus en plus chaque jour et dont la cause reste totalement inconnue à mes yeux. Je suis revenue ici avec la ferme intention de tout lui dire, et voilà que je suis restée muette devant lui.
Mais paradoxalement, je me sens mieux. Comme soulagée par notre conversation. Edan m'a dit de prendre mon temps. Cela prouve que nous sommes tous les deux d'accord : nous devons réfléchir chacun de notre côté.
À dix-huit heures trente, je reçois la visite d'Anouk qui me remonte un peu le moral.
- J'ai appris que vous étiez arrivé il y a un peu plus d'une heure. Je pensais que la mission allait durer plus longtemps.
- Oui moi aussi, mais il faut croire que rien ne s'est vraiment passé comme prévu et je pense que la mission s'est écourtée à cause de ça.
- Ah bon ! S'exclame-t-elle. Qu'est-ce qu'il s'est passé ?
- Pas grand chose à vrai dire, avoué-je. Mais nous pensions sauver plus de monde et finalement, seulement trois autres Sauvages ont été secouru ...
- Oh ... je suis désolée que tout ne se soit pas passé correctement ...
- Ce n'est rien, dis-je.
Je l'invite à s'asseoir sur le canapé et je me mets à côté d'elle.
- Je suis désolée Aurore, je sais que c'est peut-être pas le moment, mais tu es surement au courant de la mission qui va commencer pour Rarya ?
- Oui, monsieur Russot nous en a parlé tout à l'heure.
J'ai soudain un déclic et je me précipite sur la télécommande de la télévision. Anouk me stoppe dans mon mouvement.
- Non ce n'est pas la peine, je suis là pour ça.
Je la regarde interloquée et elle continue :
- Je ne connais pas tous les détails, mais je sais qu'ils vont envoyer des espions petit à petit dans la ville en tant qu'infiltrés. Et à la fin, quand les infiltrés auront découverts assez d'informations, ils enverront l'armée pour libérer la ville.
J'hoche la tête pour qu'elle puisse continuer son récit. Je ne sais pas vraiment ou elle veut en venir et cela me rend nerveuse.
- Je sais à quel point c'est important pour toi de participer à cette mission, mais malheureusement, ils ont décidé qu'il serait trop dangereux de vous envoyer.
Je me lève précipitamment et je tourne le dos à Anouk.
- Ils veulent que vous ne soyez au courant de rien, comme la plupart des civils. Ils veulent vous protéger ...
Je prends une grande inspiration. Je dois me calmer.
- Je ne peux pas rester ici sans rien faire. Et qui plus est, sans être au courant de rien. Je ne peux pas, c'est de la torture !
Anouk hausse les épaules et baisse les yeux.
- Je sais Aurore, mais c'est ainsi.
- J'irai voir le Conseil de la Paix. Ils ne peuvent pas nous exclure comme ça. C'est notre ancienne ville, on sait beaucoup plus de choses qu'eux sur elle. J'ai travaillé au Gouvernement en plus ! Je possède des informations qui pourraient leur être utiles !
Anouk se lève et se dirige vers moi.
- Je sais Aurore, et je comprends tout à fait ta réaction ... J'ai essayé de leur dire que vous auriez pu être des atouts, mais ils n'ont rien voulu entendre ...
Je prends une autre grande inspiration. Je dois sortir et me vider la tête.
- J'ai besoin de bouger. Je suis fatiguée, mais il faut que je me vide l'esprit. Ça te dit qu'on aille se promener ?
Anouk me regarde avec un sourire malicieux.
- Non, j'ai bien mieux !
***
Je suis face au miroir de ma salle de bain, et c'est à peine si je me reconnais. Anouk m'a forcé à reprendre une douche, puis elle m'a maquillé et coiffé comme elle sait bien le faire. J'ai aussi enfilé une robe que j'avais acheté avec elle. C'est une superbe robe bustier en soie rose pâle. Je me sens presque nue tellement le tissus est léger sur ma peau. Le maquillage qu'elle m'a fait fait ressortir mes yeux aciers et mes cheveux sont simplement attachés dans un chignon.
- Je ne me reconnais même pas ...
- Le but est de te vider la tête. La meilleure façon de le faire est de devenir une autre personne ...
Je m'admire encore quelques instants dans la glace, puis je me tourne vers Anouk.
- À toi maintenant !
Elle éclate de rire.
- Je ne vais rentrer dans aucunes de tes robes, me prévient-elle.
- Alors, prends une robe à toi !
Elle fronce les sourcils dans l'incompréhension.
- Tu peux retourner chez toi pour te changer, et je t'attends ici, proposé-je.
Elle roule des yeux.
- Non, tu viens avec moi. On va la faire à deux cette fête !
Nous rigolons en cœur et je la suis vers la sortie de mon appartement.
Elle n'habite pas très loin de chez moi, mais il faut quand même prendre le batram. À cette heure là, il est plein, les gens rentrent chez eux. De ce fait, je suis loin de passer inaperçue et je suis gênée par les regards des habitants. Mais pour une fois que je me sens jeune. Pour une fois que je me sens libre, je peux passer outre.
Anouk habite un immeuble beaucoup moins chic et luxueux que le mien, je trouve cela injuste surtout au vu de ce qu'elle fait. Je trouve ça honorable par rapport à ce que nous faisons nous, c'est à dire : rien. Malgré tout, son appartement est très beau et même presque aussi grand que le mien. Je l'attends dans le salon pendant qu'elle se prépare.
Il y a beaucoup moins de fenêtre ce qui donne à la pièce une ambiance plus tamisée et intime que chez moi. J'ai juste envie de m'enrouler dans les couvertures douces disposées sur le canapé. Mais je ne veux pas abîmer ma coiffure.
La cuisine est tout aussi petite que la mienne. J'aperçois le distributeur de la Boisson d'où je suis.
Après une dizaine de minutes, Anouk sors de la salle de bain. Elle revêt une robe couleur émeraude avec un magnifique décolleté dans le dos. Le reste est assez simple, mais ce décolleté fait toute la différence.
- Tu es sublime ! M'écrié-je.
Elle n'a pas encore pris le temps de se maquiller, ce qu'il n'enlève en rien de sa beauté.
- Merci, je dois juste aller me maquiller, je n'en aurais pas pour longtemps.
- T'inquiètes pas, prends ton temps !
Quand elle ressors à nouveau de la salle de bain, elle porte un maquillage simple, mais sophistiqué. Elle a décidé de ne pas s'attacher les cheveux et de les laisser au naturel. Puis elle me regarde avec un sourire triomphant :
- Allons-y !
La nuit est tombée. Anouk m'emmène dans un endroit proche de chez elle, ce qui nous évite de prendre le batram.
De la musique se fait entendre alors que nous longeons un bâtiment. Elle me regarde, pour guetter ma réaction.
- On va en boite de nuit ? Je demande.
Elle hoche la tête avec enthousiasme. Je n'ai jamais été en boite de nuit. Il y en a deux à Rarya, et nous avons le droit d'y aller seulement lorsque nous avons des enfants. Un enfant est égal à une nuit en boite de nuit. C'est une sorte de récompense, comme si nous étions des chiens.
Ça me dégoûte.
- Allez ! Décrispe toi ! On va s'amuser tu vas voir !
Je prends donc mon courage à deux mains et j'entre dans la grand bâtiment.
Le sol tremble sous mes pieds. La lumière ne cesse de changer de couleur et mes yeux mettent du temps à s'adapter.
La musique résonne fort dans mes oreilles et je vois une grosse masse noire devant moi. Une masse noire qui bouge, qui danse. Qui s'amuse et qui oublie. Alors, poussée par le même désire d'oublier, je commence à sauter, à danser au rythme de la musique.
Je ne pense plus a rien.
J'oublies Jude, Edan et Louise. J'oublie que j'ai passé ma journée avec des morts. J'oublie que je ne suis qu'un objet qui a été crée pour procréer.
Je suis juste jeune et libre.
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Bonsoir à tous !
J'espère que vous allez tous bien.
Pour être honnête, j'ai eu du mal à écrire ce chapitre, et j'espère malgré tout qu'il vous a plu. Je suis désolée de le poster aussi tard, mais je vous ai réservé un bonus que je posterai sûrement dans la soirée (ou dans la nuit) pour me faire pardonner ...
Ma journée n'a pas été des plus flamboyante et j'espère que vous comprenez.
Je suis nulle pour ce genre de choses, mais je tiens à adresser mon soutien à tout le monde et devant ce genre d'horreur, nous devons avant tout rester unis.
Pray for Paris
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